« Créer un cadre de sagesse communautaire » : examen des services aux victimes dans les territoires du Nunavut, du Nord-Ouest et du Yukon

4.0 Territoire du Yukon (suite)

4.0 Territoire du Yukon (suite)

4.3 Services offerts dans les collectivités du Yukon (suite)

4.3.4 Défis en matière de prestation de services aux victimes

Même s'il existe un certain nombre d'excellents programmes au Yukon, les répondants ont également parlé de plusieurs défis en matière de prestation de services aux victimes qui doivent faire l'objet de travaux plus poussés. La présente section présente des renseignements détaillés sur ces défis.

Manque de soutien de la collectivité pour les victimes et les fournisseurs de services

L'attitude du public et les normes sociales concernant la violence conjugale, les agressions sexuelles et la violence à l'endroit des enfants qui nient les niveaux élevés de violence interpersonnelle au Yukon et qui laissent de côté, blâment et harcèlent les victimes et les fournisseurs de services constituent l'un des principaux défis soulevés par les fournisseurs de services. La plupart des répondants ont indiqué que même s'il y a eu des améliorations dans ce domaine (voir les « partenariats efficaces » plus haut), il reste encore beaucoup de chemin à parcourir.

Bien des répondants ont indiqué que les amis, la famille et la collectivité en général exercent beaucoup de pressions sur les victimes pour qu'elles ne révèlent rien et qu'elles s'attribuent le blâme de la violence qu'elles subissent. Les familles et les collectivités ne ménagent presque aucun effort pour protéger les délinquants. Lorsque les victimes ont le choix entre appartenir à une famille et à une collectivité ou dénoncer la situation, la plupart en sont réduites à choisir de se blâmer et de garder le silence.

Selon ces répondants, cela mène naturellement à une opposition entre « eux et nous », surtout dans les petites collectivités. Les victimes, qui sont dissuadées de faire appel aux fournisseurs de services et aux autorités, en viennent à croire que toute intervention leur portera encore davantage préjudice à elles et à leurs enfants. En outre, selon plusieurs répondants, il y a chez les membres des Premières nations une répugnance naturelle à faire confiance à tout service ou système gouvernemental.

De plus, plusieurs répondants ont indiqué que certaines normes publiques favorisent le harcèlement et le licenciement des fournisseurs de services, des féministes et d'autres activistes sociaux qui travaillent à l'émancipation des femmes et à la suppression de la violence faite aux femmes. Comme l'a fait remarquer un répondant, le « repli sur soi » et le « manque d'empathie » dans la société ne limitent en rien les effets de ces attitudes.

Manque de soutien et de compréhension des victimes chez les dirigeants

La plupart des répondants ont indiqué que le leadership public concernant les questions de victimisation et le soutien politique à l'égard de leurs services aux victimes ne sont pas toujours constants. Selon ces répondants, la plupart des administrations publiques du Yukon ont appuyé au cours des 30 dernières années une gamme relativement étendue de programmes sociaux et de services spécialisés. Toutefois, selon certains répondants, certains dirigeants politiques, tant au sein des administrations publiques que des gouvernements des Premières nations, ont critiqué les services actuels parce qu'ils étaient peu pertinents et inutiles, ou soutenu que les problèmes sociaux sont trop graves pour que quiconque puisse les résoudre.

Ces répondants disent que ce comportement traduit le manque d'information ou une attitude réactive à l'égard de la victimisation en général, et les niveaux élevés de traumatisme au Yukon en particulier. De plus, ils estiment que cela révèle un mouvement de ressac général envers le féminisme et les questions relatives aux femmes, en particulier la violence faite aux femmes, dans notre société. Quelques répondants croient également que ces dirigeants n'ont pas fait face à leur propre cas en matière de victimisation ou d'agression et que, par conséquent, ils ne veulent pas voir des services qui pourraient les obliger à le faire. Les attitudes de ces dirigeants politiques peuvent également refléter l'attitude du public en général selon laquelle le Yukon, bien qu'il soit assez avancé par rapport à d'autres territoires du Nord, n'appuie pas ou ne comprend pas encore vraiment les victimes de violence.

Manque d'infrastructure, de ressources et de services

Presque tous les répondants ont indiqué qu'ils travaillaient à pleine capacité et qu'ils ne peuvent pas encore répondre aux besoins qu'ils observent chez la population du Yukon. Certains ont dit qu'ils avaient besoin d'établissements améliorés ou plus grands. D'autres ont souligné qu'ils avaient de la difficulté à maintenir un effectif complet d'employés formés, parfois à cause des taux élevés d'épuisement professionnel et parfois en raison des salaires et des avantages sociaux insuffisants. Plusieurs répondants souhaitaient que leur organisme ou un autre organisme ait la capacité d'offrir plus de services en dehors des heures ouvrables. Plusieurs ont mentionné la nécessité d'avoir un genre de ligne d'écoute téléphonique dans le territoire.

En ce qui concerne le continuum général de services, les répondants croient qu'il y a des lacunes dans les programmes de traitement des hommes victimes de violence, les services aux victimes de violence âgées et les programmes d'intervention rapide pour les enfants à risque élevé. En outre, alors que les répondants ont relevé le niveau relativement élevé et la qualité des services offerts au Yukon, bon nombre estimaient qu'on n'accorde pas encore assez d'attention aux besoins en matière d'aide postpénale des personnes qui ont accès à ces services. Ceux qui travaillent avec les victimes dans les domaines de la toxicomanie et de la violence conjugale ressentaient le plus ces lacunes.

Un certain nombre de répondants croient que beaucoup d'hommes victimes de violence et de voies de fait sont « invisibles » et qu'ils hésitent davantage à discuter de leur passé que les femmes victimes de violence. Les fournisseurs de services qui travaillent dans le domaine de la guérison et du rétablissement ont indiqué que les hommes qui deviennent des délinquants ont souvent été victimes d'actes de violence qui n'ont pas été abordés ou reconnus.

Plusieurs répondants ont soulevé la question de la violence cachée à l'endroit des Aînés. Les répondants ne connaissaient pas la fréquence de ce genre de violence. Ils ont simplement fait état de ce qu'ils avaient entendu dire de la bouche des Aînés et des victimes avec lesquelles ils travaillent. Les répondants ont indiqué que les Aînés sont réticents à divulguer la violence qu'ils subissent parce qu'ils craignent les représailles des membres de leur famille, qui peuvent être les délinquants, et la perte éventuelle des relations familiales.

La plupart des répondants croient que malgré les excellents programmes destinés aux enfants victimes de violence au Yukon, il reste beaucoup à accomplir. En particulier, les répondants estiment qu'il faut beaucoup plus de programmes d'intervention pour les enfants en bas âge et les enfants victimes de violence dans les petites collectivités. De plus, ceux qui travaillent avec les adolescents croient qu'il faut faire beaucoup plus pour renseigner les jeunes sur les questions relatives au viol commis par une connaissance, à la violence conjugale et aux agressions sexuelles. Ils ont également insisté sur la nécessité de renseigner les parents et de les sensibiliser aux besoins des enfants et des adolescents qui passent à l'acte.

Les répondants ont fait remarquer que malgré le niveau relativement élevé du nombre et de la qualité des services au Yukon, il reste encore du travail à accomplir dans le domaine des normes en matière de programmes. Les gens estiment qu'il faut élaborer des normes professionnelles et des compétences de base dans le domaine de la prestation de services aux victimes. L'évaluation de ces services est devenue une priorité permanente, et il faut tenir des statistiques significatives à ce sujet. En outre, les rôles et responsabilités de certains fournisseurs de services doivent être précisés.

Les fournisseurs de services ont fait état d'un certain nombre de difficultés dans le secteur du financement :

Un nombre considérable de répondants ont indiqué qu'il faut accorder beaucoup plus d'attention à la prestation de services aux victimes dans les petites collectivités du Yukon. Ils ont fait état de la nécessité de défenseurs impartiaux des victimes, de possibilités de guérison des victimes, de services médicaux adéquats et du soutien général des victimes de violence par la collectivité. Comme il est discuté plus haut, l'attitude de la collectivité et les normes sociales concernant la victimisation rendent le soutien des victimes beaucoup plus nécessaire.

Manque d'information

D'après les réponses, il semble que les fournisseurs de soins et les fournisseurs de services du Yukon aient contribué avec assiduité à leur propre formation et guérison. Plusieurs répondants ont mentionné que leur personnel avait suivi une formation concernant le syndrome de stress post-traumatique, la toxicomanie, les traumatismes indirects (réactions traumatiques résultant du travail auprès des victimes de violence), les compétences en counseling, la sensibilisation à la toxicomanie, les méthodes de guérison traditionnelles comme les cercles de guérison, le counseling familial et collectif ainsi que la dynamique de la violence familiale et sexuelle et le rétablissement ultérieur.

Toutefois, les répondants ont indiqué qu'il y a encore des domaines où il faut poursuivre le travail. Certains ont dit que les fournisseurs de services n'ont pas une connaissance assez approfondie de la violence conjugale et sexuelle. D'autres estimaient que la pratique consistant à voir les partenaires violents et leurs victimes ensemble, avant que le problème de violence ait été réglé, était contre-indiquée et dangereuse.

Presque tous les répondants ont reconnu la nécessité de maintenir l'équilibre dans leur vie tout en travaillant avec les victimes. Certains ont reconnu qu'ils n'y arrivaient pas toujours et qu'ils demandaient de l'aide eux-mêmes. Cela devient encore plus problématique lorsqu'il y a des liens de parenté entre les fournisseurs de soins et les fournisseurs de services, d'une part, et les victimes et les délinquants d'autre part. Ces facteurs se combinent souvent et entraînent l'épuisement professionnel des travailleurs ainsi qu'un taux de roulement élevé du personnel dans certaines collectivités.

Les répondants estimaient qu'il faut améliorer les compétences en communication et en établissement de relations chez les fournisseurs de services et les fournisseurs de soins. Ils ont recommandé que tous les fournisseurs de services conçoivent des méthodes d'intervention adaptées aux différences culturelles.

La question de la confidentialité des données sur les clients constitue un sous-thème dans le domaine des réseaux de partenariats. Les répondants ont indiqué qu'il y a une confusion et qu'il n'y a aucun protocole ou politique établi qui soit largement accepté au sujet de la question de savoir « qui peut dire quoi à qui ». Ils croient que cette situation a entraîné une diminution des services aux victimes, ce qui a mis un frein à leur rétablissement.

Même si les répondants étaient généralement satisfaits des progrès réalisés dans le domaine de la communication de l'information, de la gestion conjointe des cas et de la coopération entre les organismes, ils estimaient qu'il reste beaucoup de chemin à parcourir pour établir un réseau de partenariats qui répondra mieux aux besoins des victimes. Ils ont relevé la tendance de tous les organismes et ministères à s'isoler les uns des autres. Cela a parfois créé une certaine confusion au sujet des rôles et des responsabilités … et fait rater des occasions de partager les ressources.

Difficulté de travailler avec les victimes de violence

Les répondants au sondage connaissent bien les problèmes auxquels ils sont confrontés lorsqu'ils tentent d'aider et de soutenir les victimes de violence. Bien des victimes ont beaucoup de problèmes à régler, notamment :

Tous les répondants ont reconnu qu'un seul organisme ou ministère ne peut pas résoudre tous ces problèmes et ils ont dit que même si les services sont relativement bien établis au Yukon, bien des victimes de violence ne bénéficient pas de quelque genre que ce soit d'intervention utile. Ils ont également reconnu qu'après qu'une victime de violence a commencé à faire appel aux services offerts, il se peut qu'il faille de nombreuses années pour réunir les ressources nécessaires pour faire face à ses problèmes souvent multiples et complexes. Les victimes qui ont subi des dommages au cerveau par suite d'un traumatisme ou du SAF, qui sont parfois handicapées pour la vie, peuvent avoir besoin d'un soutien et de services permanents pendant toute leur vie.

Difficulté de travailler avec le système judiciaire et le système correctionnel

Les répondants ont formulé des observations précises lorsqu'ils ont décrit les défis en matière d'établissement de politiques et les divers systèmes judiciaires du Yukon. Un nombre relativement élevé de fournisseurs de services sondés estimaient qu'il faut résoudre un certain nombre de problèmes graves.

Plusieurs fournisseurs de services estiment que les initiatives en matière de justice alternative et de justice réparatrice, comme les tribunaux de conciliation, le conseil de détermination de la peine et la concertation des familles, n'ont pas toujours traité adéquatement les victimes de crime. Ils ont indiqué que certaines victimes craignent de participer et sont souvent accablées par le soutien manifesté aux délinquants dans ces cercles. Certaines victimes ne veulent pas que leur déclaration de la victime soit lue dans ces cercles, ce qu'on semble avoir fait sans consulter la victime au préalable. De plus, plusieurs victimes ont indiqué qu'elles ne croyaient pas que le groupe les avait appuyées et qu'elles ne ressentaient aucun sentiment de « rétablissement » ou de réconciliation de la part du groupe. Il semblerait que certaines victimes se soient senties complètement réduites au silence après avoir entendu les remarques élogieuses au sujet du délinquant dans ces cercles.

D'autre part, quelques répondants ont dit que ces processus de justice alternative ont assisté dans une grande mesure les victimes dans leur collectivité et qu'ils les ont aidées à se rétablir.

En ce qui concerne le système judiciaire ordinaire, les répondants croient que les procureurs de la Couronne et les juges ont besoin de beaucoup plus de formation sur les questions de victimisation et de traumatisme. En particulier, ils estiment que ce personnel judiciaire n'a pas une connaissance suffisante de la violence conjugale et sexuelle, des questions de pouvoir et de contrôle dans les relations, des traumatismes chroniques, de la violence antérieure et du syndrome d'alcoolisation fœtale.

Quelques répondants estiment qu'il arrive souvent que les avocats de la défense ne respectent pas le code de déontologie dans leur façon de traiter les victimes au cours des procès. Et certains se demandent si les avocats de la défense disent à leurs clients de soutenir qu'ils sont des victimes afin de réduire leur peine ou d'obtenir la sympathie du juge et du public.

Quelques répondants estiment également que la police doit prendre plus au sérieux les ordonnances de non-communication et les appliquer plus adéquatement, ce qui n'est pas le cas actuellement, d'après eux. Ils ont également indiqué que la police ne traite pas toujours les enfants victimes de façon appropriée; les policiers leur disent qu'ils n'ont pas à raconter leur histoire afin de leur épargner d'autres traumatismes. Les fournisseurs de services qui travaillent avec les enfants victimes ont indiqué que l'enfant peut réellement avoir besoin de raconter son histoire dans le cadre de son propre processus de rétablissement.

Les fournisseurs de services ne s'entendent pas sur ce qui constitue un traitement efficace des victimes et des délinquants dans les cas de violence conjugale et sexuelle. Certains répondants estiment que les délinquants et les victimes doivent être séparés afin de guérir et ils ne croient pas que cela se produit. D'autres répondants se demandent si les refuges pour femmes battues tiennent les femmes trop éloignées des autres services.