Recueil des recherches sur les victimes d’actes criminels, no 5

Criminalité liée à l’identité : Ce qu’elle est et les répercussions qu’elle a sur les victimesNote de bas de la page 1

Melissa Northcott, M.A. est chercheuse à la Division de la recherche et de la statistique du ministère de la Justice du Canada,à Ottawa, où elle fait de la recherche sur un vaste éventail de questions liées aux victimes.

La plupart d’entre nous avons entendu parler de certains types de crimes liés à l’identité : la fraude par carte de crédit, la fraude médicale, la fraude immobilière et la fraude en matière de prêt. Aux États- Unis, on parle de la criminalité liée à l’identité comme l’un des crimes dont la croissance est la plus rapide (Identity Theft Resource Cen, 2010). Au Canada, elle existe assurément, mais on en sait moins sur sa fréquence. Ce n’est qu’en 2010 que les services de police ont commencé à garder officiellement la trace de ces infractions.

Les crimes liés à l’identité ont sur les victimes des conséquences réelles et bien souvent dévastatrices. Le gouvernement du Canada prend au sérieux la criminalité liée à l’identité et a adopté de nombreuses mesures pour sensibiliser les Canadiens à la question. Ces mesures comprennent les suivantes : des sites Web où l’on renseigne les Canadiens sur la criminalité liée à l’identité, comme le site du Commissaire à la protection de la vie privée du CanadaNote de bas de la page 2; des rapports spéciaux traitant de cette criminalité, comme le rapport du Service canadien de renseignements criminelsNote de bas de la page 3; diverses campagnes de sensibilisation du publicNote de bas de la page 4, comme la campagne nationale de sensibilisation publique à la cybersécurité lancée par Sécurité publique Canada à l’automne 2011 dans le cadre sa Stratégie de cybersécurité du Canada.Note de bas de la page 5

La Division de la recherche et de la statistique du ministère de la Justice du Canada a entrepris une analyse documentaire afin d’étudier plus à fond les besoins des victimes et un examen des services prodigués aux victimes de crimes liés à l’identité et de la mesure dans laquelle ils répondent aux besoins de ces victimes.

On a utilisé des bases de données en sciences sociales de même qu’Internet pour procéder à cette analyse documentaire. Une recherche additionnelle a été menée sur Internet relativement aux services qui sont offerts aux victimes de crimes liés à l’identité au Canada, aux États-Unis, en Australie, en Nouvelle-Zélande, au Royaume-Uni, dans l’Union européenne ainsi qu’aux services qui sont offerts par les Nations Unies. On a également communiqué avec diverses personnes travaillant dans le domaine de la criminalité liée à l’identité (p. ex. des fournisseurs de services aux victimes, des responsables de l’application de la loi et des fonctionnaires) pour obtenir des précisions sur l’information tirée des sites Web et pour leur demander des évaluations de programmes, le cas échéant. Faute d’évaluations de programmes, on a examiné le mandat et les activités de divers programmes et organismes pour vérifier s’ils pouvaient satisfaire aux besoins connus des victimes de crimes liés à l’identité.

Qu’est-ce que la criminalité liée à l’identité?

La criminalité liée à l’identité, c’est tant le vol que la fraude d’identité. Le vol d’identité est défini comme [Traduction] « la possession, le commerce ou l’utilisation non autorisés de renseignements personnels », et la fraude d’identité comme [Traduction] « l’utilisation frauduleuse des données d’identification personnelle d’un tiers pour obtenir un avantage ou un bien, pour désavantager une autre personne, pour éviter d’être arrêté ou pour entraver le cours de la justice » (Forum sur la criminalité transfrontalière, 2010, p. 2).

En janvier 2010, le projet de loi S-4, Loi modifiant le Code criminel (vol d’identité et inconduites connexes), est entré en vigueur. Le projet de loi S-4 créait trois nouvelles infractions, passibles chacune d’une peine d’emprisonnement maximale de cinq ans, ayant trait aux premiers stades de la criminalité liée à l’identité (Ministère de la Justice Canada, 2010). Les dispositions du Code criminel concernant le dédommagement ont également été modifiées de manière à viser les dépenses raisonnables engagées par la victime pour le rétablissement de son identité, notamment pour remplacer des pièces d’identité et corriger le dossier ou la cote de crédit (Parlement du Canada, 2009).

Il est difficile d’établir la fréquence exacte de la perpétration dans les pays occidentaux de crimes liés à l’identité, et ce, pour plusieurs raisons. Premièrement, c’est souvent plusieurs mois après la perpétration de ce type de crime qu’on se rend compte qu’on a été victime. De plus, bien des gens ne signalent pas, pour de nombreuses raisons, comme la honte ou l’embarras, qu’ils ont été victimes (Deem et coll., 2000; Bureau des victimes d’actes criminels, 2010). Au Canada, ce n’est que récemment qu’on a commencé à recueillir des statistiques officielles sur ce type d’infractions.Note de bas de la page 6

En janvier 2010, le Programme de déclaration uniforme de la criminalité (DUC2) a commencé à recueillir les données sur le vol d’identité déclarées par la police. Ces données révèlent qu’en 2010, il y a eu 796 incidents de vol d’identité et 6 141 incidents de fraude d’identité déclarés par la police au Canada.

En plus des données déclarées par la police, il existe plusieurs autres sources d’information sur la nature et la fréquence des crimes liés à l’identité. On peut obtenir des données auprès du Centre antifraude du Canada (CAFC), [Traduction] « l’organisme central canadien [qui] recueille de l’information et des renseignements criminels sur les crimes et les fraudes liés à l’identité (Forum sur la criminalité transfrontalière, 2010, p. 14). En 2010, le CAFC a reçu 18 146 appels de victimes de fraude d’identité. Il s’agit d’une augmentation par rapport au nombre d’appels reçus en 2009 (14 797 appels) et en 2008 (12 309 appels) (Centre antifraude du Canada, 2010). La criminalité liée à l’identité a également fait l’objet d’études universitaires. Sproule et Archer (2008), par exemple, ont estimé que 1,7 millions de Canadiens avaient été victimes de fraude d’identité dans l’année qui avait précédé leur étude. Dans un sondage d’opinion effectué en 2009, 16 % des répondants canadiens ont déclaré avoir déjà été victimes d’un vol d’identité (Les Associés de recherche EKOS, 2009). En outre, selon l’Enquête sociale générale (ESG)– Victimisation de 2009, 4 % des Canadiens auraient été victimes d’une fraude bancaire sur Internet dans l’année ayant précédé l’enquête (Perreault, 2011). De plus, 39 % des Canadiens ont déclaré qu’ils avaient été victimes d’une tentative d’hameçonnage pendant la même périodeNote de bas de la page 7. Une des limites principales de ces différentes sources de données, c’est que chacune des études utilise des définitions différentes des crimes liés à l’identité et que, par conséquent, elles évaluent peut-être des activités différentes.

Outre les sources susmentionnées de données sur la fréquence des incidents, d’autres recherches ont porté sur les réactions à la victimisation et sur les besoins des victimes de crimes liés à l’identité.

Quelles répercussions la criminalité liée à l’identité a-t-elle sur les victimes?

Bien que l’expérience de victimisation de chaque victime soit différente, certaines réactions sont communes à de nombreuses victimes. Ces réactions communes peuvent inclure des changements d’humeur ou des réactions émotives, comme la colère, le sentiment de culpabilité ou l’angoisse; des réactions sociales, comme l’évitement et le sentiment d’aliénation; des réactions associées à la pensée ou à la mémoire, comme les flashbacks et la confusion; des réactions physiques, comme la nausée et les maux de tête (Hill, 2009).

Dans le cadre de recherches, d’évaluations de programmes et de consultations, des victimes d’actes criminels ont également exprimé certains besoins : un besoin d’aide en vue du rétablissement affectif et psychologique, qui peut comprendre un soutien affectif et des soins thérapeutiques professionnels; des besoins tangibles et concrets, comme de l’information sur la façon d’éviter une nouvelle victimisation et sur la planification de la sécurité; des renseignements sur le système ou sur la défense des droits, notamment des renseignements et de l’aide relativement à la police ou au système judiciaire et de l’aide dans les rapports avec divers agences (Newmark, 2004).

Les recherches révèlent que bien souvent les victimes de crimes liés à l’identité ont bon nombre des mêmes réactions émotives, sociales, cognitives et physiques que les victimes d’autres types de crimes. Il y a, en plus de ces réactions, d’autres répercussions précises, notamment les suivantes :

(Groupe de travail binational sur les fraudes transfrontalières par marketing de masse, 2004; Forum sur la criminalité transfrontalière, 2010; Deem, 2000; Deem et coll., 2007; Fraud Advisory Panel, 2006; Identity Theft Resource Center, 2009; Lawson, 2009; National Crime Victim Law Institute, 2011).

Les recherches révèlent en outre que les victimes de crimes liés à l’identité auront des besoins qui sont propres à leur situation, notamment les suivants :

(Button et coll., 2009a; Button et coll., 2009b; Deem et coll., 2007; Pascoe et coll., 2006).

Pratiques prometteuses

Les spécialistes de l’aide aux victimes et d’autres chercheurs recommandent plusieurs pratiques exemplaires que les fournisseurs de service aux victimes et d’autres spécialistes peuvent utiliser lorsqu’ils aident des victimes de crimes liés à l’identité. Voici certaines de ces pratiques :

(Button et coll., 2009a; Deem et coll., 2007; Lawson, 2009; Office for Victims of Crime, 2010)

Services auxquels ont accès les victimes de crimes liés à l’identité

Comme on est de plus en plus conscient de l’existence de la criminalité liée à l’identité au Canada, aux États-Unis et dans les autres pays occidentaux, les victimes ont accès aujourd’hui à plus d’information et d’aide que par le passé. Comme le révèle une recherche sur Internet, cette aide est offerte par l’entremise de sites Web, de centres d’appels et d’organismes de services aux victimes. Ce qui suit est une brève description des services qu’ils offrent aux victimes ainsi qu’une évaluation de leur aptitude à satisfaire aux besoins des victimes.

Sites Web

De nombreux sites Web fournissent de l’information sur la criminalité liée à l’identité. Les organismes qui dispensent cette information sont souvent des organismes se consacrant à l’élimination de la fraude en général, des initiatives conjointes de diverses organisations gouvernementales et des organisations générales s’intéressant surtout à la justice pénale ou aux questions financières. Il y a également des sites Web consacrés uniquement au partage d’information sur la criminalité liée à l’identité. Les renseignements que contiennent ces sites peuvent êtres utiles, puisque certains sites fournissent des renseignements sur la criminalité liée à l’identité en général ainsi que des moyens de prévenir une nouvelle victimisation. Cependant, la plupart des sites Web ne fournissent que des renseignements de base.

Compagnies d’assurances et bureaux de crédit

Plusieurs compagnies d’assurances offrent à leurs clients une assurance contre le vol d’identité qui aide à couvrir les frais encourus par les victimes. De nombreux bureaux de crédit dispensent également des services aux victimes de crimes liés à l’identité, notamment en établissant des rapports de solvabilité et en ajoutant des avertissements de fraude à des dossiers de crédit (Gendarmerie royale du Canada, 2010).Note de bas de la page 8 Certains de ces services aident à répondre aux besoins des victimes en intervenant auprès de créanciers, en demandant et en établissant des rapports de solvabilité, en rectifiant après une fraude les dossiers de cartes de crédit et les comptes bancaires et en restaurant le crédit. Ces organismes ne fournissent pas d’autres types d’aide aux victimes, comme du soutien affectif ou de l’aide face au système de justice pénale.

Organismes offrant des services directs

Certains organismes apportent une aide directe aux victimes. Ils comprennent notamment les agences de déclaration, les centres de soutien et les fournisseurs de services généraux aux victimes. Les agences de déclaration permettent aux victimes de déclarer des crimes liés à l’identité; ces agences transmettent ensuite cette information aux services de police et autres organismes importants. De nombreuses agences de déclaration font davantage pour les victimes que simplement signaler au départ les crimes commis. Par exemple, elles aident la victime à se prendre en main en lui donnant le numéro d’un service d’écoute téléphonique ou en lui fournissant les formulaires à utiliser pour les communications avec les agences nécessaires. Ces centres ne fournissent pas d’aide individuelle aux victimes.

Certains centres de soutien fournissent également des services directs aux victimes. Ces centres offrent souvent les services de professionnels qualifiés qui connaissent bien la criminalité en cause et qui peuvent apporter soutien et compréhension aux victimes. Plusieurs centres se sont dotés d’une très stricte politique de protection de la vie privée et aident les victimes à se prendre en main en leur fournissant l’information requise sur place ou en ligne. Ces centres n’apportent aucune aide dans les diverses étapes du processus de justice pénale, et certains d’entre eux n’aident pas les victimes à faire face aux défis financiers qui découlent de leur victimisation.

Les fournisseurs de services généraux aux victimes offrent également de l’aide aux victimes de crimes liés à l’identité. Ces fournisseurs de services aux victimes peuvent offrir des services généraux, comme travailler de concert avec d’autres organismes, assurer des services d’aiguillage des victimes et assister celles-ci devant les tribunaux. Quelques organismes ont été mis sur pied précisément pour répondre aux besoins des victimes de crimes liés à l’identité. Ils aident les victimes qui ont affaire au système de justice pénale, leur fournissent un soutien affectif et des services gratuits de counseling et les aident à faire face à leurs problèmes financiers. De nombreux organismes assurent un suivi continu auprès des victimes, sont dotés de strictes politiques de protection de la vie privée et informent les victimes de leurs droits. Ces organismes qui se spécialisent dans la réponse aux besoins de victimes de crimes liés à l’identité sont rares et, bien qu’ils renvoient vers la police certains appels reçus, ils n’agissent pas à titre de centres déclarants.

Conclusion

Si les victimes de crimes liés à l’identité, d’après les recherches, ont bon nombre des mêmes réactions face à la victimisation et des mêmes besoins que les victimes d’autres crimes, elles ont aussi des réactions et des besoins qui leur sont propres. Bien des pays visés par notre étude fournissent maintenant des services spécialement adaptés à ce groupe de victimes. En l’absence d’évaluations rigoureuses des programmes, on ne peut dire de manière définitive si les services ainsi offerts répondent aux besoins des victimes. D’après les recherches effectuées, toutefois, il semble bien que le mandat et les activités de plusieurs de ces fournisseurs de services répondent au moins à certains, sinon plusieurs, des besoins de leurs clients. Pour établir si les services disponibles satisfont véritablement aux besoins des victimes, il faudrait procéder à des évaluations de programmes méthodologiquement rigoureuses.

Malgré les lacunes dans les données sur la fréquence et la nature des crimes liés à l’identité, nous savons que les besoins des victimes sont bien réels. Étant donné que chaque année nos interactions personnelles, professionnelles et commerciales se font de plus en plus par voie électronique, il importe de bien comprendre la criminalité liée à l’identité, ses répercussions et la meilleure manière de répondre aux besoins particuliers des victimes de ce type de crime.

Références