Dépistage rapide et orientation des familles vivant une séparation ou un divorce fortement conflictuel
MODÈLES CONFLICTUELS RELIÉS AU DIVORCE (continue)
Typologies des conflits interparentaux
Plusieurs cliniciens ont élaboré des typologies des conflits interparentaux. La plupart de ces typologies tentent d’améliorer, chez les cliniciens, la compréhension des conflits consécutifs au divorce plutôt que de déceler ou d’orienter les couples fortement conflictuels. Ces genres d’études, qui permettent de dresser des listes de types de comportement psychologique ou de relations typiques des familles qui divorcent, fournissent aux cliniciens des indices leur permettant de repérer les couples qui se révéleront problématiques.
Kressel et ses collègues (1980) ont comparé un petit échantillon de couples qui ont divorcé en ayant recours à la médiation (n=9) et d’autres couples ayant eu recours aux plus traditionnelles procédures judiciaires (n=5). Le but était d’élaborer une typologie des familles qui divorcent. Cette étude a permis de cerner quatre modèles de comportement qui affectent l’issue de la médiation et qui portent à engager des procédures judiciaires. Ce sont :
- le modèle embrouillé caractérisé par une situation fortement conflictuelle et une grande ambivalence concernant le divorce;
- le modèle autiste, où les parents ne manifestent pas tellement de conflits ouverts mais où ils ont tendance à s’éviter et à éviter également les questions difficiles et pénibles;
- le modèle du conflit direct, avec une situation fortement conflictuelle mais pas aussi exacerbée que dans les couples
« embrouillés »
et avec, en plus, une tendance à communiquer de manière ouverte et directe;
- le modèle du conflit marqué par un certain niveau de désengagement, avec une faible ambivalence concernant la fin du mariage (il s’agit, en général, de couples qui sont déjà parvenus à résoudre les questions liées à la cessation de leur union et de leur intimité).
Selon cette étude, les couples qui manifestent le plus d’ambivalence à la fin de leur relation sont ceux qui risquent le plus de s’affronter très fortement sur des questions notamment de pension alimentaire, de garde et de droits de visite.
Se penchant sur un échantillon plus large de 80 familles en conflit, Johnston et ses collègues (1985) ont travaillé sur une typologie des divorces caractérisés par de longues périodes d’hostilité et de conflit interparental. D’après cette étude, certains éléments extrinsèques et relationnels favorisent le conflit.
Parmi ces éléments extrinsèques, notons :
- certaines alliances et coalitions malvenues, à l’aide desquelles les querelles s’installent en raison de l’appui donné par des amis et, aussi, par des professionnels tels que des avocats ou des conseillers conjugaux;
- l’influence de parents et des guerres de clans, de vieilles querelles datant du tout début du mariage étant remémorées et envenimant les disputes concernant les enfants;
- les coalitions constituées sur les conseils d’avocats ou de conseillers qui prennent parti et qui nourrissent les querelles en conseillant à la
« victime »
de se montrer agressive et de ne pas transiger;
- l’influence du système juridique, c’est-à-dire d’une procédure contradictoire qui a pour enjeu la garde des enfants.
Les éléments relationnels comprennent notamment :
- le pénible héritage que constitue une relation conjugale destructrice, les parents ayant recours, dans la dispute qui les oppose en matière de garde et de droits de visite, aux mêmes habitudes néfastes de provocation et de représailles qui avaient cours pendant le mariage;
- des séparations donnant lieu à de douloureux ressentiments ou à des ambiguïtés, transposant la négativité acquise au cours du mariage à cette nouvelle réalité que constitue la séparation et en retenant, en ce qui a trait aux possibilités d’élever les enfants, des hypothèses fondées non sur la réalité présente mais sur les relations éprouvées pendant le mariage;
- une reconstruction négative de l’identité du conjoint, c’est-à-dire procéder en ce qui concerne l’ex-conjoint, à une redéfinition entièrement négative dont le but est, en fait, de compenser la peine découlant de la séparation;
- les portraits idéalisés et les rêves anéantis dans le cadre desquels la colère et le désespoir nés du mariage inspirent un portrait suridéalisé de la relation conjugale et des souvenirs qui l’accompagnent.
Relevons, parmi les éléments intrapsychiques :
- les conflits nés de la séparation, tels que les conflits qui constituent un mécanisme de défense contre la blessure narcissique (le conflit en matière de garde constituant dans ce cas un moyen de sauver son amour-propre); le conflit en tant que mécanisme de défense contre la perte (et dans ce cas, la garde de l’enfant est vue comme un moyen de chasser la solitude); le conflit en tant que besoin d’évacuer un sentiment d’impuissance (comme moyen de compenser la perte de contrôle relative à la séparation); et le conflit en tant que moyen de défense contre la culpabilité (et ici la garde va être considérée comme la preuve que les parents n’ont pas échoué au niveau des défis ou des responsabilités qui leur incombaient en vertu du mariage);
- les troubles de la personnalité et les désordres caractériels, c’est-à-dire les cas où les motifs de la querelle semblent avoir leur origine davantage dans la personnalité des parents et l’idée qu’ils se font d’eux-mêmes que dans l’expérience de la séparation ou dans les besoins de l’enfant;
- le besoin que les parents ressentent à l’égard de l’enfant, lorsque les enfants prennent, aux yeux des parents, une importance hors de proportion et deviennent, pour le parent, la principale source de signification et un point d’appui indispensable.
Tenant compte de travaux plus récents sur la violence conjugale et l’incidence de violence du partenaire lors de querelles sur la garde et les droits de visite (thème de la section suivante), Johnston et Campbell (1993) ont proposé une typologie de la violence dans les familles où l’on conteste le fait que le parent violent ait la garde des enfants. Selon eux, il y a cinq types de violence :
- les brutalités du mari, constantes ou épisodiques;
- les violences physiques amorcées par la femme;
- les violences de l’homme en vue de contrôler la relation;
- les violences qui se manifestent à l’occasion de la séparation et du divorce;
- les réactions psychotiques et paranoiaques.
Cette liste est censée permettre aux cliniciens de distinguer les divers types de divorces dus à la violence. Il s’agit d’un outil devant permettre de mesurer la gravité de la violence dans le cadre de l’examen des problèmes relatifs aux droits de visite. Cet effort de différenciation n’a pas fait l’unanimité parmi les professionnels, certains estimant qu’elles nuisent aux efforts en vue de faire admettre l’égale gravité de toute violence conjugale. Ces critiques estiment que toute forme de violence justifie une restriction ou une surveillance des visites et devrait justifier que l’on écarte le parent violent de toute décision relative à l’enfant (Dalton, 1999).
Garrity et Baris (1994) ont élaboré une typologie des conflits consécutifs au divorce afin de faciliter l’évaluation des diverses mesures de garde et de visite des enfants. Ce modèle tente de cerner les éléments constitutifs des conflits de divers degrés de gravité et recommande, pour chaque niveau de conflit, diverses mesures de garde et de visite adaptées à l’âge et au niveau de développement émotionnel de l’enfant. Voici les degrés de conflit définis par les auteurs :
- conflit minime :
- les parents coopèrent, ils parviennent à distinguer leurs propres besoins de ceux des enfants; ils restent capables de valider l’importance de l’autre parent; les conflits entre les deux parents sont rapidement résolus, la colère ne se manifestant que de temps à autre; les émotions négatives sont rapidement maîtrisées;
- conflit léger :
- disputer parfois l’autre parent en présence de l’enfant; querelles occasionnelles en présence de l’enfant; interroger l’enfant au sujet de divers aspects de la vie personnelle de l’autre parent; tenter parfois d’obtenir de l’enfant qu’il prenne partie contre l’autre parent;
- conflit modéré :
- invectives mais aucune menace de violence ni antécédents de violence physique; vociférations; dénigrement de l’autre parent; menaces de procès; efforts constants pour obtenir de l’enfant qu’il prenne partie contre l’autre parent sur diverses questions;
- conflit assez grave :
- l’enfant n’est pas lui-même en danger, mais ses parents se mettent, eux, réciproquement en danger; menaces de violence; claquements de portes; projection d’objets; menaces de violence physique ou d’enlèvement; efforts en vue d’obtenir de l’enfant qu’il prenne carrément et définitivement partie contre l’autre parent (syndrome de l’aliénation); l’enfant court un risque émotif;
- conflit grave :
- mise en danger par des violences physiques ou sexuelles; affaiblissement des facultés par l’alcool ou les drogues; état psychopathologique grave.
Cette échelle des conflits peut faciliter les recommandations concernant le lieu de résidence principal, les droits de visite et d’autres décisions relatives aux enfants, selon leur âge.
Eric Hood est un psychiatre qui, depuis plus de 20 ans, assure, dans le cadre du Clarke Institute, l’examen des dossiers familiaux comme l’ordonne la cour. Devant le Comité mixte spécial sur la garde et le droit de visite des enfants, il s’est dit sceptique en ce qui concerne les efforts en vue d’établir des critères mesurables permettant de définir ce qu’on entend par divorces fortement conflictuels. D’après lui, les spécialistes de la santé mentale tentent par ce biais de donner un caractère plus scientifique et plus professionnel à leurs évaluations lorsqu’ils ont à se présenter devant un tribunal afin de justifier leurs appréciations. Dans une entrevue téléphonique, Hood a affirmé que lorsqu’il s’agit de caractériser un divorce fortement conflictuel, la première question que l’on se pose est de savoir pourquoi l’on ne parvient pas à régler le différend. Pour Hood, il y a trois indices très nets de ce genre de problèmes :
- plusieurs changements d’avocat, cela pouvant être l’indice d’un client qui est incapable d’accepter les conseils;
- le nombre de fois qu’un dossier a été porté devant la cour;
- le temps nécessaire pour parvenir à un règlement.
D’après Hood, ce ne sont là que de simples indices qui n’ont aucune force prospective.
Nicholas Bala, professeur de droit à l’Université Queen’s qui a, lui aussi, témoigné devant le Comité spécial mixte, s’est montré très méfiant en ce qui avait trait à l’établissement de critères permettant de déceler les divorces fortement conflictuels. D’après lui, les critères entraînent un étiquetage qui, en matière de résolution des conflits, tend à exclure un certain nombre de solutions possible. Dans une entrevue téléphonique, Bala a dit que les personnes divorcées doivent pouvoir bénéficier de toute une gamme d’interventions. Il compte parmi celles-ci :
- des consultations médico-sociales et thérapeutiques, aussi bien pour les enfants que pour les parents (étant donné que le divorce est essentiellement un problème émotionnel);
- des programmes pédagogiques destinés à enseigner aux parents et aux proches les dangers que le divorce et les conflits peuvent poser pour les enfants;
- un système de suivi des dossiers dans le cadre duquel un juge unique sera chargé d’un dossier du début à la fin;
- une évaluation des capacités des deux parents afin de décider en fonction des intérêts mêmes de l’enfant et des capacités qu’a chacun des parents à y répondre;
- des programmes de visites et d’échanges surveillés pour les cas où il y a des antécédents de violence.
Bala estime qu’il est moins important de parvenir à une définition de ce qu’on entend par divorces fortement conflictuels, car ce qui compte davantage, c’est de mettre en place des procédures qui permettent d’accompagner les intéressés et de fournir à toutes les familles qui divorcent un certain nombre de services.
Robbie Behr et Charlene Lafleur-Graham, des Family Law Support Services de la Saskatchewan, estiment pour leur part que l’évaluation des parents permet de distinguer les divorces fortement conflictuels des divorces moins litigieux afin de pouvoir assurer aux premiers les services spécialisés nécessaires. Ils relèvent, parmi les indices de situations fortement conflictuelles :
- l’appel à la police lors d’incidents de violence ou pour faire respecter le droit de visite;
- des antécédents de violence dont il convient de décider si ces manifestations de violence sont épisodiques ou constantes;
- l’appel à des professionnels pour parvenir à une entente.
Lors d’une entrevue téléphonique, Behr et Lafleur-Graham ont déclaré que les familles en cours de divorce ont accès à toute une gamme de services selon les besoins individuels des personnes concernées, y compris :
- des soins et des consultations médico-sociales, à la fois individuels et de groupe;
- des services de santé mentale pour les enfants;
- des services de protection du bien-être de l’enfant;
- des mécanismes d’échange et de visite surveillés;
- des programmes de formation pour les parents, de tels programmes étant offerts à tout le monde mais obligatoires pour les familles fortement conflictuelles;
- des services de médiation pour les situations faiblement conflictuelles.
Le programme instauré en Saskatchewan par les Family Law Support Services se fonde sur le schéma élaboré par Garrity et Baris lorsqu’il s’agit d’expliquer à un tribunal les recommandations formulées en matière de répartition des tâches parentales.
Rachel Birnbaum et Lorraine Martin, du Bureau de l’avocat des enfants de l’Ontario, estiment que la plupart des cas dont elles sont saisies sont effectivement des situations fortement conflictuelles. Elles se réfèrent à l’échelle élaborée par Garrity et Baris afin de distinguer les situations fortement conflictuelles de celles qui le sont moyennement et faiblement, et d’orienter les familles en question vers le service adapté. En plus des éléments cernés par Garrity et Baris, Martin a dressé une liste d’autres facteurs dont il y a lieu de tenir compte, notamment :
- une séparation traumatique, c’est-à-dire la manière dont la séparation conjugale s’est faite et la blessure narcissique éventuellement subie par l’un des partenaires;
- des antécédents de violence;
- l’existence éventuelle d’affidavits portant des allégations préjudiciables concernant le caractère de l’autre parent;
- des éléments démontrant des comportements qui alimentent les conflits;
- d’interminables arguments pseudo-juridiques sur des points anodins;
- l’incapacité de dire le moindre bien de l’autre partenaire;
- le fait qu’un des parents soit enchevêtré dans sa relation avec l’enfant;
- le fait qu’un des parents signale qu’on l’a amené à se marier en le dupant, et qu’il n’aurait donc gardé aucun bon souvenir de son union.
Ayant pour but d’évaluer les dossiers afin d’orienter les personnes vers un service adapté, Martin et Birnbaum s’intéressent principalement à la question suivante : quelles seraient les ressources nécessaires pour maintenir et entretenir la relation parent-enfant? Les évaluations, qui sont déjà un début d’intervention, ont pour résultat d’orienter les familles vers quatre types de services distincts, l’idée étant que, dans la plupart des cas, l’enfant aurait tout avantage à ce que soit maintenue sa relation avec les deux parents. Selon Martin et Birnbaum, voici les quatre types de services parmi lesquels il y aurait lieu de choisir :
- la formation des parents, c’est-à-dire une pédagogie des capacités et aptitudes parentales dans le cadre de programmes qui se révèlent souvent utiles en cas d’intervention précoce auprès de familles faiblement conflictuelles, et non pas de simples programmes d’information qui ne sont que d’une faible utilité;
- des services de consultation et de soins médico-sociaux, services qui, comme ont permis de le démontrer des études de suivi, sont fréquemment recommandés à titre d’intervention précoce dans les cas faiblement ou moyennement conflictuels. Il est à préciser que les intéressés ne se rendent que rarement à ces séances;
- la médiation, qui constitue une intervention utile auprès des familles moyennement conflictuelles, même si Martin et Birnbaum insistent sur le fait qu’il faudra attendre des travaux plus précis pour savoir dans quelle mesure la médiation permet d’influer sur l’avenir des intéressés;
- des services spécifiquement chargés de défendre les intérêts de l’enfant. On y a recours pour les familles fortement conflictuelles lorsqu’il s’agit spécifiquement du bien-être de l’enfant.
Rhonda Freeman est directrice du programme Families in Transition, installé à Toronto et s’adressant aux familles séparées, divorcées et recomposées. Son expérience clinique lui a permis d’élaborer un profil des familles faiblement conflictuelles et des familles fortement conflictuelles.
On relève notamment dans les familles faiblement conflictuelles :
- une résolution des problèmes personnels;
- du respect pour l’autre parent;
- aucun risque de violence;
- une amélioration dans le fonctionnement de l’enfant après une période initiale d’adaptation;
- le fait que les deux parents sont décidés à suivre un plan de répartition des responsabilités parentales;
- le fait que les deux parents respectent la valeur que l’autre parent revêt aux yeux de l’enfant;
- le fait que les deux parents sont capables de distinguer leurs propres besoins de ceux de l’enfant;
- une acceptation de la différence;
- une certaine souplesse en matière de coopération entre les deux parents.
Dans les familles fortement conflictuelles, on trouve :
- une séparation insuffisante entre les rôles conjugaux et les rôles parentaux;
- la non-résolution de problèmes personnels;
- des antécédents de violence et un grand risque de récidive;
- un manque de confiance vis-à-vis de l’autre en tant que parent;
- un risque d’aliénation mentale;
- un point de vue déformé et une analyse révisionniste de l’histoire familiale;
- une blessure narcissique majeure;
- des risques considérables pour l’enfant;
- des transferts fréquents;
- de nouveaux partenaires pour le parent;
- des problèmes d’ordre pratique en matière de garde et de soins pour l’enfant;
- la dépendance ou l’usage abusif de diverses substances par le parent;
- des troubles psychiatriques;
- des abus de pouvoir ou de contrôle;
- des sentiments très puissants de stress ou d’impuissance;
- la multiplication des accusations concernant le bien-être de l’enfant ou les soupçons suscités à cet égard;
- de mauvaises communications;
- la polarisation des positions;
- la rigidité et le manque de coopération.
Malgré l’absence de recherches sur les liens entre les situations fortement conflictuelles et les résultats que permettent les diverses formes d’intervention, Families in Transition établit un lien entre, d’une part, les familles faiblement et moyennement conflictuelles et les programmes thérapeutiques et pédagogiques et, d’autre part, les familles fortement conflictuelles et les services de médiation.
Lena Jones, qui a une maîtrise en psychologie, se livre depuis 29 ans dans le cadre de son activité professionnelle à Ottawa, à des évaluations des capacités parentales. Elle n’a pas recours, pour définir les niveaux de conflit, à une formule précise, mais applique une grille d’analyse pour déceler la gravité des conflits existant dans les familles dont elle étudie la situation.
D’après elle, les situations fortement conflictuelles peuvent receler les éléments suivants :
- l’intervention d’organismes spécialisés dans le domaine de la santé mentale, des diverses sortes de dépendance et du bien-être des enfants;
- des agissements criminels de la part de l’un des parents ou des deux;
- des comportements abusifs ou violents;
- l’enlèvement de l’enfant;
- la traque d’un parent par l’autre;
- des comportements déchaînés.
Dans les situations moyennement conflictuelles, les éléments suivants ont tendance à se manifester :
- les querelles atroces en matière de garde, de droits de visite ou de pension alimentaire;
- un manque de contrôle de la part de l’un des parents, ou des deux;
- des conflits sans violence;
- le recours à des avocats même pour des peccadilles;
- de faibles capacités à résoudre les problèmes;
- les bagarres et les disputes en présence de l’enfant;
- la tendance, de la part d’un parent, à rejeter la faute sur l’autre;
- la tendance de l’un des parents ou des deux à s’offusquer de tout;
- l’incapacité à comprendre les besoins de l’enfant;
- les violations de frontière et les manipulations;
- le recrutement d’autres membres de la famille afin de leur faire prendre position dans le cadre d’une querelle;
- les coups de téléphone fréquents à l’autre parent.
Pour Jones, les situations moyennement conflictuelles présentent les éléments suivants :
- les parents travaillent de concert mais les résultats sont mitigés;
- le recours occasionnel à des spécialistes;
- des propos abusifs et un comportement dénué de respect envers l’autre parent;
- la manipulation de l’enfant et, parfois, une aliénation parentale;
- le sabotage délibéré de la répartition convenue des tâches parentales;
- la rigidité et l’absence de souplesse concernant des aspects mineurs du plan de répartition des responsabilités parentales;
- la possessivité à l’égard des enfants;
- la dévaluation de l’importance de l’autre parent aux yeux de l’enfant;
Les situations faiblement conflictuelles caractérisent la plupart des familles qui divorcent et dans la plupart des cas, on ne relève que des altercations occasionnelles.
Pour élaborer des plans de répartition des tâches parentales, Jones a recours au cadre suivant :
Pour les familles fortement conflictuelles :
- aucune médiation;
- on cherche à savoir si l’un des parents devrait effectivement avoir des droits de visite;
- les visites sont limitées et s’effectuent souvent sous surveillance;
- certaines situations peuvent exiger la surveillance d’un thérapeute.
Pour ce qui est des familles moyennement conflictuelles :
- un plan de répartition des tâches parentales à la fois précis et détaillé;
- une définition parallèle des tâches et peu de contacts entre les parents;
- très peu de liberté laissée aux parents en ce qui concerne l’application des détails du plan défini.
Pour les familles faiblement conflictuelles :
- possibilité de recours à la médiation;
- accord sur un plan de répartition des tâches parentales;
- utilisation de lignes directrices plutôt que de règles détaillées.
Jones estime qu’il serait utile pour les familles moyennement conflictuelles de recourir au coordinateur des tâches parentales évoqué par Garrity et Baris. Elle estime qu’un tel service devrait être adjoint aux tribunaux afin d’être à la disposition des familles qui ont du mal à parvenir à une décision sur un point donné.
Janet Claridge d’Ottawa, titulaire d’une maîtrise en travail social, travaille depuis 20 ans auprès des enfants et des familles. Ces neuf dernières années, elle effectue des évaluations familiales pour le compte du Bureau de l’avocat des enfants de l’Ontario. Elle estime que la plupart des familles qu’elle est chargée d’évaluer se trouvent déjà dans une situation fortement conflictuelle. Ces familles ont parfois eu recours, sans succès, à des approches plus coopératives telles que la médiation afin d’essayer de s’entendre sur les questions de garde et de droits de visite. Dans une entrevue téléphonique, Claridge a expliqué que les familles fortement conflictuelles manifestent un certain nombre de traits caractéristiques et notamment :
- l’existence, depuis longtemps, d’un conflit au sein de la famille;
- des parents empêtrés dans leur ancienne relation et ne manifestant guère d’indépendance ou d’autonomie l’un par rapport à l’autre;
- l’extrême méfiance entre les parents;
- le fait de se sentir très menacé par l’autre parent;
- le fait de souvent lancer contre l’autre des accusations d’abus ou de manque de soins à l’égard des enfants;
- le recours à des menaces physiques ou à des manœuvres d’intimidation;
- le refus de transiger, accompagné d’un besoin très fort de gagner.
Pour évaluer le degré de conflit, Claridge ne se fonde aucunement sur une grille d’analyse préétablie, mais formule, en fonction du conflit, un certain nombre de recommandations au niveau des plans de répartition des tâches parentales. D’après elle, un plan de répartition des responsabilités parentales doit, lorsqu’il s’agit de familles fortement conflictuelles, contenir :
- un exposé extrêmement détaillé qui ne laisse presque aucune souplesse au niveau des arrangements à mettre en œuvre;
- la nécessité d’expliquer aux parents comment réagir face à l’enfant ainsi que face à l’autre parent dans diverses situations;
- des contacts ou des communications entre parents réduits au strict minimum;
- beaucoup de régularité au niveau des activités prévues;
- le choix d’un parent en tant que décideur principal, même si la question de l’hébergement est réglée moitié-moitié;
- une faible participation conjointe aux activités sociales ou aux consultations avec des spécialistes.
Dans le cas de familles faiblement conflictuelles, le plan de répartition des responsabilités parentales va souvent comprendre :
- une garde conjointe et le partage au niveau des décisions;
- une souplesse quant à l’établissement du calendrier;
- davantage de communication et de coopération entre les parents;
- moins de règles et de détails dans les arrangements;
- la participation des deux parents, à la fois à des activités sociales et à des réunions avec des spécialistes.
Selon Claridge, les familles fortement conflictuelles sont à même de profiter des services que leur offre la communauté, y compris :
- les programmes d’échanges et de visites surveillés;
- les programmes qui apprennent à maîtriser sa colère;
- les services de consultation médico-sociale et de thérapie;
- le bien-être de l’enfance;
- les services, tels que le Bureau de l’avocat des enfants de l’Ontario, qui ont pour mission de faire entendre la voix de l’enfant.
D’après Claridge, les programmes de pédagogie parentale ne donnent souvent pas de bons résultats dans les situations fortement conflictuelles étant donné qu’un des parents va être porté à utiliser ce qu’il y apprend pour alimenter ses querelles avec l’autre parent.
Susan Woolam, titulaire d’une maîtrise en travail social, œuvre à Ottawa depuis 1986, auprès des enfants et des familles. Depuis 1997, elle effectue des évaluations familiales pour le compte du Bureau de l’avocat des enfants de l’Ontario. D’après elle, les parents pris dans des situations fortement conflictuelles manifestent un certain nombre de traits caractéristiques y compris :
- une faible capacité à comprendre les problèmes nés de leur relation avec l’autre parent;
- une tendance à réagir immédiatement plutôt qu’à réfléchir;
- un sentiment général de colère à l’égard de la vie et non pas spécifiquement à l’égard de la séparation conjugale;
- de l’amertume envers l’autre parent;
- peu d’aptitudes pour la communication;
- la tendance à se laisser empêtrer dans une situation plutôt qu’à manifester son autonomie;
- une tendance à avoir des idées arrêtées par rapport à l’autre.
D’après Woolam, les situations fortement conflictuelles partagent un certain nombre de traits caractéristiques :
- les querelles peuvent porter sur presque n’importe quoi, surtout sur des sujets qui échappent à l’action judiciaire (par exemple en ce qui concerne les repas pris chez l’autre parent);
- de la violence, manifeste ou sous forme de menace;
- le recours constant, au moindre prétexte, à la police ou à des ordonnances restrictives;
- une incapacité d’aller chercher l’enfant ou de le reconduiresans tomber dans des querelles verbales ou sans imposer de restrictions excessives aux personnes faisant maintenant partie de la vie de l’autre parent ou de celle de ses proches;
- de fausses accusations d’abus ou de consommation d’alcool ou de drogue ou d’activités criminelles;
- des querelles constantes concernant des choses qui ne sont ni mesurables ni vérifiables;
Dans une entrevue téléphonique, Woolam a expliqué que les plans de répartition des tâches parentales élaborés pour des familles fortement conflictuelles doivent contenir :
- beaucoup de détails au niveau de l’établissement du calendrier;
- des frontières très strictes entre les parents;
- très peu de changements possibles au niveau des décisions ou du lieu de résidence.
Pour les familles faiblement conflictuelles, on peut prévoir des mesures de garde conjointe et des calendriers plus souples. Les familles fortement conflictuelles seront souvent orientées vers des programmes d’appui et de conseils médico-sociaux pour les enfants, vers des programmes permettant d’apprendre aux parents abusifs ou trop autoritaires à maîtriser leur colère et vers des programmes de thérapie et de consultation médico-sociale pour l’un et/ou l’autre parent. Woolam prône le recours à des programmes de pédagogie du divorce, mais elle reconnaît également que, parfois, les parents se trouvant dans une situation fortement conflictuelle utilisent ce qu’ils apprennent dans le cadre de ces programmes pour alimenter leurs querelles avec l’autre parent.
Sally Bleecker est une clinicienne du travail social qui, depuis 1977, est thérapeute familiale à Ottawa. Depuis 1990, elle effectue, à son cabinet, des évaluations en matière de garde et de droits de visite. Bleecker convient que seules les familles fortement conflictuelles lui demandent une évaluation en matière de mesures de garde et de droits de visite.
D’après Bleecker, les familles fortement conflictuelles manifestent un certain nombre de traits caractéristiques, aussi bien individuels que relationnels et structurels :
- une très forte rigidité dans la pensée;
- une forme de pensée n’admettant que tout l’un ou tout l’autre;
- des antécédents de santé mentale;
- le sentiment d’avoir été lésé dans le cadre du mariage;
- le sentiment d’être personnellement menacé;
- un conflit né d’une relation faite surtout de rivalité;
- le désir très fort de l’emporter sur l’autre et la crainte concomitante de perdre;
- des antécédents de violence;
- la tendance à voir les enfants dans une optique territoriale;
- un sentiment d’inégalité et d’injustice;
- un sentiment d’impuissance au sein de la relation;
- l’appui d’amis et de parents dans le cadre de la querelle concernant la garde des enfants;
- un financement extérieur, souvent familial, qui permet de poursuivre le combat en justice.
Bleecker a relevé également un certain nombre d’indices permettant d’anticiper les situations fortement conflictuelles, y compris :
- de longs antécédents juridiques nés de cette même querelle;
- de fréquents changements d’avocats;
- de longs et nombreux affidavits;
- la multiplicité des organismes s’étant penchés sur le bien-être de l’enfant;
- la longue durée de la querelle.
Comme la plupart des autres évaluateurs, Bleecker ne se fonde guère sur des travaux antérieurs ou autres ouvrages pour situer le niveau de conflit au sein des familles qu’elle a à évaluer. Elle se fonde sur les observations tirées d’une série de rencontres avec les parents, avec les parents accompagnés des enfants ou avec les enfants seuls. Lors de ces entrevues, elle décide quelles sont les situations fortement conflictuelles en notant, dans les réponses qu’on lui fait, les éléments suivants :
- refus répétés de reconnaître les droits de visite;
- menaces de déménager ou d’aller vivre dans une autre province;
- dénigrement complet de l’autre parent;
- dévaluation totale du besoin que l’enfant pourrait ressentir à l’égard de l’autre parent;
- forte rigidité des frontières séparant les rôles des deux parents, rigidité qui a d’ailleurs sa source dans la relation conjugale et qui cherche à limiter la participation de l’autre parent.
Dans les situations moyennement conflictuelles, Bleecker estime que les problèmes se situent le plus souvent au niveau de la répartition des tâches quotidiennes et d’autres questions relativement ordinaires, et que le contrôle exercé à l’égard de diverses activités ne donne lieu qu’à des conflits somme toute mineurs.
Ces entrevues permettent à Bleecker de proposer un plan de partage des tâches parentales différent s’il s’agit d’une famille fortement conflictuelle ou d’une famille qui ne l’est que moyennement. Les plans de répartition des responsabilités parentales doivent, dans le cas de familles fortement conflictuelles, prévoir :
- aucun contact entre les parents, ou un contact réduit au strict minimum;
- l’établissement d’un calendrier détaillé et rigide qui ne nécessite, de la part des parents, aucune négociation;
- des restrictions aux droits de visite d’un des parents.
Dans le cas de familles moyennement conflictuelles, les plans de répartition des responsabilités familiales comprendront :
- un calendrier nettement défini;
- des détails très précis concernant les allées et venues des enfants, l’échange se faisant en des lieux neutres tels que des écoles ou des garderies;
- la tenue d’un « registre des communications »;
- l’autonomie de chaque parent lors de ses séjours avec les enfants, l’un ou l’autre parent ne devant pas compter sur un chevauchement entre les activités dans l’un et l’autre des foyers;
- des recommandations en matière de thérapie et de consultation médico-sociale.
Pour Bleecker, la garde conjointe n’est adaptée qu’aux situations faiblement conflictuelles et, même dans ces cas-là, elle estime qu’il y a lieu de délimiter très clairement les choses dont l’enfant a besoin pour son développement afin que les deux parents comprennent et respectent bien cela.
Souvent, les familles fortement conflictuelles devront faire appel à des services communautaires et, souvent, Bleecker les oriente vers :
- des groupes de thérapie et de soutien à l’intention des enfants et des parents;
- des programmes d’échange et de visite surveillés;
- des services tels que le Bureau de l’avocat des enfants qui suivront l’évolution de la situation;
- le recours, le cas échéant, à des grands-parents de bonne volonté.
Arthur Leonoff est un psychologue clinicien qui exerce depuis 1973 et qui, depuis 20 ans, effectue des évaluations en matière de garde et de droits de visite. D’après lui, la principale difficulté au niveau des évaluations est d’aller au-delà des troubles et des querelles actuels afin de tenter de prédire quelles seront les capacités parentales une fois que les choses seront un peu rentrées dans l’ordre.
Lors d’une entrevue téléphonique, Leonoff a expliqué qu’au moment d’une évaluation, ce n’est pas la querelle qui est la chose la plus importante mais le diagnostic, si l’on peut dire, porté sur ce que les parents seront capables ou incapables de faire ensemble dans l’intérêt de leurs enfants. Cela dit, il distingue tout de même deux niveaux de conflit :
- un niveau élevé de conflit qui va empêcher les parents d’œuvrer de concert et, dans ce cas, l’évaluation ne devra prévoir qu’une mince coopération entre eux;
- un niveau plus faible de conflit, qui veut dire que les parents sont en mesure de travailler davantage de concert et qu’on peut donc leur demander de coopérer plus largement pour élever les enfants.
Lorsque Leonoff cherche à voir dans quelle mesure le couple va pouvoir collaborer pour élever les enfants, il cherche à sonder un certain nombre d’éléments dont :
- le fait d’avoir su, dans le passé, résoudre un certain nombre de problèmes dans l’intérêt des enfants;
- la capacité des parents de distinguer leur rôle de parent de leur rôle de partenaire conjugal;
- leur capacité de distinguer leurs propres besoins de ceux de l’enfant;
- la mesure dans laquelle ils parviennent à s’élever au-dessus du conflit, quel qu’en soit le niveau.
Selon Leonoff, les recommandations qu’il formule en matière de répartition des tâches parentales ne sont pas directement fondées sur ce que l’évaluateur constate par lui-même : ces recommandations doivent en effet tenir compte de ce qui ressort des antécédents relationnels des parents et de la manière dont ils assuraient l’éducation de leurs enfants. Pour élaborer un plan de répartition des responsabilités parentales, il tient compte de deux facteurs essentiels :
- si le conflit revêt, dans l’esprit des deux parents, moins d’importance que la capacité d’œuvrer de concert pour élever les enfants, on peut envisager des mesures de garde conjointe;
- si l’un des parents nie ou dénigre la participation ou la valeur de l’autre parent, il faudra veiller à protéger les droits de visite de l’autre.
Dans ses plans de répartition des charges parentales, Leonoff fait état d’un certain nombre de services communautaires, y compris les services de traitement des divers types de dépendance, la pédagogie parentale et les services de consultation médico-sociale.
D’après Leonoff, les programmes d’accès surveillé ne peuvent représenter une solution qu’à brève échéance.
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