Recueil des recherches sur les victimes d’actes criminels, no 5
Les victimes devant la Cour pénale internationale : Un nouveau modèle de justice pénale?
Frédéric Mégret, Ph. D. est professeur adjoint de droit à la Faculté de droit de l’Université McGill, à Montréal. Il est titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droits de la personne et pluralisme juridique et directeur de la Clinique de McGill du Tribunal spécial pour la Sierra Leone.
La Cour pénale internationale (CPI) a été créée en 1998 à la suite d’une conférence diplomatique et elle a commencé ses activités en 2001. Il s’agit du premier tribunal pénal international permanent et, tout au moins en puissance, universel. Il compte plus de 100 membres, dont le Canada. À ce titre, on surveille de près ses activités afin de déceler les développements qui pourraient être pertinents pour la justice pénale. Son champ de compétence englobe les génocides, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre : tous des crimes qui font en général des milliers de victimes, souvent dans des circonstances très traumatisantes et qui transforment une vie. Située à La Haye, la CPI a commencé à enquêter et à intenter des poursuites au Congo, en Ouganda, au Soudan et au Kenya, ce qui a suscité de grandes attentes parmi les victimes et leurs proches.
Une des caractéristiques frappantes de la CPI est le rôle qu’elle entend donner aux victimes, dans un contexte où les droits des victimes et les approches axées sur les victimes en matière de justice pénale sont devenus plus importants. Cet article examine le rôle des victimes à la CPI et discute des défis que pose leur présence devant la Cour. La CPI peut choisir de considérer les victimes de trois différentes façons : simplement comme des témoins, comme des participants quelconques ou comme des bénéficiaires potentiels d’aide ou de réparations.
L’ascension de la victime devant la justice pénale internationale
Dans le passé, les tribunaux pénaux internationaux n’ont accordé que peu d’attention aux victimes. Au procès de Nuremberg, après la Seconde Guerre mondiale, une bonne partie de la procédure reposait sur des sources écrites et les victimes n’ont été appelées à titre de témoins qu’occasionnellement. Dans les années 1990, les tribunaux pénaux internationaux spéciaux (ex- Yougoslavie et Rwanda) ont fait davantage appel aux témoignages des victimes et, en conséquence, se sont montrés plus ouverts à l’idée que les victimes ne devaient pas être victimisées davantage par le système de justice pénale internationale. Des efforts importants ont alors été faits pour mieux protéger au moins les victimes qui témoignent. Toutefois, deux choses ont été clairement exclues : premièrement, les victimes n’étaient d’aucune façon parties à la procédure pénale; et deuxièmement, très peu de dispositions ont été prises relativement aux réparations (dans le meilleur des cas, les victimes devaient s’adresser aux tribunaux nationaux en se fondant sur un jugement international faisant jurisprudence contre leur agresseur, mais en pratique, cela ne s’est presque jamais fait).
Presque dès le départ, le mouvement visant la création de la CPI a adopté un point de vue différent quant au rôle et au statut des victimes. Premièrement, la CPI ne devait pas être créée par le Conseil de sécurité et elle cherchait d’autres formes de légitimité. Deuxièmement, la CPI a pu être créée grâce en grande partie à l’influence de groupes de la société civile (notamment Redress, Human Rights Watch) qui étaient plus portés à considérer la justice pénale internationale comme étant fondamentalement une forme de justice pour les victimes plutôt que simplement, par exemple, un moyen d’assurer la paix et la sécurité à l’échelle internationale. Troisièmement, les débats dans les années 1990 étaient influencés par la frustration et la déception grandissantes des associations de victimes à l’égard des tribunaux pénaux internationaux et par un certain nombre de développements sur le plan juridique, particulièrement en ce qui a trait aux droits à la réparation. En raison de ces diverses pressions, la conférence de Rome, qui a créé la CPI, a accordé à la victime un rôle sans précédent devant la Cour.
L’intégration des victimes comme composante importante de la justice pénale internationale pose plusieurs défis. Par-dessus tout sans doute, certains craignent que le fait de se concentrer d’une manière significative sur les victimes diminue l’attention que l’on porte généralement sur l’accusé et ait peut-être même une incidence négative sur l’application régulière de la loi et sur le droit à un procès équitable. On sait que des avocats de la défense ont déjà fait appel de la désignation de certaines personnes en tant que victimes. Il existe également une préoccupation ayant trait précisément aux poursuites découlant du fait d’accorder aux victimes un rôle trop important, la crainte étant que leur dessein confonde ou même détourne le procès. Il s’agit d’une préoccupation particulièrement importante étant donné le nombre de victimes qui peut être considérable (des milliers) dans certains procès devant la CPI et les difficultés importantes auxquelles est déjà confrontée la justice pénale internationale en ce qui concerne la célérité. Finalement, les réparations soulèvent des questions pratiques et jurisprudentielles très complexes concernant les bénéficiaires de la compensation, sa portée et la raison de cette compensation. Ces questions n’ont pas encore trouvé réponse et il se peut que les victimes devant la CPI en ressentent de la frustration.
Plus précisément, on demande à la CPI, outre un mandat remanié afin de protéger les victimes qui agissent à titre de témoins, de faciliter la participation des victimes avant et pendant le procès. De plus, selon le Statut de Rome, la CPI a pour mandat d’assurer la réparation des torts causés aux victimes. Ces dispositions ont des répercussions sur l’organisation générale de la procédure devant les tribunaux pénaux internationaux. Traditionnellement, cette procédure est en grande partie contradictoire et inspirée de la common law, mais un certain nombre de changements apportés ces derniers temps ont mené la procédure vers un modèle davantage inquisitoire. Vraiment aucune tradition particulière n’a le monopole en ce qui a trait aux efforts qui sont faits pour accorder une attention plus grande aux victimes, mais se pourraitil que l’évolution vers un rôle plus important pour les victimes signale une approche nettement du continent européen? Les dispositions ayant trait à la participation des victimes ont également été fortement influencées par le droit international en matière des droits de la personne, qui fournit une justification pour le fait de s’occuper des victimes (p. ex. le droit à un remède efficace) mais protège également le droit de l’accusé à un procès équitable. L’article principal du Statut de Rome ayant trait aux victimes est l’article 68Note de bas de la page 1, lequel ne donne qu’un aperçu très général de leur statut. Par conséquent, le mystère plane toujours sur la place précise des victimes devant la CPI et une clarification judiciaire demeure nécessaire.
La victime en tant que témoin : le mandat de protéger
Il n’est pas nécessairement rare de
voir une victime agir en tant que
témoin; toutefois, ce ne sont pas tous
les témoins qui ont été des victimes
et ce ne sont pas toutes les victimes
qui seront appelées à témoigner.
Néanmoins, lorsque des victimes
comparaissent comme témoins dans
le cadre d’une procédure judiciaire,
un certain nombre de questions doivent
être abordées, comme leur
sécurité (des personnes peuvent faire
l’objet de menaces lorsqu’on commence
à savoir dans leur communauté
qu’ils témoigneront) et la fréquence
élevée de traumatismes psychiques
de même qu’un risque concomitant
d’entraîner un nouveau traumatisme
chez les victimes qui témoignent. Par
conséquent, l’article 68.1 dispose que
« [l]a Cour prend les mesures propres
à protéger la sécurité, le bien-être
physique et psychologique, la dignité
et le respect de la vie privée des victimes
et des témoins »
. Parmi les
mesures qui sont employées le plus
fréquemment, mentionnons le recours
aux huis clos ou le retranchement de
renseignements permettant au public
de reconnaître les témoins. En dernier
recours, les témoins peuvent être réinstallés.
On demande particulièrement à la CPI de « [tenir] compte de tous
les facteurs pertinents, notamment
l’âge, le sexe …, et l’état de santé,
ainsi que la nature du crime, en particulier,
mais sans s’y limiter, lorsque
celui-ci s’accompagne de violences à
caractère sexuel, de violences à caractère
sexiste ou de violences contre des
enfants »
. Comme dans bon nombre
de dispositions ayant trait aux victimes,
une mise en garde voulant que
« [c]es mesures ne doivent être ni
préjudiciables ni contraires aux droits
de la défense et aux exigences d’un
procès équitable et impartial »
est donnée.
Une division d’aide aux victimes
et aux témoins a été créée au sein du
Greffe (service administratif de la
CPI), laquelle procède à l’évaluation
des vulnérabilités, aide les victimes
tout au long de leur expérience à la
CPI et offre une aide médicale et psychologique.
Il semble que cela soit
semblable à un programme de services
aux victimes axé sur les ressources
au Canada. La division a même mis sur
pied une ligne d’écoute téléphonique.
Une partie ou non?
Rien n’empêche les victimes de communiquer
des renseignements au
Bureau du Procureur, lequel encourage
les « liens directs »
avec elles. Ces
renseignements peuvent donner lieu à
des enquêtes, mais ils n’ont aucun
statut particulier, et les victimes n’ont
pas le droit de déposer des plaintes
officielles. En d’autres mots, les victimes
ne peuvent pas « déférer »
une
situation au Procureur comme peuvent
le faire les États Parties et le Conseil
de sécurité, et le pouvoir discrétionnaire
du Procureur d’ouvrir des
enquêtes et de porter des accusions
n’est d’aucune façon déterminé par les
renseignements communiqués par des
victimes. Le rôle des victimes semble
plutôt se limiter à leur capacité à
« comparaître » devant la CPI. La principale
disposition ayant trait à la
participation des victimes est le paragraphe
68(3), selon lequel « la Cour
permet que leurs vues et préoccupations
soient exposées… »
.
Une question préliminaire fondamentale
pour la CPI est de définir qui
peut être considéré comme une victime
et qui ne peut l’être. Si l’on se
fie à l’expérience des Chambres
extraordinaires au sein des tribunaux
cambodgiens au cours des
cinq dernières années, ce n’est pas
une mince tâche. Les demandes du
statut de victime doivent être présentées
au Greffe de la Cour, qui les
transmet à la chambre appropriée.
Le Greffe a déjà reçu plus de mille
demandes, particulièrement dans
l’affaire LubangaNote de bas de la page 2, mais pour plus
de 80 % de ces demandes, on attend
toujours une décision. L’article 85
du Règlement de procédure et de
preuve de la CPI décrit ainsi les victimes
: « toute personne physique qui
a subi un préjudice du fait de la commission
d’un crime relevant de la
compétence de la Cour »
. Les crimes
doivent être des crimes à l’égard desquels
le défendeur est accusé et non
simplement des crimes commis dans
la même région. La définition englobe
les victimes indirectes (p. ex. les
proches), mais les victimes ayant du
sang sur les mains (p. ex. les enfants
soldats) soulèvent des questions difficiles.
La CPI peut rencontrer, dans
la détermination du statut de victime,
des difficultés importantes liées à la
preuve et elle a démontré une volonté
d’adapter les exigences aux spécificités
locales. Les victimes, qui sont
souvent indigentes, peuvent obtenir
de l’aide juridique, mais pour
s’assurer que la CPI n’est pas submergée
par la participation des
victimes, il pourrait arriver qu’on
leur demande de choisir un représentant
légal commun. En outre, pour
qu’on puisse entendre leurs vues à
toute étape de la procédure, les victimes
doivent démontrer que leur
« intérêt personnel »
est concerné.
L’article 68 prévoit que les vues des
victimes peuvent être présentées « à
des stades de la procédure [que la
Cour] estime appropriés », notion qui
évolue avec la jurisprudence. Certaines
chambres ont donné un sens très large
au terme stades, équivalent à l’ensemble
de la procédure (Chambre préliminaire),
tandis que la Chambre de
première instance et la Chambre
d’appel l’ont interprété de façon beaucoup
plus restreinte, les victimes
devant démontrer leur
« intérêt personnel
»
à l’égard du stade de la procédure
concerné (par exemple l’examen d’un
élément de preuve ou d’une question
en particulier). Les victimes auront
probablement un vif intérêt à faire
entendre leurs vues avant que les jugements
soient rendus et que les audiences
sur la réparation aient lieu, bien que
jusqu’à maintenant aucune procédure
devant la CPI n’ait atteint cette étape.
Le procès lui-même donne aux victimes,
lesquelles peuvent disposer
d’éléments de preuve, de nombreuses
occasions de se faire entendre. Mais
on a également permis à des victimes
de présenter leurs vues beaucoup plus
tôt dans la procédure, notamment au
stade préliminaire, et surtout dans le
cadre des audiences de confirmation
de la mise en accusation. Il est plus
difficile à dire si les victimes peuvent
intervenir au stade de l’enquête d’une
« situation » étant donné que, à judiciaire n’a été entamée.
C’est, de façon compréhensible peut-être,
à l’étape du procès lui-même que
la tension entre les droits de l’accusé
et ceux des victimes risque d’être plus
marquée. Certains craignent peut-être
que le simple fait de définir les victimes
puisse causer un préjudice à l’accusé
lors du procès. Bien sûr, les victimes
ne sont pas des victimes (pas encore)
de l’accusé, elles sont simplement les
victimes d’un « crime », duquel le
défendeur peut être déclaré coupable
ou non au procès. Mais en général, du
côté de la défense, on craint que la
participation des victimes à la procédure
puisse avoir un effet préjudiciable
sur l’accusé. Le paragraphe 68(3)
prévoit que les vues des victimes doivent
être entendues « d’une manière
qui n’est ni préjudiciable ni contraire
aux droits de la défense et aux exigences
d’un procès équitable et
impartial »
« pourront toutefois y prendre une part active que si leur intervention est de nature à contribuer utilement à la manifestation de la vérité ». Des préoccupations concernant la célérité des procès restent élevées dans l’esprit des juges.
La portée des « droits procéduraux »
des victimes en vertu du Statut et
du Règlement est incertaine, tout
comme la mesure dans laquelle les
victimes ont le droit d’« exposer
leurs vues »
, conformément au
Statut et au Règlement. À tout le
moins, les victimes devraient avoir
un droit d’accès aux documents
déposés publiquement, mais les
documents confidentiels posent
davantage problème, particulièrement
lorsqu’ils concernent des
questions de sécurité nationale ou
de protection des témoins. En
général, les représentants des victimes
ont le droit d’assister aux
audiences, bien qu’encore une fois
des préoccupations puissent être
soulevées relativement aux audiences
ex parte. Remarquablement, on a
permis à des victimes de présenter
des éléments de preuve à la Cour,
bien que dans des conditions strictes,
en se fondant sur le pouvoir général
de la Cour de « demander la présentation
de tous les éléments de preuve
qu’elle juge nécessaires à la manifestation
de la vérité »
. Il s’agit là de
questions délicates à l’égard desquelles
la CPI semble déterminée à
conserver une certaine souplesse.
Le statut général des victimes fait
l’objet de beaucoup de conjectures.
Dans la procédure prévue au Statut, le
Procureur a décrit les victimes comme
disposant d’une [Traduction] « voix
indépendante »
et constituant des
[Traduction] « acteurs » plutôt que
des [Traduction] « sujets passifs » de
la justice internationale (ICC
Prosecutor’s Office 2010, p. 5 et p. 13).
Les victimes sont en effet indépendantes
du Procureur et comparaissent en
leur propre nom. Toutefois, leur statut
n’est pas défini clairement, et ce serait
trop s’avancer que d’affirmer qu’ils
sont des parties en tant que telles. On
se contente de signaler aux juges qu’ils
doivent « examiner » les vues présentées
par les victimes. On pourrait dire
qu’officiellement, la position des victimes
se situe entre une partie civile,Note de bas de la page 3 une source supplémentaire de poursuite
et un ami de la cour. Leur intérêt est
suffisamment direct pour leur permettre
d’être entendus à la Cour mais
la poursuite ne leur incombe pas et ils
peuvent demander des réparations
même s’ils n’ont pas pris part à la
procédure. La meilleure analogie que
nous puissions faire sur le plan national
est l’institution de poursuite auxiliaire
que l’on trouve en Allemagne et en
Autriche, mais le système de la CPI
est vraiment tout à fait unique. Dans
la pratique, bien sûr, seule l’évolution
des interprétations judiciaires permettra
de définir avec précision le statut
officiel des victimes et la mesure dans
laquelle elles auront une influence sur
les décisions judiciaires.
Réparations : bon nombre de questions sans réponse
Le régime de réparations énoncé à l’article 75 prévoit la possibilité pour la CPI de rendre une ordonnance contre des personnes condamnées. Il s’agit là d’une procédure entièrement distincte de l’article 68. Les ordonnances de réparation sont rendues contre un contrevenant particulier au profit des victimes de ses crimes. Trois types de réparations sont considérés : la restitution, l’indemnisation et la réhabilitation. On entend par restitution le fait de rendre des biens volés dans le cadre de la commission du crime ou en conséquence de ce crime; l’indemnisation a trait aux dommages dont la valeur peut être évaluée découlant d’atteintes à l’intégrité physique ou psychologique; et la réhabilitation englobe les soins médicaux et psychologiques de même que les services juridiques et sociaux. Les formes traditionnelles de réparation comme la satisfaction (p. ex. des excuses) et la garantie que le crime ne sera pas répété ne sont pas mentionnées, peut-être parce qu’elles conviennent davantage dans le cas des États, mais elles ne sont pas exclues (la liste n’est pas exhaustive).
L’une des grandes faiblesses du régime de réparations est qu’il ne vise que les personnes. La CPI n’a pas le pouvoir de rendre une ordonnance de réparation contre des États, lesquels disposeraient comparativement de moyens plus substantiels, même si l’accusé était à la tête de l’État ou avait participé à la mise en oeuvre d’une politique de l’État. Peut-être en partie pour corriger cette lacune, un Fonds d’affectation spéciale au profit des victimes a été créé, lequel est indépendant de la CPI. Le rôle de ce fonds est double : d’un côté, il assure que soit versées les indemnités accordées par la CPI à titre de réparation et qui ont, par exemple, un aspect d’exécution et de recouvrement qui rendent la gestion de celles-ci trop lourde pour la CPI; et de l’autre, il assure la distribution des montants d’argent reçus de donateurs internationaux, lesquels peuvent être consacrés à la réhabilitation des victimes. Le fonds a déjà commencé à distribuer de l’argent aux régions où des enquêtes ont été entreprises, beaucoup plus tôt et de manière totalement séparée des ordonnances de réparation éventuelles. Étant donné la situation précaire dans laquelle se retrouvent bon nombre de victimes d’atrocités et la difficulté que pose l’évaluation du montant des réparations, sans parler de trouver une personne pouvant les payer, il est possible que ce fonds finira par être le plus important maillon de l’aide aux victimes.
Conclusion
Le régime de la CPI relatif aux victimes est le fruit de conditions très particulières. La gravité des crimes commis et le grand nombre de victimes font en sorte qu’il est très difficile d’ignorer le fait que les crimes internationaux ne sont pas tout simplement commis contre une humanité abstraite mais également dans une très grande mesure contre des êtres humains réels. Il est encore trop tôt pour évaluer l’incidence qu’aura l’inclusion de la victime sur la nature de la procédure et de la justice pénales internationales, mais il est important de ne pas oublier qu’au pays, certains mouvements axés sur les victimes ont adopté une orientation plutôt conservatrice et répressive. Dans un contexte où il est déjà très difficile de protéger la présomption d’innocence, le fait de se retrouver devant des groupes importants de victimes en cour pourrait fort bien défavoriser considérablement l’accusé. Néanmoins, alors que la CPI cherche à affirmer sa légitimité, dans un contexte où on l’a accusée d’être manipulée par les États ou d’être à la solde du Conseil de sécurité, le fait d’assurer une voix forte aux victimes aura certainement pour conséquence de renforcer sa prétention de représenter une forme de justice particulièrement nécessaire. Qui plus est, la CPI a eu beaucoup de mal à garder le contrôle sur quels victimes doivent participer, à quel moment et de quelle façon, démontrant qu’elle est à l’écoute, au cas par cas, des nombreux droits et intérêts en jeu, dont ceux de l’accusé, et de la célérité raisonnable de la justice en général.
Il convient de souligner que les États
Parties ne sont certes pas tenus
d’avoir un régime semblable en droit
interne. Par exemple, le Canada n’est
pas tenu, du simple fait d’être partie
au Statut de Rome, d’adopter des
mesures législatives permettant aux
victimes de présenter leurs vues dans
le cadre des procès (même si ce n’est
que des procès mettant en cause des
crimes internationaux). Le régime de
la CPI est guidé par le principe de la
complémentarité. Selon ce principe
fondamental, les États ont la compétence
principale sur les crimes jugés
par la CPI, et on les encourage à
poursuivre les auteurs de ces crimes
en respectant leurs propres traditions
juridique et judiciaire. Une affaire
ne peut être jugée par la CPI que
lorsque l’État ayant compétence en
l’espèce a démontré qu’il « n’avait
pas la volonté »
ou qu’il était « dans
l’impossibilité »
de mener la poursuite,
notions dont l’interprétation
stricte englobe les États qui sont
déterminés à assurer l’impunité ou
ceux qui sont trop faibles pour être
en mesure de simplement intenter
des poursuites. Ce ne sera pas le cas
des États qui luttent efficacement
contre l’impunité à l’égard des même être moins adaptés aux victimes
que prétend l’être la CPI.
Néanmoins, les tribunaux nationaux
devraient surveiller de près la CPI,
compte tenu qu’elle constitue un
laboratoire pour les approches à
l’écoute des victimes en matière de
justice pénale à la suite de crimes
particulièrement graves, ce qui ne
manquera pas de mettre en lumière
des connaissances inédites.
Référence
International Criminal Court Office of the Prosecutor. 2010. Policy Paper on Victims’ Participation, The Hague, International Criminal Court Office of the Prosecutor. (consulté le 21 novembre 2011).
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