Harcèlement criminel : Guide à l'intention des policiers et des procureurs de la Couronne

Partie 4 : Lignes directrices à l’intention des procureurs de la Couronne

Le rapport de recherche publié en 1996 par le ministère de la Justice du Canada, intitulé L'examen de la mise en œuvre de l'article 264 (le harcèlement criminel) du Code criminel du Canada, portait sur la mise en œuvre dans six villes (Vancouver, Edmonton, Winnipeg, Toronto, Montréal et Halifax) des dispositions sur le harcèlement criminel adoptées en 1993. Le rapport a révélé plusieurs obstacles à la mise en œuvre efficace des dispositions et comprenait plusieurs recommandations visant à améliorer l'efficacité de celles ci. Les lignes directrices suivantes ont été élaborées afin de donner suite aux conclusions et aux recommandations du rapport et de tenir compte des consultations menées auprès des procureurs de la Couronne et de l'évolution de la jurisprudence jusqu'à maintenant.

Les pratiques et les politiques des procureurs de la Couronne peuvent varier selon les administrations, y compris, par exemple, le recours à des programmes d'aide aux victimes-témoins. Les présentes lignes directrices devraient être envisagées en tenant compte des autres textes législatifs et politiques applicables, y compris les politiques provinciales en matière de violence conjugale et des mesures de déjudiciarisation et de règlement des conflits. Cependant, l'objectif premier dans les affaires de harcèlement criminel est d'assurer la sécurité de la victime, de la tenir informée des faits nouveaux et de favoriser sa participation.

4.1 Considérations préalables

Si possible, confier à un seul procureur de la Couronne (et à un seul assistant auprès de la victime-témoin) la responsabilité de mener une affaire de harcèlement criminel du début jusqu'à la fin.

Consigner par écrit toutes les mesures prises dans une affaire de harcèlement criminel en utilisant une fiche de dossier, notamment toutes les mesures prises et les raisons à l'appui des décisions de la Couronne.

S'assurer d'avoir suffisamment de temps pour préparer le dossier.

Tenter d'obtenir rapidement des dates d'audition et s'opposer à toute demande d'ajournement déraisonnable. Même s'ils ne sont pas tous évitables, les retards peuvent toucher différentes victimes différemment : ils peuvent intensifier la tension ressentie par certaines victimes et peuvent l'atténuer chez d'autres. À noter qu'il est toujours important d'évaluer et de réévaluer, au cours de ces périodes d'intervention, les mesures de sécurité prises pour les victimes et la pertinence des interdictions de communication et des autres ordonnances.

Dans tous les incidents de violence familiale, déterminer s'il existe une preuve de harcèlement criminel. S'il existe une probabilité raisonnable de condamnation et qu'il serait dans l'intérêt public de poursuivre l'accusé, envisager de déposer des accusationsNote de bas de la page 156 lorsqu'une telle preuve existe.

Dans les affaires de harcèlement criminel où l'accusé se représente lui même, la Couronne peut présenter une demande en vertu du paragraphe 486.3(4) afin d'obtenir une ordonnance désignant un avocat pour contre interroger la victime. Cette modification témoigne de la gravité du harcèlement criminel, y compris ses incidences sur la sécurité et le bien être de la victime, en faisant en sorte que celle ci n'ait pas le sentiment d'être harcelée à nouveau par l'accusé. Dans ces affaires, un avocat doit être nommé, sauf si cela nuirait à la bonne administration de la justice.

Mettre à la disposition des victimes et des témoins vulnérables, par exemple les victimes de violence conjugale, d'agression sexuelle et de harcèlement criminel (et leurs enfants), des dispositifs facilitant les témoignages (écrans, télévision en circuit fermé et personnes de confiance). Les adultes peuvent obtenir de tels dispositifs en présentant une demande prévue à l'article 486 du Code criminel, lorsqu'il peut être démontré qu'ils ne seraient pas en mesure de donner un récit complet et franc sans le dispositif en raison des circonstances (notamment la nature de l'infraction et le lien existant entre la victime ou le témoin et l'accusé). Aux termes de l'article 486.2, dans le cas où témoignent des enfants ou des personnes qui pourraient avoir des difficultés à témoigner en raison d'un handicap physique ou mental, les dispositifs doivent être mis à leur disposition une fois qu'une demande a été faite.

Pour les témoins âgés de moins de 18 ans ou qui ont un handicap, il y a lieu d'envisager d'utiliser un enregistrement vidéo de leur témoignage, aux termes de l'article 715.1 du Code criminel. Pour les témoins qui sont à l'extérieur de l'administration, il y a lieu d'envisager de faire une demande, en vertu des articles 714.1 à 714.8, afin de permettre au témoin de présenter son témoignage grâce à un moyen de communication audio ou audio-vidéo.

Veiller à ce que la victime ait la possibilité de préparer une déclaration, qui doit être déposée au tribunal le plus rapidement possible. (Pour de plus amples renseignement, voir la partie 4.10, « Déclaration de la victime »).

4.2 Entrevue avec la victime

Faire participer la victime tout au long du processus. Par exemple, la consulter, lui fournir de l'information en temps utile, en particulier en ce qui a trait à la libération de l'accusé sous caution et à l'issue du procès et de la détermination de la peine.

Si possible, rencontrer la victime avant la date de la première comparution de l'accusé.

Préparer la victime pour son témoignage au tribunal. Être conscient de la situation personnelle de la victime et de son état d'esprit, y compris de la détresse psychologique et émotive qu'elle ressent probablement. La victime pourrait avoir besoin de l'aide d'une personne de confiance ou d'un interprète. Si elle n'a pas encore été dirigée vers un service d'aide aux victimes, la mettre en contact dès que possible avec un tel service.

Le procureur de la Couronne doit s'assurer que les renseignements importants suivants sont consignés au dossier :

4.3 Approbation ou révision des accusations

La décision de porter une accusation incombe aux autorités policières dans toutes les provinces sauf en Colombie-Britannique et au Québec, où cette responsabilité relève du ministère public. Au Nouveau-Brunswick, la décision de porter des accusations est prise par les policiers, après avoir pris les conseils du poursuivant (voir également la partie 2.11.5, « Arrestation et mise en accusation »).

Lorsque l'on envisage de déposer des accusations, il faut tenir compte des éléments suivants :

Existe-t-il des éléments de preuve indépendants à l'appui des accusations?

Envisager de déposer à la fois une accusation pour l'infraction distincte et pour l'infraction incluse de harcèlement criminel lorsque l'un ou plusieurs des incidents à l'origine de la plainte de harcèlement criminel peuvent être interprétés comme constituant une seule infraction criminelle. Par exemple, envisager de porter les accusations criminelles suivantes, s'il y a lieu :

Envisager de déposer des accusations concernant des incidents graves survenus dans le passé.

Lorsqu'il n'y a pas suffisamment de preuves à l'appui des accusations, envisager de demander un engagement de ne pas troubler l'ordre public prévu aux articles 810Note de bas de la page 158, 810.01, 810.1 ou 810.2 du Code criminel; toutefois, les engagements de ne pas troubler l'ordre public ne sont pas normalement une mesure de rechange à des accusations criminelles lorsque la preuve est suffisante pour appuyer les accusations. (Voir aussi la partie 2.11.3, « Engagements de ne pas troubler l'ordre public et ordonnances de protection et de non-communication rendues en matière civile ».)

Dans les cas de violence familiale, la décision de suspendre ou de retirer les accusations ne devrait être prise qu'après un examen attentif de tous les faits pertinents, tels que la violence entre l'accusé et la victime dans le passé et la question de savoir si l'hésitation de la victime à témoigner est influencée par l'accusé. Toutes les victimes souhaitent que le harcèlement cesse, mais un ensemble complexe de facteurs peut les inciter à ne pas collaborer avec la poursuite. Certains de ces facteurs sont propres aux ex partenaires intimes : la crainte à l'égard du délinquant, l'impression d'être impuissant, le peu d'estime de soi, la dépendance sociale et économique, le manque de confiance dans la capacité du système de justice d'assurer sa protection, la crainte des autorités et la crainte que les enfants soient pris en charge par les autorités. Dans le cas des femmes autochtones, des femmes vivant dans la pauvreté, des réfugiées, des immigrantes et des femmes handicapées, ces facteurs peuvent avoir une plus grande incidence en raison des expériences qu'elles ont vécues dans le passé. [TRADUCTION] « Selon les experts, le fait que la victime hésite à collaborer constitue un facteur de risque important justifiant que l'on intensifie, et non que l'on réduise, l'intervention du système de justice pénale »Note de bas de la page 159. Les services d'aide aux victimes jouent un rôle de coordination important lorsqu'il s'agit de fournir des renseignements et de l'aide aux victimes.

De façon générale, la déjudiciarisation ou les mesures de rechange aux accusations ne sont pas appropriées dans les cas de harcèlement criminel, en particulier lorsque les personnes en cause ont eu des relations intimes. Dans les administrations qui offrent un programme de mesures de rechange, il ne faudrait y recourir que si l'on a pris des mesures de protection suffisantes. Prendre des mesures de rechange peut être approprié lorsque toutes les conditions suivantes existent :

  1. Le renvoi au processus alternatif de justice s'effectue après le dépôt des accusations, et ce, avec l'approbation de la Couronne.
  2. Le dossier est considéré comme ne comportant pas un risque élevé à la suite de l'application, par une personne qualifiée, d'outils d'évaluation du risque, dûment validés, (c'est-à-dire qu'après avoir pris en compte une gamme de facteurs, y compris les antécédents de violence, les menaces de violence grave, les manquements aux ordonnances de protection rendues préalablement par les tribunaux, l'utilisation ou la présence d'armes, les problèmes d'emploi, la consommation de drogue ou d'alcool et les menaces de suicide, le délinquant est considéré comme ne présentant qu'un faible risque de récidive et donc un faible risque pour la sécurité de la victime, de ses enfants et des autres personnes à charge, durant le processus judiciaire et à l'issue de celui-ci).
  3. Le processus alternatif de justice offre la même protection ou une plus grande protection à la victime que le système de justice traditionnel.
  4. La victime connaît bien le processus alternatif de justice proposé et sa volonté est prise en compte. De plus, non seulement le consentement de la victime est requis mais des services de soutien devront lui être fournis lorsqu'elle sera appelée à participer au programme.
  5. Le délinquant accepte pleinement la responsabilité de ses actes.
  6. Le processus alternatif de justice peut traiter les cas de violence conjugale et s'inscrit dans un programme de mesures de rechange approuvé par le procureur général visant à offrir des mesures de rechange dans les cas de violence conjugale, le processus faisant l'objet d'un suivi par le procureur général ou le tribunal.
  7. Le processus alternatif de justice est transparent (c'est-à-dire qu'il requiert que l'on conserve des dossiers officiels indiquant les actions prises par les participants) et il est utilisé en temps opportun et de manière raisonnable.
  8. Le processus alternatif de justice peut traiter les cas de violence conjugale. Sa mise en œuvre et son suivi sont assurés par des personnes possédant les habiletés, la formation et la capacité requises, y compris celle de reconnaître les déséquilibres de pouvoir et les différences culturelles et d'y donner suite.
  9. Il est toujours possible d'obtenir une condamnation pénale et l'imposition d'une peine en cas d'échec du programmeNote de bas de la page 160.

Informer la victime, la police et les services d'aide aux victimes de la décision de surseoir aux accusations, de les réduire ou de les retirer.

Veiller à ce que les procédures de communication de la preuve ne permettent pas la communication de renseignements au sujet de la victime ou des autres personnes en cause, comme une nouvelle adresse, un nouveau numéro de téléphone ou un nouveau lieu de travail.

4.4 Mise en liberté avant le procès

(Voir aussi la partie 2.12, « Mise en liberté ».)

4.4.1 Lorsque l'accusé n'est pas détenu

Lorsque l'accusé n'est pas détenu au moment où les accusations sont approuvées, le procureur de la Couronne devrait demander au besoin un mandat d'arrestation visant l'accusé afin d'obtenir sa détention ou de faire en sorte que sa mise en liberté soit assortie de conditions assurant la protection de la victime. Sur délivrance du mandat, le procureur de la Couronne peut s'opposer à tout visa du mandat autorisant la mise en liberté de l'accusé en vertu de l'article 507.

Lorsque l'accusé a été mis en liberté par la police, le procureur de la Couronne peut envisager de demander un mandat d'arrestation visant l'accusé en vertu de l'article 512, si c'est nécessaire dans l'intérêt du public.

Lorsque l'accusé a été mis en liberté par un juge ou par la police, et que cette mise en liberté est assortie de conditions, le procureur de la Couronne devrait déterminer si ces conditions sont suffisantes ou s'ils doivent êtres modifiées ou révisées.

4.4.2 Preuve lors de l'audition de la demande de libération sous caution

Avant l'audition de la demande de mise en liberté avant le procès, le procureur de la Couronne devrait envisager de s'informer auprès des policiers et de la victime de tout élément qui ne figure pas au dossier, des faits nouveaux ou des préoccupations concernant les facteurs de risque. Il importe de signaler que dans certaines administrations, comme l'Alberta, les tribunaux peuvent avoir des exigences minimales précises en ce qui a trait aux renseignements cruciaux que doit contenir les demandes de la Couronne relatives à la mise en liberté sous caution, lors de l'audition de la demande de libération sous caution. Dans Bleile, 2000 ABQB 46, le juge Martin a indiqué que les demandes de la Couronne devaient contenir les renseignements essentiels suivants :

  1. le fait qu'il y ait ou non des antécédents de violence ou de comportement abusif et, le cas échéant, les détails des actes commis dans le passé;
  2. le fait que le plaignant craigne d'autres actes de violence si l'accusé devait être libéré et, le cas échéant, les motifs de cette crainte;
  3. l'avis du plaignant quant à la probabilité que l'accusé respecte les conditions de sa libération, en particulier l'interdiction de communiquer avec le plaignant;
  4. le fait que l'accusé ait ou non des problèmes de toxicomanie ou d'alcoolisme ou des antécédents de maladie mentaleNote de bas de la page 161.

Pour la préparation des demandes relatives à la mise en liberté sous caution, voir aussi les renseignements qu'il est suggéré d'inclure, à la partie 2.13, « Rapport de police au procureur de la Couronne ». De plus, le procureur de la Couronne devrait demander un ajournement des procédures en vertu du paragraphe 516(1) du Code, si cela est nécessaire pour obtenir des renseignements complets.

Lors de l'audition de la demande de libération sous caution, le procureur de la Couronne doit :

s'opposer à la mise en liberté avant le procès lorsque :

présenter des éléments de preuve concernant l'historique du harcèlement ainsi que les incidents de mauvais traitements et les condamnations pénales;

informer le juge des indices qui donnent lieu de croire que le risque est élevé vu les circonstances des allégations, la relation entre l'accusé et la victime et les antécédents de l'accusé. Lorsque c'est possible, une évaluation du risque doit être effectuée avant l'audition de la demande de mise en liberté de l'accusé par voie judiciaire. Voir, par exemple, Skinner, (2009) NFLD & PEIR 70 (CP), où la mise en liberté sous caution de l'accusé a été refusée parce qu'il était obsédé depuis longtemps par la plaignante et qu'il avait manqué à maintes reprises à des ordonnances judiciaires. Une évaluation psychologique de l'accusé avait démontré qu'il avait des antécédents de déviance sexuelle. On a jugé que ce facteur, combiné à son comportement obsessif antérieur, indiquait un risque élevé de récidive;

présenter des éléments de preuve concernant les manquements antérieurs aux ordonnances de non communication ou à d'autres engagements. Envisager de faire témoigner le policier responsable du dépôt des accusations;

présenter une preuve concernant les inquiétudes de la victime pour sa sécurité personnelle si l'accusé est libéré sous caution;

souligner que les droits de la victime doivent aussi être pris en compte. L'alinéa 515(10)b) du Code criminel prévoit clairement qu'il faut tenir compte, dans les décisions relatives à la mise en liberté sous caution, de la sécurité de la victime. L'arrêt Mills, [1999] 3 RCS 668, peut être cité au besoin à titre d'arrêt établissant que le tribunal doit aussi prendre en compte, dans ses décisions, les droits que la Charte garantit à la victime, en plus des droits de l'accusé;

présenter une preuve de la possession, par l'accusé, d'armes, d'armes à feu ou de permis, enregistrements, certificats ou autorisations connexes;

lorsque l'on ordonne la détention de l'accusé, demander au juge d'ordonner que l'accusé s'abstienne de communiquer, directement ou indirectement, avec la victime, un témoin ou toute autre personne désignée dans l'ordonnance (paragraphe 515(12)). Le procureur de la Couronne devrait également demander le même genre d'ordonnance à l'égard d'un accusé renvoyé sous garde avant le début de l'audition de la demande de mise en liberté provisoire par voie judiciaire ou au cours de cette audition (paragraphe 516(2)). Si une telle directive ou ordonnance est rendue, il faut suivre la procédure en vigueur de l'administration où l'on se trouve pour que le personnel des établissements de détention provisoire et des services de police et de prévôt soient au courant de l'ordonnance le plus rapidement possible.

4.5 Conditions de mise en liberté

4.5.1 Conditions obligatoires

Lorsque l'accusé est mis en liberté sous caution, le juge doit décider s'il est souhaitable, pour la sécurité de toute personne, plus particulièrement de la victime ou des témoins, d'assortir l'ordonnance de conditions interdisant à l'accusé :

Que faire au sujet des enfants lorsqu'il existe une ordonnance de non-communication entre les parents?

Lorsque la victime et le délinquant ont eu des enfants ensemble, souvent, les tribunaux tiennent compte de la mesure dans laquelle une ordonnance interdisant aux parents de communiquer entre eux aura des répercussions sur les enfants et s'il y a lieu d'interdire aussi les contacts et les communications entre le délinquant et les enfants. Voici quelques exemples de cas dans lesquels de telles ordonnances ont été rendues : Alberts (2000), 147 BCAC 90 2000 BCCA 628 : il est interdit de communiquer avec [nom des enfants] [TRADUCTION] « sauf conformément à une ordonnance de garde ou d'accès prononcée par un tribunal compétent après l'entrée en vigueur de l'ordonnance de probation » et Dhillion, 2007 BCPC 92, où la Cour a imposé une condition similaire en interdisant à l'accusé de contacter les enfants [TRADUCTION] « si ce n'est pas par l'entremise d'un avocat ou en vertu d'une procédure de garde […] ou d'accès […] ». Toutefois, bon nombre de facteurs entrent en jeu lorsqu'il faut déterminer le libellé le mieux adapté à chaque situation de fait. Comme dans les exemples ci-dessus, les tribunaux de juridiction criminelle vont souvent renvoyer la question au tribunal de la famille, pour déterminer ce qui sera dans l'intérêt d'un enfant en particulier. La cour peut aussi renvoyer une question afin de rendre des décisions concernant les contacts avec les enfants aux responsables de la protection de l'enfance et les psychologues pour enfants. Pour cette raison, il est utile que la police ou la Couronne obtienne de la victime ou de son avocat en matière civile des renseignements au sujet des autres instances judiciaires auxquelles la famille est partie — les instances familiales ou en matière de protection de l'enfance — et des autres ordonnances visant des membres de la famille. Lorsque les contacts entre l'accusé et ses enfants sont autorisés, il est important que le procureur de la Couronne propose qu'il soit indiqué avec précision, dans l'ordonnance, la façon dont les contacts se feront — par exemple, par l'entremise d'un tiers, par courriel, par messagerie texte ou par messagerie vocale, à un numéro de téléphone donné. Ce genre de précision permet d'avoir une piste de preuves concernant la nature des communications qui ont lieu. (Pour un exposé, présenté du point de vue du droit de la famille, au sujet des ordonnances de protection concernant les enfants, voir Linda C. Neilson, « Enhancing Safety: When Domestic Violence Cases are in Multiple Legal Systems (Criminal, Family, Child Protection). A Family Law, Domestic Violence Perspective. » (30 juin 2012), p. 73-72. Disponible en ligne, en anglais seulement, à l'adresse http://www.learningtoendabuse.ca/sites/default/files/Enhancing_Safety.pdf

4.5.2 Interdiction de posséder des armes à feu ou des armes

(Voir également la partie 2.11.4, « Interdiction de posséder une arme ».)

Lorsque les conditions de la mise en liberté provisoire par voie judiciaire comprennent une interdiction de posséder des armes, les éléments suivants s'appliquent.

4.5.3 Conditions additionnelles

Lorsque cela sert l'intérêt de la sécurité d'une personne, en particulier celle d'une victime ou d'un témoin d'un acte criminel ou celle d'un participant au système de justice, un juge de paix peut imposer d'autres conditions raisonnables, et le procureur de la Couronne doit envisager de demander l'imposition d'autres conditions nécessaires pour répondre aux besoins spécifiques de la victime et de l'accusé, notamment :

Lorsque l'accusé est lié par une ordonnance judiciaire rendue en matière civile, il importe de s'assurer que le juge de paix obtienne le libellé de l'ordonnance. Dans la mesure où l'ordonnance est assortie de conditions différentes de celles imposées lors de l'audition de la demande de mise en liberté sous caution, demander au juge de paix d'informer l'accusé qu'il doit respecter les conditions de l'ordonnance judiciaire rendue en matière pénale et les aspect de l'ordonnance civile qui ne sont pas contredits par l'ordonnance pénale.

Dans les cas mettant en cause des personnes qui ont vécu une relation intime et qui ont eu des enfants, envisager la possibilité d'un conflit entre l'exercice par l'accusé de son droit d'accès auprès des enfants et l'ordonnance d'interdiction de communiquer avec la victime. Recommander, en cas de conflit, que l'accusé renonce à exercer ses droits d'accès.

4.5.4 Suivi auprès des policiers, des services d'aide aux victimes et du plaignant

Mettre en place un système de manière à ce que les policiers, les services d'aide aux victimes et le plaignant soient informés de la date de l'audition de la demande de mise en liberté sous caution et de la décision rendue relativement à cette demande, y compris toutes les conditions imposées dans le cadre de la mise en liberté avant le procès ou de la détention. Des systèmes devraient être mis en place pour que les policiers s'assurent de consigner au CIPC toute information concernant les conditions de la mise en liberté, y compris les interdictions de posséder des armes, et ce, le plus rapidement possible.

4.5.5 Manquement aux conditions de la mise en liberté sous caution

Compte tenu de la nature de la menace qui pèse sur les victimes de harcèlement criminel, la mise en liberté avant le procès est souvent contestée lorsque l'accusé enfreint une ordonnance de non communication ou une condition, ou lorsque de nouvelles allégations laissent croire que l'accusé présente un danger pour la victime, les témoins ou d'autres personnesNote de bas de la page 167.

Si l'accusé manque aux conditions de la mise en liberté sous caution, il convient d'envisager les mesures suivantes :

Cette façon de procéder est avantageuse parce que si le juge de paix conclut que les conditions prévues aux alinéas 524(8)a) ou b) sont remplies, il doit annuler toute mise en liberté accordée antérieurement à l'accusé. L'accusé a alors le fardeau de démontrer que sa détention sous garde n'est pas justifiée, tant à l'égard des nouvelles accusations que des anciennes (à l'égard desquelles la mise en liberté a été annulée). La demande d'annulation de la mise en liberté antérieure est habituellement présentée lors de l'audition relative à la mise en liberté provisoire par voie judiciaire. Si l'accusé obtient par la suite une mise en liberté, seule celle-ci (et les conditions imposées) vaudra pour toutes les accusations à l'égard desquelles la mise en liberté antérieure a été annulée. Si l'accusé est détenu sous garde, ce sera pour toutes les accusations qui pèsent contre lui. Si le paragraphe 524(8) s'applique et qu'une nouvelle accusation est portée contre l'accusé, le juge qui préside l'audience relative à la mise en liberté pourra examiner toutes les accusations portées contre l'accusé.

Il convient de noter que, si le paragraphe 524(8) ne s'applique pas, le paragraphe 515(6) peut encore imposer à l'accusé le fardeau de démontrer que sa détention sous garde n'est pas justifiée.

4.6 Choix : procédure sommaire ou mise en accusation — éléments à examiner

Les questions à envisager pour déterminer s'il convient de procéder par procédure sommaire ou par mise en accusation sont les suivantes :

L'infraction date-t-elle de plus de six mois? Si c'est le cas, vous ne pouvez procéder par procédure sommaire, sauf si le ministère public et le défendeur conviennent de le faireNote de bas de la page 170. Étant donné la nature répétitive du harcèlement criminel, il peut arriver que les actes répétés aient été commis plus de six mois auparavant. Dans Barton, 2010 ONSC 3562, le juge Hockin a conclu que même si un seul des actes de communications répétées s'était produit dans le délai de prescription établi au paragraphe 786(2) du Code, le tribunal pouvait examiner la totalité des éléments de preuve qui faisaient craindre à la plaignante pour sa sécurité, notamment le comportement qui n'était pas visé par le délai de prescription. Il est à noter que les tribunaux voient d'un mauvais œil le fait que les procureurs choisissent de procéder par voie de mise en accusation lorsqu'il est clair qu'ils auraient du procéder par procédure sommaire si le délai de prescription de six mois n'est pas écoulé (voir Quinn, [1989] JQ no 1632 (CAQc) (QL), et Bridgeman, [2004] JQ no 2319 (CAQc) (QL).

Le dossier exige-t-il du système de justice pénale une intervention et une solution rapides?

La nature et la gravité des actes justifient-elles une réaction ferme de la part du système de justice pénale?

Compte tenu des faits et du casier judiciaire du suspect, est-il probable qu'une peine de plus de six mois d'emprisonnement soit infligée?

Une enquête préliminaire et la possibilité d'un procès devant juge et jury imposeraient-ils un fardeau plus lourd à la victime?

Le choix aura-t-il des répercussions en ce qui a trait aux négociations de plaidoyer?

Si le délai de prescription de six mois est écoulé, le retard peut-il être attribué à la Couronne, et, le cas échéant, aurait-il été possible pour la Couronne de faire l'enquête et de déposer des accusations dans les six mois suivant la date à laquelle l'infraction a été commise, étant donné la nature de l'infraction et les éléments de preuve qui doivent être examinés?

4.7 Préparation du dossier

Déterminer si la dénonciation est exacte et complète — c'est-à-dire — elle comporte tous les éléments nécessaires pour porter une accusation en vertu de l'article 264 — ou s'il faut y apporter des modifications. La dénonciation et les chefs d'accusation devraient également être examinés afin de déterminer si l'on a porté toutes les accusations qui peuvent découler des éléments de preuve recueillis par la police.

Communiquer avec la victime dès que possible afin de l'informer que le dossier nous a été confié. (Dans certaines administrations, le bureau des procureurs de la Couronne peut établir ce premier contact par l'entremise du programme d'aide aux victimes ou aux témoins.) Être conscient de la situation personnelle de la victime : certaines préfèrent ou doivent être rencontrées longtemps avant l'enquête préliminaire ou la date du procès, et d'autres préfèrent ou doivent être rencontrées peu de temps avant l'enquête préliminaire ou la date du procès. Prendre des notes au sujet de toutes les rencontres avec la victime et consigner sur la fiche de dossier de la Couronne la date des rencontres, le nom des personnes présentes, les questions abordées et les recommandations faites ou les décisions prises.

Informer la victime que tous les renseignements fournis au ministère public sont assujettis à l'obligation de communication de la preuve par celui ci.

Au besoin, demander l'aide d'experts, notamment des spécialistes de la police en matière de menaces et des psychiatres légistes. Voir, par exemple, McCartney, 2005 BCPC 493, où, par suite d'une évaluation psychologique indiquant que l'accusé était schizophrène et avait des crises de délire, il a été jugé non criminellement responsable relativement à une accusation fondée sur l'article 264 découlant de ses appels téléphoniques harassants à une politicienne et à des agents de la GRC, à cause de troubles mentaux.

Lorsque la preuve des antécédents de l'accusé ou des actes qu'il a commis dans le passé sera faite pour démontrer le caractère raisonnable de la crainte de la victime, s'assurer que tous les éléments de preuve sont disponibles et bien appuyés.

Lorsque l'accusé se représente lui-même, demander par requête, longtemps d'avance, la nomination d'un avocat qui sera chargé du contre-interrogatoire de la victime de harcèlement (paragraphe 486.3(4)), ou d'un enfant ou d'un autre témoin vulnérable (paragraphes 486.3(1) et (2)). Plus précisément, le paragraphe 486.3(4) oblige le juge du procès à nommer, dans le cas d'un accusé non représenté par un avocat, un avocat chargé de procéder au contre-interrogatoire de la victime, empêchant ainsi que l'accusé ne continue de harceler la victime au cours du contre-interrogatoire.

4.8 Détermination de la peine

Lorsqu'ils examinent les dossiers aux fins de la détermination de la peine, les procureurs de la Couronne doivent se rappeler qu'un certain nombre de dispositions particulières concernant la détermination de la peine s'appliquent aux affaires de harcèlement criminel. Plus précisément, le harcèlement criminel commis en contravention d'une ordonnance de protection constitue une circonstance aggravante (paragraphes 264(4) et (5)). De même, le 23 juillet 2002, la peine maximale prévue dans les cas de harcèlement criminel a été portée de cinq à dix ans lorsque le contrevenant est poursuivi par voie de mise en accusation, ce qui permet d'affirmer que le harcèlement criminel est visé par le critère de « sévices graves à la personne » aux fins des engagement de ne pas troubler l'ordre public visés à l'article 810.2 du Code. Des preuves que le délinquant, lors de la perpétration de l'infraction, a maltraité son conjoint ou ses enfants constituent un facteur aggravant aux fins de la détermination de la peine (sous-alinéa 718.2a)(ii)). De plus, des éléments de preuve montrant que l'infraction était motivée par des préjugés ou de la haine fondés sur des motifs établis ou similaire à ceux-ci constituent également un facteur aggravant aux fins de la détermination de la peine (sous-alinéa 718.2(a)(i)). Des modifications apportées récemment au régime de condamnation avec sursis limitent l'applicabilité de ce régime dans les cas de harcèlement criminel (voir la partie 4.8.4, « Condamnation avec sursis »). On peut également envisager de demander que le contrevenant soit déclaré délinquant dangereux ou délinquant à contrôler.

4.8.1 Facteurs pertinents

La durée des peines infligées dans les cas de harcèlement criminel semble augmenter progressivement depuis l'édiction de l'article 264 en 1993. Le harcèlement criminel peut être de différents types et de différents degrés de gravité. Il en est de même des peines qui peuvent être infligées pour cette infraction. L'arrêt Denkers (1994), 23 WCB (2d) 149, rendu par la Cour d'appel de l'Ontario, a été cité à maintes reprises, compte tenu du nombre impressionnant d'affaires de harcèlement criminel qui surviennent parce qu'une personne ne peut accepter la fin d'une relation intime :

[TRADUCTION] La victime en l'espèce et les autres personnes comme elle ont le droit de mettre fin à une relation romantique. Lorsqu'elles le font, elles ont le droit de vivre normalement et en toute sécurité. Elles ont le droit de vivre sans être harcelées par leur ancien amoureux et sans avoir peur de lui. Le droit doit faire ce qu'il peut pour protéger ces personnes [...]Note de bas de la page 171

L'arrêt Wall rendu par la Cour d'appel de l'Île du Prince Édouard en 1995 continue de guider les tribunaux chargés de la détermination de la peine dans les cas de harcèlement criminel :

[TRADUCTION] Le fait qu'un contrevenant montre une tendance à adopter le comportement qui lui est reproché, peu importe son passé sans tache, est une source de grande inquiétude et justifie une approche très minutieuse et judicieuse en matière de détermination de la peine. Il ne faudrait pas accorder une importance démesurée à des facteurs comme l'absence de casier judiciaire et l'expression de remords, qui doivent nécessairement être pris en considération lors de la détermination de la peineNote de bas de la page 172.

Cet arrêt a été suivi dans Bates (2000), 146 CCC (3d) 321 (CA Ont), l'un des arrêts faisant jurisprudence au Canada en ce qui a trait à la détermination de la peine dans les cas comportant de la violence conjugale ou du harcèlement criminel. Dans cet arrêt, les juges Moldaver et Feldman ont souligné le caractère choquant des affaires comportant de la violence conjugale :

[TRADUCTION] Les crimes comportant de la violence familiale sont particulièrement haineux parce qu'ils ne constituent pas des incidents isolés dans la vie de la victime. En fait, non seulement la victime est souvent l'objet de violence continue, à la fois physique et psychologique, mais elle craint aussi constamment son agresseurNote de bas de la page 173.

En ce qui concerne la nécessité de lourdes peines dans les cas de harcèlement criminel, la Cour a rappelé l'intention claire du législateur de « dénoncer fermement le harcèlement criminel dans la société canadienne »Note de bas de la page 174et a ajouté :

[TRADUCTION] Le nombre de dossiers récents qui continuent de parvenir à cette Cour fait ressortir l'ampleur du problème du harcèlement criminel et la nécessité, pour les tribunaux qui infligent la peine, de réagir à cette infraction par les mesures les plus sévères et efficaces, de manière à envoyer un message de réprobation et de dissuasion générale à la collectivité ainsi qu'à dissuader expressément les contrevenantsNote de bas de la page 175.

Plus récemment, à l'autre bout du pays, la Cour d'appel de la Colombie Britannique a confirmé, dans Cooper, 2009 BCCA 208, la décision du tribunal de première instance sur l'importance de la dénonciation dans des cas comme celui là :

[TRADUCTION] Il est important, dans une petite collectivité comme celle en cause en l'espèce, où la violence, notamment conjugale, et l'intimidation dont font l'objet les témoins constituent des problèmes graves et complexes, que la Cour manifeste sa répugnance pour les infractions perpétrées par M. Cooper. Dans la mesure du possible, M. Cooper et les autres personnes qui pourraient être tentées de l'imiter devraient comprendre qu'ils seront probablement condamnés à une peine d'emprisonnement d'une durée déterminéeNote de bas de la page 176.

Les facteurs dont il faut tenir compte au moment de la détermination de la peine sont les suivants :