La Convention relative aux droits de l'enfant
Jean-François Noël[1]
Aperçu
Longtemps traité comme un objet de droit, c'est-à-dire un être incapable qu'il fallait protéger, et à qui on ne reconnaissait aucun droit, l'enfant est aujourd'hui reconnu comme une personne à part entière, jouissant d'une capacité évolutive, et à qui l'on reconnaît des droits propres. Un véritable sujet de droit, mais qui mérite une protection spéciale en raison de sa vulnérabilité particulière, voilà la vision moderne de l'enfant sur laquelle repose la Convention relative aux droits de l'enfant (CDE).
Entrée en vigueur le 2 septembre 1990, moins d'un an après son adoption, le 20 novembre 1989, par l'Assemblée générale de l'ONU, la CDE a suscité une nouvelle dynamique concrétisée notamment par le Sommet mondial pour les enfants (1990) et la Session extraordinaire consacrée aux enfants par l'Assemblée générale de l'ONU (2002).
Référence et instrument quasi-universel, la CDE est le traité le plus ratifié de l'histoire, avec 193 États parties[2]. Pourtant, la véritable efficacité de la CDE dépend de son application effective, notamment en droit interne, mais la mise en œuvre de la CDE demeure un aspect problématique.
En principe chaque État partie est responsable de donner suite à ses engagements internationaux et ne peut pas invoquer les dispositions de son droit interne pour se décharger de ses obligations contractées en vertu de la CDE[3]; dans la pratique, les obstacles à l'application de la CDE sont toutefois nombreux.
Si la CDE a donné lieu à des activités législatives importantes dans plus de la moitié des États parties depuis son entrée en vigueur en septembre 1990, plusieurs tardent encore à mettre en œuvre en tout ou en partie la CDE[4].
Quelle place la CDE tient-elle en droit canadien?
Le gouvernement du Canada a ratifié la CDE le 12 décembre 1991. La ratification implique le respect des normes édictées par la CDE dans le droit interne de l'État qui ratifie, mais au Canada, l'intégration de la Convention est limitée par les deux réserves émises au moment de la signature, et assujettie au contexte constitutionnel et juridique.
La première des deux réserves à la CDE émise par le Canada concerne l'article 21[5] et l'application des dispositions liées à l'adoption. Elle vise à éviter un conflit avec les formes de garde coutumière des peuples autochtones. La seconde concerne l'article 37c) [6] et la privation de la liberté de l'enfant (en matière de justice pénale pour les mineurs), dans la mesure où le Canada se réserve le droit de ne pas séparer les enfants des adultes dans le cas où il serait impossible et inapproprié de le faire.
En ce qui concerne le contexte constitutionnel et juridique, on se rappellera que trois grands principes constitutionnels lient les juges canadiens et jouent un rôle déterminant dans la réception des traités internationaux en droit canadien et leur application par les tribunaux. Ces principes sont la séparation des pouvoirs, la souveraineté du Parlement et la suprématie de la Constitution, qui prévoit entre autres le partage des compétences entre le pouvoir central et les provinces. En effet, au Canada, la conclusion des traités internationaux relève de la compétence exclusive du pouvoir exécutif fédéral, alors que l'adoption de lois et de règlements appartient au Parlement et aux législatures provinciales/territoriales. Évidemment, cette séparation des pouvoirs ne serait qu'illusoire si le gouvernement pouvait modifier le droit interne par un simple accord international, et ainsi faire indirectement ce qu'il ne peut pas faire directement.
Ainsi, au Canada, le régime dualiste[7] établit des rapports séparés entre les traités internationaux et le droit interne. D'où la nécessité d'une intervention législative pour opérer la réception en droit interne des engagements internationaux du Canada. Si on reconnaît généralement[8] au gouvernement fédéral le pouvoir exclusif de conclure des traités internationaux, leur mise en œuvre doit en principe[9] se faire dans le respect du partage des compétences entre les deux ordres de gouvernement[10]. La Convention contient des dispositions relatives à des domaines de compétence fédérale (comme le divorce et le droit criminel) et de compétence provinciale (comme l'éducation et la santé). Ainsi, il revient à chaque administration de prendre les mesures nécessaires pour se conformer aux obligations du Canada en vertu de la Convention. La Convention n'ayant pas été incorporée explicitement au droit interne par le biais de lois spécifiques elle ne peut par conséquent donner ouverture à un droit d'action devant un tribunal canadien.[11] Selon l'approche canadienne, la mise en œuvre des traités internationaux sur les droits humains ratifiés par le gouvernement fédéral, dépend d'une multitude de mesures qui existent tant au niveau fédéral, qu'aux niveaux provincial et territorial – dont la Charte canadienne des droits et libertés, la législation, les politiques et les programmes – afin de se conformer aux obligations contractées en vertu de ces traités.
Et les tribunaux canadiens?
En l'absence d'une loi qui incorpore explicitement la CDE dans le droit canadien, est-ce à dire qu'on ne peut pas invoquer la CDE et faire valoir ses grands principes devant les tribunaux canadiens, en matière de divorce notamment? Non, puisqu'un texte international, même s'il ne fait pas partie du droit interne et n'y jouit d'aucune force obligatoire, peut néanmoins être invoqué à des fins interprétatives[12].
La CDE a d'ailleurs été citée à cinq reprises[13] en Cour suprême du Canada entre 1993 et 1996, mais jusque-là sans véritable éclat. Puis, dans l'affaire Baker [14] en 1999 la Cour suprême du Canada a ouvert la porte au recours à la CDE dans l'approche contextuelle d'interprétation des lois ainsi qu'en matière de contrôle judiciaire. Depuis, plusieurs autres décisions de la plus haute cour du pays ont abordé la question de la CDE et démontré une certaine ouverture en faveur du recours à la CDE à des fins interprétatives (non seulement eu égard à la Charte canadienne, mais aussi aux lois ordinaires[15]), notamment en matière de protection de la jeunesse[17] et, plus récemment, de châtiment corporel[18]. Il y a donc lieu d'encourager les références à la CDE devant les tribunaux, particulièrement en matière de divorce, où, comme on le verra maintenant, plusieurs principes de la CDE sont particulièrement pertinents.
Les principes de la CDE particulièrement applicables au contexte du divorce
Ce qui distingue la CDE des autres conventions internationales applicables aux enfants qui l'ont précédée, c'est qu'elle rejoint l'enfant dans toutes les sphères de sa vie et dans tous les domaines susceptibles d'affecter ses droits. Plusieurs principes énoncés à la CDE sont susceptibles de recevoir application dans le contexte du divorce; l'intérêt supérieur de l'enfant (article 3); le droit de l'enfant séparé de l'un de ses parents d'entretenir des relations personnelles avec ses deux parents (article 9); le droit de l'enfant d'exprimer librement son opinion sur toute question l'intéressant (article 12); et le principe de la responsabilité commune des parents pour élever l'enfant et assurer son développement (article 18). Nous aborderons ici principalement les articles 3 et 12 de la CDE, dans la mesure où ceux-ci figurent au nombre des principes généraux de la CDE.
L'intérêt supérieur de l'enfant (article 3)
L'intérêt supérieur de l'enfant, nous dit le premier paragraphe de l'article 3 CDE, doit être une considération primordiale dans toutes les décisions qui concernent les enfants.
Une telle référence au concept d'intérêt supérieur de l'enfant en droit international n'est pas chose nouvelle. Déjà, en 1959, le second principe de la Déclaration des Droits de l'Enfant énonçait :
L'enfant doit bénéficier d'une protection spéciale et se voir accorder des possibilités et des facilités par l'effet de la loi et par d'autres moyens, afin d'être en mesure de se développer d'une façon saine et normale sur le plan physique, intellectuel, moral, spirituel et social, dans des conditions de liberté et de dignité. Dans l'adoption de lois à cette fin, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être la considération déterminante.[19]
La CDE, il va sans dire, jouit d'une plus grande autorité, tant sur le plan juridique en raison de sa qualité de convention au caractère contraignant que sur le plan moral compte tenu du très grand nombre d'États qui l'on ratifiée. Toutefois, ni la Déclaration de 1959, ni la Convention de 1989 ne proposent de définition du concept de l'intérêt supérieur de l'enfant. Si la première abordait le concept du meilleur intérêt en relation avec le développement de l'enfant et l'adoption de lois concernant les mesures spéciales de protection prises à son égard, la seconde fait du meilleur intérêt de l'enfant un principe général applicable à l'ensemble de la Convention.
En effet, sous la Déclaration des droits de l'enfant de 1959, les droits de l'enfant étaient conçus et interprétés comme traduisant le droit de l'enfant à la protection, et le concept de meilleur intérêt de l'enfant ne visait ni plus ni moins que la protection (juridique ou autre) de l'enfant. Aucun lien direct n'était établi entre les droits fondamentaux de l'enfant et les décisions prises à son égard par l'État, ses parents ou les personnes en ayant la garde.
Avec l'avènement de la Convention relative aux droits de l'enfant, la perspective a considérablement changé, au profit de la reconnaissance de l'enfant comme véritable sujet de droit. Dans ce contexte, les « droits de l'enfant » de la CDE dépassent le simple concept de protection, et se veulent de véritables droits fondamentaux individuels. Le concept de l'intérêt supérieur de l'enfant (ou meilleur intérêt de l'enfant), est maintenant indissociable de ces nouveaux droits de l'enfant. De simple abstraction, trop souvent invoquée à tort pour légitimer les décisions prises en vue de protéger l'enfant, le concept du meilleur intérêt de l'enfant doit dorénavant être interprété du point de vue de l'enfant et de ses droits. Ainsi, nul ne peut prétendre prendre des décisions ou autrement agir au nom du bien-être de l'enfant ou dans son meilleur intérêt sans du même coup reconnaître et respecter ses droits fondamentaux.[20]
Aussi le concept du meilleur intérêt de l'enfant a-t-il fait son chemin dans presque toutes les législations, à la grandeur du globe[21], sans pour autant atteindre, en droit international, un degré de précision tel qu'il limite le pouvoir discrétionnaire des États parties dans le choix des critères ou éléments à considérer[22].
Application du principe en droit du divorce
Au Canada, la Loi sur le divorce[23] indique à plusieurs reprises que l'intérêt de l'enfant doit être pris en considération dans les procédures de divorce et en fait le seul critère décisionnel pour certaines ordonnances qui concernent l'enfant. Le concept de l'intérêt de l'enfant n'est toutefois pas explicitement défini dans la Loi sur le divorce . De plus, la Loi n'inclut pas de disposition établissant les principes directeurs auxquels se référer dans l'interprétation de cette Loi ou les critères à utiliser dans l'interprétation de « l'intérêt de l'enfant ». Pourtant, dans la majorité des lois provinciales, les critères dont il faut tenir compte pour évaluer l'intérêt de l'enfant sont énumérés et comprennent notamment la nécessité de tenir compte des opinions de l'enfant.
Selon la doctrine, le meilleur intérêt de l'enfant – une question de fait qui doit être analysée du point de vue de l'enfant et non de celui des parents – équivaut à son bien-être sur différents plans (psychologique, physique, spirituel, émotif et matériel)[24].
Il y a quelques années, reconnaissant l'émergence d'une nouvelle conception de l'enfant comme véritable sujet de droit et non plus comme simple objet des droits et des obligations des adultes (en l'occurrence les parents), le rôle de l'enfant dans les litiges familiaux a fait l'objet d'un réexamen au Canada. Un Comité mixte spécial de la Chambre des communes et du Sénat s'est vu confié le mandat d'examiner les questions relatives à la garde et au droit de visite et, au terme de son examen, recommandait notamment que la Loi sur le divorce soit modifiée de façon à inclure un préambule qui ferait ressortir les grands principes de la CDE et une liste des critères d'évaluation de l'intérêt de l'enfant[25].
L'ancien projet de loi C-22[26] (modifiant la Loi sur le divorce) proposait même d'énumérer des critères précis d'évaluation de l'intérêt de l'enfant dans les procédures de divorce; ce projet de loi est toutefois mort au Feuilleton à la suite de la dissolution du Parlement le 12 novembre 2003. Ce n'est pas un hasard si le point de vue des enfants lors de procédures de divorce et de litiges relatifs aux droits de garde et de visite figurait au centre des préoccupations du projet de loi.[27] En effet, en matière de divorce, la conception moderne de l'enfant que propose la CDE, dont le fait de réellement tenir compte de son intérêt, soulève nécessairement la question du droit de l'enfant d'exprimer librement son opinion. En fait, dans l'approche holistique proposée par la CDE, l'un ne va pas sans l'autre.
Le droit de l'enfant d'exprimer librement son opinion (article 12)
On ne cesse de répéter l'importance fondamentale de laisser l'enfant s'exprimer, mais surtout de l'écouter, non pas pour soulager la conscience de l'adulte, mais bien parce que c'est l'enfant, bien souvent, qui est le principal intéressé. Peut-on réellement prétendre rendre justice dans les affaires qui intéressent l'enfant sans permettre à ce dernier d'exprimer librement son opinion, sans créer un climat de confiance où l'enfant peut partager ses craintes, ses rêves, son histoire et ses désirs?[28] Ceux et celles appelés à prendre des décisions importantes dans la vie de l'enfant, y compris en matière de droits de garde et de droits de visite, peuvent-ils réellement le faire dans le meilleur intérêt de l'enfant sans entendre l'enfant capable de discernement et sans tenir compte de ce qu'il a à dire?
L'article 12 de la Convention relative aux droits de l'enfant énonce:
Article 12
- Les États parties garantissent à l'enfant qui est capable de discernement le droit d'exprimer librement son opinion sur toute question l'intéressant, les opinions de l'enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité.
- À cette fin, on donnera notamment à l'enfant la possibilité d'être entendu dans toute procédure judiciaire ou administrative l'intéressant, soit directement, soit par l'intermédiaire d'un représentant ou d'un organisme approprié, de façon compatible avec les règles de procédure de la législation nationale.
En adoptant cette disposition, les rédacteurs de la CDE comblaient un vide capital, celui de la « parole de l'enfant » qui n'était pas souvent écoutée dans les questions qui le concernent directement.[29] Première remarque: la capacité de discernement de l'enfant est ici une condition d'existence, non d'exercice, du droit d'exprimer librement son opinion. Ce droit n'est donc pas reconnu à tout enfant. Par ailleurs, la CDE prévoit que les opinions ainsi exprimées par l'enfant capable de discernement devraient être prises en considération compte tenu de son âge et de son degré de maturité.
La reconnaissance du droit de l'enfant d'exprimer son opinion représente l'accomplissement le plus célèbre, sinon le plus important de la CDE[30]. En effet, de tous les droits reconnus à l'enfant par la Convention, c'est celui qui est le plus facilement cité, et qui a été le plus rapidement invoqué devant les tribunaux des États parties.[31] On comprend facilement l'attrait que peut représenter cette disposition, non seulement dans les procédures où l'enfant est le principal intéressé, mais aussi dans d'autres procédures où il n'est pas nécessairement partie à l'instance mais dont l'issue peut être déterminante pour lui.
Le droit garanti par l'article 12 de la Convention dépasse le simple fait de donner à l'enfant l'occasion de se faire entendre. Comme le précise le premier paragraphe de cet article, les opinions de l'enfant doivent être dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité. L'importance d'écouter l'enfant, par ailleurs, ne s'arrête pas simplement à la valeur de son opinion en tant qu'élément intervenant dans les décisions à prendre. Il est en effet essentiel, pour le développement social et psychologique de l'enfant, de lui donner la possibilité d'exprimer librement son opinion, même si celle-ci est parfois constituée d'exigences impossibles à satisfaire[32]. Quant au second paragraphe de l'article 12, qui ne limite en rien la généralité du paragraphe précédent, il précise qu'il faut notamment donner à l'enfant la possibilité d'être entendu dans toute procédure judiciaire ou administrative qui l'intéresse, soit directement, soit par l'intermédiaire d'un représentant ou d'un organisme approprié, de façon compatible avec les règles de procédure du droit interne. Bien que l'étendue du droit conféré par l'article 12 puisse dépasser ce cadre restreint[33], le second paragraphe reconnaît donc l'importance particulière que revêt le fait de donner à l'enfant l'occasion d'être entendu dans le cadre des procédures administratives ou judiciaires qui le concernent.
Le caractère fondamental du droit énoncé à l'article 12 de la Convention ne fait plus de doute. En effet, le droit de l'enfant d'exprimer son opinion doit maintenant être observé, au même titre que le principe de l'intérêt supérieur de l'enfant ou celui de la non-discrimination, comme un des principes fondamentaux de la Convention, au sens où ces principes jouent un rôle déterminant sur l'application de tous les autres droits énoncés dans la Convention relative aux droits de l'enfant.
À l'instar du principe de l'intérêt supérieur de l'enfant, le droit de l'enfant d'exprimer son opinion reçoit des applications plus spécifiques ailleurs dans la Convention, notamment au second paragraphe de l'article 9, qui précise que l'enfant, au même titre que toutes les autres parties intéressées, doit avoir la possibilité de participer aux délibérations et de faire connaître ses vues dans le cadre des procédures visant à déterminer s'il est dans son intérêt d'être séparé de ses parents.
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