Opinion des minorités sur la Loi Antiterroriste
2. Points saillants du rapport (suite)
2.2 Conclusions (suite)
2.2.3 Analyse détaillée
2.2.3.1 Définition des activités terroristes
Les participants ignoraient l'existence d'une définition des activités terroristes; néanmoins, la plupart d'entre eux ont approuvé la disposition en principe et pour certains, elle comblait une lacune même s'ils étaient nombreux à ne pas bien en connaître les détails et à soulever certaines préoccupations.
Les personnes qui ont approuvé la disposition étaient d'avis qu'il s'agissait d'un « bon point de départ »
, d'un « pas dans la bonne voie »
. Certains participants ont dit être rassurés qu'on ne les prenne pas pour des terroristes du seul fait qu'ils étaient musulmans. Par contre, pour certains, la définition était trop large et trop vague, et pourrait causer du tort à des personnes innocentes de trois façons : 1) à cause de son ambiguïté et des nombreuses conditions imposées, elle était sujette à interprétation, permettait des échappatoires et des abus et rendait la preuve d'intention ou de motivation difficile; 2) il était difficile de distinguer les formes de protestation létigime et les actes de terrorisme; 3) plusieurs participants du groupe 1 se préoccupaient du fait que les minorités ethniques pouvaient être ciblées, compte tenu des événements aux États-Unis depuis le 11 septembre.
Trois questions importantes ont déconcerté les participants. Premièrement, les participants ne savaient pas s'il fallait respecter les 3 critères. Deuxièmement, à cause de cette incertitude, les participants ont eu du mal à comprendre la définition et se sont demandés si, par exemple, les amateurs de sport qui causent une émeute, l' « uni-bomber », le médecin contre l'avortement (motivé par ses propres objectifs), Ernst Zundel, les crimes motivés par la haine, le génocide ruandais, voire l'invasion de l'Iraq constitueraient des actes de terrorisme. En règle générale, les participants ont défini le terrorisme comme étant des
« actes de violence perpétrés contre des personnes innocentes »
. Troisièmement, certains avaient de la difficulté à comprendre comment une loi canadienne pouvait s'appliquer à des menaces provenant de l'extérieur du Canada, dans d'autres pays.
Malgré ces préoccupations, les participants ont dit que la définition des activités terroristes pouvait s'avérer un moyen utile d'identifier les terroristes mais qu'elle ne faciliterait pas nécessairement la prévention du terrorisme. Les participants souhaitaient obtenir plus de renseignements sur cette question.
2.2.3.2 Inscription des groupes terroristes
Très peu de participants connaissaient cette disposition. Ils ont approuvé l'intention ou objet de la liste, savoir la sécurité, mais ils étaient d'avis qu'elle ne permettrait probablement pas d'éviter le terrorisme. Ils l'ont appuyée en invoquant le droit de la population d'être informée de manière à ne pas contribuer financièrement à ces organismes et de faire l'objet d'une poursuite judiciaire. La plupart des participants ont dit que la liste était utile, malgré ses limites.
Dans l'ensemble, les participants ont soulevé plusieurs préoccupations et questions concernant la possibilité que la « nature publique » de la liste puisse léser certains groupes et aussi concernant les soi-disant «
zones grises ». Il s'agissait notamment de : 1) la possibilité de stéréotypes visant les minorités ethniques, comme à l'époque McCarthy, puisque la liste pourrait comprendre des noms qui sont communs au Moyen-Orient ou des noms qui ressemblent à ceux de terroristes connus (cela c'était déjà produit, le passeport d'une participante avait été conservé par les autorités pendant une semaine après le 11 septembre); 2) les sources crédibles d'information, particulièrement des États-Unis; 3) l'exactitude des renseignements et des mesures de sauvegarde.
Les participants se sont également préoccupés de certains aspects de la loi en particulier tels que: 1) « les motifs raisonnables », expression qui pouvait être mal interprétée ou dont on pourrait abuser;
2) la communication de la liste à tous les pays, acte que les participants ont qualifié d'«
atteinte grave à la vie privée », pourrait avoir d'importantes répercussions sur la vie d'une personne même si elle avait gain de cause devant la cour d'appel; 3) le rôle de décideur du Cabinet fédéral qui peut agir pour des mobiles politiques ou en subir l'influence – quelques-uns auraient préféré un « chien de garde indépendant »
; (4) la perte des libertés civiles –surtout l'atteinte à la vie privée. Les participants ont dit que la possibilité d'interjeter appel était très positive mais que l'efficacité de la mesure était limitée par la nature publique de la liste. « Votre réputation est atteinte pour toujours, même si vous l'emportez en appel. »
Le lien apparent entre la liste et le financement était logique selon la plupart des participants. Certains étaient d'avis que la disposition entraverait le financement des terroristes alors que d'autres ont dit que la disposition n'aurait aucun effet quantifiable. Les participants étaient très intéressés à obtenir plus d'information.
2.2.3.3 Financement du terrorisme
Les participants ne connaissaient à peu près pas la disposition sur le financement. Plusieurs participants en avaient entendu parler mais en termes vagues seulement (quelques-uns ont mentionné les « lois sur les drogues »
et le Code criminel).
Les participants ont approuvé la disposition sur le financement principalement parce qu'elle était logique – le grand public « doit savoir »
à qui il fait des dons et à qui il doit éviter d'en faire.
Des préoccupations ont été soulevées dans toutes les villes concernant : (1) les personnes ou les organisations innocentes dont le nom apparaîtrait sur la liste par erreur ou qui seraient visées par des renseignements faux ou erronés (question qui inquiétait les participants des minorités visibles, particulièrement ceux du Moyen-Orient); (2) l'équité habituelle du système de justice canadien était atteinte puisque l'accusé avait le fardeau de la preuve et que la personne innocente devait établir son innocence, question qui en inquiétait plusieurs.
La discussion a porté principalement sur 5 aspects de la loi : (1) la notion de destination du financement a soulevé des commentaires inquiets, notamment : « Comment est-ce que le public peut savoir si l'argent finance le terrorisme, surtout s'il est envoyé à l'étranger? »,
2) l'obligation de faire rapport imposait à tort un fardeau au citoyen ordinaire (plutôt qu'au système judiciaire) et les participants étaient non seulement mal à l'aise concernant le danger de faux signalements (par une personne qui nous veut du mal), mais aussi du fait que les personnes auraient « trop peur »
de fournir des renseignements; (3) la possibilité d'interjeter appel a été bien accueillie sauf que l'accusé innocent avait le fardeau de la preuve et les vrais terroristes pourraient invoquer la clause échappatoire, savoir l'ignorance; (4) la peine maximale de 10 ans n'était pas assez sévère selon certains (surtout les participants du groupe 3) qui auraient préféré l'emprisonnement à perpétuité; (5) la confiscation des biens a été perçue dans des contextes différents – comme élément de dissuasion, comme violation des droits des innocents et comme élément semblable aux « lois sur les drogues »
.
L'impact de la disposition sur le financement sur les organismes de bienfaisance a été perçu de façon très différente; pour certains, la disposition aurait un impact important ou moyen alors que pour d'autres elle n'en aurait aucun. Les participants ne s'entendaient pas non plus sur son utilité. D'aucuns ont dit qu'il était utile d'éliminer les sources de financement et de donner plus de pouvoir aux autorités alors que d'autres ont mis en doute la crédibilité de la preuve et ils ont dit que les terroristes pouvaient contourner toutes les lois. Les participants, surtout ceux des groupes 1 et 2 qui étaient plus susceptibles d'en subir les répercussions (parce qu'ils envoient de l'argent « chez eux »
), étaient avides de renseignements. Toutefois, les participants du groupe 1 de Montréal se sont fortement
opposés à ce que les renseignements sur le financement soient rendus publics par crainte de conséquences négatives sur les « peuples innocents qui se battent pour leurs droits »
.
2.2.3.4 Nouveaux pouvoirs en matière d'investigation et de prévention
Dans l'ensemble, seulement quelques participants avaient entendu parler de ces nouveaux pouvoirs de police. La plupart d'entre eux ont accepté les dispositions en principe. Les participants de tous les groupes qui étaient favorables aux nouveaux pouvoirs semblaient comprendre qu'il fallait des compromis pour faire face au terrorisme et ils étaient d'avis que les personnes qui « n'avaient rien à cacher »
ne devaient pas s'inquiéter.
Les préoccupations mentionnées par la plupart des groupes visaient principalement 4 questions d'application : (1) n'importe qui pouvait être arrêté n'importe quand, particulièrement les innocents; (2) les minorités ethniques étaient beaucoup plus susceptibles d'être visés, selon les groupes de toutes les villes; (3) la possibilité d'interprétation fautive et d'abus de pouvoir à cause de l'étendue des pouvoirs et de termes vagues dont il faudrait clarifier le sens; (4) un nombre assez important de participants craignaient que la police n'abuse de son pouvoir. Non seulement ils en avaient entendu parler aux Etats-Unis, mais ils en avaient également fait l'expérience ou connaissaient quelqu'un qui avait eu cette expérience ou avait entendu parler d'une telle personne.
Les discussions ont porté sur deux des principaux pouvoirs d'investigation plutôt que sur les pouvoirs de prévention : (1) la disposition sur l'écoute électronique; (2) l'infraction de refuser de donner de l'information. Les participants ont tous approuvé la disposition sur l'écoute électronique (même les participants du groupe 1 qui avaient l'impression d'être les plus susceptibles d'être visés et qui étaient également perçus comme étant les plus susceptibles de l'être), même si certains n'ont pas aimé le côté « big brother »
, particulièrement « l'atteinte à la vie privée »
et le fait que l'écoute électronique soit permise même si d'autres mesures pouvaient être efficaces. En outre, pour certains, la période d'absence d'avis d'un an était trop longue et d'autres avaient de la difficulté à comprendre pourquoi la police ne pouvait pas arrêter les terroristes plutôt que de « les mettre sous écoute »
.
L'infraction qui consiste à refuser de donner de l'information a soulevé une certaine confusion et crainte principalement à cause de l'abus possible fondé sur la culpabilité par association (« comment peuvent-ils savoir si on sait ou non quelque chose? »
). Les participants ont posé des questions sur le droit des médias de protéger une source, la punition possible pour avoir refusé de donner de l'information et la protection du gouvernement d'une personne qui a été menacée pour ne pas donner de l'information.
Les participants étaient d'avis que les nouveaux pouvoirs de police n'étaient utiles que comme moyen de prévention, mais ils ont dit qu'il y avait possibilité d'abus. Pour certains, il s'agissait des éléments les plus importants de la LA qui auraient un impact important sur les citoyens en général et sur les groupes minoritaires en particulier. Les participants, particulièrement ceux du groupe 1, se sont beaucoup intéressés à ces renseignements; ils avaient l'impression qu'ils devaient s'adapter et se protéger. Certains ont affirmé qu'ils cesseraient de parler de certaines choses au téléphone ou en public.
2.2.3.5 Mécanismes permettant d'éviter que la police n'abuse de ses pouvoirs
Les participants n'avaient à peu près pas entendu parler de la disposition crépusculaire. Seuls ceux qui savaient qu'il s'agissait d'une mesure de sauvegarde l'ont approuvée parce qu'il s'agissait d'un « pas dans la bonne voie »
pour faire en sorte que la police n'abuse pas de ses pouvoirs et que les droits des individus soient respectés. Toutefois, la plupart des participants ne comprenaient pas la disposition ni son objet et ils l'ont mal interprétée de 4 façons : (1) le gouvernement s'attendait à ce que le terrorisme ne constitue plus un problème ou à ce que les lois antiterroristes ne seront plus nécessaires dans 5 ans; (2) la disposition confirmait que les nouveaux pouvoirs de la police étaient dangereux; (3) l'occasion d'examiner, de mettre à jour et de remplacer l'ensemble de la loi, si nécessaire, au bout de cinq ans; (4) la loi ne pourrait malheureusement pas être modifiée pendant cette période de temps.
Aucun des participants n'était au courant de l'obligation de présenter un rapport au Parlement. Les participants ont approuvé sans réserve « l'obligation de rendre des comptes » et «
l'équilibre » qu'elle procurait et le fait qu'elle permette d'exercer une certaine forme de contrôle sur l'application des pouvoirs spéciaux de la police. La seule critique a été que le rapport annuel au Parlement n'était pas suffisant afin d'éviter les abus potentiels. Les discussions ont surtout porté sur 4 questions : (1) la plupart des participants étaient d'avis que le rapport annuel était suffisant, mais quelques-uns auraient préféré des rapports plus fréquents ou ponctuels; (2) certains participants espéraient que les rapports seraient précis, complets et objectifs; (3) certains se sont demandés si le rapport serait rendu public ou s'il ne contiendrait que les renseignements que le gouvernement voulait révéler; (4) certains ont dit qu'un « chien de garde indépendant »
permettrait d'assurer une plus grande responsabilisation.
Dans l'ensemble, les participants ont espéré que les deux mécanismes permettraient d'éviter les abus. Alors que ces protections pouvaient atténuer les sentiments négatifs concernant la police, leur existence était réconfortante et permettait d'avoir davantage confiance en l'approche canadienne.
2.2.4 Autres observations
Après avoir examiné la réaction des participants à la Loi antiterroriste, Créatec estime que certains facteurs ont pu influer sur les résultats des discussions, notamment la date de celles-ci (c.-à-d. la guerre avec l'Iraq), l'exposition aux médias, les opinions concernant le rôle du Canada dans le monde et la perception des participants eux-mêmes concernant le terrorisme.
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