Réforme du divorce et exercice conjoint
de l'autorité parentale
La perspective du droit civil québécois
PARTIE I
L'AUTORITÉ PARENTALE DANS LA FAMILLE UNIE : NOTION ET PRINCIPES
Avant d'élaborer sur la question de l'autorité parentale en contexte de rupture du couple, il est important de rappeler les principes de base en rapport avec le concept civiliste d'autorité parentale. Dans cette section, il sera donc question, de façon sommaire, de l'exercice de l'autorité dans la famille unie.
Le droit civil québécois, à l'instar du droit de tous les pays de tradition civiliste, utilise le concept d' « autorité parentale ». Cette notion englobe la plupart des attributs nécessaires à l'éducation des enfants. Cette autorité peut être analysée comme un « droit-fonction », en ce sens que, si elle implique des droits, elle représente avant tout une responsabilité : celle de voir à tous les aspects de l'éducation et de l'épanouissement des enfants.
Calqué en bonne partie sur le Code Napoléon de 1804, le Code civil du Bas-Canada de 1866 utilisait la terminologie de « puissance paternelle » : celle-ci appartenait aux deux parents mais était exercée, pendant la vie commune, par le père seulement. La notion de « garde » n'existait pas dans l'ancien Code civil, même pas au chapitre de la séparation de corps, dont l'article 214 se contentait d'édicter que « Les enfants sont confiés à l'époux qui a obtenu la séparation de corps » (nous soulignons). Ce n'est, en effet, qu'en 1969 que le terme « garde » apparut pour la première fois dans le Code civil[3].
Plus tard, en 1977, le législateur québécois suivit l'exemple du droit français en remplaçant l'expression « puissance paternelle » par celle d' « autorité parentale » et, surtout, en instaurant le principe de l'exercice conjoint de l'autorité par le père et la mère en toute égalité. Depuis 1977, le concept d'exercice conjoint de l'autorité parentale n'a pas changé. Toutefois, en 1994 (année de l'entrée en vigueur du nouveau Code civil du Québec), le législateur compléta ce concept en instaurant le principe de la « tutelle légale des parents ». Ce droit de tutelle signifie qu'en plus d'exercer l'autorité sur la personne des enfants, les parents assurent aussi conjointement la représentation de leurs enfants mineurs dans l'exercice de leurs droits civils et administrent conjointement le patrimoine de ceux-ci[4]. L'autorité parentale, de même que la tutelle légale, est un effet automatique de la filiation et existe quel que soit le statut matrimonial des parents. Dès lors que le lien de filiation est légalement établi, peu importe que les parents soient ou non mariés, l'autorité parentale et la tutelle sont exercées par les deux conjointement.
Fidèle à la tradition civiliste, le droit québécois prévoit que l'autorité parentale comprend « le droit et le devoir de garde, de surveillance et d'éducation » ainsi que l'obligation de nourrir et d'entretenir l'enfant[5]. Au-delà de ce principe général, l'autorité parentale implique également des responsabilités plus spécifiques qui sont prévues aussi bien dans de nombreuses lois statutaires que dans le Code civil. On peut citer, par exemple, le droit de consentir aux soins requis par l'état de santé du mineur[6] ou celui de consentir au mariage de celui-ci[7]. La collégialité dans l'exercice de l'autorité parentale et de la tutelle légale est cependant aménagée de façon pratique. Ainsi, à l'égard des tiers de bonne foi (la garderie, l'école, l'hôpital, l'institution financière, etc.), le père ou la mère qui accomplit seul un acte d'autorité à l'égard de l'enfant ou un acte relatif à l'exercice de la tutelle est présumé agir avec l'accord de l'autre[8]. L'exercice conjoint de l'autorité parentale n'implique donc pas, dans les faits, la participation matérielle de chacun des parents. C'est une règle de bon sens qui joue dans la famille unie comme dans la famille séparée.
En droit civil, les parents peuvent perdre l'autorité parentale par un jugement de déchéance[9]. Cette déchéance peut être totale ou ne viser qu'un attribut de l'autorité. Dans le premier cas, elle entraîne non seulement la perte de l'autorité parentale mais, également et automatiquement, la perte de la tutelle. Dans le second, le tribunal peut décider qu'il y aura perte de la tutelle ou non[10]. La déchéance ou le retrait d'un attribut ne peuvent être prononcés que dans l'intérêt de l'enfant et que lorsque des motifs graves le justifient. La jurisprudence est constante sur le fait qu'une décision de déchéance de l'autorité parentale implique un jugement de valeur sur des carences fondamentales des parents dans l'exercice de leur autorité (violence, abandon, négligence grave, etc.)[11]. Un tel jugement n'est pas nécessairement définitif, puisqu'un parent peut, en justifiant de circonstances nouvelles, obtenir la restitution de son autorité[12]. Cette dernière possibilité est cependant assez théorique. En réalité, la déchéance de l'autorité parentale représente, la plupart du temps, une étape vers l'adoption de l'enfant. Il est donc important de souligner que la déchéance de l'autorité parentale et l'attribution éventuelle de l'exercice de cette autorité dans le cadre d'une ordonnance de garde sont deux choses totalement différentes. Nous ne traiterons pas, dans cet exposé, de la déchéance de l'autorité parentale qui est une mesure d'exception et qui ne se pose pas dans les dossiers ordinaires de divorce ou de séparation.
En conclusion de ce bref survol des principes régissant l'exercice de l'autorité parentale dans la famille unie, retenons un élément qui prendra toute son importance dans le contexte d'une séparation ou d'un divorce : la garde ne constitue qu'un élément du concept d'autorité parentale. On peut dire que la notion de « garde » représente en quelque sorte l'élément physique de l'autorité parentale (domicile, présence de l'enfant, contrôle physique sur celui-ci)[13] alors que l'éducation en est l'élément moral.
Dans le contexte de la famille unie, cette distinction n'est évidemment jamais problématique. Mais lorsque la garde est attribuée à l'un des parents lors d'une séparation ou d'un divorce, se pose alors la question des effets de cette attribution sur l'exercice de l'autorité parentale qui, comme nous venons de le voir, est un concept beaucoup plus large que celui de la garde.
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