La prostitution chez les jeunes : analyse documentaire et bibliographie annotée

3.  Ouvrages en sciences sociales : Aperçu des conclusions et des débats (suite)

3.  Ouvrages en sciences sociales : Aperçu des conclusions et des débats (suite)

3.7 Questions relatives au VIH

Le rapport entre les activités relatives à la prostitution et le VIH (virus de l'immunodéficience humaine) continue toujours de susciter des préoccupations dans la littérature. Selon plusieurs études internationales, les jeunes de la rue du centre-ville s’adonnent à des activités qui risquent fortement de les exposer au VIH (c.-à-d. relations sexuelles non protégées, partenaires sexuels multiples, utilisation de drogues injectables) et on y favorise le recours à des programmes d’éducation et de prévention pour réduire les taux d’infection (Inciardi, Pottieger, Forney, Chitwood et McBride, 1991; Pennbridge, Freese et MacKenzie, 1992; Pleak et Meyer-Bahlburg, 1990; Raffaelli, Campos, Merrit, Siquera, Antunes, Parker, Greco et Halsey, 1993; Sullivan, 1996).

Belk, Ostergaard et Groves (1998) ont examiné la propagation du sida par la prostitution en Thaïlande. Les auteurs ont interrogé 25 étudiants de l’Université de Chiang Mai, 6 touristes masculins étrangers et plusieurs prestataires de services. D’après les conclusions de l’étude, les croyances et les attitudes à l’égard de la sexualité et du recours à la prostitution incitaient à adopter un comportement à risque plus élevé chez les hommes (les hommes ont traditionnellement plus d’une femme pour répondre à leurs besoins tandis qu’on s’attend à ce que les femmes restent vierges jusqu’au mariage). Malgré l’accroissement des connaissances sur le sida, les pratiques sexuelles ne semblent pas évoluer en Thaïlande – les hommes continuent de s’adonner à des pratiques sexuelles non protégées. Il y a eu un accroissement de la demande d’enfants prostitués en raison de la perception selon laquelle ils ne sont pas infectés par la maladie. Les auteurs soutiennent que si la «prise illogique de risques se poursuit chez les étudiants informés de niveau collégial, cette situation risque encore plus de se perpétuer chez la majorité moins informée de la population thaïlandaise».

Au Canada, Jackson et Highcrest (1996) et Jackson, Highcrest et Coats (1992) ont constaté que l’infection au VIH chez les prostitués qui ne consomment pas de drogues était absente ou faible. Selon les auteurs, il importe d’offrir aux prostitués des programmes d’intervention et de prévention en matière de VIH en établissant une distinction entre les besoins des prostitués de la rue et ceux des autres prostitués. Brock (1989) critique l’idée selon laquelle les boucs émissaires que sont les prostitués propageraient le VIH. Il soutient que peu de prostitués sont séropositifs pour le VIH et que la plupart des prostitués (sauf les jeunes femmes et les jeunes hommes qui viennent de commencer à se prostituer) adoptent des pratiques sexuelles sans risque. Allman (1999) a abondé dans le même sens dans son analyse documentaire sur le sida et la prostitution masculine (pour plus de renseignements, voir la section précédente sur la prostitution masculine). L’auteur soutient que du point de vue holistique, les données réfutent dans une large mesure l’idée selon laquelle les travailleurs du sexe masculins propagent le sida (1999, p. 72).

3.7.1 Résumé des constatations

3.8 Cessation de la pratique de la prostitution

Il existe très peu d’études sur la cessation de la pratique du commerce du sexe. Boyer (1986) a examiné des jeunes confiés aux soins du Seattle Youth and Community Services (SYCS) pour «déterminer les facteurs et les caractéristiques qui amènent un jeune à continuer ou à cesser de s’adonner à la prostitution et d’adopter un comportement de rue». Le SYCS offre des services pour aider les jeunes à abandonner le commerce du sexe et les modes de vie connexes dans la rue. Les jeunes qui ont réussi à renoncer aux modes de vie de la rue par rapport à ceux qui n’ont pas réussi avaient subi moins de violence pendant leur enfance, ils avaient passé plus de temps avec leurs parents et ils s’étaient réfugiés dans la rue à un âge plus tardif.

L’étude de Mansson et Hedin (1999) comprenait des entrevues avec 23 femmes âgées de 20 à 58 ans qui avaient cessé de pratiquer le commerce du sexe en Suède[14]. Selon les auteurs, une enfance difficile (p. ex., violence physique, sexuelle et psychologique) et une faible estime de soi influent sur la décision de se livrer à la prostitution. Bon nombre des femmes ont été qualifiées de «putains» bien avant de commencer à pratiquer la prostitution. Compte tenu de cet état de fait, le début de la femme dans le monde de la prostitution est souvent peu dramatique, même si le contexte dans lequel il a lieu peut être très chaotique (1999, p. 71). Certaines femmes de l’étude ont cessé de se livrer à la prostitution après un événement important ou un tournant décisif (p. ex., une expérience révélatrice, traumatisante ou positive). Pour d’autres, la rupture s’est faite au fil du temps, souvent d’une manière inconsciente. Presque toutes les répondantes ont décrit la période suivant leur rupture avec la prostitution comme un moment très difficile (p. ex., difficulté de comprendre leur vie dans la prostitution, le fait de vivre en marge de la société, les problèmes que posent les relations intimes et étroites). Selon les auteurs, l’engagement que prend une personne de changer joue un rôle important dans le processus de l’abandon de la prostitution, processus favorisé par divers facteurs interpsychologiques et interpersonnels. «Cependant, à la fin de la journée, il est important de ne pas terminer par des explications trop individualistes. Les capacités créatrices et innovatrices d’une personne dépendent sans aucun doute de relations sociales et d’institutions fiables dans son milieu» (1999, p. 76).

Au Canada, McIntyre analyse actuellement les résultats de ses recherches sur le processus d’abandon de la prostitution. En 1991, elle a interrogé 50 jeunes prostitués de Calgary, en Alberta. Les résultats de ces recherches présentent d’importants renseignements sur les antécédents et les expériences des jeunes prostitués de la rue. Dans le cadre de ces recherches, McIntyre a déterminé deux étapes importantes dans les ouvrages sur la prostitution : 1) absence de données ou de documents écrits de nature rétrospective sur les jeunes qui se livrent à la prostitution; 2) rareté des études sur le processus d’abandon de la prostitution. Par conséquent, en 1999, McIntyre a élaboré un projet de recherche pour examiner ce processus en interrogeant le plus grand nombre possible de ses 50 sujets qui avaient participé à son étude de 1991. L’auteure a mené des entrevues qualitatives auprès de 38 jeunes qui s’étaient livrés au commerce du sexe (28 de l’échantillon original et 10 sujets supplémentaires). La Division de la recherche et de la statistique du ministère de la Justice du Canada publiera les résultats des recherches de McIntyre au printemps 2002.

3.8.1 Résumé des constatations

3.9 La prostitution chez les jeunes Autochtones

Même s’il est généralement reconnu que les jeunes Autochtones sont surreprésentés dans le monde de la prostitution, il y a très peu d’études sur cette question (voir, par exemple, Comité Fraser, 1985; Lowman, 1987; Webber, 1991; Groupe de travail FPT sur la prostitution, 1998; Committee for Sexually Exploited Youth in the CRD, 1997; Schissel et Fedec, 1999).

Aide à l'enfance – Canada (2000) a fait paraître récemment les résultats de consultations menées auprès de 150 enfants et jeunes Autochtones victimes d’abus sexuels à des fins commerciales dans tout le Canada. Le rapport vise à mieux comprendre la prostitution chez les jeunes Autochtones et à permettre aux jeunes d’exprimer leurs idées et leurs préoccupations concernant la violence, l’exploitation, la prévention, la guérison, l’abandon de la prostitution, l’intervention d’urgence, la réduction des préjudices, l’attitude du public et la participation des jeunes. Dans leur étude de la surreprésentation des jeunes Autochtones dans le domaine de la prostitution, les auteurs font état de l’incidence négative du colonialisme européen sur les Autochtones, et leurs cultures ont été un facteur déterminant de la création et du maintien de l’obstacle que constitue l’inégalité sociale, économique et politique (2000, p. 8). Le rapport révèle que tous les jeunes Autochtones qui ont participé au processus de consultation «ont parlé de la violence physique, sexuelle et(ou) psychologique dont ils avaient été victimes dans leur milieu familial, car le père et la mère, les parents, les aidants naturels et les voisins ont continué de souffrir de l’héritage de la fragmentation culturelle» (2000, p. 13). Le rapport explique également comment la prostitution est devenue un choix pour bien des jeunes Autochtones qui avaient quitté une famille et un milieu perturbés pour se retrouver dans la rue avec peu d’études, d’aptitudes professionnelles et de débouchés.

3.9.1 Résumé des constatations

3.10 Le trafic des femmes aux fins de la prostitution

Le trafic international des femmes aux fins de la prostitution suscite de plus en plus de préoccupations dans la littérature sur la prostitution. Jiwani et Brown (1999) ont examiné l’exploitation sexuelle des jeunes femmes et jeunes filles dans un contexte international. Les auteures ont fait remarquer qu’Alliance globale pour l'élimination du trafic de femmes (AGETF) donne la définition suivante du trafic :

[Traduction] Tous les actes et tentatives visant à recruter, transporter à l’intérieur ou à l’extérieur des frontières, acheter, vendre, transférer, recevoir ou héberger une personne au moyen d’une supercherie, de la coercition (y compris le recours à des menaces ou à la force ou à l’abus de pouvoir) ou de la servitude pour dettes aux fins de placer ou de garder cette personne, contre rétribution ou non, en réclusion non volontaire (familiale, sexuelle ou reproductive) dans le cadre d’un travail forcé ou d’une servitude pour dettes ou dans un état d’esclavage, dans une collectivité autre que celle où cette personne vivait au moment de la supercherie , de la coercition ou de la servitude pour dettes originale (AGETF, 1999, p. 1, cité dans Jiwani et Brown, 1999, p. 1-2).

Jiwani et Brown (1999) ont décrit plusieurs facteurs qui contribuent à la vulnérabilité des femmes et des jeunes filles sur le plan de l’exploitation et de la violence sexuelles, dont la pauvreté, la violence et la dépréciation des femmes et des jeunes filles. Les ouvrages canadiens font état de trois catégories de trafic : le trafic dans le cadre du commerce national et international du sexe; les travailleurs migrants qui sont victimes d’abus sexuels et «l’importation des jeunes filles et des femmes qui font l’objet de mariages par correspondance.» Bien des jeunes victimes de l’exploitation sexuelle et du trafic sont des fugueurs ou des laissés-pour-compte qui se livrent à la prostitution de rue pour survivre. (1999, p. 9).

McDonald, Moore et Timoshinka (2000) ont mené entrevues auprès de 20 travailleurs du sexe, 15 prestataires de service et 15 informateurs clés (p. ex., police, propriétaires de salon de massage et agents d’immigration) pour examiner le trafic des femmes d’Europe centrale et de l’Est vers le Canada. Le trafic des femmes se définit comme «tous les actes visant à recruter et à transporter des femmes à l’intérieur ou à l’extérieur des frontières pour les faire travailler ou assurer des services au moyen de la violence, ou de la menace de la violence, de l’abus de pouvoir ou d’une position dominante, de la servitude pour dettes, d’une supercherie ou d’autres formes de coercition» (2000, p. 8). Les travailleurs du sexe consultés pour le plan d’étude se sont opposés au terme «trafic»; ils soutenaient qu’il ne convenait pas parce que tous les travailleurs du sexe ne sont pas «des victimes impuissantes qui n’avaient pas choisi leur travail ou de s’installer au Canada» (2000, p. 10). Les auteures révèlent que les changements politiques et économiques survenus dans l’ex-Union soviétique et le passage à une économie de marché en Europe centrale et de l’Est ont contribué à la «féminisation de la pauvreté», rendant les femmes vulnérables à l’exploitation dans le cadre du trafic. Les «conditions de recrutement, de migration et d’emploi étaient, dans bien des cas, déplorables et caractérisées par l’exploitation, le contrôle et les activités illégales» (2000, p. vi).

Dans l’ensemble, la littérature sur le trafic des femmes à des fins de prostitution en est encore à ses débuts; par conséquent, elle ne permet pas de bien saisir ce phénomène dans le contexte canadien. Il faut donc poursuivre les recherches pour obtenir une idée plus claire de la nature et de l’ampleur du trafic international des femmes à des fins de prostitution.

3.10.1 Résumé des constatations

3.11 Diverses questions internationales

Les études internationales mettent en lumière diverses questions relatives à la prostitution chez les jeunes. Il y a des études qui portent sur les précurseurs de la prostitution chez les jeunes dans divers pays et cultures (par exemple, voir Adedoyin et Adegoke, 1995; Damgaard, 1995; Hwang, 1995; Udegbe et Fajimolu, 1992). D’autres études explorent les conditions auxquelles font face les jeunes prostitués dans les grands centres urbains. Firme, Grinder et Barreto (1991) décrivent le lien entre la prostitution chez les adolescents au Brésil et la situation économique déprimée. Inciardi (1989 ; Inciardi et al., 1991) ont examiné le phénomène de l’échange de services sexuels contre du «crack» dans les villes américaines. Pawar (1991) fait remarquer que la loi déposée pour empêcher l’exploitation sexuelle des enfants et des femmes en Inde n’a pas arrêté la prolifération du commerce du sexe.

Le tourisme sexuel constitue un sujet qui suscite de plus en plus de préoccupations dans la littérature internationale. Par exemple, David (2000) examine l’Australian Crimes (Child Sex Tourism) Amendments Act 1994, dont plusieurs cas qui ont fait l’objet de poursuites en vertu de cette loi. (Le tourisme sexuel se définit comme le fait de chercher à obtenir les services sexuels d’enfants dans les pays en développement.) Aux termes de la Loi, il est illégal d’avoir des activités ou des rapports sexuels avec un enfant de moins de 18 ans au moment d’un voyage à l’extérieur de l’Australie ou d’inciter un enfant à avoir des rapports sexuels avec une tierce personne à l’extérieur de l’Australie. L’auteure décrit également plusieurs obstacles aux poursuites (p. ex., difficulté d’obtenir des preuves à l’étranger, difficulté de traiter avec des enfants témoins et nombre de cas non déclarés). (Voir également Opperman, 1999 pour une analyse documentaire sur le tourisme sexuel).


[14]  Même si cette étude porte sur des sujets adultes, elle est utile pour comprendre le processus d’abandon de la prostitution (p. ex., elle pourrait jeter un éclairage sur des stratégies permettant d’aider les jeunes des deux sexes qui veulent abandonner le commerce du sexe).