Dépistage rapide et orientation des familles vivant une séparation ou un divorce fortement conflictuel

MODÈLES CONFLICTUELS RELIÉS AU DIVORCE (continue)

Typologies des conflits interparentaux

Plusieurs cliniciens ont élaboré des typologies des conflits interparentaux. La plupart de ces typologies tentent d’améliorer, chez les cliniciens, la compréhension des conflits consécutifs au divorce plutôt que de déceler ou d’orienter les couples fortement conflictuels. Ces genres d’études, qui permettent de dresser des listes de types de comportement psychologique ou de relations typiques des familles qui divorcent, fournissent aux cliniciens des indices leur permettant de repérer les couples qui se révéleront problématiques.

Kressel et ses collègues (1980) ont comparé un petit échantillon de couples qui ont divorcé en ayant recours à la médiation (n=9) et d’autres couples ayant eu recours aux plus traditionnelles procédures judiciaires (n=5). Le but était d’élaborer une typologie des familles qui divorcent. Cette étude a permis de cerner quatre modèles de comportement qui affectent l’issue de la médiation et qui portent à engager des procédures judiciaires. Ce sont :

Selon cette étude, les couples qui manifestent le plus d’ambivalence à la fin de leur relation sont ceux qui risquent le plus de s’affronter très fortement sur des questions notamment de pension alimentaire, de garde et de droits de visite.

Se penchant sur un échantillon plus large de 80 familles en conflit, Johnston et ses collègues (1985) ont travaillé sur une typologie des divorces caractérisés par de longues périodes d’hostilité et de conflit interparental. D’après cette étude, certains éléments extrinsèques et relationnels favorisent le conflit.

Parmi ces éléments extrinsèques, notons :

Les éléments relationnels comprennent notamment :

Relevons, parmi les éléments intrapsychiques :

Tenant compte de travaux plus récents sur la violence conjugale et l’incidence de violence du partenaire lors de querelles sur la garde et les droits de visite (thème de la section suivante), Johnston et Campbell (1993) ont proposé une typologie de la violence dans les familles où l’on conteste le fait que le parent violent ait la garde des enfants. Selon eux, il y a cinq types de violence :

Cette liste est censée permettre aux cliniciens de distinguer les divers types de divorces dus à la violence. Il s’agit d’un outil devant permettre de mesurer la gravité de la violence dans le cadre de l’examen des problèmes relatifs aux droits de visite. Cet effort de différenciation n’a pas fait l’unanimité parmi les professionnels, certains estimant qu’elles nuisent aux efforts en vue de faire admettre l’égale gravité de toute violence conjugale. Ces critiques estiment que toute forme de violence justifie une restriction ou une surveillance des visites et devrait justifier que l’on écarte le parent violent de toute décision relative à l’enfant (Dalton, 1999).

Garrity et Baris (1994) ont élaboré une typologie des conflits consécutifs au divorce afin de faciliter l’évaluation des diverses mesures de garde et de visite des enfants. Ce modèle tente de cerner les éléments constitutifs des conflits de divers degrés de gravité et recommande, pour chaque niveau de conflit, diverses mesures de garde et de visite adaptées à l’âge et au niveau de développement émotionnel de l’enfant. Voici les degrés de conflit définis par les auteurs :

conflit minime :
les parents coopèrent, ils parviennent à distinguer leurs propres besoins de ceux des enfants; ils restent capables de valider l’importance de l’autre parent; les conflits entre les deux parents sont rapidement résolus, la colère ne se manifestant que de temps à autre; les émotions négatives sont rapidement maîtrisées;

conflit léger :
disputer parfois l’autre parent en présence de l’enfant; querelles occasionnelles en présence de l’enfant; interroger l’enfant au sujet de divers aspects de la vie personnelle de l’autre parent; tenter parfois d’obtenir de l’enfant qu’il prenne partie contre l’autre parent;

conflit modéré :
invectives mais aucune menace de violence ni antécédents de violence physique; vociférations; dénigrement de l’autre parent; menaces de procès; efforts constants pour obtenir de l’enfant qu’il prenne partie contre l’autre parent sur diverses questions;

conflit assez grave :
l’enfant n’est pas lui-même en danger, mais ses parents se mettent, eux, réciproquement en danger; menaces de violence; claquements de portes; projection d’objets; menaces de violence physique ou d’enlèvement; efforts en vue d’obtenir de l’enfant qu’il prenne carrément et définitivement partie contre l’autre parent (syndrome de l’aliénation); l’enfant court un risque émotif;

conflit grave :
mise en danger par des violences physiques ou sexuelles; affaiblissement des facultés par l’alcool ou les drogues; état psychopathologique grave.

Cette échelle des conflits peut faciliter les recommandations concernant le lieu de résidence principal, les droits de visite et d’autres décisions relatives aux enfants, selon leur âge.

Eric Hood est un psychiatre qui, depuis plus de 20 ans, assure, dans le cadre du Clarke Institute, l’examen des dossiers familiaux comme l’ordonne la cour. Devant le Comité mixte spécial sur la garde et le droit de visite des enfants, il s’est dit sceptique en ce qui concerne les efforts en vue d’établir des critères mesurables permettant de définir ce qu’on entend par divorces fortement conflictuels. D’après lui, les spécialistes de la santé mentale tentent par ce biais de donner un caractère plus scientifique et plus professionnel à leurs évaluations lorsqu’ils ont à se présenter devant un tribunal afin de justifier leurs appréciations. Dans une entrevue téléphonique, Hood a affirmé que lorsqu’il s’agit de caractériser un divorce fortement conflictuel, la première question que l’on se pose est de savoir pourquoi l’on ne parvient pas à régler le différend. Pour Hood, il y a trois indices très nets de ce genre de problèmes :

D’après Hood, ce ne sont là que de simples indices qui n’ont aucune force prospective.

Nicholas Bala, professeur de droit à l’Université Queen’s qui a, lui aussi, témoigné devant le Comité spécial mixte, s’est montré très méfiant en ce qui avait trait à l’établissement de critères permettant de déceler les divorces fortement conflictuels. D’après lui, les critères entraînent un étiquetage qui, en matière de résolution des conflits, tend à exclure un certain nombre de solutions possible. Dans une entrevue téléphonique, Bala a dit que les personnes divorcées doivent pouvoir bénéficier de toute une gamme d’interventions. Il compte parmi celles-ci :

Bala estime qu’il est moins important de parvenir à une définition de ce qu’on entend par divorces fortement conflictuels, car ce qui compte davantage, c’est de mettre en place des procédures qui permettent d’accompagner les intéressés et de fournir à toutes les familles qui divorcent un certain nombre de services.

Robbie Behr et Charlene Lafleur-Graham, des Family Law Support Services de la Saskatchewan, estiment pour leur part que l’évaluation des parents permet de distinguer les divorces fortement conflictuels des divorces moins litigieux afin de pouvoir assurer aux premiers les services spécialisés nécessaires. Ils relèvent, parmi les indices de situations fortement conflictuelles :

Lors d’une entrevue téléphonique, Behr et Lafleur-Graham ont déclaré que les familles en cours de divorce ont accès à toute une gamme de services selon les besoins individuels des personnes concernées, y compris :

Le programme instauré en Saskatchewan par les Family Law Support Services se fonde sur le schéma élaboré par Garrity et Baris lorsqu’il s’agit d’expliquer à un tribunal les recommandations formulées en matière de répartition des tâches parentales.

Rachel Birnbaum et Lorraine Martin, du Bureau de l’avocat des enfants de l’Ontario, estiment que la plupart des cas dont elles sont saisies sont effectivement des situations fortement conflictuelles. Elles se réfèrent à l’échelle élaborée par Garrity et Baris afin de distinguer les situations fortement conflictuelles de celles qui le sont moyennement et faiblement, et d’orienter les familles en question vers le service adapté. En plus des éléments cernés par Garrity et Baris, Martin a dressé une liste d’autres facteurs dont il y a lieu de tenir compte, notamment :

Ayant pour but d’évaluer les dossiers afin d’orienter les personnes vers un service adapté, Martin et Birnbaum s’intéressent principalement à la question suivante : quelles seraient les ressources nécessaires pour maintenir et entretenir la relation parent-enfant? Les évaluations, qui sont déjà un début d’intervention, ont pour résultat d’orienter les familles vers quatre types de services distincts, l’idée étant que, dans la plupart des cas, l’enfant aurait tout avantage à ce que soit maintenue sa relation avec les deux parents. Selon Martin et Birnbaum, voici les quatre types de services parmi lesquels il y aurait lieu de choisir :

Rhonda Freeman est directrice du programme Families in Transition, installé à Toronto et s’adressant aux familles séparées, divorcées et recomposées. Son expérience clinique lui a permis d’élaborer un profil des familles faiblement conflictuelles et des familles fortement conflictuelles.

On relève notamment dans les familles faiblement conflictuelles :

Dans les familles fortement conflictuelles, on trouve :

Malgré l’absence de recherches sur les liens entre les situations fortement conflictuelles et les résultats que permettent les diverses formes d’intervention, Families in Transition établit un lien entre, d’une part, les familles faiblement et moyennement conflictuelles et les programmes thérapeutiques et pédagogiques et, d’autre part, les familles fortement conflictuelles et les services de médiation.

Lena Jones, qui a une maîtrise en psychologie, se livre depuis 29 ans dans le cadre de son activité professionnelle à Ottawa, à des évaluations des capacités parentales. Elle n’a pas recours, pour définir les niveaux de conflit, à une formule précise, mais applique une grille d’analyse pour déceler la gravité des conflits existant dans les familles dont elle étudie la situation.

D’après elle, les situations fortement conflictuelles peuvent receler les éléments suivants :

Dans les situations moyennement conflictuelles, les éléments suivants ont tendance à se manifester :

Pour Jones, les situations moyennement conflictuelles présentent les éléments suivants :

Les situations faiblement conflictuelles caractérisent la plupart des familles qui divorcent et dans la plupart des cas, on ne relève que des altercations occasionnelles.

Pour élaborer des plans de répartition des tâches parentales, Jones a recours au cadre suivant :

Pour les familles fortement conflictuelles :

Pour ce qui est des familles moyennement conflictuelles :

Pour les familles faiblement conflictuelles :

Jones estime qu’il serait utile pour les familles moyennement conflictuelles de recourir au coordinateur des tâches parentales évoqué par Garrity et Baris. Elle estime qu’un tel service devrait être adjoint aux tribunaux afin d’être à la disposition des familles qui ont du mal à parvenir à une décision sur un point donné.

Janet Claridge d’Ottawa, titulaire d’une maîtrise en travail social, travaille depuis 20 ans auprès des enfants et des familles. Ces neuf dernières années, elle effectue des évaluations familiales pour le compte du Bureau de l’avocat des enfants de l’Ontario. Elle estime que la plupart des familles qu’elle est chargée d’évaluer se trouvent déjà dans une situation fortement conflictuelle. Ces familles ont parfois eu recours, sans succès, à des approches plus coopératives telles que la médiation afin d’essayer de s’entendre sur les questions de garde et de droits de visite. Dans une entrevue téléphonique, Claridge a expliqué que les familles fortement conflictuelles manifestent un certain nombre de traits caractéristiques et notamment :

Pour évaluer le degré de conflit, Claridge ne se fonde aucunement sur une grille d’analyse préétablie, mais formule, en fonction du conflit, un certain nombre de recommandations au niveau des plans de répartition des tâches parentales. D’après elle, un plan de répartition des responsabilités parentales doit, lorsqu’il s’agit de familles fortement conflictuelles, contenir :

Dans le cas de familles faiblement conflictuelles, le plan de répartition des responsabilités parentales va souvent comprendre :

Selon Claridge, les familles fortement conflictuelles sont à même de profiter des services que leur offre la communauté, y compris :

D’après Claridge, les programmes de pédagogie parentale ne donnent souvent pas de bons résultats dans les situations fortement conflictuelles étant donné qu’un des parents va être porté à utiliser ce qu’il y apprend pour alimenter ses querelles avec l’autre parent.

Susan Woolam, titulaire d’une maîtrise en travail social, œuvre à Ottawa depuis 1986, auprès des enfants et des familles. Depuis 1997, elle effectue des évaluations familiales pour le compte du Bureau de l’avocat des enfants de l’Ontario. D’après elle, les parents pris dans des situations fortement conflictuelles manifestent un certain nombre de traits caractéristiques y compris :

D’après Woolam, les situations fortement conflictuelles partagent un certain nombre de traits caractéristiques :

Dans une entrevue téléphonique, Woolam a expliqué que les plans de répartition des tâches parentales élaborés pour des familles fortement conflictuelles doivent contenir :

Pour les familles faiblement conflictuelles, on peut prévoir des mesures de garde conjointe et des calendriers plus souples. Les familles fortement conflictuelles seront souvent orientées vers des programmes d’appui et de conseils médico-sociaux pour les enfants, vers des programmes permettant d’apprendre aux parents abusifs ou trop autoritaires à maîtriser leur colère et vers des programmes de thérapie et de consultation médico-sociale pour l’un et/ou l’autre parent. Woolam prône le recours à des programmes de pédagogie du divorce, mais elle reconnaît également que, parfois, les parents se trouvant dans une situation fortement conflictuelle utilisent ce qu’ils apprennent dans le cadre de ces programmes pour alimenter leurs querelles avec l’autre parent.

Sally Bleecker est une clinicienne du travail social qui, depuis 1977, est thérapeute familiale à Ottawa. Depuis 1990, elle effectue, à son cabinet, des évaluations en matière de garde et de droits de visite. Bleecker convient que seules les familles fortement conflictuelles lui demandent une évaluation en matière de mesures de garde et de droits de visite.

D’après Bleecker, les familles fortement conflictuelles manifestent un certain nombre de traits caractéristiques, aussi bien individuels que relationnels et structurels :

Bleecker a relevé également un certain nombre d’indices permettant d’anticiper les situations fortement conflictuelles, y compris :

Comme la plupart des autres évaluateurs, Bleecker ne se fonde guère sur des travaux antérieurs ou autres ouvrages pour situer le niveau de conflit au sein des familles qu’elle a à évaluer. Elle se fonde sur les observations tirées d’une série de rencontres avec les parents, avec les parents accompagnés des enfants ou avec les enfants seuls. Lors de ces entrevues, elle décide quelles sont les situations fortement conflictuelles en notant, dans les réponses qu’on lui fait, les éléments suivants :

Dans les situations moyennement conflictuelles, Bleecker estime que les problèmes se situent le plus souvent au niveau de la répartition des tâches quotidiennes et d’autres questions relativement ordinaires, et que le contrôle exercé à l’égard de diverses activités ne donne lieu qu’à des conflits somme toute mineurs.

Ces entrevues permettent à Bleecker de proposer un plan de partage des tâches parentales différent s’il s’agit d’une famille fortement conflictuelle ou d’une famille qui ne l’est que moyennement. Les plans de répartition des responsabilités parentales doivent, dans le cas de familles fortement conflictuelles, prévoir :

Dans le cas de familles moyennement conflictuelles, les plans de répartition des responsabilités familiales comprendront :

Pour Bleecker, la garde conjointe n’est adaptée qu’aux situations faiblement conflictuelles et, même dans ces cas-là, elle estime qu’il y a lieu de délimiter très clairement les choses dont l’enfant a besoin pour son développement afin que les deux parents comprennent et respectent bien cela.

Souvent, les familles fortement conflictuelles devront faire appel à des services communautaires et, souvent, Bleecker les oriente vers :

Arthur Leonoff est un psychologue clinicien qui exerce depuis 1973 et qui, depuis 20 ans, effectue des évaluations en matière de garde et de droits de visite. D’après lui, la principale difficulté au niveau des évaluations est d’aller au-delà des troubles et des querelles actuels afin de tenter de prédire quelles seront les capacités parentales une fois que les choses seront un peu rentrées dans l’ordre.

Lors d’une entrevue téléphonique, Leonoff a expliqué qu’au moment d’une évaluation, ce n’est pas la querelle qui est la chose la plus importante mais le diagnostic, si l’on peut dire, porté sur ce que les parents seront capables ou incapables de faire ensemble dans l’intérêt de leurs enfants. Cela dit, il distingue tout de même deux niveaux de conflit :

Lorsque Leonoff cherche à voir dans quelle mesure le couple va pouvoir collaborer pour élever les enfants, il cherche à sonder un certain nombre d’éléments dont :

Selon Leonoff, les recommandations qu’il formule en matière de répartition des tâches parentales ne sont pas directement fondées sur ce que l’évaluateur constate par lui-même  : ces recommandations doivent en effet tenir compte de ce qui ressort des antécédents relationnels des parents et de la manière dont ils assuraient l’éducation de leurs enfants. Pour élaborer un plan de répartition des responsabilités parentales, il tient compte de deux facteurs essentiels :

Dans ses plans de répartition des charges parentales, Leonoff fait état d’un certain nombre de services communautaires, y compris les services de traitement des divers types de dépendance, la pédagogie parentale et les services de consultation médico-sociale.

D’après Leonoff, les programmes d’accès surveillé ne peuvent représenter une solution qu’à brève échéance.