Les candidats à la nomination à la Cour suprême du Canada comparaissent devant le comité spécial de parlementaires

Comité spécial pour la nomination des juges de la Cour Suprême du Canada

Le jeudi 4 octobre 2012

(1530)

Le président (L'hon. Rob Nicholson (Niagara Falls)):

[Traduction]

Votre attention, s'il vous plaît. Je demanderais aux journalistes d'aller à l'arrière; merci beaucoup.

[Français]

Bonjour et bienvenue, mesdames et messieurs.

[Traduction]

Bienvenue chers collègues, membres du comité, monsieur le juge Richard Wagner et…

[Français]

Me Jean-Louis Baudouin.

[Traduction]

Mesdames et messieurs, au nom des Canadiens, les députés vont discuter avec le dernier juge nommé à la Cour suprême du Canada, comme l'a indiqué le premier ministre lors de l'annonce du 2 octobre dernier.

Le premier ministre a fait savoir à ce moment-là que le juge allait témoigner devant un comité spécial formé de parlementaires et répondre à ses questions.

[Français]

Cette procédure a été suivie auparavant, lors de la nomination du juge Marshall Rothstein à la Cour suprême du Canada, en 2006, et, plus récemment, lors de la nomination des juges Karakatsanis et Moldaver, en 2011.

[Traduction]

Cette séance publique vise à renforcer l'ouverture et la transparence du processus de nomination et à permettre aux Canadiens de mieux connaître ceux qui sont nommés à la Cour suprême du Canada.

Le processus de sélection a commencé lorsque madame la juge Marie Deschamps a indiqué son intention de quitter ses fonctions à la Cour suprême le 7 août 2012.

Conformément au processus annoncé et étant donné que nous remplaçons un des trois juges du Québec, j'ai consulté le procureur général du Québec, des membres chevronnés de la magistrature canadienne et des organisations juridiques de premier plan, comme le Barreau du Québec et l'Association du Barreau canadien.

L'objectif de cette consultation était de trouver un bassin de candidats qualifiés pour la nomination à la Cour suprême du Canada. La population a aussi été invitée à proposer des candidats compétents qui méritent d'être considérés.

Un groupe de cinq députés du gouvernement et de députés des partis d'opposition reconnus, choisis par leurs chefs respectifs, a ensuite examiné la liste des candidats qualifiés.

Les députés sont Jacques Gourde, Kerry-Lynne Findlay et Greg Rickford, du Parti conservateur du Canada; Françoise Boivin, du Nouveau Parti démocratique; l'honorable Stéphane Dion, du Parti libéral du Canada.

Le groupe devait évaluer les candidats et fournir une liste, sans ordre particulier, de trois candidats compétents que le premier ministre et moi devions examiner.

Pour que l'évaluation des candidats soit complète, équilibrée et objective, les députés se sont réunis pour étudier le CV des candidats, un certain nombre d'arrêts rapportés et des publications.

Le groupe a aussi consulté la juge en chef du Canada, la juge en chef du Québec, le procureur général du Québec, le Barreau du Québec et l'Association du Barreau canadien.

Les trois candidats sur la liste, dont le juge nommé, ont été approuvés à l'unanimité par les députés.

Avant de présenter le juge sélectionné, je vais vous faire part de quelques questions de procédure qui vont orienter les travaux aujourd'hui.

Tout d'abord, comme c'était le cas l'an passé lors de l'audience des juges Karakatsanis et Moldaver, nous allons commencer par l'exposé de notre constitutionnaliste, maître Jean-Louis Baudoin.

Le juge nommé va ensuite faire une déclaration, puis les députés vont poser deux séries de questions de huit et de cinq minutes. En tant que président, je ferai respecter les délais.

La séance va se terminer par la conclusion de maître Baudoin. De plus, je signale aux députés et aux invités que le privilège parlementaire ne s'applique pas aux travaux, car en principe, il ne s'agit pas d'un comité parlementaire. La protection contre la diffamation ne s'applique donc pas, contrairement aux travaux parlementaires habituels. Je m'en remets à votre bon jugement.

Enfin, je tiens à vous rappeler que cet éminent membre de la magistrature canadienne va répondre aux questions de manière à refléter l'indépendance et l'impartialité de notre système de justice.

C'est pourquoi il ne répondra pas entièrement ou ne répondra pas du tout à certaines questions. Maître Baudouin va bientôt expliquer le genre de questions appropriées et les contraintes liées aux propos de la magistrature. Je demande aux députés de respecter ces contraintes.

J'ai l'honneur et le privilège de présenter l'éminent juriste nommé à la Cour suprême du Canada par le gouvernement, M. le juge Richard Wagner, de la Cour d'appel du Québec.

M. le juge Wagner est né à Montréal le 2 avril 1957. Il a étudié au Collège Jean-de-Brébeuf, à Montréal. il est admis au Barreau du Québec en 1980 après avoir obtenu un baccalauréat de l'Université d'Ottawa en sciences politiques et une licence en droit.

Il devient membre de l'Association du Barreau canadien et du Collège canadien des avocats en droit de la construction.

Le juge Wagner est un ancien associé du cabinet d'avocats Lavery, de Billy, situé à Montréal. Il est un avocat du contentieux des affaires civiles et du litige commercial reconnu et respecté et il travaille à certaines affaires importantes sur lesquelles la Cour suprême du Canada s'est penchée.

Il plaide souvent devant la Cour supérieure et la Cour d'appel du Québec. Il se spécialise en litige commercial dans les domaines de l'immobilier, des litiges commerciaux et de l'assurance responsabilité professionnelle.

Il est reconnu en tant que médiateur agréé par le Barreau du Québec et la Cour supérieure.

Il est aussi cadre à la section du droit de la construction, division Québec, de l'Association du Barreau canadien et il enseigne la plaidoirie, la représentation et la procédure civile à l'École de formation professionnelle du Barreau du Québec.

Il est un membre actif du Barreau de Montréal, à titre de cadre et de membre de comité.

Le juge Wagner est élu bâtonnier du Barreau de Montréal en 2001. Après avoir été nommé juge à la Cour supérieure du Québec le 24 septembre 2004, il reçoit le Mérite du Barreau du Québec pour sa contribution à la profession d'avocat, notamment pour la création en 2002 du Centre d'accès à l'information juridique.

Enfin, le juge Wagner est promu à la Cour d'appel du Québec en février 2011.

Mesdames et messieurs, chers collègues, veuillez vous joindre à moi pour souhaiter la bienvenue au dernier juge nommé à la Cour suprême.

Des voix:

Bravo!

Le président:

Nous allons maintenant passer à la prochaine étape et présenter l'honorable Jean-Louis Baudoin. Maître Baudouin détient un diplôme de l'Université McGill, un doctorat d'État de la Faculté de droit de Paris et un diplôme en droit comparé de la Faculté internationale de droit comparé de Madrid et Strasbourg.

Maître Baudouin est membre du Barreau du Québec depuis 1959. Il est juge à la Cour d'appel du Québec de 1989 à 2009, après avoir enseigné le droit du contrat, la responsabilité civile, le droit médical et la bioéthique à la faculté de droit de l'Université de Montréal.

Il est avocat principal au cabinet Fasken Martineau de Montréal. Il est un membre important et bien connu du Barreau du Québec. Au fil des ans, il obtient divers diplômes honorifiques. En 2012, il est fait grand officier de l'Ordre national du Québec.

Je demanderais maintenant à l'honorable Jean-Louis Baudouin de nous donner un aperçu du cadre constitutionnel qui régit cette audience.

(1535)

Me Jean-Louis Baudouin (à titre personnel):

[Français]

Monsieur le ministre, messieurs et mesdames les parlementaires, bon après-midi.

Laissez-moi tout d'abord vous dire combien je suis honoré de me trouver devant vous aujourd'hui. Pour un juriste de mon âge vénérable, c'est effectivement un grand honneur que de faire partie, ne serait-ce que très modestement, d'un processus qui mènera une personne à l'une des fonctions les plus hautes et les plus respectées de notre pays.

C'est également un plaisir aujourd'hui d'être avec l'honorable Richard Wagner, que je connais depuis de nombreuses années et dont la carrière a jusqu'ici été couronnée des plus grands succès.

Vous avez pu le constater vous-mêmes à la lecture de son curriculum vitae.

Une nomination à la Cour suprême du Canada est certes un très grand honneur pour lui, mais aussi une lourde responsabilité. Votre rôle aujourd'hui, parce que vous êtes le dernier filtre dans un long processus de sélection du meilleur candidat, est particulièrement important. Vous devez, par vos questions et, comme j'aime à le dire, votre dialogue avec le candidat, vérifier les qualités professionnelles et personnelles de celui-ci et donc, d'une façon plus générale, son aptitude à s'acquitter avec succès de sa mission.

Le processus de sélection que nous entreprenons aujourd'hui est récent. Il a été utilisé pour la première fois en 2006 lors de la nomination de l'honorable Rothstein. Il a de nouveau été utilisé à l'automne 2011 lors de l'accession à la Cour suprême du Canada des honorables Moldaver et Karakatsanis.

Certains ont exprimé déjà des inquiétudes et des doutes sur le processus. D'aucuns ont craint en effet qu'il ne donne lieu à certains abus, à une politisation — j'emploie ce mot dans le sens péjoratif du terme — excessive de cet exercice, comme la chose peut être observée chez nos voisins du sud lors de la sélection des candidats à la Cour suprême des États-Unis. En somme, d'aucuns ont craint que cela ne mette de futurs candidats dans l'embarras, un peu comme s'ils étaient soumis en cour à un contre-interrogatoire.

Par contre, lorsqu'on examine, comme je l'ai fait, les procèsverbaux de 2006 et ceux de 2011, on se rend compte que cette crainte est heureusement non fondée. Vos prédécesseurs parlementaires, dans les deux cas, ont fait preuve d'une grande sagesse, d'une grande retenue, et ont compris qu'il ne s'agissait pas de faire le procès d'une personne ou de ses idées, mais seulement de vérifier, par un dialogue amical et serein, son aptitude à bien remplir sa tâche. Je pense qu'il faut féliciter vos prédécesseurs d'avoir compris et bien appliqué la philosophie sous-jacente à ce processus.

J'aimerais dire un mot rapide sur la Cour suprême du Canada, même si je ne vous apprendrai probablement pas grand-chose de nouveau. En fait, les neuf juristes qui composent la Cour suprême du Canada sont nommés par le gouverneur général sur proposition du premier ministre. La Cour suprême est le plus haut tribunal du pays et joue un rôle capital et déterminant dans les grandes orientations sociales et politiques du Canada. Je m'explique.

Vous, les parlementaires, avez la responsabilité parfois très lourde d'adopter des textes législatifs pour fixer les grandes orientations du pays dans tous les domaines, soit juridique, social, économique, international, etc. Or, jamais un système législatif, aussi bon soit-il, ne saurait prétendre être parfait et complet en lui-même. Les lois doivent en effet être interprétées, leurs carences doivent pouvoir être comblées et leur imprécision, être tranchée. C'est un des rôles de la Cour suprême du Canada, qui siège en dernier ressort et fixe donc le droit pour l'avenir. C'est ainsi que souvent, devant une jurisprudence contradictoire émanant des cours d'appel provinciales, la cour doit établir ce que sera désormais la règle de droit pour l'ensemble du pays.

De plus, avec l'arrivée de la Charte canadienne, l'impact de la Cour suprême dans la vie du pays a profondément changé. La cour est en effet le dernier bastion des libertés publiques et des libertés individuelles. C'est le dernier défenseur des droits de la personne et l'instance qui, en fin de compte, donne l'interprétation qu'il convient de donner à la Charte. Dans une démocratie comme la nôtre, cette mission est particulièrement délicate. La cour doit enfin et également, en l'absence d'une législation précise, combler le vide et trouver les solutions à apporter à des questions extrêmement complexes que lui causent les justiciables en raison de la constante évolution de notre société.

La cour n'entend qu'une petite centaine d'appels par année émanant de toutes les juridictions du pays. C'est vous dire qu'avec le volume restreint, toutes ces causes revêtent une très grande importance, d'où les qualités personnelles et professionnelles particulières que doit posséder tout candidat.

(1540)

Quelles sont-elles? Quelles sont les aptitudes que vous avez à vérifier aujourd'hui?

La première, bien évidemment, est d'être un bon juriste, mais la cause me paraît déjà entendue puisque le processus de sélection s'assure au départ de cette qualité primordiale et indispensable. Tous les problèmes que la Cour suprême a à trancher sont complexes. Ils requièrent donc des connaissances approfondies du droit et une aptitude particulière à discuter et résoudre les problèmes posés.

La seconde, qui est très importante, à mon avis, est l'ouverture d'esprit. Le juge — et je vous parle d'expérience, ayant passé une vingtaine d'années à la Cour d'appel du Québec — doit absolument toujours garder un esprit ouvert, ce qui implique les trois exigences suivantes. Il doit d'abord accepter de mettre de côté certaines de ses convictions morales ou philosophiques personnelles et trancher les litiges en toute impartialité, selon le droit existant. Il doit ensuite éviter le sectarisme, les opinions toutes faites, les préjugés. Il doit modestement accepter de se remettre en question, et donc de pouvoir changer d'opinion ou d'idée, sans nécessairement vivre cette situation d'une façon négative. Il doit enfin préserver son indépendance, et ce, à tout prix.

Nous avons — et je le pense sincèrement — l'un des meilleurs systèmes judiciaires au monde, sinon le meilleur, et nous l'avons déjà prouvé. Or, il faut continuer à le maintenir. C'est en effet en grande partie en raison de notre tradition du maintien de l'indépendance judiciaire qu'une démocratie comme la nôtre peut vivre et se développer au bénéfice de tous les citoyens.

Or, il est évident que certaines opinions que le juge de la Cour suprême rendra ne feront pas nécessairement l'unanimité et engendreront parfois même la controverse. Le juge doit cependant rester serein, au-dessus de la mêlée. Il doit continuer de juger en toute impartialité, quels que soient les impacts de son opinion, sans se sentir obligé, dans ses décisions, de plaire à des intérêts privés, à des intérêts publics ou au gouvernement. Être juge, ce n'est pas tenter de gagner un concours de popularité.

Enfin, sur le plan strictement professionnel, il doit être capable de fonctionner en équipe, de discuter librement avec ses collègues, d'être ouvert aux autres et d'écrire de façon claire et intelligible. Je puis vous assurer qu'à cet égard, le travail dont sont chargés les juges de la Cour suprême est exigeant et difficile.

Cela étant dit, quel est donc votre rôle cet après-midi et quelles questions devez-vous ou pouvez-vous lui poser? Encore une fois, le but de l'exercice n'est pas de confronter le candidat sur des problèmes actuels ou passés, mais bien de s'assurer qu'il démontre, par ses réponses, qu'il possède les qualités personnelles et professionnelles pour bien remplir cette fonction. Comme vos collègues l'ont fait lors des deux occasions précédentes, il faut donc éviter, je crois, de questionner le candidat sur des affaires judiciaires en cours et qui font déjà l'objet d'un débat juridique, de même que sur le bien fondé de décisions qu'il aurait rendues par le passé, ou enfin sur des affaires qui relèvent davantage de sa philosophie personnelle, à propos de controverses sociales ou politiques.

Par contre, votre tâche, encore une fois, est bel et bien de vous assurer que le candidat répond au profil qui est exigé de cette importante fonction. Vous pouvez donc l'interroger en toute liberté sur la façon dont il conçoit son rôle, sur ce qu'il espère apporter comme contribution au développement du droit ou, plus généralement, sur ses aptitudes à remplir ses fonctions de même que sur sa motivation générale.

Je termine ici, monsieur le président et ministre de la Justice, pour ne pas empiéter sur un temps précieux. Je vous remercie de votre attention.

(1545)

Le président:

Maître Baudouin, je vous remercie beaucoup.

Encore une fois, je voudrais souhaiter la bienvenue à l'honorable juge Wagner.

[Traduction]

Monsieur le juge Wagner, la parole est à vous.

Le juge RichardWagner (à titre personnel):

Merci, monsieur le ministre. Merci de vos bons mots durant la présentation.

[Français]

Monsieur le ministre, honorables députés, vous comprendrez aisément ma joie de participer avec vous à cet échange qui s'inscrit maintenant dans le processus de nomination d'un juge à la Cour suprême du Canada. Au plaisir de vous rencontrer et d'échanger avec vous s'ajoute également une bonne dose d'anxiété. Certains d'entre vous ont peut-être déjà eu l'occasion de participer à un exercice similaire lors de la nomination des juges Karakatsanis, Moldaver et Rothstein et auront possiblement l'occasion de refaire l'exercice dans le cadre d'autres nominations au cours des prochaines années. Pour moi, c'est une première, mais également une dernière.

[Traduction]

On n'a jamais une seconde chance de laisser une bonne première impression.

[Français]

Ne dit-on pas que l'on n'a qu'une seule chance de faire une bonne première impression?

[Traduction]

Conscient de vos responsabilités à titre de représentants élus des citoyens de ce pays, je vais faire tout en mon possible cet après-midi pour me présenter de manière à ce que vous puissiez accomplir au mieux votre rôle dans le cadre de ce processus de nomination. Je serai également ravi de répondre au meilleur de mes connaissances aux questions que vous voudrez bien me poser.

Je comprends à quel point le mandat qui vous est confié est important pour que les Canadiens, dont la vie quotidienne est constamment touchée par les décisions de la Cour suprême, puissent en apprendre davantage sur les personnes nommées au plus haut tribunal du pays.

(1550)

[Français]

Je suis Montréalais d'origine et je suis fier de mon héritage francophone, de ma langue maternelle, dont on dit qu'elle est l'une des plus belles au monde, et de ma culture québécoise.

J'ai toujours vécu au Québec et ai tenté humblement, dans la mesure de mes moyens, de faire honneur à mes concitoyens dans l'exercice de toutes les fonctions que j'ai assumées jusqu'à ce jour. Il s'agit d'un engagement de vie qui me suivra toujours à l'avenir.

Je dois avouer que la vie m'a somme toute choyé jusqu'à ce jour.

Je suis entouré de deux magnifiques enfants, Charles et Catherine, qui ont décidé, même après avoir constaté les difficultés inhérentes à la pratique du droit, de suivre les traces de leur père et de leur grandpère.

Charles, qui a maintenant 26 ans, est avocat au cabinet montréalais Heenan Blaikie, et Catherine, de trois ans son aînée, est également juriste de formation en droit civil et en common law et consacre ses activités à la formation juridique des étudiants en droit et des avocats.

Je suis heureux d'ailleurs de souligner que Catherine a donné naissance, en avril dernier, à une belle petite fille prénommée Juliette, du nom de sa grand-mère maternelle. Elle ne cesse de nous émerveiller depuis. Je pense que la fonction de grand-père me convient très bien et, à tout le moins, je n'ai pas eu à me soumettre à un processus de sélection pour pouvoir en profiter. Je suis très fier d'être grand-père, mais j'espère que ma petite-fille n'entraînera pas éventuellement l'apparition de mes premiers cheveux gris.

La présentation d'un candidat à la Cour suprême suppose, bien sûr, qu'il se dévoile, qu'il s'exprime et qu'il parle de lui, autant que possible en bien. Alors, je tenterai d'être ni trop dur avec moi-même, ni trop complaisant.

Comme le chantait Bécaud, mon histoire est avant tout celle d'un homme heureux. Elle se déroule dans un milieu favorisé, non pas tellement par les moyens financiers, quoique nous n'ayons jamais manqué de rien, mais plutôt par l'amour et l'attention des parents. Puisque ces derniers sont décédés à un très jeune âge, vous ne serez pas surpris que j'en appelle à leur mémoire aujourd'hui.

Mon père, Claude Wagner, qui est décédé à l'âge de 54 ans, a consacré sa vie à la chose publique. Au-delà des réalisations qui sont les siennes, sa noblesse d'esprit, sa générosité et son sens de la justice sont une source d'inspiration qui m'habite au quotidien.

Ma mère, à l'image du rôle assumé par plusieurs femmes de son époque, était la chef d'orchestre qui devait jongler à la fois avec notre discipline et notre éducation tout en appuyant les efforts de mon père dans sa vie professionnelle.

J'ai vécu, somme toute, une enfance traditionnelle au sein d'une société essentiellement matriarcale fondée sur le respect d'autrui.

Curieux de nature, intéressé par les études —mais, je l'avoue, encore plus par les sports —, j'ai grandi avec ma soeur, Johanne, de deux ans mon aînée, et mon frère, Christian, de trois ans mon cadet. Être l'enfant du milieu nous apprend rapidement l'importance du compromis, et ce statut m'a obligé à développer dès ce jeune âge la recherche du consensus.

[Traduction]

J'ai grandi au sein d'une famille très unie. Dès mon plus jeune âge, nous avons tissé entre nous des liens très étroits, surtout dans le contexte du rôle actif joué par mon père sur la scène publique. La famille est devenue pour nous le dernier refuge où chacun trouvait à sa manière réconfort, force et source d'épanouissement tout en vivant avec bonheur et sérénité des années stimulantes, quoique turbulentes.

C'est à sept ans que j'ai eu mon premier contact avec le système judiciaire. Mais n'ayez crainte, ce n'était pas pour comparaître devant le tribunal de la jeunesse. C'est à cet âge que je suis entré pour la première fois dans un édifice qu'on appelait à l'époque le nouveau palais de justice de Montréal, l'édifice Ernest-Cormier, un endroit que j'ai redécouvert 47 ans plus tard à titre de juge de la Cour d'appel.

[Français]

J'ai fréquenté l'école primaire chez les Soeurs de la Providence pour entreprendre par la suite mon cours classique au Collège Jeande- Brébeuf, dont je suis devenu un meuble meublant, et ce, jusqu'au début de mes études universitaires. Je garde du Collège Brébeuf un souvenir stimulant. J'ai pu bénéficier d'un enseignement rigoureux, empreint de l'ouverture d'esprit si typique de l'enseignement des jésuites, tout en développant mes habiletés dans plusieurs activités sportives.

Après mes études collégiales, à 18 ans, j'ai quitté le nid familial pour entreprendre mes études universitaires en sciences sociales, avec concentration en sciences politiques, à l'Université d'Ottawa.

C'est d'ailleurs ici, si je puis dire, que j'ai gagné ma première bataille juridique.

Désireux d'amorcer mes études en droit tout en poursuivant mes études au baccalauréat en sciences sociales auquel j'étais inscrit, je tentai en vain de m'inscrire à la Faculté de droit. Le registraire m'a alors répondu que les règlements de l'université ne permettaient pas à un étudiant de s'inscrire à plus d'une faculté en même temps. Qu'à cela ne tienne, j'ai exigé de voir le règlement en question. Après une recherche longue et infructueuse, on m'a informé qu'il n'existait pas.

J'ai donc pu poursuivre mes études dans les deux facultés, ce qui a amené le sénat de l'université à adopter un nouveau règlement qui, maintenant, ne permet pas à un étudiant de s'inscrire à plus d'une faculté. Cela m'a permis de résider en permanence dans cette belle région de l'Outaouais en travaillant le jour durant l'été et en poursuivant mes études le soir. Je garde de ce passage à Ottawa des souvenirs impérissables que mes nouvelles fonctions à la Cour suprême me permettraient de revivre.

Sitôt mes études terminées, j'ai amorcé mon stage au bureau de Lavery, où j'ai d'ailleurs exercé ma profession d'avocat jusqu'à ma nomination à la magistrature. Je voulais devenir avocat-plaideur et j'ai été comblé. J'ai exercé cette profession pendant près de 25 ans avec un enthousiasme et un plaisir qui ne se sont jamais démentis jusqu'à ma nomination à la Cour supérieure, en 2004. Les associés que j'y ai côtoyés m'ont permis d'amorcer mon métier de plaideur très rapidement, et ce, dans tous les districts judiciaires du Québec et devant toutes les instances. Je n'avais pas encore terminé mon stage que j'avais eu l'occasion de plaider au fond des procès devant la Cour provinciale, comme elle s'appelait à l'époque, devant la Cour supérieure, et même une requête devant une formation de la Cour d'appel du Québec.

Mes associés m'ont inculqué la recherche constante de la rigueur et le souci de bien faire les choses dans le respect des clients et des institutions. J'y ai rencontré des juristes d'excellence tels que les Vincent O'Donnell, Paul Carrière et Jacques Chamberland. Ces deux derniers occuperont d'ailleurs d'importantes fonctions, respectivement à la Cour supérieure et à la Cour d'appel du Québec.

(1555)

Étudiant, j'ai également eu le privilège de côtoyer brièvement le très honorable Gérald Fauteux, ancien juge en chef de la Cour suprême du Canada, qui était revenu à la pratique du droit à Montréal après sa retraite. J'ai toujours éprouvé autant de bonheur à revêtir la toge de plaideur que j'en aurai, 25 ans plus tard, à revêtir celle garnie de rouge de la Cour supérieure.

En 1997, j'ai également eu le privilège de participer à la création du Collège canadien des avocats en droit de la construction, dont l'une des premières assemblées annuelles s'est d'ailleurs tenue sous la présidence de l'honorable Beverley McLachlin, de la Cour suprême du Canada.

[Traduction]

Au fil des ans, j'ai eu le grand privilège de mériter la confiance et la loyauté de nombreux clients, des individus aussi bien que des organisations, dont certains m'ont fait honneur non seulement de leur confiance, mais aussi de leur amitié.

Le travail dans un grand cabinet montréalais présente bien sûr son lot d'avantages et d'expériences uniques, mais il ne reflète pas nécessairement la réalité de la pratique du droit comme l'exercent la plupart des avocats. J'ai alors commencé à m'intéresser à mon ordre professionnel et à ses activités. Mes années de travail pour le Barreau du Québec, celui de Montréal, puis l'Association du Barreau canadien ont grandement modifié ma vision des choses. Ce fut pour moi l'occasion extraordinaire de rencontrer des collègues de différents domaines du droit qui, même s'ils vivaient des réalités différentes dans la pratique, ont grandement contribué à mon éducation et à ma compréhension du droit. Mon expérience heureuse au sein de ces regroupements, notamment à titre de conseiller du Barreau de Montréal, m'ont incité à poser ma candidature au poste de premier conseiller, puis de bâtonnier pour l'année 2001-2002. Avant d'accéder au poste de bâtonnier en 2001, j'ai dû relever un défi qui vous est plus familier qu'à moi-même: me prêter au processus électoral. C'était la première fois depuis 1956 que l'on tenait une élection pour le poste de bâtonnier. Je peux honnêtement vous dire que ce fut une expérience fort enrichissante, surtout que j'ai été élu avec 91 p. 100 des suffrages. Je vous en souhaite tout autant.

(1600)

[Français]

En tant que bâtonnier, et même si le Barreau de Montréal était minoritaire au sein de la grande famille du Barreau du Québec, j'ai néanmoins réussi, avec le soutien de nombreux collègues, à contribuer à la création du Centre d'accès à l'information juridique, le CAIJ, qui assure depuis 2002 à tous les avocats et juges de tous les districts judiciaires de la province un accès de qualité à l'information juridique. Cette réalisation est le fruit d'un leadership marqué au coin de la transparence, de l'écoute et du sens du compromis. Cela nous a permis de rallier pour un objectif commun les opinions qui, à priori, étaient divergentes. Bref, j'ai compris alors que le leadership se mérite; il ne s'impose pas.

Mon passage aux affaires du Barreau de Montréal m'a enrichi de la part de nombreuses personnes provenant d'horizons divers. Mon expérience et ma pratique active devant tous les tribunaux m'ont également incité à partager mes connaissances avec les étudiants de l'École du Barreau. J'ai donc enseigné les techniques de plaidoirie et la procédure civile pendant quelques années.

En outre, pour la première fois depuis plusieurs années, j'ai, à titre de bâtonnier, remis à l'ordre du jour la tournée du bâtonnier, ce qui m'a permis de rencontrer plusieurs centaines d'avocats pratiquant dans la grande région de Montréal. Les réunions — et elles étaient nombreuses — étaient taillées selon le profil et le type de pratique des avocats qui étaient invités. Je les informais des grands enjeux et je répondais également à leurs questions. Cet exercice unique a marqué mon bâtonnat et m'a permis non seulement de me rapprocher des membres de mon Barreau et de mieux connaître leurs besoins, mais également de bien les informer sur les enjeux de l'époque et de les assurer du soutien de leur ordre professionnel. J'en garde un souvenir impérissable.

[Traduction]

En septembre 2001, nous avons tous été profondément affectés par l'attentat contre le World Trade Center à New York, un événement tragique qui a marqué toute l'humanité. Trois semaines plus tard, je représentais Montréal au premier sommet mondial qui réunissait à New York les représentants des associations locales du Barreau d'une vingtaine des plus grandes villes du monde, dont Paris, Madrid, Tokyo, New York et Beijing.

Le sommet, qui a eu lieu non loin des ruines encore fumantes du World Trade Center, a permis à des avocats de tous les continents d'échanger pendant trois jours sur les mérites de leurs systèmes judiciaires respectifs ainsi que sur les problèmes avec lesquels ils doivent tous composer, comme la portée de l'aide juridique, le processus de nomination des juges, l'accès aux tribunaux et les retards inhérents au processus judiciaire. Nous discutions de ces questions alors même que le souvenir des événements récents nous rappelait la fragilité de la démocratie et de la liberté.

[Français]

À mon retour à Montréal, des sentiments divergents m'animaient à la suite du contact auprès de ces représentants des Barreaux étrangers: réconfort et fierté, mais également frustration et regret. J'ai éprouvé une fierté parce que j'ai réalisé jusqu'à quel point notre système de justice se compare favorablement à n'importe quel autre système dans le monde, mais également un regret parce que les qualités indéniables de notre système de justice au Canada ne sont malheureusement pas suffisamment connues des justiciables.

Je me suis donc employé depuis cette date, tant comme avocat que comme juge, à saisir toutes les tribunes qui m'étaient offertes pour informer mes concitoyens, et en particulier les jeunes avocats et avocates, des mérites de notre système de justice, qui, même avec ses lacunes, demeure encore une norme de référence mondiale au chapitre de la qualité, des délais, de l'impartialité et de l'indépendance.

Ce constat ne doit toutefois pas nous amener à nous asseoir sur nos lauriers et à nous contenter du statu quo. Il nous faut saisir toutes les occasions d'améliorer le système, mais cette tâche n'est pas la responsabilité d'un seul groupe. Il revient à tous, qu'ils soient juges, avocats, parlementaires ou représentants du gouvernement, de contribuer à l'amélioration du système, tout en préservant cependant les acquis et en les faisant connaître.

Cette digression sur la rencontre de New York m'incite à en commettre une autre, soit celle qui porte sur la nécessité d'appuyer le système de justice. J'estime que la ligne est mince entre le respect de la règle de droit et l'anarchie. À cet égard, les événements tragiques au Moyen-Orient nous rappellent presque quotidiennement les conséquences d'une carence démocratique dans toutes les sphères d'une société. Il est donc primordial de maintenir dans l'esprit de nos concitoyens la crédibilité du système de justice, son intégrité et son efficacité afin d'occulter le cynisme de nature à créer une justice parallèle ou, pire encore, la désillusion et l'impression que la justice est inaccessible. Les juges doivent faire leur part, bien sûr, mais la question doit également impliquer les Barreaux, les gouvernements et les médias d'information au Canada.

À titre de président de la Conférence des juges des cours supérieures du Québec, je publiais une lettre, en novembre dernier, dans laquelle je rappelais que la pérennité de notre démocratie et le respect de ses valeurs fondamentales, dont la liberté d'expression, étaient largement tributaires de l'impartialité de la magistrature, de son indépendance et, surtout, de sa crédibilité auprès des justiciables. Vous aurez compris que je suis un ardent défenseur de l'impartialité et de l'indépendance des tribunaux. Dans cette lettre ouverte, je soulignais également ceci:

La magistrature n'a de compte à rendre qu'aux justiciables. [Elle est indépendante des gouvernements.] Même si elle ne doit pas échapper à la critique légitime, elle requiert le soutien et l'engagement de tous les acteurs de la société civile. Sinon, elle risque de perdre, petit à petit, et de façon insidieuse son indépendance et sa capacité de rendre justice.

(1605)

[Traduction]

Je reviens maintenant à mon expérience professionnelle.

Le 24 septembre 2004, j'ai été nommé juge à la Cour supérieure du Québec. Je réalisais ainsi un rêve que je caressais depuis mes jours à la faculté de droit, à savoir un retour au droit criminel, un domaine avec lequel je n'avais pas eu l'occasion de me familiariser, compte tenu de ma pratique en droit civil et commercial. Dès ma nomination à la Cour supérieure, j'ai suivi toutes les activités de formation en droit criminel offertes au Canada.

J'ai ainsi pu joindre rapidement le cercle des juges investis du devoir solennel de présider à des procès avec jury dans des affaires criminelles.

Le défi était grand, mais le jeu en valait pleinement la chandelle.

J'ai apprécié tous les moments consacrés à ce rôle. Les règles juridiques de fond, le contexte particulier et la relation unique qui lie juge et jury sont autant d'éléments qui ont contribué à faire de mon séjour au sein de la chambre criminelle une expérience vraiment intéressante et stimulante. Au fil de ces années, j'ai appris à bien connaître les principales décisions rendues par la Cour suprême du Canada sur des questions touchant le droit pénal et la Charte, et surtout à bien comprendre les contours toujours en évolution de la jurisprudence reliée à la Charte, laquelle n'est bien évidemment pas coulée dans le béton.

(1610)

[Français]

Le 3 février 2011, j'ai accepté de relever un autre défi de taille alors que je me joignais à l'équipe de la Cour d'appel du Québec. J'ai côtoyé là-bas de grands juristes, tous plus soucieux les uns que les autres d'accomplir leurs tâches avec minutie, discipline et empathie.

Mon expérience du travail collégial à la Cour d'appel du Québec me sera d'un grand secours si ma candidature à la Cour suprême est confirmée. Ce passage à la Cour d'appel du Québec m'a initié à de nouvelles exigences en ce qui concerne la rédaction des arrêts et des motifs, et m'a rompu à l'approche collégiale qui exige des juges une souplesse d'esprit et le souci de rechercher, dans la mesure du possible et dans les cas qui le demandent, le compromis nécessaire à la solution du différend qui leur est présenté.

Mesdames et messieurs du comité parlementaire, c'est donc avec beaucoup d'humilité que je me présente devant vous aujourd'hui. Ma présence marque mon engagement à contribuer à cette justice qui n'est pas désincarnée et qui doit toujours répondre, avant tout, aux besoins des justiciables. Il s'agit d'une justice noble, d'une justice généreuse, d'une justice efficace.

[Traduction]

Je m'estime privilégié de me présenter devant vous à titre de candidat désigné pour un poste de juge à la Cour suprême du Canada. Ce serait un honneur pour moi de servir mes concitoyens dans ce rôle si ma nomination était confirmée.

[Français]

Je vous remercie de votre attention.

[Traduction]

Le président:

Merci beaucoup, juge Wagner.

Nous allons maintenant passer aux questions des membres du comité. Selon la formule retenue, nous allons alterner entre les partis représentés. Chaque membre a droit à une période de huit minutes pour le premier tour de questions. Nous tiendrons ensuite un second tour où chacun pourra intervenir pendant cinq minutes.

[Français]

Commençons par mon collègue M. Jacques Gourde.

M. Jacques Gourde (Lotbinière— Chutes-de-la-Chaudière, PCC):

Merci, monsieur le ministre.

Honorable juge Wagner, c'est pour moi un grand honneur de participer à cette dernière étape du processus de nomination.

Monsieur le juge, pouvez-vous nous dire de quelle façon vos 25 années ou presque d'expérience pratique comme avocat au Québec vous ont préparé à votre nouveau rôle de juge de la Cour suprême?

Par ailleurs, pouvez-vous nous dire de quelle façon votre expérience de juge à la Cour supérieure du Québec et à la Cour d'appel du Québec vous a préparé aussi pour ce rôle?

Le juge Richard Wagner:

Je vous remercie, monsieur Gourde.

Comme je l'ai mentionné dans mon allocution d'ouverture, j'ai pratiqué pendant près de 25 ans chez Lavery. À l'époque, ce cabinet s'appelait Lavery, de Billy, mais il porte maintenant le nom de Lavery. J'ai eu la chance et le privilège de plaider énormément devant toutes les instances, partout dans la province. Au-delà des connaissances juridiques, ça m'a permis de connaître un peu les us et coutumes des régions. Plaider à Montréal ou à Québec est une chose, mais plaider en région apporte évidemment son lot de nuances et de différences. L'intérêt était là, et je me considère très privilégié d'avoir pu plaider devant autant d'instances, dans toutes les régions de la province de Québec.

Évidemment, cette pratique a été intense. J'ai dû faire beaucoup de litige commercial, de responsabilité professionnelle. Il fallait s'assurer que les clients étaient bien servis et que les associés étaient heureux. En exécutant ces tâches de plaideur, de juriste, de serviteur des intérêts des clients et de bon associé, on développe des facultés, certaines manières de faire, et en ce sens, je pense avoir été privilégié. Je pense que cette pratique intense, pendant plusieurs années sur le terrain, me permettrait d'offrir à la Cour suprême du pays une expérience, une connaissance du milieu. Je pense qu'il serait utile de collaborer avec tous les autres collègues de la cour, du moins je crois que ma contribution serait profitable. J'apporterais avec moi un bagage qui m'est propre, et je me joindrais aux autres collègues de la cour, qui ont eux aussi un bagage particulier. Je pense que ce serait un effort collégial extrêmement positif.

Pour répondre à votre question, monsieur Gourde, je pense que ces 24 ans de pratique intensive devant les tribunaux m'ont permis d'acquérir des connaissances ainsi que de la maturité et de développer des habiletés inhérentes à la pratique du droit, par exemple connaître le milieu, les besoins et les habitudes dans divers districts judiciaires du Québec.

Sauf erreur, vous vouliez que je vous parle de la pertinence de mes années à titre de juge de la Cour supérieure.

J'ajouterais que c'était aussi une expérience très enrichissante. Le travail du juge d'instance se fait beaucoup sur la ligne de feu. On règle les problèmes immédiatement, en chambre de pratique; on entend des témoins, il y a de l'administration de la preuve. La réalité, devant les juges d'instance, n'est pas nécessairement la même que celle vécue devant les tribunaux d'appel, encore moins devant la Cour suprême du pays. Je pense que cette connaissance peut me servir à apprécier correctement les raisons pour lesquelles les gens présentent certaines demandes. Il y a les raisons apparentes, mais il y a aussi la réalité qui se cache derrière les dossiers.

À la Cour supérieure, la pratique, que j'ai adorée, m'a permis de développer une expertise dans le domaine du droit criminel. J'y ai présidé des procès avec juge et jury, ce qui représentait une nouvelle donne dans ma vie. En effet, je n'avais jamais pratiqué dans ce domaine. Après avoir travaillé assez fort, je dois l'avouer, j'ai enfin eu la satisfaction de pouvoir présider des procès avec jury. Je pense que cette pratique m'a permis d'acquérir des habiletés additionnelles et que je pourrais en faire profiter mes collègues de la cour.

Ultimement, ça pourrait également servir les intérêts de tous les Canadiens.

(1615)

Le président:

Avez-vous une autre question, monsieur Gourde?

M. Jacques Gourde:

Oui.

Trois des neuf juges de la Cour suprême du Canada proviennent de la province de Québec.

Dans les affaires qui mettent en cause le droit civil du Québec et qui sont instruites par la cour, les jugements sont normalement rédigés par ces juges.

Quelle expertise et quelle expérience en droit civil pourriez-vous offrir à la Cour suprême du Canada?

Le juge Richard Wagner:

Essentiellement, monsieur Gourde, ma pratique d'avocat et ma pratique comme juge à la Cour supérieure m'ont amené à travailler essentiellement en droit civil et en droit commercial, de telle sorte que j'ai des connaissances dans ces domaines — en tout cas, je le pense, le tout humblement soumis. J'ai eu non seulement à maîtriser ces domaines comme avocat, mais également à décider de ces enjeux comme juge.

Les décisions de la cour impliquent les neuf juges de la cour. Le fait que certains aient des connaissances différentes de celles des autres ne fait qu'enrichir la cour. Après avoir lu de nombreuses décisions de la Cour suprême, je suis satisfait d'une chose: même si les autres juges qui ne proviennent pas de la province de Québec se prononcent sur les dossiers de droit civil, ils le font quand même avec beaucoup de compétence, de compréhension et d'expertise. En somme, il est évident que lorsqu'on provient de la province de Québec et qu'on a pratiqué essentiellement en droit civil et commercial, on apporte un élément additionnel qui s'ajoute à la compétence des autres collègues de la cour.

J'ajoute également que, au Québec et au Canada en général, on est quand même privilégiés. C'est ce que je disais d'ailleurs aux jeunes avocats et avocates à l'époque où je présidais des cérémonies d'assermentation. Les avocats du Québec et les étudiants sont rompus au droit civil, mais également à la common law. Au quotidien, on traite de la common law sans trop s'en apercevoir. Il y a par exemple le droit criminel ou d'autres lois, comme la Loi sur la faillite, la Loi sur les liquidations ou la Loi sur les sociétés canadiennes par actions. Il y a plusieurs lois. Les avocats du Québec sont donc élevés, en quelque sorte, avec les deux formations juridiques, soit la common law et le droit civil, de telle sorte que lorsqu'ils assument plus tard des fonctions judiciaires, ils connaissent plus d'un domaine et peuvent contribuer adéquatement aux fonctions qu'ils assument.

La réalité d'il y a 30 ans n'est plus la même que celle d'aujourd'hui.

Dans le contexte de la mondialisation, des échanges et traités économiques et ainsi de suite, on s'aperçoit que les jeunes avocats ou avocates du Québec sont très recherchés à l'étranger dans les forums internationaux, justement parce qu'ils peuvent maîtriser à la fois le droit civil et la common law. En même temps, ils ont une pratique de droit issue du régime britannique dans le sens de l'administration de la preuve qui n'est pas la même, par exemple, que celle de sociétés civilistes comme la France. Alors, il y a beaucoup d'avantages. Pour répondre à votre question, je dois préciser que je viens d'une province où j'ai été élevé avec ces avantages, et j'aurais bien l'intention d'en faire profiter les citoyens canadiens.

(1620)

Le président:

Merci beaucoup.

Maintenant, madame Boivin, vous avez la parole pour une période de huit minutes.

Mme Françoise Boivin (Gatineau, NPD):

Merci, monsieur le ministre.

Je vais essayer de suivre les grands principes soumis par le grand Jean-Louis Baudoin. Je suis heureuse de constater qu'en lisant ce qui avait été fait l'année dernière, il nous a qualifiés d'avoir agi avec une grande sagesse et une grande retenue. Vous pouvez être certain que je vais mettre cela dans mon curriculum vitae demain matin. Je vais toutefois tenter de continuer dans la même veine, parce qu'on comprend très bien le concept de ces audiences.

Monsieur Wagner, je vous offre mes félicitations. On sait tous qu'on est ici pour vous présenter au Canada. Au Québec, on vous connaît peut-être un peu plus. J'aimerais, au nom de mes collègues qui sont ici avec moi, lesquels d'ailleurs sont tous des députés du Québec, et en mon nom personnel, vous féliciter de cette nomination. Vous avez, il va sans dire, un parcours intéressant. En ce qui a trait aux reproches qu'on pourrait vous faire, je ne pourrai pas en parler longuement; ce n'est pas votre faute si vous n'êtes pas une femme et ce n'est pas votre faute si vous avez le père que vous avez. Alors, dans ce contexte, on va passer aux choses sérieuses.

Par contre, mon message s'adresse au ministre: vous en avez deux autres à nommer, et n'oubliez pas les femmes dans tout ça. Voilà, c'était ma minute politique.

Le juge RichardWagner:

Je dois vous dire, madame Boivin, que je suis très fier de mon père.

Mme Françoise Boivin:

C'est exact, et je suis contente de vous l'entendre dire.

Mon collègue M. Gourde a parlé de votre expérience comme civiliste, mais j'aimerais que vous en parliez davantage. Comment envisagez-vous l'importance du droit civil au sein de la Cour suprême du Canada? On sait tous qu'il y a trois sièges alloués au Québec et que votre nomination doit être confirmée pour représenter le Québec.

Le juge RichardWagner:

Merci, madame Boivin. Cette question est intéressante. En effet, la loi est ainsi faite qu'il y a bel et bien trois juges qui proviennent de la province de Québec. Ceux-ci, en principe, sont particulièrement rompus au droit civil.

Cependant, il existe aussi une nouvelle réalité depuis quelques années. Bien sûr, il y a encore des différences de philosophie entre la common law et le droit civil, mais en raison de la mondialisation, on voit de plus en plus d'échanges entre les notions de droit civil et les notions de common law. Ainsi, on se rend compte que plusieurs provinces de common law et peut-être même des pays étrangers sont influencés et vont retenir des principes qui émanent du droit civil. De plus, des principes du droit civil sont influencés par des principes de common law. On voit cela de plus en plus. Par conséquent, les distinctions fondamentales qu'on pouvait constater il y a plusieurs années sont peut-être moins évidentes aujourd'hui.

Tout cela pour vous dire que même s'il n'y a à la cour que trois juges qui proviennent du Québec, les six autres juges sont très rompus au droit civil et à la common law, j'en suis convaincu, justement en raison de cette évolution, de leur expertise et de leur ouverture d'esprit.

Je ne considère donc pas que si on ne vient pas du Québec, on est automatiquement incapable d'apprécier l'étendue, la valeur, le mérite et la détermination de ce qu'est le droit civil au Québec.

(1625)

Mme Françoise Boivin:

Vous n'êtes pas en train de nous dire non plus qu'il n'est pas important qu'il y ait des gens en provenance du Québec pour protéger le droit civil du Québec.

Le juge Richard Wagner:

Au contraire, il est essentiel de s'assurer que le droit civil de la province est bien considéré.

Mme Françoise Boivin:

J'ai une autre question. Quand on lit votre curriculum vitae, on peut voir toute votre expérience pratique.

Ça me plaît. On a un cheminement un peu semblable, si on peut dire.

En fait, on vient de la même université. Ça fait du bien de voir quelqu'un de l'Université d'Ottawa promu à ce niveau. Je dis bravo à l'Université d'Ottawa.

Cela étant dit, en consultant votre curriculum vitae, on se rend compte que vous avez été juge à la Cour supérieure du Québec à partir de 2004, mais que votre nomination à la Cour d'appel du Québec ne date que de l'année dernière. Compte tenu de vos qualités personnelles et professionnelles, vous sentez-vous à l'aise de passer de la Cour d'appel du Québec à la Cour suprême après si peu de temps? Vous sentez-vous prêt à cela?

Le juge Richard Wagner:

Je vous remercie, madame. J'aime toujours dire que je préfère la qualité à la quantité. En d'autres mots, même si je n'ai passé qu'une seule année et demie à la Cour d'appel, je peux vous dire qu'elle a été très intense et que j'ai appris énormément. Il faut se méfier des quantités.

Cela dit, le sens commun nous amène à conclure que si j'avais passé 15 ans à la Cour d'appel du Québec, ce serait 13 ans d'expérience de plus. Cela coule de source. Toutefois, je ne pense pas que mon court passage à la Cour d'appel du Québec soit pour autant un signe de manque de préparation pour ce qui m'attend comme tâche à la Cour suprême.

Il ne faut pas oublier que le travail collégial est un travail d'envergure, extraordinaire, d'ailleurs. Cependant, je ne peux pas dire que c'était ma première expérience de travail collégial. À la Cour supérieure du Québec, surtout à la Chambre criminelle et pénale, on faisait quand même un travail collégial. Ce n'était peut-être pas pour rendre les décisions, puisque le juge est toujours seul avec lui-même lorsque vient le temps de signer la décision, mais il y a quand même beaucoup de collégialité en ce qui a trait à la gestion des salles d'audience et des dossiers criminels, surtout dans le cas des mégaprocès. Cela demandait donc beaucoup de collégialité.

Il ne faut donc pas voir uniquement un passage à la Cour d'appel du Québec comme le seul gage d'une connaissance du travail collégial. Je vous dis qu'il faut regarder l'ensemble du CV. Il faut considérer le nombre d'années de pratique, le genre de pratique et l'implication du candidat. Je pense que j'ai démontré ma volonté de ne jamais reculer devant un défi.

Mme Françoise Boivin:

Vous n'êtes donc pas intimidé par le défi.

Le juge RichardWagner:

Pas vraiment, je dois le dire. Dans tous les cas, je fais mon possible. En ce sens, j'envisage avec beaucoup d'enthousiasme la possibilité de travailler de concert avec d'autres juges à la Cour suprême du Canada.

Mme Françoise Boivin:

Est-ce qu'il me reste du temps?

Le président:

C'est terminé, madame Boivin.

Greg Rickford.

M. Greg Rickford (Kenora, PCC):

[Traduction]

Bienvenue, juge Wagner.

Je suis moi-même avocat, et tant qu'à faire la promotion de nos universités respectives, disons que j'ai étudié à McGill nos deux systèmes judiciaires traditionnels, le droit civil et la common law. Je n'aurais pas pu alors, et je ne suis pas certain de pouvoir le faire maintenant, imaginer une plus grande responsabilité, un rôle plus important, en tant qu'avocat et député, que ma participation à ce processus. Je veux juste profiter de l'occasion pour remercier tous les membres avec lesquels j'ai travaillé au processus de sélection cet été ainsi que, bien évidemment, nos conseillers. Nous avons ainsi pu nouer des liens durables d'amitié, d'estime et de respect mutuel. Ce fut une expérience formidable.

Juge Wagner, en tant que juge de première instance, vous avez eu l'occasion d'acquérir et de déployer une expertise considérable en droit criminel. La détermination de la peine est l'une des facettes importantes du droit pénal. Nous savons que l'article 718 du Code criminel indique que la détermination de la peine vise essentiellement le « maintien d'une société juste, paisible et sûre ». On énumère ensuite plusieurs objectifs, mais je sais que vous connaissez bien sûr tout cela.

J'aimerais donc savoir comment vous réussissiez, en tant que juge d'instance, à prendre tous ces objectifs en considération pour déterminer la peine à imposer, sachant qu'il arrive que ces objectifs soient difficiles à concilier dans certaines circonstances.

(1630)

Le juge Richard Wagner:

Vous posez là une question fort importante. Lorsque j'ai été appelé à présider à des procès criminels, j'ai toujours pensé que la partie la plus ardue était la détermination de la peine, une fois l'accusé reconnu coupable, bien évidemment. C'est un exercice difficile et délicat, car il fait appel au pouvoir discrétionnaire du juge — qui ne doit pas rendre une décision arbitraire — ce qui n'est jamais chose facile. J'ai toujours privilégié une approche fondée sur l'équité en me demandant si la peine imposée était juste, compte tenu de toutes les circonstances.

Comme vous le disiez si bien, le Code criminel (articles 718 et suivants) fournit au juge de nombreux outils pour l'aider à déterminer la peine la mieux appropriée dans les circonstances. Il ne faut jamais oublier que le juge ne doit pas sanctionner seulement le crime, mais aussi le criminel. Il doit pour ce faire jeter un bon éclairage sur l'ensemble du dossier, y compris le casier judiciaire, le genre de crimes commis et l'incidence d'actes violents. En fin de compte, il doit décider, en tenant compte de tous les éléments de preuve, quelle peine serait juste en l'espèce, quelle est la peine la plus indiquée étant donné le profil et la situation en cause.

Je ne me suis jamais demandé si la peine était trop dure ou trop indulgente. Il est parfois juste d'imposer une longue incarcération, alors que, dans d'autres circonstances, c'est une peine plus clémente qui convient.

Je préfère donc me demander si la peine est juste et équitable. C'est un principe qui m'a guidé tout au long de ces années.

M. Greg Rickford:

Merci pour cette réponse.

Juge Wagner, lorsque vous étiez juge à la Cour d'appel, comment traitiez-vous les appels touchant les peines imposées dans les causes criminelles? Que souhaitez-vous nous dire de plus à ce sujet?

Le juge Richard Wagner:

Je crois que la jurisprudence en la matière est bien établie. J'estime que les cours d'appel ne doivent pas s'interposer, ce qu'elles ne font généralement pas, à moins que le juge de première instance ait commis une erreur flagrante ou n'ait pas interprété correctement les critères au moment de la détermination de la peine. Ainsi, il faut bien sûr que le juge de première instance ait la possibilité de faire les choses à sa manière. Il dispose de son propre pouvoir discrétionnaire. Je pense que les cours d'appel doivent respecter ce pouvoir et n'intervenir que dans des cas très particuliers.

La cour d'appel n'aurait peut-être pas nécessairement imposé la même peine, mais ce n'est pas une raison d'intervenir. On serait plutôt justifié de le faire uniquement lorsqu'une erreur assez grave a été commise.

Le président:

Merci beaucoup.

[Français]

La parole est maintenant à M. Stéphane Dion.

L'hon. Stéphane Dion (Saint-Laurent—Cartierville, Lib.):

Merci, monsieur le ministre.

Monsieur le juge, c'est un plaisir de vous entendre et aussi de vous lire. Une chose me frappe chez vous, et vous pourrez me dire si j'ai raison d'être frappé par ça: c'est l'extrême importance que vous accordez au principe de l'indépendance du pouvoir judiciaire et, audelà de ça, au principe de justice de la présomption d'innocence. Ce qui me frappe, par exemple, c'est que vous vous en préoccupez non seulement dans le contexte d'un tribunal, mais dans la société en général.

Dans le texte que vous avez publié en 2003 dans la Revue générale de droit qui s'intitule « La liberté des avocats et les garanties de l'exercice des droits de la défense » — texte que j'ai trouvé excellent, si je peux me permettre de vous donner mes impressions de lecteur —, vous vous en inquiétez au point de souligner en des termes assez fermes des dérapages médiatiques qui surviennent parfois là-dessus. J'en lis un extrait, par exemple:

[…] lorsque les médias décident de juger une personne ou une entreprise sur la place publique, bien que cette dernière puisse être éventuellement acquittée ou exonérée par les tribunaux, la sentence médiatique est généralement sans appel et ses stigmates, irréparables.

[…] les médias[,] […] par les artifices du montage ou de leurs supposées enquêtes, tirent des conclusions finales et sans appel et appliquent eux-mêmes la sanction.

Vous vous inquiétez donc vraiment de cela. D'où vous vient cette préoccupation très forte du principe de présomption d'innocence? Quelque chose dans votre vie ou dans votre pratique du droit a-t-il fait en sorte que ce soit pour vous un élément fondamental?

(1635)

Le juge Richard Wagner:

C'est peut-être une foule de petites choses au fil des ans, mais au bout du compte, c'est une question d'équilibre. L'indépendance et l'impartialité de la magistrature ainsi que la présomption d'innocence sont des principes très sensibles avec lesquels on ne peut pas jouer trop facilement. Comme vous le savez, notre système démocratique survit et se développe parce qu'il y a un consensus social, parce que les individus acceptent individuellement de se soumettre à l'autorité. Lorsque les individus cesseront de se soumettre volontairement à l'autorité, ce sera l'anarchie.

En ce sens, la ligne est mince entre la règle de droit et l'anarchie.

Pour s'assurer que les citoyens gardent toujours la volonté de se soumettre aux volontés du système judiciaire, il faut qu'ils aient confiance dans le système judiciaire. Pour ce faire, il faut qu'il soit crédible, et pour qu'il soit crédible, il ne faut pas l'attaquer indûment.

Alors, tout le monde doit faire sa part dans ça. Ce n'est pas le travail d'une seule entité ou d'une seule personne. La crédibilité du système de justice est fondamentale pour s'assurer que chaque citoyen qui se présente devant la cour a la satisfaction et la croyance qu'il va être entendu et qu'il va y avoir une justice — pas nécessairement qu'il va gagner, mais qu'il va y avoir une justice. Le problème, c'est lorsque ces personnes perdent la foi dans le système de justice. Alors, on se retrouve avec toutes sortes de problèmes que vous pouvez imaginer.

L'hon. Stéphane Dion:

Dans cette administration de la justice telle que vous la concevez, la présomption d'innocence fait porter le fardeau de la preuve à l'accusation ou à la poursuite, plutôt qu'à la défense, et présume l'accusé innocent tant qu'il n'a pas été reconnu coupable par le tribunal. Est-ce pour vous un principe de justice naturel sans lequel la justice ne pourrait fonctionner?

Le juge Richard Wagner:

C'est un choix de société, en tout cas.

On a choisi, au Canada, d'adopter ce principe. C'est un principe que j'estime noble, mais c'est avant tout un choix de société. Vous allez peut-être voir d'autres sociétés adopter d'autres principes. Ici, au Canada, on veut s'assurer que les citoyens ne seront pas condamnés indûment. Il appartient donc toujours, sauf exception, au ministère public d'établir hors de tout doute raisonnable la culpabilité d'un individu. Cela suppose évidemment qu'il peut y avoir des cas où des accusés qui sont coupables seront acquittés ou reconnus coupables d'infractions de second ordre parce que le ministère public n'aura pas rempli son fardeau de la preuve qui consiste à établir au-delà de tout doute raisonnable tous les ingrédients de l'infraction. Or, c'est l'état du droit. Les tribunaux doivent l'appliquer et le respecter. J'estime que c'est un choix de société très noble qui nous démarque de plusieurs autres pays.

L'hon. Stéphane Dion:

C'est un principe qui pourrait souffrir des exceptions. Dans de tels cas, son contraire, soit la présomption de culpabilité, selon laquelle le fardeau de la preuve serait imposé à la défense, serait acceptable.

Le juge Richard Wagner:

Je pense qu'il existe déjà des cas où la question du fardeau de la preuve peut être nuancée selon les infractions. Vous donner mon opinion personnelle équivaudrait à émettre une opinion philosophique qui se situerait au-delà de ce que je vous ai déjà dit plus tôt. Or je ne pense pas qu'il m'appartienne, à ce moment-ci, de vous faire part d'opinions philosophiques.

L'hon. Stéphane Dion:

Fort bien, monsieur le juge.

Le président:

Madame Kerry-Lynne Findlay, vous avez la parole.

Mme Kerry-Lynne D. Findlay (Delta—Richmond-Est, PCC):

Monsieur le juge Wagner, je vous souhaite la bienvenue. C'est un honneur d'être en votre présence cet après-midi.

Je suis aussi très fière d'être avocate. Je suis diplômée de l'Université de la Colombie-Britannique.

Notre système moderne de justice pénale est essentiellement considéré comme un processus de débat contradictoire entre le procureur de la poursuite et la personne accusée d'un crime, le plus souvent représentée par un avocat de la défense.

Quel est, selon vous, le rôle de la victime d'un acte criminel dans notre système de justice pénale?

(1640)

Le juge Richard Wagner:

Si vous voulez parler du rôle actif de la victime, je pense que les dispositions déjà existantes du Code criminel prévoient des considérations concernant les victimes d'actes criminels. Dans les procès criminels au pays, soit au stade de l'administration de la preuve ou, surtout, à celui des représentations sur peine, l'existence du crime et l'impact de celui-ci sur la victime peuvent être considérés par le juge qui préside le procès. Le juge bénéficie déjà d'une discrétion, et pour lui, il s'agit d'appliquer la loi.

Mme Kerry-Lynne D. Findlay:

Comme juge, que pouvez-vous faire pour vous assurer que les droits et les intérêts des victimes d'un acte criminel sont respectés?

Le juge RichardWagner:

Il faut s'assurer d'appliquer la loi. Qu'il s'agisse du juge d'instance, du juge de la Cour d'appel ou de celui de la Cour suprême, la loi existe et les juges n'ont qu'à l'appliquer. Je dis « n'ont », mais ce n'est pas souvent facile de l'appliquer. Par contre, la majorité de ces gens s'emploient à le faire au mieux de leur capacité. Comme je vous l'ai dit plus tôt, la loi, dans son sens générique, comprend déjà des dispositions qui s'appliquent aux droits des victimes. Les tribunaux doivent appliquer la loi. Il appartient aux parlementaires d'adopter les lois, et ce n'est pas aux tribunaux de le faire à leur place.

Mme Kerry-Lynne D. Findlay:

Merci.

Le président:

Monsieur Jacob, vous avez la parole.

M. Pierre Jacob (Brome—Missisquoi, NPD):

Merci, monsieur le ministre.

Merci, monsieur le juge Wagner.

La qualité fondamentale du juge est de rendre des jugements bien écrits et raisonnés. Certains magistrats produisent des jugements assez succincts et assez directs, tandis que d'autres émettent des jugements plus longs, plus exhaustifs, plus élaborés. Le but demeure d'être compris dans le monde légal ainsi que par le public.

Que pouvez-vous nous dire au sujet de votre style d'écriture?

Le juge Richard Wagner:

Je pourrais vous donner ma propre appréciation, mais comme le dit la phrase suivante que j'aime bien:

[Traduction]

Ne dites pas peu de choses en beaucoup de mots, mais beaucoup de choses en peu de mots.

[Français]

C'est, je pense, l'objectif que j'ai tenté d'atteindre au fil des ans. Dans certaines situations, les enjeux sont suffisamment complexes pour qu'on ne puisse pas facilement et rapidement, en quelques mots ou quelques phrases, émettre son opinion. Le rôle de la Cour suprême est d'être le gardien de la Charte et de la Constitution. Elle fait état des avenues et émet des opinions. Elle indique non seulement l'état du droit dans le cadre d'un dossier en particulier, mais également les grandes orientations pour l'avenir.

À mon avis, il est essentiel que les décisions soient rédigées dans un langage clair afin de permettre aux justiciables de comprendre pourquoi ils ou elles ont gagné ou perdu et l'impact de ces décisions sur l'avenir. Quoi qu'il en soit, tout repose sur les circonstances. On ne peut pas établir de règles générales. Pour ma part, j'ai toujours tenté de rédiger mes motifs de façon claire. C'est aux justiciables d'en décider.

(1645)

M. Pierre Jacob:

Quelles qualités originales croyez-vous pouvoir offrir à l'actuelle Cour suprême du Canada ou, en d'autres mots, des qualités dont elle ne dispose pas déjà?

Le juge Richard Wagner:

C'est toute une question que vous me posez là. Je vais y répondre avec humilité.

Les gens qui sont présentement juges à la Cour suprême sont de grands juristes. J'estime qu'ils sont extrêmement nobles d'esprit. Pour moi, pouvoir me joindre à eux serait un défi extraordinaire. Nous avons tous nos caractéristiques. Je n'ai pas la prétention d'offrir à cette cour des éléments qu'elle n'a pas déjà. Ne pas hésiter à travailler fort serait ma contribution personnelle. C'est ce que j'ai fait dans le passé, et je pense pouvoir maintenir cet engagement. En outre, j'apporterais avec moi mon bagage culturel et académique, mon expérience de vie et ma pratique du droit. Enfin, je travaillerais avec eux.

M. Pierre Jacob:

Est-ce qu'il me reste encore un peu de temps?

Le président:

[Traduction]

Oui, un peu. Poursuivez.

M. Pierre Jacob:

[Français]

Comment la rédaction de nombreux articles et commentaires ainsi que la participation à des séminaires et à des conférences vous préparent-elles à votre futur rôle de juge à la Cour suprême du Canada?

Le juge Richard Wagner:

Il existe maintenant au pays une réalité qui n'était pas la même il y a plusieurs années. La société évolue, de même que le rôle des juges dans la société. Or, il est important que ceux-ci, toujours en tenant compte de leur devoir de réserve, soient en mesure de participer à cette évolution, de décrire leur travail et de s'exprimer sur le système de justice. Ce rôle n'était peut-être pas très visible il y a 15 ou 20 ans, mais on constate de plus en plus que le juge, tout en maintenant son obligation de réserve, doit participer à l'évolution de la société. Il ne doit pas hésiter, lorsque l'occasion se présente, à apporter sa contribution en donnant des conférences ou en exprimant ses vues sur le système de justice, toujours en s'assurant de maintenir son impartialité et son indépendance.

Au fil des ans, j'ai été appelé à me prononcer sur de grands enjeux, toujours en maintenant, je crois, mon devoir de réserve. Je pense que cela fait partie du rôle de la magistrature. Il ne suffit pas simplement de jouer le rôle d'un sphinx. Il s'agit d'un rôle proactif qu'il faut toujours jouer en respectant les limites de sa juridiction.

M. Pierre Jacob:

Merci, honorable juge Wagner. Merci, monsieur le ministre.

Le président:

[Traduction]

Merci beaucoup.

Nous passons à Robert Goguen.

M. Robert Goguen (Moncton—Riverview—Dieppe, PCC):

[Français]

Tout d'abord, je veux vous féliciter et vous remercier de votre comparution. Cette séance va fournir aux citoyens canadiens un aperçu de vos connaissances juridiques approfondies.

On note votre très grande expérience dans le domaine des litiges, à la fois comme juriste et comme juge. Vous conviendrez qu'il est toujours beaucoup plus plaisant de poser des questions que d'y répondre. Ma question porte sur la Charte canadienne des droits et libertés.

Quel défi la Charte présente-t-elle quant à la relation entre le Parlement et les tribunaux, en particulier lorsqu'on doit considérer les droits des particuliers relativement à ceux de l'État?

Le juge Richard Wagner:

Encore une fois, c'est une question d'équilibre. Dans la vie, c'est aussi toujours une question d'équilibre. C'est encore plus vrai en matière judiciaire.

Selon moi, le rôle de la Cour suprême est d'être le gardien de la Charte canadienne des droits et libertés, le gardien de la Constitution.

À l'occasion, lorsqu'un litige lui est présenté, évidemment, la cour doit s'employer à évaluer l'interprétation de certains droits particuliers ou individuels par rapport à des droits collectifs. Cette interprétation ne répond pas à des normes coulées dans le béton. Il s'agit, en fait, d'un cheminement qui peut suivre l'évolution de la société. Il n'y a pas de priorité de droits les uns par rapport aux autres et je pense que, chaque fois, cela demande à tous les juges de procéder à une évaluation de la situation factuelle pour en venir à la conclusion d'accorder une priorité à certains droits, soit collectifs ou individuels, par rapport à d'autres droits. C'est un exercice qui n'est pas facile.

Si je pense aux décisions de la Cour suprême des dernières années, je suis assez fier du comportement des juges. Ils ont rendu de belles décisions fouillées, notamment sur la question des Premières Nations. Ce n'est pas un exercice facile.

C'est une question d'équilibre.

(1650)

M. Robert Goguen:

À votre avis, quelles ont été les plus importantes répercussions de la Charte depuis son existence?

Le juge Richard Wagner:

La Charte a changé la société que l'on connaît. Cela a demandé au pouvoir judiciaire des interprétations qui se sont traduites, le cas échéant, par des lois subséquentes.

Toutefois, je pense que l'impact de la Charte a été immédiat, dès son adoption au début des années 1980. Son impact ne cesse d'évoluer.

M. Robert Goguen:

Je vous remercie.

Le président:

Nous passons maintenant à M. Romeo Saganash.

M. Romeo Saganash (Abitibi—Baie-James—Nunavik—Eeyou, NPD):

[Le député s'exprime en langue crie.]

[Traduction]

Je vais traduire moi-même.

[Français]

Je vous remercie d'être ici et je vous félicite. Vous saluerez Juliette pour moi. J'ai rarement l'occasion de rencontrer une personne qui s'appelle Juliette.

Je ne suis pas diplômé de l'Université d'Ottawa, ni de l'Université McGill, mais de l'UQAM. Il faut quand même mettre l'Université du Québec à Montréal dans le décor, lors de cette discussion.

Monsieur le juge, je viens d'un monde où, à une certaine époque, le concept, tel qu'on le connaît aujourd'hui, de droits des Autochtones était presque méconnu au pays. Au début des années 1970, lors de la cause de la baie James, très peu de gens plaidaient les questions relatives aux droits des Autochtones devant les tribunaux. C'était très rare à cette époque. En ce sens, vous pouvez peut-être nous parler un peu de votre expérience avec les causes autochtones, si vous en avez.

Je souligne cet aspect, cette dimension — vous venez tout juste de le mentionner également —, parce que tout dernièrement, la Federation of Law Societies of Canada, ou en français, la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada, a adopté une recommandation afin que tous les nouveaux avocats au pays possèdent une connaissance des droits des Autochtones.

Estimez-vous que cette recommandation est raisonnable et utile pour l'avenir de notre système de justice envers les Autochtones au pays?

Le juge Richard Wagner:

Je vous remercie, monsieur. Je suis heureux que vous m'ayez posé cette question parce que vous avez raison. Pour ce qui est de la dernière partie de votre question, je pense que la connaissance n'est jamais mauvaise. Plus les Canadiens pourront obtenir de l'information sur les Premières Nations, le mieux ce sera. Le même principe s'applique dans le cas de n'importe quelle information. En d'autres mots, l'ignorance étant un vice qui donne lieu à bien des préjugés, réjouissons-nous si les gens ont accès à de l'information pertinente sur les Premières Nations.

Vous avez touché par ailleurs à un point capital. Pendant trop longtemps, selon moi, on a eu tendance à considérer qu'il y avait deux peuples fondateurs au Canada, soit les francophones et les anglophones. On a oublié les Premières Nations. Évidemment, cette réalité tend à disparaître dans le discours public. Les Premières Nations, les Autochtones, ont pris leur place, et je pense que c'est en grande partie grâce aux décisions de la Cour suprême. Je suis très fier de ces décisions qui reconnaissent la place que doivent occuper les Autochtones dans l'histoire du pays. Quant au reste, cela relève peut-être d'une question politique à laquelle je préférerais ne pas répondre.

(1655)

M. Romeo Saganash:

On va passer du droit des Autochtones au droit international.

Comme on le sait, le droit international influence de plus en plus le droit canadien, que ce soit en matière de droits de la personne ou dans d'autres domaines du droit.

Je suis d'accord avec vous pour ce qui est de votre approche « équilibriste », si je peux m'exprimer ainsi. Pendant 23 ans, j'ai participé à la négociation relative à la Déclaration sur les droits des peuples autochtones aux Nations Unies. Dans ce document de droit international, des dispositions protègent les droits des tiers. Dans cette déclaration, il y en a 17. C'est l'équilibre qu'on a essayé de trouver dans le cadre de ces négociations.

Avez-vous de l'expérience en matière de droit international?

Le juge Richard Wagner:

Le droit international se retrouve dans bien des domaines. Je me souviens que même à la faculté de droit, des collègues étudiants disaient vouloir faire du droit international.

Oui, mais le droit international, ça se matérialise d'une certaine façon. De façon pratique, ça se concrétisait dans nos dossiers, par exemple en arbitrage. Dans le cadre d'un arbitrage commercial, on peut avoir à appliquer des dispositions de lois étrangères. En matière de litige commercial, on peut avoir à choisir le contexte adéquat dans lequel intenter une procédure et ça peut également impliquer l'application d'une loi étrangère.

Je l'ai vécu en pratique dans le contexte du litige commercial. Par ailleurs, avec les années, on s'est aperçu qu'en raison de la mondialisation des relations commerciales, on était souvent appelés à traiter de l'application de lois étrangères. C'est du droit international. Ce n'est pas nécessairement du droit international public, par exemple dans le domaine des traités. Ceux-ci s'avèrent par contre une source d'influence. Il n'y a pas que le droit privé international. Il y a aussi le droit public international et ce dernier fait en sorte que les sociétés, partout dans le monde, ne vivent plus en vase clos. Elles peuvent être influencées par certaines dispositions de traités qui ne les concernent pas au premier chef.

Pour répondre à votre question, j'ai traité de droit international dans le cadre de mes dossiers en tant qu'avocat et, à l'occasion, à titre de juge. Par exemple, des traités en matière pénale amenaient les juges d'instance à appliquer les traités d'extradition. On applique alors un genre de disposition qui a des répercussions sur les pays étrangers. Ça se limite à cela.

M. Romeo Saganash:

Merci.

Le président:

[Traduction]

Merci.

C'est maintenant au tour de Scott Reid.

M. Scott Reid (Lanark—Frontenac—Lennox and Addington,PCC):

Bienvenue à notre comité, monsieur le juge.

Je veux poursuivre dans le sens de la question posée par mon collègue, M. Goguen.

Il y a 80 ans, dans la fameuse affaire Persons, Lord Sankey a laissé à la jurisprudence canadienne sa remarque incidente sans doute la plus connue en écrivant: « L'Acte de l'Amérique du Nord britannique a planté au Canada un arbre capable de grandir et de grossir dans ses limites naturelles ». Plusieurs ont considéré que cela signifiait que les tribunaux peuvent et doivent modifier le sens de certaines dispositions de la Constitution de telle sorte que, comme un tribunal l'a déjà fait valoir, elle tienne compte des réalités de la vie moderne.

Jusqu'à tout récemment, les tribunaux ont suivi une approche très différente. Par exemple, j'ai ici un extrait de la décision rendue en 1937 par un juge de l'Alberta Court of King′s Bench:

Je n'ai pas l'impression que l'on puisse considérer que l'une ou l'autre des remarques de Viscount Sankey puisse servir de justification légale aux tribunaux canadiens pour essayer de façonner la Constitution canadienne par voie judiciaire afin de la rendre conforme, à leur sens, aux exigences de la conjoncture socioéconomique actuelle.

J'aimerais savoir ce que vous en pensez.

(1700)

Le juge Richard Wagner:

C'est un sujet assez large. Vous me demandez une opinion personnelle d'ordre philosophique.

Il est fort possible — et je devrais dire probable, plutôt que possible — que la Cour suprême soit de nouveau appelée à interpréter la Constitution et j'aimerais bien, ceci dit très respectueusement, participer à un tel débat et au rendu d'une décision à ce sujet.

Cependant, je préférerais ne pas répondre à ce moment-ci.

M. Scott Reid:

D'accord.

J'avais une autre question, mais comme c'est un peu une variation sur le même thème, il est peut-être préférable, monsieur le ministre, que vous donniez la parole au prochain intervenant.

Le président:

Merci beaucoup.

[Français]

Monsieur Toone, avez-vous des questions?

M. Philip Toone (Gaspésie—Îles-de-la-Madeleine, NPD):

Monsieur le ministre, j'apprécie aussi la question de M. Reid, mais j'en parlerai une autre fois. Ce n'est sûrement pas la première fois que la question est soulevée.

Merci, messieurs les juges, d'être venus nous rencontrer aujourd'hui. C'est tout un honneur d'être en votre présence.

Je veux également bien faire la promotion de mon université. En effet, j'ai reçu une partie de ma formation juridique à l'Université d'Ottawa. Je félicite tous les juristes. L'Université d'Ottawa est quand même choyée parce qu'elle peut utiliser une ressource sans pareil, soit la Cour suprême. Les gens qui étudient à l'Université d'Ottawa sont très chanceux en ce sens. Ma formation à cette université m'a donné aussi une meilleure idée du bijuridisme du Canada.

Je me pose la question suivante. Dans des juridictions purement civilistes, comme la Cour de cassation en France ou en Belgique, les jugements ne tiennent souvent que sur une seule page, dans des cas extrêmes. Ce n'est pas le cas, surtout dans les juridictions de common law et dans la nôtre également. Dans un système bijuridique comme le nôtre, je pense que ce serait carrément impossible que cela ne tienne que sur une seule page.

Par contre, récemment, il y a eu une tendance, surtout sous le règne de la juge en chef McLachlin. On a essayé de réduire la longueur des jugements. On a vu souvent des jugements écrits par plusieurs juges. Le pourvoi serait accepté, mais on aurait plusieurs raisonnements. Tous les juristes auraient leur propre raisonnement pour donner une raison dans les arrêts de la cour. Comment voyezvous cela? Vous parliez de l'aspect collégial du travail à la Cour d'appel du Québec où il y a trois juges. Ici, on a neuf juges. C'est certain que c'est encore plus collégial. Pensez-vous que vous allez essayer d'écrire des jugements en collaboration avec les autres?

Comment voyez-vous cela?

Le juge Richard Wagner:

Aujourd'hui, ma vision est la même que celle que j'avais lorsque je siégeais à la Cour d'appel du Québec ou à la Cour supérieure du Québec. L'obligation du juge est d'expliquer les raisons pour lesquelles il arrive à une décision.

Comme je le disais plus tôt, certains dossiers sont plus complexes que d'autres. Habituellement, lorsque vous montez dans la hiérarchie judiciaire, vous avez des dossiers —notamment à la Cour suprême — beaucoup plus complexes sur le plan des impacts et des enjeux légaux.

Cependant, le principe demeure le même. Vous devez, dans vos motifs, faire comprendre aux justiciables, aux citoyens, aux avocats et aux parties intéressées les raisons pour lesquelles vous arrivez à cette conclusion. Il peut y avoir des nuances.

Vous dites que c'est peut-être plus compliqué à neuf juges qu'à trois. En revanche, il y a peut-être plus de ressources, plus de participation et une plus grande richesse d'idées quand il y a neuf juges. Je ne parle pas de qualité, je parle du nombre. Je pense que chaque cas doit donc être vécu séparément. Certains dossiers vont peut-être demander une rédaction de motifs plus courte alors que pour d'autres, on va se rendre compte que c'est impossible. Encore une fois, c'est une question de compromis et d'équilibre. Quand on garde l'objectif en tête, je pense qu'il y a moyen de faire du bon travail.

(1705)

M. Philip Toone:

Je vous remercie de votre réponse. Je suis d'accord avec vous.

La cour a la responsabilité de bien se faire comprendre. Cela revient à ce que vous soulevez. On veut que les gens aient confiance en notre système judiciaire. Cela fait partie de cela.

J'aimerais revenir sur la question de la formation. J'ai aussi une formation dans le domaine de l'informatique. J'apprécie beaucoup le fait que vous ayez développé un système informatique. D'ailleurs, j'ai utilisé votre système. Toutefois, je ne me souviens pas du nom au long, je ne l'ai pas mémorisé. Je pense que c'est le Centre d'accès à l'information juridique, la CAIJ.

Selon vous, quel rôle ces ressources informatiques peuvent-elles jouer? Leur rôle principal serait-il de rendre accessible l'état du droit au Canada? Comment voyez-vous les systèmes informatiques si les différentes cours fournissent des renseignements pour bâtir ces systèmes informatiques? On les consulte souvent pour savoir où on en est sur le plan du droit. Croyez-vous qu'on devrait accroître ces systèmes? Si oui, comment? Comment voyez-vous les systèmes informatiques relativement au droit au Canada?

Le juge Richard Wagner:

Si on parle d'enjeux majeurs dans le système judiciaire au Canada, l'enjeu majeur, selon moi, est l'accès à la justice. L'accès à la justice veut également dire l'accès à l'information juridique.

Un peu plus tôt, on parlait d'informations avec votre collègue. Plus on a d'informations, moins on devrait avoir de préjugés. C'est encore beaucoup plus vrai dans le domaine juridique. Je pense qu'on a passé une période où l'information était résumée ou limitée à des volumes, des textes ou des gens. Aujourd'hui, avec l'information continue et les techniques informatiques, il y a moins de raisons de ne pas s'assurer que l'information juridique est accessible à tout le monde.

Tout le monde doit faire sa part sur ce point, que ce soit les Barreaux, les gouvernements ou les médias d'information. De plus, les tribunaux, dans les limites de leurs compétences, devraient aussi prendre les moyens nécessaires pour s'assurer de la diffusion de l'information juridique et de leurs jugements.

Selon moi, le site de la Cour suprême est particulièrement bien fait. Néanmoins, cela ne veut pas dire qu'on ne devrait pas tenter de l'améliorer. Je suis d'accord avec vous. L'accès à l'information juridique est primordial pour assurer l'accès à la justice.

C'est un peu ce qu'on avait fait au début de l'an 2000 ou 2001. J'en suis très fier. À l'époque, c'était une profession de foi, car les intérêts des grands centres, soit ceux de Montréal et Québec, n'étaient pas nécessairement les mêmes que ceux des régions du Québec. On a réussi à avoir un objectif commun en créant une société distincte fondamentalement axée sur l'information juridique assurée de façon professionnelle par des professionnels. On a permis à chaque avocat de la province d'avoir sa bibliothèque sur son bureau. Or, c'est fondamental quand on parle d'accès à la justice. À mon avis, ces efforts doivent être poursuivis par toutes les personnes qui oeuvrent dans le système de justice.

M. Philip Toone:

Merci beaucoup.

Le président:

[Traduction]

Écoutons maintenant John Weston.

M. John Weston (West Vancouver—Sunshine Coast—Sea to Sky Country, PCC):

[Français]

Merci, monsieur le ministre.

Merci et bienvenue, monsieur le juge Wagner.

[Traduction]

Bienvenue, juge Wagner.

Vos dernières remarques au sujet de l'accessibilité tout comme votre présence en ces lieux, de même que la contribution de Maître Baudouin et du ministre, vont vraiment dans le sens d'une meilleure appréciation de notre système judiciaire et, j'ose l'espérer, d'un plus grand respect à son égard. Je vous en remercie.

[Français]

Monsieur le juge Wagner, j'ai remarqué, en passant, que lors de votre dernière élection, vous n'aviez obtenu que 91 %. Nous représentons une profession un peu compétitive, et vous nous voyez désolés du fait que vous n'ayez obtenu que 91 %.

[Traduction]

Peut-être la prochaine fois…

Vous nous avez dit différentes choses au sujet de l'accessibilité.

J'ai été particulièrement touché par votre récit de la rencontre à laquelle vous avez participé à New York après le 11 septembre.

Encore là, vous traitiez de l'accessibilité aux tribunaux, peut-être du point de vue financier et opérationnel. Vous nous avez également offert une recommandation fort éloquente: Ne dites pas peu de choses en beaucoup de mots, mais beaucoup de choses en peu de mots.

Bon nombre des décisions que vous allez avoir à rendre concerneront des faits particuliers. Elles toucheront toutefois l'ensemble du pays. En ma qualité d'avocat de la Colombie- Britannique, où les gens de la profession ont beaucoup travaillé pour en arriver à un langage clair et simple, j'aimerais savoir ce que vous pensez des moyens à prendre pour que les jugements de la Cour suprême soient exprimés d'une manière accessible à toute la population, afin que chaque citoyen puisse comprendre ce que la Cour suprême lui dit.

(1710)

Le juge Richard Wagner:

Merci pour la question, monsieur Weston.

Dans un souci d'accès à la justice, l'une des premières choses dont il faut s'assurer, c'est que les décisions, les motifs, soient non seulement bien exprimés, mais d'une manière suffisamment claire pour être compréhensibles de tous.

Comme je l'indiquais précédemment, il n'est parfois pas si facile de simplifier les choses. Certaines questions sont très complexes et justifient l'utilisation de phrases plus longues pour étayer la décision qui s'impose. Mais, en dernière analyse, si tous les juges s'en tiennent au même objectif, je crois que nous pouvons parvenir dans la plupart des cas à présenter des jugements où l'information et les motifs sont exprimés assez clairement pour être bien compris par la population, plutôt qu'uniquement par les avocats.

M. John Weston:

Je vous remercie.

Vous avez traité à plusieurs reprises de l'importance de l'indépendance du système judiciaire. Étant donné qu'indépendance peut aussi être synonyme d'isolement, comment pouvez-vous, dans votre rôle de juge d'appel et peut-être bientôt de juge à la Cour suprême du Canada, demeurer en connexion avec les Canadiens moyens?

Le juge Richard Wagner:

C'est une bonne question. Nous devons protéger l'indépendance et l'impartialité des tribunaux. Comme je l'indiquais précédemment, un juge se doit en 2012, tant dans les tribunaux de première instance qu'à la Cour d'appel ou même à la Cour suprême du Canada, de participer également à l'évolution de la société, non seulement au moyen des jugements qu'il rend — c'est son rôle principal — mais aussi en profitant des occasions qui se présentent à lui pour faire savoir aux gens ce qu'il fait et leur expliquer ce que cela signifie d'être juge. Cela s'inscrit dans l'aspect éducatif de son rôle, un élément qui contribue au maintien de la crédibilité du système judiciaire. Ce n'est peut-être qu'un élément, mais il est important.

En ce sens, je crois que s'il est vrai que l'indépendance et l'impartialité de la magistrature doivent être maintenues, cela ne devrait pas empêcher un juge de prononcer des allocutions sur les mérites de notre système. J'estime qu'il est possible de travailler à la fois pour protéger l'indépendance du système et pour en maintenir la crédibilité.

M. JohnWeston:

Voilà de bien nobles objectifs. Merci beaucoup.

Le président:

Merci beaucoup, monsieur Weston.

Nous avons terminé le premier tour de questions. Nous pouvons prendre une pause de cinq minutes, si vous le désirez, ou passer directement au second tour.

Seriez-vous prêt à ce que nous poursuivions, Votre Honneur!

Le juge Richard Wagner:

Oui, bien sûr.

Le président:

Chers collègues, nous allons passer au second tour de questions.

[Français]

Je vais maintenant céder la parole à mon collègue, M. Gourde.

M. Jacques Gourde:

Merci, monsieur le ministre.

Monsieur le juge, nous avons au Canada une tradition de bijuridisme, soit de celle de la common law et du droit civil.

Est-ce que l'une et l'autre peuvent influencer certaines décisions?

Est-ce que notre justice, à la Cour suprême du Canada, peut faire office de référence ou de jurisprudence, par exemple en matière de droit de la propriété ou de commerce international, compte tenu qu'elle repose sur deux piliers? Est-ce que ça peut constituer un avantage pour le système de justice canadien? Les Français, de leur côté, n'ont que le droit civil et la tradition britannique n'est fondée que sur la common law.

(1715)

Le juge RichardWagner:

C'est effectivement un grand avantage.

Dans bien des cas, ce sont les gens qui en bénéficient qui en sont le moins conscients. C'est un peu ce que j'ai essayé, non pas de corriger, mais de contribuer à mettre de côté. Mon objectif était d'informer les gens de la richesse de nos systèmes, qui sont essentiellement du droit civil et de la common law.

Compte tenu de l'évolution du commerce et des échanges internationaux, le fait que ces fondations de droit soient différentes est un réel avantage pour le Canada. La Cour suprême permet justement ce genre d'appréciation de la différence en termes de droit, ce qui n'est pas le cas dans d'autres nations. Je pense que chaque juge de la Cour suprême est très sensible à cette question. Vu la mondialisation des échanges, c'est une richesse. L'influence du droit civil sur la common law et de la common law sur le droit civil se vit maintenant au quotidien. La cour voit cela d'un bon oeil.

M. Jacques Gourde:

Merci.

Le président:

Merci beaucoup, monsieur Gourde.

Avez-vous des questions, madame Boivin?

Mme Françoise Boivin:

Vous avez de la chance. Nous disposons de trois heures et vous êtes le seul à comparaître, alors que l'année dernière, ils étaient deux pour la même période de temps. Nous avons donc l'occasion de vous connaître davantage, ce qui n'est pas mauvais.

Le juge Richard Wagner:

Je ne m'en plains pas.

Mme Françoise Boivin:

Vous avez mis le doigt sur ce qui est certainement l'un des enjeux les plus importants au Québec, soit l'importance de la primauté du droit et de l'accessibilité à la justice.

L'actuel bâtonnier du Québec en a beaucoup parlé avant son élection. Ce sont des concepts extrêmement importants, et pas seulement au Québec. Cela pourrait facilement s'appliquer au reste du Canada.

Vous avez parlé brièvement — et on a pu le lire encore une fois dans les journaux —du fait qu'à l'époque, à titre de président du Conseil de la magistrature, vous aviez écrit une lettre pour défendre l'indépendance de la magistrature. À mon avis, c'est un élément fondamental dans un système juridique qui se tient. J'aimerais que vous abordiez brièvement cette question.

Par ailleurs, j'aimerais savoir comment vous envisagez le rôle des avocats qui vont plaider devant vous à la Cour suprême. En général, on dispose de peu de temps pour vous convaincre. Votre idée est déjà faite, en bonne partie, et il faut être assez vite sur ses patins quand on essaie de vous faire changer d'idée. Êtes-vous capable de changer d'idée? Vous est-il déjà arrivé d'entendre quelqu'un à la Cour d'appel, de vous rendre compte que vous n'aviez pas pensé à un certain aspect et d'arriver ensuite à composer avec cela?

Le juge Richard Wagner:

Je vais tout de suite vous rassurer, madame Boivin. Je peux vous garantir que dans le cadre de la Cour d'appel, il est arrivé que nos premières impressions soient modifiées par l'audition des plaidoiries. Évidemment, on se prépare beaucoup à la Cour d'appel; on lit les mémoires. Il y a beaucoup de lecture à faire. On se fait une idée, mais on garde toujours l'esprit ouvert. Les collègues se le disent continuellement, et il y a une raison à cela. Il arrive qu'on n'ait pas perçu correctement l'angle du dossier, mais que la plaidoirie, de même que les réflexions entre les collègues, font qu'on en vient à prendre la bonne décision.

Il est vraiment fascinant de voir à quel point les collègues arrivent avec un esprit ouvert. Je n'ai aucune raison de croire qu'il en va différemment pour les collègues de la Cour suprême, même si je ne les ai pas fréquentés. Bien sûr, nous étudions les dossiers et nous pouvons nous faire une première idée des enjeux ainsi que de la façon dont les choses peuvent évoluer, mais nous restons toujours ouverts à la possibilité que nos premières impressions ne soient pas les bonnes.

Mme Françoise Boivin:

Vous n'aurez évidemment pas besoin d'interprète pour comprendre les plaideurs à la Cour suprême, n'estce pas?

Le juge Richard Wagner:

Je ne pense pas, ça me surprendrait.

Mme Françoise Boivin:

J'aimerais aborder la question de l'indépendance de la magistrature et de votre lettre à La Presse.

Le juge Richard Wagner:

Comme je le disais plus tôt, je suis un grand défenseur de l'indépendance des juges et de l'impartialité. Cela garantit notre démocratie et notre liberté. Au Québec et au Canada, on tient ça pour acquis, car ça va bien chez nous.

Malheureusement, trop souvent, selon moi, certaines personnes devraient y penser un peu plus. Cela se traduit souvent dans de petits gestes qui peuvent s'accumuler et qui font en sorte que, à un moment donné, on n'a plus cette espèce de consensus qui est essentielle pour assurer que la règle de droit continue à s'appliquer et que les gens ne règlent pas leurs litiges au coin de la rue à coups de poing.

(1720)

Mme Françoise Boivin:

Néanmoins, il est quand même rare qu'un juge prenne la plume et écrive aux médias. Il faut faire attention, il faut être prudent. C'est rare. Je n'ai pas vu souvent un juge prendre la peine d'écrire aux médias.

Le juge Richard Wagner:

C'est peut-être parce qu'il y a eu des circonstances particulières qui n'existaient pas auparavant. En effet, on avait attaqué gratuitement et inutilement la réputation d'un très bon juge de la Cour supérieure. Cela a amené la Conférence des juges des cours supérieures du Québec à réagir, ce qui n'était pas son habitude, j'en conviens. Ce n'était pas une lettre adressée aux médias en particulier. C'était une lettre où on faisait référence à un incident impliquant les médias. Ma lettre visait à rappeler l'importance pour tout le monde d'assurer le respect du système de justice et l'appui à ce dernier.

J'écrivais également que le système de justice n'était pas à l'abri de la critique légitime. Il est important que les justiciables et les médias d'information puissent critiquer le système de justice, car la liberté d'expression est un droit fondamental. C'est encore une question d'équilibre, on revient toujours à cela. Dans ce cas particulier, il y avait eu un manque d'équilibre. Je mettais simplement en garde les gens du danger de ne pas garder en tête cet équilibre.

Mme Françoise Boivin:

Merci.

Le président:

[Traduction]

Merci beaucoup.

Greg Rickford.

M. Greg Rickford:

[Français]

Monsieur le juge Wagner, à titre de juge de la Cour d'appel du Québec, quand vous trouviez une erreur de droit commise par une cour de première instance, quel principe utilisiezvous pour déterminer si une cause devait être réentendue dans le cadre d'un nouveau processus ou devait simplement être renversée? C'est une question technique.

Le juge RichardWagner:

Essentiellement, le test en cour d'appel est, normalement, de déterminer ou d'identifier si le premier juge a commis une erreur déterminante sur le plan de l'application de la règle de droit.

On doit quand même considérer plusieurs facteurs, et pas simplement cette erreur. Est-elle déterminante? Même si elle l'est, quelles en sont les conséquences?

Ce n'est pas un examen unique et limité. Ce n'est pas nécessairement le même pour tous les domaines du droit. En effet, on parle de droit familial, de droit commercial, de droit criminel, etc.

En matière de droit criminel, normalement, pour les procès avec juge et jury, on va établir s'il y a eu une erreur lors de l'énoncé des directives. Si c'est le cas, peut-on quand même appliquer la mesure réparatrice? Est-on obligé d'ordonner un nouveau procès?

Bref, il y a plusieurs étapes qui peuvent suivre la réalisation ou la détermination d'une erreur. Ce n'est pas parce qu'il y a une erreur en matière criminelle, entre autres, qu'il y a automatiquement un nouveau procès. Il y a d'autres critères.

En matière civile, pour d'autres considérations, c'est la même chose. Bien sûr, on va rechercher l'erreur, mais une cour d'appel doit avoir beaucoup de déférence envers la première instance. Il faut faire preuve de déférence lors de l'évaluation de la crédibilité des témoins.

Le juge de première instance est celui ou celle qui va entendre les témoins de première instance et en apprécier la crédibilité. Le juge d'appel, que ce soit à la Cour d'appel du Québec ou à la Cour suprême du Canada, n'a pas la même position privilégiée pour en apprécier la crédibilité.

En matière criminelle, c'est la même chose. L'imposition de la sentence et de la peine demandent beaucoup de déférence envers le juge. Ce n'est que s'il s'écarte clairement du créneau habituel pour une peine que la Cour d'appel du Québec va intervenir.

Vous avez raison. On va identifier l'erreur, mais cela est sujet à d'autres modalités avant que l'on intervienne.

(1725)

M. Greg Rickford:

[Traduction]

Merci.

Le président:

Le prochain intervenant est Stéphane Dion.

L'hon. Stéphane Dion:

[Français]

Merci, monsieur le ministre.

Monsieur le juge, vous vous êtes montré très soucieux tout au long de ce dialogue avec nous de ne pas franchir une ligne qui serait d'annoncer à l'avance des opinions personnelles pouvant donner une couleur à des jugements que vous auriez à rendre. Monsieur le juge Baudouin nous a très clairement mis en garde contre cette limite qui, aux États-Unis, semble être transgressée trop souvent, et on ne veut vraiment pas le faire.

Pendant nos cinq prochaines minutes, j'aimerais que vous puissiez clarifier pour nous le rôle du juge en dehors de ses jugements. Vous avez dit à l'un de mes collègues que le juge doit intervenir dans l'évolution de la société. Toutefois, peut-il le faire sans mettre en cause son rôle par rapport au moment où il rend ses jugements? Je vous donne un exemple très concret. À votre avis, appartient-il à un juge de la Cour suprême de poser une question sur le débat que nous avons ici au Parlement quant au bilinguisme que devrait avoir un juge de la Cour suprême du Canada? Est-ce que c'est un sujet sur lequel vous devriez émettre une opinion ou, au contraire, un sujet sur lequel vous devriez vous taire et nous laisser faire ce débat?

Le juge Richard Wagner:

Vous posez la question au sujet d'un candidat à la Cour suprême. Je vous parle moi-même comme candidat. Je ne voudrais critiquer ni directement, ni indirectement des collègues futurs de la cour. Je pense que le juge doit bien faire attention de ne jamais franchir la ligne relative à des enjeux à caractère politique. On ne voudrait pas non plus que le politique franchisse la ligne et vienne s'immiscer dans le judiciaire. C'est bon pour l'un, c'est bon pour l'autre. C'est évidemment le principe de la séparation des pouvoirs.

Je conviens avec vous que la ligne n'est peut-être pas toujours claire. Certains commentaires d'ordre judiciaire peuvent avoir des allures politiques, tout comme certains commentaires politiques peuvent avoir des allures judiciaires. Si les gens sont de bonne foi, comme on le présume toujours, normalement, il ne devrait pas y avoir trop de problèmes. Quand je souligne que le juge n'est plus le juge-sphinx qu'il était il y a une certaine époque, cela ne veut pas dire qu'on doit commencer à participer à des talk-shows chaque semaine ou donner des entrevues à tous les magazines et commenter l'actualité publique. Cela veut simplement dire que dans son rôle de juge, en gardant son obligation de réserve pour maintenir sa crédibilité pour qu'on ne lui reproche pas de s'immiscer dans le débat public, il doit quand même participer à l'effort pédagogique d'information auprès du public dans le cadre sa compétence.

J'ai eu l'occasion comme juge d'être invité à des salons d'information organisés, par exemple, par le Barreau de Montréal.

Chaque année, des séances d'informations organisées par le Barreau sont données aux justiciables pendant une semaine au Complexe Desjardins. Le Barreau invite les juges de la Cour supérieure, de la Cour d'appel et de la Cour du Québec à venir rencontrer les citoyens.

Parfois, c'est pour expliquer comment on préside un procès ou expliquer le rôle du juge. Je pense que ce rôle est fondamental et utile. On ne voyait pas ce rôle auparavant. Je pense que c'est utile.

C'est simplement dans ce sens-là, pas plus, mais pas moins.

L'hon. Stéphane Dion:

Tout le monde a fait part de son bagage juridique. Moi, je ne suis pas juriste. Cependant, comme vous, j'ai fait des études en sciences sociales. Puis-je vous demander en quoi votre bagage en sciences sociales vous a servi dans votre profession de juriste et de juge et comment vous servira-t-il à l'avenir dans votre poste de juge à la Cour suprême?

Le juge Richard Wagner:

Je vais vous dire qu'il m'a été très utile. J'ai fait mon cours à l'Université d'Ottawa dans un environnement exceptionnel. J'ai eu d'excellents professeurs et j'en garde de très bons souvenirs, tant en sciences sociales et en sciences politiques qu'en droit.

Ce que j'en tire, évidemment, c'est une connaissance. J'ai toujours prétendu que plus on a de connaissances, mieux on est équipés pour l'avenir. Ce sont surtout des connaissances au chapitre du droit comparé. Les études en sciences sociales et en sciences politiques m'ont permis d'apprendre l'essentiel des systèmes politiques et juridiques étrangers de façon à pouvoir les comparer avec les nôtres.

En droit comparé, on avait des cours sur les systèmes juridiques.

Pour répondre à votre question, c'est en comparant les systèmes que cela m'a été très utile dans ma pratique comme avocat et également comme juge d'instance et juge d'appel. Je pense que cela a été un actif très important.

(1730)

Le président:

[Traduction]

Merci.

Kerry-Lynne Findlay, vous avez des questions?

Mme Kerry-Lynne D. Findlay:

[Français]

Merci, monsieur le président.

Certains diraient qu'il est impossible de vraiment se préparer à une carrière dans la magistrature, contrairement à certains pays de droit civil, comme la France, où il est possible d'étudier à l'École nationale de la magistrature.

Même si nous avons tous eu le plaisir de passer en revue vos antécédents, pouvez-vous nous dire qui étaient vos mentors ou modèles? Certains juges ou juristes ont-ils influencé votre parcours?

Le juge Richard Wagner:

J'aurais tendance à vous dire que mon père a été celui qui a exercé sur moi la plus grande influence, et ce, pour plusieurs raisons. Ce n'est pas tant pour ses activités politiques ou juridiques, quoiqu'il ait été un excellent juge et l'un des meilleurs avocats plaideurs de son époque, que pour ses qualités morales, son sens de la justice et sa noblesse d'esprit. J'essaie d'appliquer ces qualités, à mon niveau, depuis que je pratique le droit. J'ai aussi essayé de les appliquer à partir du moment où j'ai assumé les fonctions de juge. Je pense que la générosité, l'écoute et la noblesse sont essentielles à la fonction de juge.

Cela dit, il est certain que, dans le cadre de ma pratique, j'ai pu profiter de conseils extraordinaires provenant de mes mentors. J'ai nommé plus tôt Paul Carrière et Jacques Chamberland, qui m'a accompagné et que j'ai d'ailleurs retrouvé à la Cour d'appel il y a un an et demi. Il m'a toujours donné de précieux conseils. Ce sont de grands juristes.

Je ne voudrais pas susciter de jalousie. Je vais donc être prudent.

Par contre, je peux vous dire que j'ai toujours bien apprécié les motifs et le style de rédaction du juge Gonthier. C'était un très grand juriste. Il avait l'art de traduire sa pensée en termes clairs, que les avocats et la population saisissaient bien. Il fait sûrement partie de ceux qui m'ont inspiré au fil des ans.

Mme Kerry-Lynne D. Findlay:

[Traduction]

Merci.

Le président:

Pierre Jacob.

M. Pierre Jacob:

[Français]

Merci, monsieur le ministre.

Tout le monde a résumé son CV, mais je ne l'ai pas fait. Je vais donc préciser que, comme Me Saganash, j'ai étudié en droit à l'UQAM. J'ai d'abord étudié en criminologie. J'ai également étudié à l'ENAP. Par conséquent, je comprends très bien l'importance de l'aspect multidisciplinaire dans le cadre de la pratique du droit et dans la vie de tous les jours.

Dans l'une de vos conférences, vous avez parlé de l'importance de l'indépendance du juge. Or, lors de l'une de vos conférences, vous sembliez sensible aux garanties d'indépendance et de liberté relatives à l'avocat.

Comment la sensibilité à ces principes fondamentaux va-t-elle vous aider dans l'exercice de vos futures fonctions de juge?

Le juge Richard Wagner:

Il ne faut essentiellement jamais oublier les fondements de notre société, de notre démocratie.

L'indépendance judiciaire est l'un de ces éléments, mais l'indépendance de l'avocat et son bon fonctionnement en sont un également.

On a remarqué, dans des sociétés qui s'éloignaient de la nôtre, que lorsque des systèmes de tyrannie s'installaient, les avocats et les juges étaient habituellement les premiers à écoper. Il y a des raisons à cela. On veut éviter que les gens puissent être représentés et faire valoir leurs droits, que ce soit par l'entremise d'avocats ou de juges.

D'où l'importance d'assurer l'indépendance des juges, mais également de voir à ce qu'il y ait dans les sociétés démocratiques un Barreau solide. C'est en effet un gage de liberté.

(1735)

M. Pierre Jacob:

En vous fondant sur la perception de l'avocat qui plaide à la Cour suprême du Canada, pourriez-vous nous dire comment vous percevez le côté humain de la profession de juge à la Cour suprême?

Le juge RichardWagner:

Je ne crois pas qu'on perde ses qualités humaines parce qu'on devient juge. Je pense plutôt qu'on les utilise à bon escient. Lorsque les avocats se présentent devant la cour, qu'il s'agisse d'une cour de première instance, de la Cour d'appel ou de la Cour suprême, ils doivent être bien préparés. C'est aussi vrai en première instance qu'à la Cour suprême. Dans certains cas, les enjeux sont plus sérieux à la Cour suprême, mais ça ne change rien au fait que les avocats doivent se préparer. C'est un devoir qu'ils ont face à eux-mêmes, mais surtout à l'égard de leurs clients. C'est aussi une obligation de respect envers la cour. Si j'avais un conseil à leur donner, ce serait de toujours s'assurer d'être bien préparé.

M. Pierre Jacob:

Ma troisième question est la suivante. Vous avez rendu des jugements dans des causes très médiatisées, dont l'affaire Vincent Lacroix et celle de l'ex-juge Jacques Delisle.

Comment votre expérience pour gérer ce type d'affaires, ce type de stress auprès des médias et auprès de tous les acteurs de la chose juridique, va-t-elle vous aider dans votre futur rôle?

Le juge RichardWagner:

Je pense que Me Baudouin l'a souligné lors de sa présentation d'ouverture, à savoir qu'un juge n'est pas là pour être populaire. Le fait qu'il soit indépendant est ce qui fait la différence. Quand on garde sa mission en tête, on est capable de prendre des décisions dans des dossiers médiatisés. Il faut que nous nous souvenions que notre mission est de nous assurer que la règle de droit est appliquée et non pas d'être populaire ou impopulaire.

Bien sûr, lorsqu'un juge est impliqué dans des dossiers médiatisés, il peut y avoir une pression additionnelle, mais je pense que l'objectif est le même, que ce soit dans un dossier médiatisé ou non. C'est toujours ainsi que j'ai abordé mes dossiers.

Le président:

[Traduction]

Merci beaucoup.

C'est au tour de Robert Goguen.

M. Robert Goguen:

[Français]

Monsieur le juge, dans le cadre de votre pratique, vous avez représenté un bon nombre d'individus, d'organismes et d'entreprises. Vous les avez conseillés et vous avez fait valoir leurs intérêts. De quelle façon, selon vous, le droit contribue-t-il à la stabilité et à la croissance économique? La prévisibilité me vient à l'esprit.

Le juge Richard Wagner:

C'est important relativement à la stabilité économique. Mon expérience en litige commercial, entre autres, m'a amené à apprécier le souci des justiciables de savoir à quoi s'en tenir pour l'avenir, qu'il s'agisse d'individus ou de compagnies. Il y a toutes sortes de dimensions et de conséquences qui s'ensuivent.

La première découle évidemment des jugements rendus. Les jugements permettent, jusqu'à un certain point, une certaine stabilité. Ils permettent aux gens impliqués de connaître les attentes légitimes dans le domaine économique. Je pense qu'avoir des décisions qui permettent une stabilité a un très grand rôle à jouer. Il peut cependant s'agir d'une évolution. Il faut donc que les décisions soient suffisamment claires pour permettre aux justiciables de savoir à quoi s'en tenir pour l'avenir, qu'ils soient dans le commerce ou qu'ils soient des individus.

M. Robert Goguen:

Merci.

Le président:

[Traduction]

Merci beaucoup.

Passons à Romeo Saganash.

M. Romeo Saganash:

[Français]

Merci, monsieur le ministre.

Je vais continuer dans la même veine que mes deux questions précédentes.

J'ai trouvé intéressante la réponse à ma première question par rapport aux peuples fondateurs et je vous en remercie.

J'aimerais parler de deux jugements de la Cour suprême du Canada, ceux d'Ipeelee et de Gladue. Il s'agissait de la détermination d'une sentence dans les deux causes. Je peux même lire un extrait du jugement rédigé par l'honorable juge LeBel, qui se lit comme suit:

[Traduction]

Les tribunaux doivent prendre connaissance d'office de questions telles que l'histoire de la colonisation, des déplacements de populations et des pensionnats et la façon dont ces événements se traduisent encore aujourd'hui chez les peuples autochtones par un faible niveau de scolarisation, des revenus peu élevés, un taux de chômage important, des abus graves d'alcool ou d'autres drogues, un taux élevé de suicide et, bien entendu, un taux élevé d'incarcération.

En faisant abstraction des questions liées à la détermination de la peine, comment pensez-vous que « justice » peut effectivement être rendue par les tribunaux canadiens?

(1740)

Le juge Richard Wagner:

Vous avez parlé d'une cause, l'arrêt Gladue, mais il y en a bien d'autres dont la Cour suprême a été saisie.

Comme je l'ai déjà souligné, je suis très heureux de la façon dont la Cour suprême a rendu ses décisions concernant les Premières nations. Je pense que la loi a été bien appliquée. Il est possible que pour certains l'application de la loi soit assimilable à la création de la loi. Je ne suis pas de cet avis, car j'estime que c'est à vous qu'il incombe, en votre qualité de députés, de créer les lois. Ce n'est pas le rôle des juges. Je suis toutefois persuadé qu'ils sont tout à fait aptes à appliquer les lois. C'est ce qu'ils ont fait dans le passé, j'ai la conviction qu'ils vont poursuivre dans le même sens et j'aimerais contribuer à cet effort.

M. Romeo Saganash:

[Français]

Merci, monsieur le ministre.

Le président:

[Traduction]

Merci beaucoup.

Scott Reid, avez-vous des questions?

M. Scott Reid:

Je cherche à trouver une façon de vous poser le même genre de questions générales de sorte que vous soyez à l'aise de répondre. Je me lance. De toute évidence, je ne cherche pas à obtenir de réponse à quelque question que ce soit que vous ayez à trancher.

Il y a environ 30 ans, avant la Charte, en réalité, alors que le juge en chef Dickson disposait d'une question liée à la répartition des compétences, il a déclaré:

Si la Constitution canadienne doit être considérée comme un « arbre » et que la compétence législative est « essentiellement dynamique », alors la détermination des catégories…

… je crois qu'il voulait dire « rubriques de compétences »…

… qui existaient en 1867 ne présente en somme qu'un intérêt historique.

Autrement dit, il envisageait la possibilité, pour en venir à une fédération plus efficace, que les tribunaux puissent ajuster la compétence législative des législatures fédérale et provinciales. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.

Le juge Richard Wagner:

Vous évoquez une école de pensée, une opinion, une façon de voir les choses. Je le répète: étant donné que je souhaite participer aux débats dont la cour sera saisie, je préfère ne pas me prononcer.

M. Scott Reid:

Je vais essayer d'aborder un autre sujet que j'estime très important.

La Loi sur la Cour suprême exige que la demande d'autorisation d'appel d'une affaire jugée par un tribunal inférieur soit accueillie si l'affaire est importante pour le public. La loi n'explique pas ce qu'on entend par l'importance d'une affaire pour le public.

Étant donné qu'à l'instar de tous les juges de la Cour suprême, vous devrez participer à de telles décisions, quels genres de critères appliqueriez-vous au moment de déterminer les demandes d'autorisation d'appel à accueillir?

Le juge Richard Wagner:

Je crains fort de devoir vous donner la même réponse. J'aimerais vous en dire plus, mais c'est impossible, car je participerai éventuellement à de telles décisions. Par respect pour mes futurs collègues, je trouve préférable de ne pas m'exprimer là-dessus en ce moment.

M. Scott Reid:

D'accord. Merci.

Le président:

Merci, monsieur Reid. C'était un bel effort.

[Français]

Monsieur Toone, avez-vous des questions?

M. Philip Toone:

Oui, monsieur le ministre, merci.

Je ne vais pas poser de questions sur l'arbre qu'est notre Constitution. On va peut-être aller ailleurs.

J'ai bien aimé vous entendre dire que le leadership, ça se mérite, ça ne s'impose pas. Je veux revenir sur mon thème. Je veux voir des jugements qui renseignent, qui aident à donner confiance dans le système juridique. Ce serait particulièrement intéressant pour les jeunes avocats, du moins les jeunes juristes, afin qu'ils comprennent bien cette question. Finalement, ils seront nos porte-parole du système juridique, et je veux qu'ils soient bien instruits. Je me demandais comment vous voyiez le rôle de la cour à cet égard.

Je vais commencer par vous poser une question personnelle.

Comme vous l'avez dit, beaucoup de jeunes juristes entrent aujourd'hui dans le système juridique, ou du moins à l'université, en voulant travailler dans le domaine du droit international. On le voit souvent. À la minute où ils entrent dans un cours de droit international privé, ils se rendent compte que ce n'est peut-être pas aussi romantique qu'ils le pensaient.

Dans quelle mesure estimez-vous que les jugements et les délibérations de la cour jouent un rôle pour attirer des gens dans le domaine juridique? Croyez-vous que la cour a un rôle à jouer pour attirer des jeunes dans le domaine? Comment la cour pourrait-elle former les jeunes?

(1745)

Le juge Richard Wagner:

Cela fait partie du rôle essentiel d'une cour que de rendre de bons jugements et de les faire connaître. Dans la mesure où les enjeux qui se rendent jusqu'à la Cour suprême sont évidemment d'importance nationale, ça devrait normalement susciter l'intérêt des jeunes étudiants ou des jeunes avocats. Si les décisions sont claires et donnent des avenues d'importance quant à l'avenir des Canadiens et des Canadiennes, je ne vois pas pourquoi les étudiants ne seraient pas intéressés à poursuivre leurs études en droit et ou à pratiquer ultérieurement dans ce domaine.

Je ne sais pas si c'est sous cet angle que vous vouliez aborder la question.

M. Philip Toone:

Dans les jugements rendus par la cour, je reviens à cette idée qu'on verra souvent des jugements partagés. Il y a donc peut-être un jugement rendu par un juge au nom de plusieurs autres. Par ailleurs, on va voir d'autres jugements qui seront plutôt partagés et qui causeront beaucoup plus de controverse.

Trouvez-vous qu'il y aurait une distinction à faire pour ceux qui étudient cette question? C'est certain qu'il est plus intéressant d'avoir un jugement qui a été écrit par plusieurs juges. Par contre, est-ce que cela aurait un rôle qui serait éclairant ou plutôt opaque — si vous voulez — sur le plan juridique? À votre avis, pour un étudiant, qu'est-ce qui serait plus intéressant? Serait-il préférable d'avoir un jugement ayant un consensus global de tous les juges ou plusieurs jugements de plusieurs juges?

Le juge Richard Wagner:

Je vous dirais qu'il faudrait le demander à l'étudiant. Personnellement, je crois qu'il y a des enjeux qui ne permettent pas d'avoir des décisions unanimes. Vous faites référence à des décisions majoritaires dans lesquelles on retrouverait des opinions divergentes. Vous me demandez s'il ne serait pas préférable d'avoir une opinion majoritaire sans divergence d'opinions.

Je vous dirais deux choses. Dans un premier temps, le fait d'avoir des divergences au sein d'une majorité est quand même une riche source d'informations. Dans un deuxième temps, il n'y a peutêtre pas d'autres moyens d'arriver à la majorité avec ces divergences.

Si on garde quand même en tête, indépendamment de l'exemple que vous me donnez, la volonté des juges — et je pense qu'ils l'ont—de rendre des décisions qui sont connues et compréhensibles, je pense qu'il ne devrait pas y avoir de problème.

Le président:

[Traduction]

Merci beaucoup.

John Weston.

M. John Weston:

Monsieur le juge Wagner, je crois que j'ai l'honneur d'être le dernier à vous interroger. J'estime que vous et le processus contribuez beaucoup à faire honneur à notre système judiciaire et à l'expliquer. Je vous félicite et je vous remercie.

Les Canadiens qui suivent ce processus et qui nous regardent aujourd'hui seront nombreux à exprimer de la frustration concernant les délais et le manque d'efficacité de notre système. Vous en avez parlé brièvement dans votre exposé, quand vous avez parlé des délais inhérents au processus judiciaire lors de la réunion à laquelle vous avez participé à New York.

Le projet de la C.-B. portant sur l'efficacité en matière de justice a récemment donné lieu à un rapport final dans lequel sont exprimées des préoccupations au sujet de l'inefficacité et des délais dans les procédures criminelles. D'autres provinces ont exprimé les mêmes préoccupations.

La juge en chef Beverley McLaughlin a publiquement exprimé ses préoccupations quand elle a dit: « à mesure que s'accroissent les délais, la possibilité que justice soit rendue d'une manière rapide et prévisible s'évanouit ». Je suis membre des barreaux de New York, de l'Angleterre et du Pays de Galles, et de la Colombie-Britannique.

Selon l'information que je reçois, c'est un problème dans l'ensemble des systèmes juridiques du monde occidental.

J'aimerais que vous résumiez vos propres préoccupations concernant le manque d'efficacité et les délais de notre système judiciaire.

(1750)

Le juge Richard Wagner:

Dans mon esprit, le tout premier enjeu de notre système judiciaire est l'accès à la justice. Je ne crois pas qu'un seul organisme ou une seule personne puissent trouver la solution. Je pense qu'il faut de la communication et les efforts conjugués de bien des particuliers et organismes.

Rappelez-vous 20 ans passés, ou peut-être 15 ans passés: dans certaines affaires, surtout en matière de droit de la famille, il arrivait que des gens se représentent eux-mêmes. De nos jours, en première instance et en appel, de plus en plus de gens se représentent euxmêmes.

On ne voyait pas beaucoup cela il y a 20 ans. Cela s'accompagne de toutes sortes de problèmes.

L'accès à la justice, c'est aussi l'aide juridique. Les gens sont trop riches pour profiter de l'aide juridique, mais trop pauvres pour se payer un avocat. C'est la même chose partout: les retards et les problèmes de toutes sortes.

Un seul organisme ne peut résoudre tous ces problèmes. Je pense que les gens devraient se parler. C'est très sérieux. Il y a des solutions, mais il faut les réaliser collectivement et avec tout le monde. Je crois qu'il y a de l'espoir, car je suis convaincu que des gens se préoccupent de cela et constate toute l'importance du problème.

M. John Weston:

Merci.

Merci, monsieur le ministre.

Le président:

Chers collègues, c'étaient les dernières questions. Maître Baudouin, avez-vous quelque chose à dire pour terminer?

Me Jean-Louis Baudouin:

[Français]

Je ne voudrais pas prolonger cette séance inutilement. Je n'ai pas grand-chose à ajouter.

Avec votre permission, j'aimerais cependant vous remercier, collègues parlementaires, de ce dialogue et cet échange avec le juge Wagner, et cela pour une raison en particulier. Vous avez donné au public qui nous regarde l'occasion de désormais comprendre davantage le processus de nomination. Pour le commun des mortels, celui-ci apparaît quelquefois comme une chose assez mystérieuse.

Démystifier est une excellente chose.

Par ailleurs, grâce à l'échange qu'on a eu avec le juge Wagner, on a pu comprendre un peu mieux l'importance du rôle de la Cour suprême du Canada, l'importance de la nomination des juges qui font partie de la Cour suprême du Canada, l'ampleur de la tâche qui les attend, malheureusement, mais aussi, de voir la transparence de ce processus.

Le président:

[Traduction]

Merci, maître Baudouin. Voilà qui est bien dit. Comme bon nombre d'entre vous l'avez fait, je ne peux laisser passer l'occasion de remercier mon université, l'Université de Windsor, pour l'excellente formation en droit que j'y ai acquise il y a bien des années.

Chers collègues, cet exercice s'est avéré fort utile. Merci. Plusieurs d'entre vous ont longtemps travaillé à cela. Je sais que vous avez consacré les derniers mois à examiner les dossiers et à interroger des gens. J'espère que vous n'avez pas trouvé le processus trop long, mais je pense qu'il nous a été profitable. Je vous remercie, et je remercie toutes les personnes présentes de leurs questions. Cet exercice a été fort valable.

Mes remerciements aussi à tous ceux qui nous ont soutenus aujourd'hui. Je remercie les interprètes et toutes les autres personnes qui ont rendu cela possible. Merci beaucoup à notre greffière.

Je vous remercie en particulier, juge Wagner. Je crois que cet exercice a beaucoup contribué à améliorer la transparence et a permis aux Canadiens de savoir qui occupe les postes de l'importance de ceux des juges de la Cour suprême. Je pense pouvoir dire au nom de tous que votre témoignage nous a inspiré fierté à tous, et je vous en remercie. Nous vous souhaitons tout le succès possible pour l'avenir.