Recueil des recherches sur les victimes d'actes criminels
Victimes et l'ensemble des troubles causés par l'alcoolisation foetale (ETCAF) : un examen des questions
Par Charlotte Fraser, analyste de recherche, Division de la recherche et des statistiques, ministère de la Justice Canada
Le présent article offre un aperçu de l'ensemble des troubles causés par l'alcoolisation foetale, communément appelé l'ETCAF, et fournit un examen de questions se rattachant au système de justice pénale et, plus précisément, aux victimes d'actes criminels.
Ensemble des troubles causés par l'Alcoolisation foetale
Le système nerveux central du fotus peut subir des dommages permanents si la mère consomme de l'alcool durant la grossesse. Ces dommages peuvent également s'étendre à son apparence physique ainsi qu'à sa mémoire et à son comportement. L'ampleur des dommages causés au fotus en raison de son exposition prénatale à l'alcool dépend de nombreux facteurs, comme la génétique, les caractéristiques personnelles de la mère, l'environnement, la nutrition, le stade de développement, de la réaction à d'autres drogues et de la durée et l'étendue de l'exposition à l'alcool. En raison de ces facteurs ou d'autres facteurs, les personnes exposées à l'alcool avant leur naissance peuvent être atteintes de l'un ou l'autre des troubles formant l'ensemble des troubles causés par l'alcoolisation foetale (ETCAF), soit le syndrome d'alcoolisation foetale (SAF), le syndrome d'alcoolisation foetale partiel (SAFP) et le trouble neurologique du développement lié à l'alcool (TNDLA).
Les personnes atteintes du SAF et du SAFP montrent certains signes de déficiences prénatales ou postnatales sur le plan du développement et de malformations cranofaciales (yeux en fente mince ou fentes palpébrales courtes, espace ou creux entre le nez et la lèvre supérieure ou philtrum long et aplati et lèvre supérieure mince ou droite). Le système nerveux central de toutes les personnes atteintes de troubles de l'alcoolisation foetale est endommagé, ce qui peut les amener à vivre différentes difficultés sur le plan intellectuel et scolaire ainsi qu'au niveau du langage, de la communication, de la mémoire, de l'attention, des fonctions exécutives et du comportement adaptatif.
Il existe dix secteurs du cerveau pouvant être endommagés si la mère consomme de l'alcool pendant sa grossesse (Chudley et coll., 2005; Lang, 2006). Le type de dommages subis par le système nerveux central varie selon les victimes, et tous les secteurs du cerveau peuvent ne pas être endommagés. Pour qu'un trouble de l'alcoolisation foetale soit diagnostiqué, la personne doit souffrir d'un dysfonctionnement dans trois des dix secteurs du cerveau en question. D'autres secteurs du cerveau peuvent ne pas être touchés. Cela signifie, par exemple, qu'une personne peut souffrir de troubles de la mémoire et une autre non. Il est donc important de savoir que toutes les personnes atteintes de troubles de l'alcoolisation foetale n'affichent pas nécessairement toutes les caractéristiques cognitives et comportementales associées à l'ETCAF. Des exemples de caractéristiques affichées par les victimes ou les témoins atteints de troubles de l'alcoolisation foetale sont décrits à l'Annexe A.
À l'échelle internationale, l'ETCAF est considéré comme l'une des principales causes des troubles du développement et de la déficience mentale (Journal of FAS International, 2004; Roberts et Nanson, 2000). Bien qu'aucune donnée n'ait été recueillie à l'échelle nationale sur l'incidence de l'ETCAF (Chudley et coll., 2005), on estime que parmi la population générale aux États-Unis, entre 0,5 et 3 personnes sur 1 000 sont atteintes du SAF et que 1 personne sur 100 est atteinte de troubles de l'alcoolisation foetale (SAF, SAFP, TNDLA) (Abel, 1995; Abel et Sokol, 1987; Barr et Streissguth, 2001; May et Gossage, 2001). On considère que l'ETCAF est sous-diagnostiqué en partie parce qu'il n'a été identifié qu'au début des années 1970 et qu'il est difficile d'établir un diagnostic, les médecins n'ayant pas tous suivi une formation dans ce domaine. Les évaluations sont idéalement effectuées par un généticien ou un pédiatre ayant de l'expérience dans le domaine de l'ETCAF, en collaboration avec un psychologue clinicien, des orthophonistes et des travailleurs sociaux ou du milieu scolaire (Chudley et coll., 2005). Il est difficile d'avoir accès à des services d'évaluation de l'ETCAF, et les frais qui s'y rattachent, qui sont d'environ 2 000 $, ne sont pas couverts par les régimes de soins de santé provinciaux. Les rapports portant sur l'ETCAF, établis par les organismes gouvernementaux et non gouvernementaux, mettent en lumière l'importance d'augmenter et de soutenir les services de diagnostic (Chudley et coll., 2005; Direction générale de la santé des Premières nations et des Inuits, 1997; Roberts et Nanson, 2000; Agence de la santé publique du Canada, 2003).
L'ETCAF et le système de justice pénale
Les effets de l'ETCAF sur le système de justice au Canada a fait l'objet d'une attention importante au cours des récentes années, mais il existe encore peu de données empiriques sur le nombre de cas ou les conséquences subies par les personnes atteintes de troubles de l'alcoolisation foetale. Des preuves suggèrent que les personnes atteintes de troubles de l'alcoolisation foetale présentent un risque élevé d'avoir des démêlés, et ce, de façon répétée, avec le système de justice pénale, en tant que victimes ou délinquants (Boland et coll., 1998; Boland et coll., 2002; Chartrand et Forbes-Chilibeck, 2003; Conry et Fast, 2000; Fast et coll., 1999; Fast et Conry, 2004; Moore et Green, 2004; Streissguth et Kanter, 1997; Streissguth et coll., 2004; Verbrugge, 2003). Au Manitoba, on a évalué que le pourcentage de délinquants souffrant de troubles d'alcoolisation foetale admis dans le système carcéral (pour purger une peine de deux ans ou plus) était de 10 % (MacPherson et Chudley, 2007). Ces chiffres sont considérés comme étant conservateurs, le diagnostic de l'ETCAF étant difficile à établir chez les adultes (Chudley et coll., 2007). En Saskatchewan, le pourcentage de cas d'ETCAF parmi un échantillon de jeunes dont le cas avait été renvoyé aux fins d'évaluation psychiatrique ou psychologique était 23 % (Fast et coll., 1999). Ce taux d'incidence est considéré comme étant élevé parce que l'échantillon n'était pas représentatif de la population carcérale générale (Boland et coll., 2002). Le nombre de personnes souffrant de troubles de l'alcoolisation foetale, incarcérées au cours de leur vie, était aux États-Unis de 32 % chez les adolescents et de 42 % chez les adultes (Streissguth et Kanter, 1997).
La plupart des recherches sur l'ETCAF et le système judiciaire portaient exclusivement sur les délinquants. Elles n'ont donc pas permis de recueillir des données empiriques sur les victimes et les témoins atteints de troubles de l'alcoolisation foetale ou les victimes de délinquants atteints de troubles de l'alcoolisation foetale. Il y a eu, cependant, des affaires judiciaires où la question des victimes souffrant de troubles de l'alcoolisation foetale a été abordée[1]. Un examen de la jurisprudence canadienne et américaine montre qu'il n'existe aucune approche cohérente pour répondre aux besoins des victimes atteintes de troubles de l'alcoolisation foetale. Il est à prévoir que les questions entourant les victimes souffrant de troubles de l'alcoolisation foetale et les victimes de délinquants atteints de troubles de l'alcoolisation foetale s'accentueront au fur et à mesure qu'augmenteront les services diagnostiques offerts et la sensibilisation du système judiciaire à l'ETCAF.
Victimes d'actes criminels
À l'instar des autres personnes souffrant de déficiences, les personnes atteintes de troubles de l'alcoolisation foetale présentent un risque élevé d'être victimes d'un acte criminel. Elles risquent également que certaines personnes profitent d'elles, plus particulièrement des membres de la famille ou des amis, qui peuvent ne pas ouvrer dans leur meilleur intérêt. Cela peut s'avérer très difficile dans certains cas de violence familiale, lorsque le conjoint ou la conjointe tente de persuader la victime de ne pas témoigner contre il ou elle en cour ou de demander à la police d'intervenir. De plus, les victimes atteintes de troubles de l'alcoolisation foetale peuvent ne pas réaliser que le comportement de certaines personnes est incorrect (p. ex., avances sexuelles, attouchements). Les victimes atteintes de troubles de l'alcoolisation foetale peuvent ne pas comprendre parfaitement ce que cela signifie le fait d'être victime d'un acte criminel ou l'importance de témoigner contre l'accusé ou de remplir une déclaration de la victime. À première vue, les victimes atteintes de troubles de l'alcoolisation foetale semblent comprendre la procédure judiciaire, mais un examen plus approfondi montrerait qu'un grand nombre d'entre elles ne comprennent pas l'objet et le but du procès.
Comme le nombre de délinquants qu'on soupçonne être atteints de troubles de l'alcoolisation foetale est élevé, il est à prévoir que certaines victimes (souffrant ou non de troubles de l'alcoolisation foetale) peuvent avoir été en contact avec des délinquants atteints de troubles de l'alcoolisation foetale. Il est important que les victimes connaissent les comportements complexes observables chez les délinquants atteints de troubles de l'alcoolisation foetale, non pas pour les excuser, mais plutôt, dans un contexte plus large, pour initier le processus de guérison.
Questions à considérer
Les effets de l'ETCAF sur le système judiciaire commencent à être prise en charge par les organismes gouvernementaux, non gouvernementaux et les groupes de défense. Il est essentiel d'accroître, au sein du système judiciaire, la sensibilisation et la formation sur la prévalence et les caractéristiques des personnes atteintes de troubles de l'alcoolisation foetale et sur les interventions appropriées. Les prochaines recherches sur l'ETCAF et le système judiciaire devraient aborder des questions touchant les victimes et les témoins, notamment leurs expériences et les obstacles à surmonter, ainsi que fournir des suggestions sur la façon d'améliorer le processus de communication avec les victimes atteintes de troubles de l'alcoolisation foetale. Ces questions doivent être réglées afin que les victimes puissent avoir un accès équitable et constant au système de justice pénale.
Prochaines recherches
Comme il n'y a pas encore d'approche cohérente établie pour les victimes ou les témoins atteints de troubles de l'alcoolisation foetale, la Division de la recherche et des statistiques, pour le compte du Centre de la politique concernant les victimes du ministère de la Justice du Canada, a entrepris une étude de recherche sur les expériences des personnes travaillant dans le domaine des services aux victimes auprès de victimes ou de témoins qui sont ou pourraient être atteints de troubles de l'alcoolisation foetale. Cette étude de recherche est la première évaluation empirique jamais menée sur les stratégies et les approches utilisées par les fournisseurs de services ayant des connaissances et de l'expérience dans le travail auprès de victimes ou de témoins atteints de troubles de l'alcoolisation foetale (diagnostiqués ou soupçonnés). Les personnes travaillant dans le domaine des services aux victimes sont également invitées à fournir des suggestions sur les méthodes et les stratégies qui pourraient les aider à mieux se préparer et à répondre aux besoins des clients atteints de troubles de l'alcoolisation foetale. Les résultats de cette recherche mettront en lumière les autres points à traiter : élaboration d'un manuel qui aideront les fournisseurs de services aux victimes dans l'application de leurs connaissances et de leurs approches professionnelles auprès des clients atteints de troubles de l'alcoolisation foetale.
Annexe A : Exemples de caractéristiques cognitives et comportementales que peuvent présenter les victimes ou les témoins atteints de troubles de l'alcoolisation foetale.
Habilité mentale
- Ne tire aucune leainçon des expériences passées
- Difficulté à généraliser d'un événement à l'autre
- Difficulté à comprendre la terminologie du domaine juridique
- Éprouve une certe confusion lorsque la Couronne ou la défense pratique le sarcasme ou présente des exemples abstraits
Réussite sur le plan académique
- Possède des connaissances académiques qu'on attribue généralement à un enfant d'âge scolaire
- Faibles compétences en rédaction ce qui rend difficile la rédaction de la déclaration de la victime
Déclaration
- Difficulté à verbaliser ou à expliquer ses pensées
Attention
- Agitation (difficulté à rester assis, bouge sans cesse)
- Distrait(e) par les personnes qui entrent dans la salle d'audience et la quittent
- Incapacité de prêter attention et de se concentrer sur les questions posées par la Couronne
- Se frustre rapidement et se sent oppressé par l'ambiance dans la salle d'audience
Mémoire
- Système d'entreposage et d'extraction d'informations de la mémoire à court terme ou à long terme déficient
- Oublie l'heure qu'il est ou de se présenter en cour
- Difficulté de se souvenir de la façon dont les événements se sont passés
- Incertain du moment où se sont produits les événements ou de leur durée
- Confabulation, faire involontairement de fausses déclarations lors de la reconstitution des événements
Fonctions exécutives
- Ne sait pas prévoir d'avance; se met sans le savoir dans des situations à risque (p. ex., ne réalise pas les risques encourus en dévoilant qu'il ou elle se promène avec en mains de gros montants d'argent)
- Résolution de problèmes (agit de façon impulsive, sans réfléchir d'abord)
- Ne sait pas qu'on profite de lui ou elle
- Ne comprend pas les conséquences de ses actes, que son témoignage contre son partenaire ou sa conjointe de fait (ou conjoint de fait) peut avoir des répercussions (p. ex., il ne réalise pas qu'il ou elle risque l'emprisonnement)
Comportement adaptatif
- Aptitudes à la vie quotidienne; Savoir comment prendre l'autobus ou prendre un taxi pour se rendre en cour;
- Prendre soin de soi; Se vêtir de façon appropriée et professionnelle lors de notre comparution;
- Fonctionnement dans la collectivité; Savoir où et comment obtenir des services, comme des services d'aide juridique, et savoir que des services aux victimes leur sont offerts;
- Se lever et parler lors des procédures sans laisser l'avocat prendre la parole pour nous défendre.
Langage
- Incapacité de verbaliser efficacement ses pensées lors de sa présence à la barre des témoins;
- Mauvaise utilisation de mots et de phrases, ce qui a pour effet de créer une certaine confusion chez l'auditeur ou lui faire passer un message différent;
- Troubles de la parole
Communication sociale
- Se range à tous les arguments présentés par la Couronne ou la police pour ne pas déplaire;
- Répond oui à la plupart des questions posées par la Couronne ou la police;
- Se montre timide ou ne répond pas aux questions qu'on lui pose;
- Compétences sociale (ne sait pas quand cesser de parler et fournit trop d'informations personnelles).
Troubles neurologiques graves ou légers (systèmes régulateurs)
- Habiletés motrices fines (dessiner, écrire) et grossières (équilibre, marche)
- Coordination oculomanuelle
- Difficultés à écrire clairement à la main ou à l'aide d'un clavier
Références
[1] Un excellent site Web, mis sur pied par le Comité sur la justice de l'Ontario en 2007 (http://fasdjustice.on.ca/), fournit des détails sur l'ensemble des décisions rendues par les tribunaux au Canada, où il a été question de l'ETCAF.
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