Dépistage rapide et orientation des familles vivant une séparation ou un divorce fortement conflictuel

POUR MIEUX SAISIR LES EFFETS DU DIVORCE (continue)

Le lien entre les mesures de garde et de visite et la bonne adaptation de l’enfant

Dans une étude portant sur 51 enfants, Jacobson (1978a) s’est penchée sur le lien entre le temps que passe l’enfant auprès de chacun des parents et sa bonne adaptation au divorce. Elle a fini par conclure que les garçons et les filles manifestaient tous les deux des problèmes d’adaptation lorsqu’on ne leur laissait pas assez de temps avec leur père. Ces enfants manifestaient des problèmes au niveau du développement social, émotionnel et scolaire.

Steinman (1981) a suivi, sur une période de trois ans, 32 enfants confiés à la garde conjointe de leurs parents séparés. Selon cette étude, la majorité des parents en question étaient, d’une manière générale, satisfaits de l’arrangement décidé, malgré certaines difficultés, alors que les enfants, eux, étaient moins satisfaits. Ces enfants ont dit clairement préférer le mariage au divorce, même lorsqu’il existe des conflits entre les parents. D’après eux, les mesures de garde conjointe étaient peu pratiques et le tiers des enfants éprouvaient, en raison de cette garde conjointe, des troubles psychologiques notables.

Steinman et autres (1985) ont décelé, dans les familles qui vivaient mal un arrangement de garde conjointe, un certain nombre d’éléments significatifs :

Pour tenter d’établir un lien entre les mesures de garde et la bonne adaptation des enfants au divorce de leurs parents, Luepnitz (1986) a comparé 43 familles où les enfants étaient confiés soit à la mère (n=16), soit au père (n=16), ou avaient fait l’objet de mesures de garde conjointe (n=11). L’étude n’a constaté que peu de différences au niveau de l’adaptation des 91 enfants en fonction des dispositions de garde. Cette étude a montré, cependant, que les enfants ayant fait l’objet de mesures de garde conjointe avaient, avec leurs parents, des rapports plus normaux que les enfants confiés à la garde d’un seul parent, car dans ce deuxième cas, les liens avec le parent qui n’en a pas la garde se transforment un peu en liens avunculaires (comme ceux que l’on entretiendrait avec un oncle ou une tante).

Shiller (1985) en déduit que les garçons ayant fait l’objet d’une garde conjointe semblent mieux s’adapter au divorce de leurs parents que les garçons vivant la plupart du temps avec leur mère.

Kline et autres (1989) ont constaté que les dispositions prises pour la garde des enfants n’affectent que peu l’adaptation de ceux-ci, mais que le plus important est l’adaptation émotionnelle des parents à l’égard du divorce comme à l’égard des arrangements pris en vue de la garde des enfants. Dans les familles où un des parents devenait soit angoissé, soit déprimé en raison du divorce, les enfants éprouvaient fréquemment des problèmes psychologiques et sociaux. Les chercheurs ont également noté que les garçons s’adaptaient moins bien que les filles et que l’hostilité interparentale entraînait pour l’ensemble des enfants des difficultés importantes, quelles que soient par ailleurs les dispositions prises en vue de la garde.

Analyse et conclusions

Les études citées dans ce chapitre relèvent de quatre catégories méthodologiques :

Les évaluations psychométriques sont sujettes à certaines limitations inhérentes puisqu’il leur manque les repères initiaux qui permettraient de savoir quelle était la situation des enfants avant la séparation des parents. Cela dit, ces évaluations permettent quand même d’isoler les facteurs de risque susceptibles d’influencer, après un divorce, la situation psychologique, sociale et scolaire des enfants.

Les études longitudinales sont de deux types : celles qui se penchent sur la situation d’un grand nombre d’enfants et en suivent l’évolution tout au long d’une période donnée, quel que soit par ailleurs le genre de famille à laquelle ils appartiennent, et celles qui, se fondant sur les données recueillies dans le cadre d’enquêtes nationales, tentent de cerner les effets qu’un divorce pourrait avoir sur les enfants. Les études du premier type sont très utiles car elles fournissent des repères qui nous renseignent sur l’état des enfants d’un âge donné à la maison, à l’école et au sein de leur communauté. Malheureusement, il n’est pas souvent fait état de ces repères dans les autres études visant, de manière plus précise, les familles divorcées. Ces études longitudinales permettent également de comparer la situation antérieure au divorce à la période ultérieure.

Portant sur un échantillon important de la population, y compris les rapports rédigés dans le cadre de la l’Enquête longitudinale nationale sur les enfants et les jeunes, ces études donnent souvent des résultats qui tranchent des conclusions d’études portant sur un échantillon plus restreint. Elles n’expliquent pas les différences constatées entre les résultats provenant des divers types d’études.

Une autre difficulté liée à ces études à grande échelle est le fait que, pour parvenir à leurs conclusions sur la manière dont un divorce affecte les enfants, elles n’isolent pas les autres événements susceptibles d’avoir influencé la vie de l’enfant. Ces études, en effet, sont à si grande échelle qu’il leur est parfois difficile d’établir un lien précis entre le divorce et un certain nombre de conséquences, mais elles parviennent toutefois à tirer des conclusions d’ordre général sur le rapport entre le divorce et certains retentissements néfastes dans la vie des enfants.

Les études narratives sont très limitées car, souvent, elles ne recourent à aucun critère objectif pour mesurer le stress ou les perturbations dont les enfants et les parents font état. Ces études, et particulièrement lorsqu’elles portent sur de longues périodes, nous offrent cependant un point de vue personnel sur la vie des enfants issus d’une famille divorcée.

Un des graves problèmes de ce genre d’études provient du fait qu’elles ne se fondent pas uniformément sur des mesures précises. En effet, on y a recours à divers types de mesures, dont les tests psychométriques et les questionnaires. Les échantillons sont de diverses provenances, y compris les grandes enquêtes nationales et les petits échantillons aléatoires de personnes bénéficiant, auprès d’un organisme particulier, de counselling ou d’aide juridique. Ces disparités au niveau méthodologique donnent des travaux remplis de contradictions et de variations qui entraînent des résultats qui ne sont guère reproductibles. Ce domaine d’études nous laisse donc surtout des enquêtes et des profils mais peu de données vérifiables concernant le divorce et les complications qu’il comporte pour les enfants. Ces travaux nous disent qu’il y a effectivement quelque chose qui ne va pas, mais les recherches qui sont menées ne le sont pas sur une base suffisamment scientifique pour permettre d’établir, d’une étude à une autre, la liste de facteurs précisément définis qui contribuent à provoquer des conséquences néfastes chez les enfants.

Malgré ces inconvénients, ces quatre types de recherches permettent cependant, si on les prend dans leur ensemble, de plus ou moins cerner les facteurs de risque que le divorce a l’air de déclencher et qui semblent entraîner chez les enfants des conséquences néfastes. Citons parmi ces facteurs de risque :

Ces facteurs de risque se divisent en deux catégories. Les facteurs épisodiques tels que les changements de domicile et d’école, la venue de nouveaux partenaires ou le remariage, dont l’impact peut être mesuré chaque fois qu’ils interviennent. Les facteurs émotionnels/psychologiques/relationnels, tels les conflits interparentaux et le degré d’adaptation psychologique de l’un des parents ou des deux, dont l’influence est beaucoup plus difficile à mesurer et exigera des analyses beaucoup plus pointues si l’on veut parvenir à des définitions plus précises, aussi bien au niveau de la fréquence que de l’intensité. Pour parvenir à de telles définitions, il faut élaborer des critères permettant, justement, de définir des notions telles que le conflit et l’hostilité interparentale.

Pris ensemble, ces facteurs de risque semblent directement liés à un certain nombre de conséquences néfastes pour les enfants, notamment :

Un facteur de risque que l’on retrouve dans de nombreuses études est la persistance d’un état conflictuel entre les parents divorcés. Nous tenterons, au chapitre suivant, de comprendre ce phénomène et le rôle qu’il joue dans la vie des familles séparées ou divorcées.