Projet de loi C-2, loi modifiant le Code criminel (protection des enfants et d'autres personnes vulnérables) : revue de la jurisprudence et des perceptions des juges

2. Revue de la jurisprudence et des ouvrages juridiques relatifs au projet de loi C‑2

2. Revue de la jurisprudence et des ouvrages juridiques relatifs au projet de loi C‑2

En 1988, le législateur a procédé à une réforme législative très importante au Code criminel et à la Loi sur la preuve au Canada dans le but de faciliter le témoigner en cour des enfants dans les affaires pénales; d'autres modifications ont suivi en 1993 et 1998. En 2005, le législateur a apporté des modifications à la réforme législative antérieure de manière à faciliter davantage le témoignage des enfants et d'autres témoins vulnérables. Ces modifications sont entrées en vigueur le 2 janvier 2006[4].

Le présent chapitre porte sur la première question énoncée à la section 1.2 :

Depuis l'entrée en vigueur du projet de loi C‑2, que nous apprend la jurisprudence sur la nouvelle loi et comment les auteurs de droit canadiens accueillent-t-ils cette réforme législative?

La discussion suivante porte sur les dispositions du projet de loi C‑2 relatives aux témoins enfants ou adultes vulnérables, sur leur application et leur interprétation par la jurisprudence et sur les ouvrages juridiques canadiens[5] qui traitent de ces dispositions et de cette jurisprudence. L'analyse portera principalement sur les causes tranchées depuis le 2 janvier 2006 (et publiées avant le 30 juin 2009, la date finale de la présente étude). Afin de bien saisir la signification de la jurisprudence récente, nous traiterons également, quoique brièvement et non exhaustivement, de la jurisprudence antérieure à 2006 relative à l'interprétation des dispositions antérieures.

2.1 L'aptitude des enfants témoins : l'article 16.1 de la Loi sur la preuve au Canada

Les modifications à la Loi sur la preuve au Canada entrées en vigueur en 2006 ont changé de manière significative la manière dont l'aptitude à témoigner des enfants dans les procédures criminelles est vérifiée.

Antérieurement aux modifications apportées par le projet de loi C-2, un enfant de moins de 14 ans appelé à témoigner pouvait le faire sous serment, par affirmation solennelle ou après avoir promis de dire la vérité. Le critère pour les témoignages sur promesse était double; il était exigé de l'enfant :1) la capacité de répondre à des questions qui démontrent sa compréhension de l'importance de dire la vérité et 2) la capacité de communiquer les faits de manière intelligible dans des procédures judiciaires. L'enfant dont la maturité et la capacité mentale étaient insuffisantes eu égard au critère pour témoigner était jugé inhabile à témoigner de quelque forme que ce soit. Ce critère ancien et la jurisprudence qui s'y rapporte continueront de s'appliquer aux personnes de plus de quatorze ans dont la capacité mentale est contestée (paragraphe 16(1) de la Loi sur la preuve au Canada, modifié).

Aux termes du paragraphe 16.1(1) actuel, toute personne de moins de quatorze ans est présumée habile à témoigner. Le critère pour recevoir le témoignage d'un enfant est simplement de savoir s'il « a la capacité de comprendre les questions et d'y répondre ». C'est à la partie qui met la capacité de l'enfant en doute qu'il incombe de convaincre le tribunal qu'il existe des motifs d'en douter (paragraphe 16.1(4)). L'enfant de moins de quatorze ans ne doit ni prêter serment ni faire une déclaration solennelle, mais il doit promettre de dire la vérité. Il n'est pas permis de poser à l'enfant des questions sur sa compréhension du sens de « promesse » ou de celui de concepts comme « vérité » ou « mensonge » (paragraphe 16.1(7)). Le témoignage donné par un enfant après la promesse a le même effet juridique que s'il avait prêté serment (paragraphe 16.1(8)).

2.1.1 Les éléments de l'aptitude à témoigner selon l'article 16.1

La disposition relative à l'aptitude de l'article 16.1 de la Loi sur la preuve au Canada commence par l'énoncé au paragraphe 16.1(1) que tout enfant « est présumée habile à témoigner » s'il a « la capacité de comprendre les questions et d'y répondre » (paragraphe 16.1(3), tandis que le paragraphe 16.1(4) met le fardeau sur la « partie qui met cette capacité en question » de « convaincre le tribunal qu'il existe des motifs d'en douter ». Le paragraphe 16.1(4) pourrait laisser croire qu'il incombe à la partie qui n'appelle pas l'enfant à témoigner (habituellement l'accusé) de soulever la question de l'aptitude. Cependant, le paragraphe 16.1(5) prévoit aussi que, si le tribunal « estime que de tels motifs existent » quant à la capacité de l'enfant de « comprendre les questions et d'y répondre », alors le juge « procède […] à une enquête » pour vérifier si l'enfant a « la capacité de comprendre les questions et d'y répondre ». Par conséquent, selon Bala et al.[6], le libellé du paragraphe 16.1(5) permet à la cour elle-même ou à la partie qui appelle l'enfant témoin (habituellement la Couronne) de soulever elles aussi la question de l'aptitude de l'enfant, même si l'effet des paragraphes 16.1(1) et (4) est que l'aptitude à témoigner est présumée à l'enquête.

Aux termes du paragraphe 16.1(5), le critère consiste surtout à vérifier si l'enfant a « la capacité de comprendre les questions et d'y répondre », termes qui sont très semblables à une partie de l'enquête antérieure à 2006 qui exigeait de vérifier que l'enfant « est capable de communiquer les faits dans son témoignage ». Ptant encore, le paragrlus imporaphe 16.1(7) énonce toutefois  clairement qu'aucune enquête ne peut porter sur la compréhension qu'a l'enfant de concepts abstraits comme ceux de « vérité », de « mensonge » et de « promesse », ce qui n'était pas prévu dans les dispositions antérieures à 2006.

Dans R. c. Marquard[7], la juge McLachlin s'est penchée sur l'interprétation des termes « capable de témoigner les faits dans son témoignage » de l'article 16 et a statué que l'habilité à témoigner incluait : 1) la capacité d'observer (y compris l'interprétation), 2) la capacité de se souvenir et 3) la capacité de communiquer (aux paragraphes 219 et 220) :

La norme est peu élevée.  Ce qui est exigé est la capacité de base de percevoir, de se rappeler et de communiquer.  Une fois cela établi, la question des failles dans la perception et dans le souvenir des événements en cause peut être considérée comme un élément concernant la valeur du témoignage.

Auparavant, l'enquête sur l'aptitude portait sur la capacité de l'enfant de communiquer les faits du passé en général. On exigeait de l'enfant qu'il soit capable de répondre plus que simplement « oui » ou « non » à des questions claires[8]. Les tribunaux exigeaient également que l'enfant démontre sa capacité de distinguer entre les faits et la fiction, ainsi que sa capacité et sa volonté de communiquer à la cour l'essence de ce qui s'était passé[9]. Bala et al.font ressortir que le nouveau critère requiert de satisfaire aux mêmes critères ayant trait à la communication et à la mémoire, en dépit de la modification du libellé qui insiste maintenant sur la « capacité de comprendre les questions et d'y répondre »[10]. La question est celle de savoir si l'enfant a les capacités langagières et cognitives de base, ainsi que les capacités sociales suffisantes, pour donner des réponses sensées aux questions qui lui sont posées à la cour. C'est au juge qu'il incombera de déterminer si l'enfant est capable de comprendre les questions et d'y répondre, et le témoignage d'experts ne sera normalement pas admissible relativement à cette question[11]. Dans des [traduction] « circonstances exceptionnelles » où l'enfant serait trop traumatisé pour comparaître en cour même dans le but restreint d'établir son incapacité à comprendre les questions et à y répondre, un expert pourrait être appelé à établir l'incapacité de l'enfant à témoigner; si cela est établi à la satisfaction de la cour, cela pourrait constituer un motif pour établir la « nécessité » d'admettre un témoignage constituant du ouï-dire plutôt que de faire témoigner l'enfant.

Bala et al [12]. laissent entendre que l'application du critère actuel, à savoir la capacité de comprendre les questions et d'y répondre, est en pratique probablement très semblable à la partie du critère d'enquête antérieur qui portait principalement sur la capacité de l'enfant de communiquer intelligemment les faits dans son témoignage à la cour. Il soutient que, conformément à l'exigence énoncée par la Cour suprême relativement à l'application du paragraphe 16(1) dans R. c. Marquard,[13] il devrait y avoir une enquête relativement brève sur la question de savoir si l'enfant a la capacité de se souvenir des faits et de répondre à des questions sur ces faits. Le juge ou un avocat devrait procéder à l'enquête sur la capacité de l'enfant en lui posant des questions sur un fait passé sans rapport avec le procès.

Pour évaluer l'aptitude des enfants à témoigner, il est important que les juges portent attention aux capacités langagières et cognitives particulières des enfants à divers stades de leur développement. Par exemple, dans R. c. L. (D.O.) [14], la juge L'Heureux-Dubé a fait observer :

[…] des données sociologiques […] indiquent clairement que les souvenirs perdent de leur exactitude avec le temps […] la mémoire des enfants peut être claire et exacte au moment de l'événement mais, d'après les études effectuées, elle s'estompe plus vite que celle des adultes.

De même, la juge McLachlin a indiqué dans R. c. W.(R.)[15] que, puisque l'expérience que les enfants ont du monde peut différer de celle des adultes, il n'est guère surprenant qu'ils puissent ne pas se souvenir de certains détails importants pour les adultes, comme le moment et le lieu. Dans R. c. B.(G.)[16], le juge Wilson a statué que, bien qu'il se puisse que les enfants ne soient pas en mesure de relater des détails précis et de décrire le moment ou l'endroit avec exactitude, cela ne signifie pas qu'ils se méprennent sur ce qui leur est arrivé et qui l'a fait[17].

Par conséquent, il se peut qu'une enquête sur l'aptitude axée sur des concepts abstraits ou qui repose sur l'attente qu'un enfant soit capable de donner des renseignements précis sur des faits passés ne permettra pas de bien évaluer la capacité de base de l'enfant de « comprendre les questions et d'y répondre ». Désormais, le critère exige seulement que l'enfant ait la capacité cognitive de traiter une question et d'y répondre verbalement. Bien entendu, si aucune partie ne soulève la question de l'aptitude et que la cour elle-même n'est pas convaincue que cette question mérite d'être posée, aucune enquête sur l'aptitude n'aura lieu.

Dans R. c. Prue[18], le juge Bovard a mentionné la présomption de l'aptitude à témoigner prévue au paragraphe 16.1(1)(http://laws-lois.justice.gc.ca/fra/lois/C-5/section-16.html) et a expliqué la démarche qu'il avait suivie à l'égard d'un plaignant de onze ans qui connaissait des difficultés d'apprentissage et qui, [traduction] « au début » (soit, durant le processus de qualification), s'était montré incapable de se souvenir du nom de son école ou de son niveau scolaire.

[traduction] Par surcroît de prudence, je l'ai interrogé sur divers sujets, dont son école, ses amis, le dernier film qu'il était allé voir et ainsi de suite. J'ai constaté qu'il comprenait mes questions et que ses réponses étaient cohérentes et raisonnables. Il m'a convaincu qu'il pouvait comprendre les questions et y répondre correctement et que sa mémoire était bonne. Il a promis de dire la vérité et je lui ai donc permis de témoigner. Plus tard, alors qu'il donnait son témoignage, il s'est souvenu qu'il était en sixième année.

Dans l'ensemble, la capacité requise en vertu du nouveau paragraphe 16.1(1) (http://laws-lois.justice.gc.ca/fra/lois/C-5/section-16.html) donne lieu à une enquête davantage concrète et ciblée. Le nouveau critère applicable aux enfants témoins interdit de poser toute question sur le sens de concepts abstraits comme « vérité », « mensonge » et « promesse » durant l'enquête sur l'aptitude d'un enfant témoin.

Dans R. c. D.I. [19], la Cour a statué sur la question de savoir s'il fallait admettre la déclaration relatée d'une femme de 22 ans ayant un âge mental de trois ans.En statuant qu'elle n'était pas habile à témoigner, la Cour a conclu qu'elle ne satisfaisait pas au critère énoncé à l'article 16 de la Loi sur la preuve au Canada :[traduction] « elle n'avait aucun concept de la vérité ou du mensonge, ni des conséquences de dire un mensonge ». (Pour les personnes âgées de plus de quatorze ans au moment où elles sont appelées à témoigner, le critère antérieur de l'article 16 de la Loi sur la preuve au Canada continue de s'appliquer et la Cour doit être convaincue que le témoin « comprend la nature du serment ou de l'affirmation solennelle ».)

2.1.2   La « promesse de dire la vérité »

L'article 16.1 de la Loi sur la preuve au Canada exige désormais que l'enfant témoigne sur « promesse de dire la vérité ». Avant, une enquête était requise sur la capacité de chaque enfant de témoigner sous serment, ce qui mettait souvent inutilement l'accent sur la capacité de l'enfant à comprendre la nature d'un serment plutôt que sur sa capacité à s'engager à témoigner avec sincérité[20].

Aux termes de l'ancien article 16, l'enfant capable de communiquer les faits dans son témoignage, mais qui ne comprenait pas la nature du serment, pouvait néanmoins témoigner sans être assermenté, à la condition de promettre de dire la vérité. Il été statué que cela requérait l'engagement véritable de dire la vérité; une inférence était insuffisante[21], quoique l'engagement pouvait être formulé de différentes manières. Le paragraphe 16.1(7) énonce désormais clairement qu'aucune question ne peut être posée à l'enfant sur sa compréhension de la nature de la « promesse de dire la vérité » dans le cadre de l'enquête sur l'aptitude. La disposition actuelle tient compte du fait que les enfants sont souvent incapables d'expliquer la signification de concepts abstraits tels que « vérité » et « mensonge », même s'ils comprennent bien la différence entre la vérité et un mensonge. Une recherche psychologique a établi qu'il n'y a pas de lien entre la capacité de l'enfant de définir la « vérité » et la question de prédire si un enfant dira la vérité[22]. Étant donné ces résultats, le législateur a proscrit toute possibilité d'interroger un enfant sur des concepts tels que « vérité », « mensonge » ou « promesse ».

Tout comme pour les adultes assermentés, l'enfant qui promet de dire la vérité doit être considéré comme s'étant engagé à la dire, quoiqu'il incombe au juge des faits de déterminer la véracité et la fiabilité de son témoignage. Cependant, comme nous en discutons plus à fond ci-dessous, dans un certain nombre de causes, dont la décision du juge Metzger dans R. c. J.S.[23], la Cour a statué que, bien que l'enfant ne puisse être interrogé sur sa compréhension de la signification de l'expression « promesse de dire la vérité » à l'enquête sur l'aptitude, l'avocat de la défense peut interroger l'enfant témoin à cet égard au cours du contre-interrogatoire, les réponses pouvant influer sur le poids ou la crédibilité du témoignage de l'enfant, mais non sur son admissibilité. La professeure Lisa Dufraimont a commenté la décision rendue dans R. c. J.S. en se demandant, à la lumière de la recherche psychologique et du paragraphe 16.1(7),  [traduction] s'« il y a réellement une importance quelconque » à poser de telles questions au cours d'un contre-interrogatoire [24].

Dans l'affaire R. c. F.(J.) [25] [2006] A.J. No. 972(C. prov.), dans un interrogatoire enregistré sur vidéo qui a été admis en preuve en vertu de l'article 715.1, un interrogateur de la police avait interrogé la plaignante qui était âgée de sept ans sur sa compréhension de la différence entre la vérité et un mensonge. La Cour a accueilli le témoignage de l'enfant et a condamné l'accusé, le juge de la Cour provinciale commentant (au paragraphe 39) : [traduction] « Le fait de ne pas pouvoir définir de manière satisfaisante la différence entre la vérité et le mensonge ne réduit pas la capacité de C.S. [la plaignante] de donner un témoignage digne de foi à la Cour ».

Le paragraphe 16.1(6) prévoit expressément l'obligation pour l'enfant de faire la « promesse de dire la vérité » avant de témoigner. Bala et al [26]. suggèrent que la meilleure façon pour cela est de faire promettre explicitement à l'enfant de dire la vérité, mais qu'il devrait suffire de recevoir une réponse affirmative à la question : « Promets-tu de dire la vérité ? ». Dans l'éventualité très peu probable où il refuserait de faire la promesse, l'enfant ne devrait pas être admis à témoigner, tout comme pour l'adulte qui refuse d'être assermenté ou de faire une affirmation solennelle [27].

Le paragraphe 16.1(8) énonce désormais clairement que le fait pour un enfant de témoigner après avoir fait une promesse plutôt qu'après avoir été assermenté ne signifie pas qu'il doive être donné moins de poids au témoignage, position qui avait été adoptée par les tribunaux antérieurement aux modifications. Cependant, il semble que le juge ait conservé, lorsque les circonstances le justifient, la discrétion de mettre le jury en garde contre le danger de rendre un verdict de culpabilité sur le fondement du témoignage non confirmé et non donné sous serment d'un enfant[28].