Mieux comprendre l’établissement et l’impact des Centres d’appui aux enfants (CAE)
1. Modèle des centres d’appui aux enfants (CAE)
Les centres d’appui aux enfants (CAE) et les centres d’appui aux enfants et aux adolescents (CAEANote de bas de page 3) sont nés du besoin de réduire le stress imposé aux enfants et aux jeunes victimes au cours des enquêtes sur les agressions sexuelles.
Environ un Canadien sur trois est victime de violence avant l’âge de 15 ans. Bien que les accusés soient souvent des étrangers ou des connaissances (p. ex. un enseignant, un voisin ou un prêtre), une grande partie d’entre eux sont des membres de la famille. Par exemple, en 2014, environ 53 600 enfants et jeunes ont été victimes de crimes violentsNote de bas de page 4. Environ 16 300 (31 %) de ces jeunes victimes avaient été victimes de violence familialeNote de bas de page 5.
L’ancien administrateur en chef de la santé publique du Canada, le Dr Gregory Taylor, a expliqué en 2016 que « la violence familiale prend de nombreuses formes, varie en gravité et comprend la négligence ainsi que la violence physique, sexuelle, psychologique et financièreNote de bas de page 6 ». Les jeunes (âgés de 12 à 17 ans), les femmes, les Canadiens et Canadiennes vivant dans les territoires et en Saskatchewan, et les résidents des régions rurales sont plus susceptibles d’être victimes de violence familiale. Les agresseurs sont en général les parents (61 %) plutôt que les frères et sœurs ou des membres de la famille élargieNote de bas de page 7. Le type le plus courant de violence familiale envers les enfants et les adolescents est l’agression physique.
Les CAE visent également à remédier au manque de coordination entre les services sociaux et le système de justice pénale, ce qui a fait que les victimes ont été interrogées à plusieurs reprises par différents organismes, souvent par des professionnels sans formation sur le développement de l’enfant. Qui plus est, les endroits où se tenaient les enquêtes, tels que les postes de police, n’étaient pas accueillants pour les enfants. Pour prévenir des traumatismes causés par le système que plusieurs considèrent comme une autre forme de violence faite aux enfantsNote de bas de page 8, les CAE coordonnent idéalement les services en rassemblant des professionnels dans une équipe multidisciplinaire (EM) qui travaille dans un endroit unique et accueillant pour les enfants. Aujourd’hui, la police et les organismes de protection de l’enfance peuvent aiguiller les victimes et les témoins de divers types de violence et d’autres infractions vers les CAE.
« Ils veulent simplement aider, indépendamment du résultat. Leur but premier est d’aider les enfants. Chaque localité a besoin d’un endroit comme un CAE » (parent ou tuteur).
Leadership des États-Unis
Les États-Unis sont chefs de file dans l’établissement et la mise en œuvre des CAE, et la recherche à ce chapitre. Le premier CAE a vu le jour en Alabama en 1985 et aujourd’hui, plus de 800 CAE exercent leurs activités aux États-UnisNote de bas de page 9. La National Children’s Alliance offre un système d’agrément aux États-UnisNote de bas de page 10, qui énumère les éléments clés suivants du modèle des CAE :
- Équipe multidisciplinaire : Les CAE regroupent des professionnels de l’application de la loi, de la protection de l’enfance, des poursuites, de la défense des droits des victimes, du monde médical et de la santé mentale au sein d’une seule équipe avec le personnel du CAE.
- Compétence et diversité culturelle : Les CAE offrent des services adaptés à la culture à tous les clients.
- Entrevues judiciaires : Les CAE mènent des entrevues judiciaires adaptées aux enfants, neutres et solides du point de vue juridique, et évitent de tenir des entrevues répétitives (p. ex. par enregistrement vidéo).
- Soutien aux victimes et défense des droits des victimes : Les défenseurs des droits des victimes offrent un soutien continu et complet aux victimes et aux parents ou tuteurs innocentsNote de bas de page 11.
- Évaluation médicale : Des examens et des traitements médicaux sont effectués sur place ou dans une installation médicale affiliée par du personnel formé sur les agressions sexuelles commises envers les enfants.
- Santé mentale : Les CAE offrent des services de santé mentale axés sur les traumatismes aux victimes et aux parents ou tuteurs innocents afin de prévenir des résultats nuisibles à long terme sur le plan social, affectif et de la santé.
- Examen des cas : Les CAE disposent d’un processus structuré en matière d’échange de renseignements et d’examen des cas offert par les membres de l’EM.
- Suivi des cas : Les CAE fournissent un système de surveillance de l’évolution des cas et de suivi des résultats.
- Capacité organisationnelle : Une entité directrice supervise les aspects opérationnels du CAE, met en œuvre les politiques, cherche à obtenir le financement nécessaire, embauche le personnel et fait la promotion du bien-être des employés et assure la planification.
- Milieu axé sur l’enfant : Les salles sont privées, sécuritaires et confortables pour tous les clientsNote de bas de page 12.
Toutefois, le modèle des CAE varie dans la pratique. Par exemple, certains sites n’offrent que certains services, tandis que d’autres offrent des services différemment (p. ex. sur place ou à l’extérieur). Par conséquent, il existe différents niveaux d’agrément pour reconnaître la diversité des CAE américains. En fait, le modèle est conçu pour être souple, afin que les CAE puissent répondre aux besoins particuliers des collectivités et des victimes.
Les États-Unis sont également à l’avant-garde de la recherche sur les CAE. L’étude la plus importante a été menée en 2008 par Theodore Cross et ses collègues du Crimes Against Children Research Centre de l’Université du New Hampshire. L’étude de M. Cross a évalué quatre CAE américains par rapport à des collectivités avoisinantes qui n’en faisaient pas partieNote de bas de page 13. Cette recherche a révélé que, même si les CAE et les collectivités de comparaison affichent des taux semblables de poursuites et de condamnations, les CAE ont des enquêtes mieux coordonnées, un meilleur accès aux examens médicaux, des aiguillages accrus vers les services de santé mentale et des niveaux plus élevés de satisfaction des parents ou des tuteurs à l’égard des enquêtes. Bien que la satisfaction des enfants n’ait pas varié entre les collectivités des CAE et celles qui n’en faisaient pas partie, les données probantes laissent entendre que les CAE pourraient atténuer les craintes des enfants pendant les entrevues. Toutefois, les CAE n’ont pas permis de réduire le nombre d’entrevues par enfant victime. Cette recherche, ainsi qu’une méta-étude ultérieure de l’efficacité des CAE menée par James Herbert et Leah Bromfield en 2015, ont fait état de l’approche d’équipe multidisciplinaire comme étant l’assise du modèle des CAENote de bas de page 14. Cependant, peu d’études ont tenté de déterminer si les CAE réduisent les traumatismes, ce qui se veut l’objectif du modèleNote de bas de page 15.
Modèle canadien et historique
L’établissement du modèle au Canada est plus récent, car le premier CAE au Canada a ouvert ses portes à Regina en 1997. Encore en 2009, l’ancien ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels, Steve Sullivan, se disait préoccupé par le fait que « ces professionnels travaillent souvent de façon isolée et ne communiquent pas toujours de façon efficace entre eux et avec les enfants et leur famille. Cela a pour résultat de produire un processus fragmenté, déroutant, inefficace et coûteuxNote de bas de page 16 ». Pour y remédier, le budget fédéral de 2010 annonçait une aide pour la création et le renforcement des CAE par le truchement du Fonds pour les victimes dans le cadre de la Stratégie fédérale d’aide aux victimes (SFAV). Des fonds supplémentaires, prévus dans le budget fédéral de 2012, visaient à renforcer la capacité des fournisseurs de services qui travaillent auprès des enfants et des adolescents victimes d’actes répréhensibles.
L’intérêt à l’égard du modèle des CAE a crû au Canada dans tous les secteursNote de bas de page 17. En 2016, les CAE suivants exerçaient leurs activités au Canada et au moins sept autres endroits élaborent ou examinent actuellement le modèle.
- Alisa’s Wish CYAC, à Maple Ridge, en Colombie-Britannique;
- Sophie’s Place CYAC, à Surrey, en Colombie-Britannique;
- Victoria CYAC, à Victoria, en Colombie-Britannique;
- Vancouver CYAC, à Vancouver, en Colombie-Britannique;
- Oak CYAC, à Vernon, en Colombie-Britannique;
- Willow CYAC, à Kelowna, en Colombie-Britannique;
- Sheldon Kennedy CAC, à Calgary, en Alberta;
- Zebra Child Protection Centre, à Edmonton, en Alberta;
- Caribou CYAC, à Grande Prairie, en Alberta;
- Regina Children’s Justice Centre, à Regina, en Saskatchewan;
- Saskatoon Centre for Children’s Justice, à Saskatoon, en Saskatchewan;
- Snowflake Place for Children and Youth, à Winnipeg, au Manitoba;
- Koala Place CYAC, à Cornwall, en Ontario;
- Kristen French CAC Niagara, à St. Catharines, en Ontario;
- CAC of Simcoe/Muskoka, à Orillia, en Ontario;
- Boost CYAC, à Toronto, en Ontario;
- Waterloo Region CYAC, à Waterloo, en Ontario;
- Centre d’expertise Marie-Vincent, à Montréal, au Québec;
- SeaStar CYAC, à Halifax, en Nouvelle-Écosse;
Trois sites se considèrent comme étant des modèles virtuels :
- Project Lynx, à Whitehorse, au Yukon;
- SKY (Safe Kids and Youth) Coordinated Response, à Nelson, en Colombie Britannique;
- Ottawa CYAC pilot project.
La recherche sur les CAE canadiens est limitée. Le ministère de la Justice du Canada (le Ministère) a collaboré avec deux organismes, Boost CYAC (Toronto) et Zebra Child Protection Centre (Edmonton), dans le but d’étudier l’incidence des modifications apportées aux dispositions du Code criminel sur les outils d’aide au témoignage adoptées en 2005Note de bas de page 18. Des universitaires comme Mireille Cyr, Kim Roberts, Nick Bala et Alison Cunningham se sont aussi penchés sur les techniques d’entrevue, les témoignages et d’autres aspects touchant les enfants dans le système de justice pénaleNote de bas de page 19. Toutefois, la recherche sur les services se limite aux évaluations internes des programmes réalisées par les organisations et qui ne sont pas toujours facilement accessibles par le public.
Afin d’appuyer l’établissement des CAE canadiens, le Ministère a créé une base de données nationale sur les CAE, qui a donné lieu au premier échange de connaissances national sur les CAE en 2011 à Ottawa. Cet événement a réuni des partenaires d’équipes multidisciplinaires de partout au pays pour diffuser les connaissances sur le modèle des CAE, acquérir une compréhension commune des services offerts et discuter des réussites et des défis. Une réunion de suivi a été tenue en 2012 et un deuxième échange de connaissances s’est tenu en 2013. Ces activités ont permis de lancer de la recherche sur l’élaboration de lignes directrices nationales s’appliquant aux CAE canadiens, ce qui comprenait la rétroaction d’intervenants de CAE au moyen d’un réseau national de CAE dirigé par le ministère de la Justice, et de travaux entrepris en Ontario pour appuyer la création de CAE dans cette provinceNote de bas de page 20. Les partenaires sont d’avis que les lignes directrices devraient favoriser l’uniformité dans tout le pays, tenir compte de la façon dont les cas de violence faite aux enfants sont traités au Canada par opposition aux États Unis, aider les nouvelles organisations à établir des CAE et préserver l’intégrité du modèle des CAENote de bas de page 21. Un rapport rédigé par Lorne Bertrand et des collègues fournit des données probantes à l’appui des lignes directrices recommandéesNote de bas de page 22, qui inclut un cadre axé sur les enfants, une équipe multidisciplinaire, la sensibilité culturelle, des entrevues judiciaires, des services de défense des droits et de soutien, une évaluation et des traitements médicaux, une évaluation et le traitement de la santé mentale, l’examen des cas, le suivi des cas et la capacité organisationnelle. Ces lignes directrices correspondent aux normes de la National Children’s Alliance des États-Unis.
Aujourd’hui, des CAE existent aussi en Australie, en Croatie, à Cuba, en Finlande, en Israël, en Moldavie, en Nouvelle-Zélande, en Norvège, en Afrique du Sud, en Suède et au Royaume-UniNote de bas de page 23.
- Date de modification :