Lignes directrices facultatives en matière de pensions alimentaires pour époux : Guide d'utilisation révisé

15 Les variations de revenus

Le droit de la famille évolue constamment. Les revenus des époux changent au fil du temps. Plus haut, dans la section « Les revenus », nous avons traité de la détermination du revenu aux étapes provisoire et initiale de la pension alimentaire, notamment de la définition de « revenu », du moment choisi pour calculer le revenu, de l’attribution du revenu, de l’utilisation d’autres revenus pour estimer les fourchettes et de de la majoration du revenu non imposable, et nous avons donné quelques trucs et avertissements pour la détermination du revenu. Dans la présente section, nous nous concentrerons sur les répercussions que peuvent avoir les variations de revenus sur la pension alimentaire pour époux dans le contexte des Lignes directrices facultatives. La plupart de ces variations surviennent après une ordonnance ou une entente initiale, ce qui soulève ensuite des questions relatives à la modification et à la révision ou aux ententes.

Quelques mots au sujet de la terminologie : nous utilisons ici l’expression générique « après la séparation » pour parler des variations de revenus, puisqu’elle est utilisée couramment. La plupart de ces variations de revenus surviennent après qu’une ordonnance alimentaire initiale a été rendue, et sont traitées lors d’une modification ou d’une révision. Ou elles surviennent après qu’une entente a été établie, et les parties renégocient la pension alimentaire pour époux ou l’une d’elles présente une demande au tribunal. Finalement, le revenu peut varier grandement entre la date de la séparation et la date du dépôt de la demande alimentaire provisoire ou initiale au tribunal. Dans le présent chapitre sur les « variations de revenus », nous utilisons l’expression « après la séparation » dans ce sens général, plus vaste. Lorsque nous parlons du revenu antérieur, avant l’augmentation, nous utilisons l’expression « revenu initial » pour représenter ces paramètres différents.

(a) Diminution du revenu du payeur

Les formules des Lignes directrices facultatives peuvent facilement être adaptées aux situations où le revenu de l’époux payeur diminue après la séparation ou après une ordonnance ou entente initiale, puisque la fourchette des montants peut être ajustée à la baisse (voir LDFPAÉ, 14.2). Il peut y avoir des questions relatives au changement important, au sous-emploi ou au chômage volontaire, etc. Si le revenu du payeur diminue de manière considérable, la capacité de payer selon la formule avec pension alimentaire pour enfants peut poser problème, et la fourchette obtenue être réduite à zéro, en raison de la priorité accordée à la pension alimentaire pour enfants (ce qui pourrait mener plus tard à invoquer l’exception fondée sur l’article 15.3; voir la section « Exceptions »).

Lorsque le revenu du payeur n’est pas réduit de façon permanente, le tribunal peut ajouter d’autres modalités au sujet de la divulgation de renseignements au sujet d’un nouvel emploi et des variations du revenu au bénéficiaire. Ou bien, le tribunal peut même ajouter une modalité prévoyant une révision, lorsque l’« incertitude à la fois réelle et importante » sera un rétablissement éventuel du revenu dans un avenir rapproché.

(b) Augmentation du revenu du bénéficiaire

De même, les fourchettes obtenues au moyen des formules des Lignes directrices facultatives s’ajustent facilement aux augmentations du revenu de l’époux bénéficiaire, lorsque celui-ci retourne sur le marché du travail à temps partiel ou à temps plein, ou qu’il obtient des promotions ou des hausses salariales (LDFPAÉ 14.2). Il peut s’agir d’une augmentation réelle du revenu, ou une augmentation attribuée si le bénéficiaire ne fait pas d’efforts raisonnables pour atteindre son indépendance économique : voir la section « L’indépendance économique », ci-après.

Comme pour la diminution du revenu du payeur, l’augmentation du revenu du bénéficiaire tirera les fourchettes de montants vers le bas, entraînant probablement une réduction du montant de pension alimentaire.

Certaines ententes et ordonnances contiendront une disposition autorisant un bénéficiaire de gagner un revenu jusqu’à concurrence d’un montant fixe, généralement assez faible, sans que sa pension alimentaire pour époux s’en trouve réduite, disposition qui sert de mesure incitative pour tenter d’atteindre l’indépendance économique. De fait, une telle disposition permet de repousser la modification, la révision ou la demande alimentaire initiale (dans le cas d’une entente), attribuant de façon implicite un revenu au bénéficiaire.

(c) Augmentation des revenus des deux parties

Au fil du temps, si les deux parties travaillent déjà, leurs revenus respectifs augmenteront probablement, surtout si elles travaillent et si leurs revenus sont établis selon une échelle salariale ou obtiennent des augmentations pour tenir compte des coûts de la vie, ou s’ils sont membres de syndicats qui mènent périodiquement des négociations collectives. Si l’augmentation du revenu est minime, les fourchettes changeront probablement très peu, et la pension alimentaire pour époux ne changera vraisemblablement pas, étant donné le chevauchement des fourchettes. Que ce soit dans le cadre d’une modification, d’une révision ou d’une demande initiale (dans le cas d’une entente), les tribunaux cherchent à préserver un maximum de stabilité dans les ordonnances de pension alimentaire pour époux; ils sont donc disposés à accepter certaines variations, parfois importantes, des revenus, sans modifier les montants.

Selon la formule sans pension alimentaire pour enfants, les variations des revenus des époux qui ne changent presque pas l’écart des revenus bruts n’entraîneront pas une grande différence dans les fourchettes. Certains intervenants insistent sur le fait que l’on devrait continuer à utiliser le revenu initial du payeur, de manière à ce qu’il reste le même par la suite, et qu’ainsi, toute augmentation du revenu du bénéficiaire donne lieu à une réduction de la pension alimentaire pour époux, mais cette vision est simpliste. Des questions se poseront au sujet du partage de l’augmentation du revenu du payeur après la séparation lorsque cette augmentation est considérable, questions qui sont traitées dans la section suivante. Toutefois, les augmentations minimes et constantes devraient probablement être prises en considération pour les deux parties, lors du calcul des fourchettes pour quelques années après la séparation, dans l’intérêt de la stabilité, de la certitude et de la fiabilité, afin de réduire les litiges.

Dans le cas de la formule avec pension alimentaire pour enfants, comme elle est très sensible aux moindres changements du revenu net une fois déduite la pension alimentaire pour enfants, même une variation minime des revenus des deux parties peut entraîner une hausse remarquable de la fourchette. Cette situation traduit les limites de la capacité de payer selon cette formule, ainsi qu’une tendance à choisir un montant plus élevé à l’intérieur de la fourchette pour des motifs compensatoires et fondés sur la nécessité. Dans de tels cas, comme le démontre la nouvelle section, une augmentation du revenu du payeur après la séparation est susceptible d’être partagée en entier, et il est plus probable qu’un ajustement à la hausse soit apporté.

(d) Variation du revenu attribué

Les situations dont il a été question ci-dessus ont trait à des variations des revenus déjà déclarés et prouvés. Lorsqu’un tribunal a attribué un revenu dans le passé, l’analyse du revenu modifié sera plus compliquée. Les revenus attribués sont de plus en plus fréquents dans les affaires relatives aux Lignes directrices facultatives, puisque la détermination du revenu constitue une étape cruciale lors de l’utilisation de lignes directrices facultatives basées sur le revenu.

Dans deux affaires récentes, les tribunaux ont effectué une analyse beaucoup plus prudente lorsqu’un payeur allègue que son revenu a diminué depuis la dernière attribution, surtout lorsqu’il n’a pas participé à l’audience ou qu’il n’a pas fait de divulgation appropriée lors de la procédure précédente : voir Trang c.Trang, 2013 ONSC 1980, et Power c. Power, 2015 NSSC 234. Selon le juge Pazaratz, dans Trang, il convient de se poser deux questions :

  1. Pourquoi un revenu a dû être attribué la première fois? Les circonstances ont-elles changé? Est-il encore approprié ou nécessaire d’attribuer un revenu pour obtenir un résultat équitable?
  2. Comment le tribunal a-t-il quantifié le revenu attribué? Quels calculs ont été faits et sont-ils encore valides?

Il ne suffit pas qu’une partie se présente à l’audience suivante en disant « Voici mon revenu actuel déclaré ». D’autres éléments de preuve doivent être fournis pour montrer, toujours selon le juge Pazaratz :

Il existe de nombreuses raisons d’attribuer un revenu, comme nous l’avons expliqué plus haut, dans la section « Revenus ». Si un revenu est attribué parce qu’une partie n’a pas fourni les renseignements demandés, celle-ci devra faire une divulgation complète au cours de l’audience suivante et fournir les renseignements sur son revenu actuel et sur son revenu précédent. Dans l’affaire Power, un revenu a été attribué en raison de la non-divulgation, mais aussi d’un revenu détourné, de dépenses déraisonnables et d’un revenu de dividendes. Le payeur a dû fournir des preuves pour les quatre motifs d’attribution, preuves qui n’étaient pas assez détaillées dans sa demande de modification (de la pension alimentaire pour enfants).

(e) Augmentation du revenu du payeur après la séparation

Bon nombre d’époux verront leurs revenus augmenter petit à petit, de façon régulière, au fil des années, grâce aux hausses salariales tenant compte de l’inflation et en raison de leur ancienneté. Si les revenus des deux époux augmentent ainsi, les fourchettes de pensions alimentaires pour époux ne changeront pas beaucoup, comme nous l’avons indiqué ci-dessus, sous la rubrique « Augmentation des revenus des deux parties ». Ces petites augmentations régulières du revenu du payeur seront normalement partagées à intervalles, sans que cela ne suscite la controverse. Tout particulièrement, dans les affaires comportant un élément non compensatoire qui portent sur le versement d’une pension alimentaire à long terme ou illimitée, ces petites augmentations tiennent compte de la hausse du coût de la vie pour le bénéficiaire : pour un exemple récent de cette réflexion, voir R.L. c. L.A.B., 2013 PESC 24 (demande initiale, présentée tardivement, relation de 15 ans sans enfant, droit aux aliments fondé sur des motifs uniquement non compensatoires; revenu de l’époux au moment de la séparation utilisé, avec ajustement à la hausse pour tenir compte de l’inflation, pas de partage complet de l’augmentation survenue après la séparation). Dans certains ressorts, comme l’Ontario, on a tenté de reconnaître ce type d’augmentation au moyen de l’indexation au coût de la vie pour les ordonnances de pension alimentaire pour époux.

Dans la présente rubrique, nous traitons des augmentations plus importantes du revenu du payeur. Lors d’une augmentation importante, une question difficile se pose : le payeur devrait-il partager l’augmentation de son revenu avec le bénéficiaire en totalité, en partie ou pas du tout dans le calcul de la pension alimentaire pour époux? La réponse pose à son tour des questions relatives au droit aux aliments et au montant. Cette question domine maintenant la jurisprudence, étant donné que les formules basées sur le revenu présentées dans les Lignes directrices facultatives sont utilisées de manière plus fréquente et à plus grande échelle. C’est aussi le signe d’un raffinement dans l’utilisation des Lignes directrices facultatives.

Cette question de l’augmentation du revenu se pose généralement à l’étape de la modification ou de la révision, après une ordonnance initiale. Aux étapes de l’ordonnance provisoire et de l’ordonnance initiale, on utilise souvent les revenus actuels des parties, comme nous l’avons expliqué plus haut dans la section « Revenus ». Cependant, comme nous l’avons fait remarquer, même au cours de ces premières étapes, la question de l’augmentation du revenu après la séparation peut parfois se poser, lorsque la hausse est considérable ou lorsqu’une longue période s’est écoulée entre le moment de la séparation et le dépôt de la demande alimentaire.

Dans les Lignes directrices facultatives, nous avons résumé cette situation dans une courte section sur le sujet :

Un concept général de « causalité » doit s’appliquer pour vérifier si de telles hausses de revenu du payeur après la séparation doivent se répercuter sur la pension alimentaire et dans quelle mesure. Tout dépend de la durée du mariage, des rôles assumés durant la vie commune, du temps écoulé depuis la séparation et du motif de la hausse du revenu (par exemple, un nouvel emploi plutôt qu’une promotion chez le même employeur, ou une évolution normale de la carrière plutôt que le lancement d’une nouvelle entreprise).

Le terme « causalité » a souvent été interprété sans les mots qui le précèdent : « un concept général de causalité ». Il conviendrait mieux de parler plutôt d’un « lien » ou d’une « connexion » entre le mariage et l’augmentation du revenu après la séparation. C’est sans aucun doute l’approche utilisée par la plupart des tribunaux, en particulier ceux de la Colombie-Britannique et de l’Ontario.

Très tôt, dans certaines affaires instruites en Alberta, notamment Sawchuk c. Sawchuk, 2010 ABQB 5, les tribunaux ont adopté une approche plus exigeante, en cherchant à établir une sorte de lien de « causalité » entre l’augmentation spécifique du revenu après la séparation et les contributions de l’époux bénéficiaire durant le mariage. Plus récemment, avec l’usage croissant et plus cohérent des Lignes directrices facultatives dans la province, les tribunaux ont adopté une approche moins exigeante et leurs décisions ressemblent davantage à celles qui sont rendues ailleurs au Canada. Le critère plus souple de la connexion est davantage conforme à l’évolution du droit en matière de pensions alimentaires pour époux au Canada depuis l’arrêt Moge, c’est-à-dire qu’il reconnait l’existence d’une vaste gamme d’objectifs en matière de pensions alimentaires pour époux et rejette tout critère étroit de « causalité » pour établir le droit aux aliments.

Le fondement du droit aux aliments a un effet considérable sur le degré de partage des augmentations : les demandes compensatoires sont plus susceptibles d’entraîner un partage que les demandes non compensatoires, mais ce n’est pas toujours le cas. Il peut y avoir un partage – partiel, voire complet – dans les demandes non compensatoires aussi, particulièrement dans les cas de mariage de longue durée.

Il y a lieu de parler brièvement de la méthode, avant de plonger dans la jurisprudence. Les formules des Lignes directrices facultatives peuvent être utilisées pour établir les limites externes des montants de pension alimentaire. Dans chaque cas, au moins deux calculs doivent être effectués : le premier pour le revenu initial du payeur, et l’autre, pour son revenu plus élevé, plus récent. Les Lignes directrices facultatives en fournissent des exemples. Il serait également judicieux que les parties fassent des calculs à partir de revenus intermédiaires, situés entre ces deux extrémités, puisque le partage partiel est assez fréquent dans de telles situations.

La jurisprudence relative à l’augmentation du revenu après la séparation a évolué depuis les débuts des Lignes directrices facultatives. Dans Fisher c. Fisher, 2008 ONCA 11, la Cour d’appel de l’Ontario avait prévu un certain partage limité de l’augmentation du revenu après la séparation, en se fondant sur une moyenne des revenus des deux époux sur une période de quatre ans, y compris l’année de la séparation, au cours de laquelle le revenu de l’époux avait commencé à augmenter de façon considérable. Ce partage partiel du revenu n’avait pas été expliqué, mais il semblait tenir compte de la durée du mariage (19 ans), de la nature immédiate de l’augmentation (durant l’année de la séparation) et le fondement non compensatoire de la pension alimentaire (argument moins convaincant relatif au partage).

Dans les premières affaires instruites en Colombie-Britannique et en Ontario, une approche moins rigoureuse a été adoptée pour ce qui est du lien entre le mariage et l’augmentation de revenu après la séparation, surtout dans le cas de mariages de longue durée. Par exemple, dans Hartshorne, 2009 BCSC 698 (confirmée par 2010 BCCA 327), la Cour a jugé qu’il y avait [traduction] « un lien temporel sans équivoque entre le mariage et l’augmentation, sans qu’aucun changement dans la carrière de M. Hartshorne ni aucun autre événement ne puisse expliquer l’augmentation ». Au paragraphe 111, la Cour passe en revue la jurisprudence et donne un aperçu de ce qui pourrait constituer un tel « changement ». Dans Chapman c. Chapman, [2009] O.J. no 5994 (C.S.J.), l’époux banquier à l’emploi d’une grande banque était passé à une autre grande banque après la séparation, qui lui offrait une meilleure rémunération incitative, mais son augmentation de revenu complète a été prise en compte en raison d’un mariage de 23 ans et de la longue carrière de l’époux dans le secteur bancaire.

À l’inverse, les premières affaires instruites en Alberta ont exigé davantage, quelque chose comme un « lien de causalité » entre l’augmentation spécifique survenue après la séparation et les contributions de l’époux bénéficiaire durant le mariage. Par exemple, il a été jugé dans Sawchuk c. Sawchuk, 2010 ABQB 5, que l’époux bénéficiaire [TRADUCTION] « doit démontrer qu’il a contribué à l’acquisition des habiletés ou compétences de l’autre, contribuant ainsi à sa capacité de gagner un revenu plus élevé ». Aucune contribution spécifique de la sorte n’a été constatée. Dans Sawchuk, il n’était pas suffisant que le mariage ait duré 24 ans, que la pension alimentaire ait été compensatoire, que le mari ait acquis ses compétences durant le mariage, ou qu’il ait poursuivi son travail d’électricien. Il avait changé d’employeur et travaillait de plus longues heures. Bien que la Cour ait déterminé que l’augmentation ne devait pas être partagée, elle n’avait pas utilisé les Lignes directrices facultatives, et au bout du compte, le montant figurant dans l’ordonnance était supérieur à la fourchette pour les revenus à la date de la séparation, et tenait compte d’un partage d’environ 25 p. 100 de l’augmentation. Les anciennes décisions rendues en Alberta doivent être interprétées avec prudence, puisqu’elles n’étaient pas fondées sur les Lignes directrices facultatives et, comme dans Sawchuk, rejetaient le partage des augmentations survenues après la séparation, mais établissaient un montant qui, en fait, tenait compte d’un partage partiel de l’augmentation; voir, par exemple, Chalifoux c. Chalifoux, 2008 ABCA 70.

Une affaire moins récente comme l’affaire Sawchuk continue d’être citée dans des cas plus récents, notamment dans la décision rendue en Ontario dans l’affaire Thompson c. Thompson, 2013 ONSC 5500. Dans ce jugement, le juge Chappel établit, au paragraphe 103, treize principes qui sont souvent cités dans les décisions subséquentes. Pour le dixième principe, au sous-paragraphe (i), le juge se fonde entièrement sur le critère trop rigoureux établi dans Sawchuk, lorsqu’il énonce ce qui suit : [TRADUCTION] « Le fait d’assumer la responsabilité principale du soin des enfants et des tâches ménagères, sans aucune preuve que cela s’est fait au détriment des de ses études et de son plan de carrière, ne sera vraisemblablement pas suffisant pour justifier l’existence du droit de profiter des augmentations du revenu après la séparation ». Cet énoncé ne reflète pas les règles juridiques générales, pas même les règles juridiques actuelles de l’Alberta. Pour des affaires de l’Alberta où une décision inverse a été rendue, voir O’Grady c. O’Grady, 2010 ABCA 109; S.D.Z. c. T.W.Z., 2011 ABQB 496; Mulick c. Mulick, 2012 ABQB 592; et Bujak c. Bujak, 2012 ABQB 458. L’affaire Thompson portait sur un cas de payeur gardien puis de garde hybride, dans lequel la demande alimentaire de l’époux était non compensatoire et le revenu de l’épouse payeuse n’avait augmenté que légèrement.

Le quatrième principe énoncé dans Thompson, au sous-paragraphe (d), devrait être interprété avec prudence, lorsqu’il est écrit : [TRADUCTION] « L’époux bénéficiaire peut recevoir sa part des augmentations du revenu survenues après la séparation s’il peut démontrer qu’il a fait des contributions qui peuvent être liées directement à la réussite du payeur qui est survenu après la séparation.» De toute évidence, une « contribution qui peut être liée directement » à la réussite donnera lieu à un partage; par conséquent, une interprétation plus appropriée du verbe « peut » utilisé un peu avant dans la phrase serait peut-être « sera généralement autorisé à partager ». Un tel « lien direct » répond normalement au critère relatif au partage.

Le deuxième principe, établi au sous-paragraphe (b) de Thompson, devrait aussi être traité avec prudence, en ce qu’il suggère que la question du partage [TRADUCTION] « ne se pose normalement pas dans le cas de demandes non compensatoires ». Bien qu’il soit exact, cet énoncé ne devrait pas être surestimé. Il peut arriver, dans des demandes fortement non compensatoires, qu’un partage important soit justifié, notamment dans des cas de mariages de longue durée dans lesquels les époux étaient interdépendants (même lorsqu’ils n’ont pas eu d’enfant) ou en cas d’invalidité. Notre vision sur ce point est beaucoup plus large que celles qui sont énoncées dans Thompson, dans Black c. Black, 2015 NBCA 63, et dans un article sur le sujet : Burke et Hunt, « Post-Separation Increases in the Payor’s Income as They Bear upon Spousal Support » (2015), 35 Canadian Family Law Quarterly 63.

Finalement, le treizième principe énoncé dans Thompson, au sous-paragraphe (m), comprend un facteur à l’encontre du partage, selon lequel [TRADUCTION] « le bénéficiaire n’a pas pris de mesures raisonnables pour acquérir son indépendance économique ». La meilleure façon de traiter la question de l’indépendance économique consiste à attribuer un revenu au bénéficiaire, en tenant compte de ses compétences et de son expérience. Voir le chapitre « L’indépendance économique », ci-après.

Sur le plan pratique, dans quelles circonstances un tribunal ordonnera-t-il ou non le partage de l’augmentation? Ces cas sont complexes; ils mettent en cause une combinaison de faits et de facteurs juridiques, et le jugement final comporte un élément fortement discrétionnaire. Nous avons tenté, ci-dessous, de répertorier certains faits ou facteurs qui vont inciter un tribunal à ordonner un partage plus ou moins important, pour fournir quelques directives. En même temps, il importe de reconnaître que ces résultats sont rarement fondés sur un seul facteur.

Dans quelles circonstances le partage complet ou important est-il le plus probable?

Aucun partage ou un partage limité est probable dans les situations qui suivent :

(f) Diminution du revenu du bénéficiaire après la séparation

Cette question a commencé à apparaître plus fréquemment dans la jurisprudence, justifiant l’ajoute d’une section à ce Guide d’utilisation révisé. La pension alimentaire pour époux devrait-elle augmenter si le revenu du bénéficiaire diminue après la séparation? Devrait-on utiliser le revenu actuel (réduit) du bénéficiaire pour le calcul de la fourchette, ou le revenu plus élevé au moment de la séparation? Bien souvent la question de la diminution du revenu d’un bénéficiaire après la séparation se pose lors d’une modification ou d’une révision, mais elle peut aussi se poser lors de la demande initiale.

Il s’agit de la question inverse de celle de l’augmentation du revenu du payeur que nous avons exposée dans la rubrique précédente, et soulève des questions similaires en ce qui a trait au droit aux aliments. Ici encore, le critère à appliquer en est un général de « lien » ou de « connexion » au mariage ou à la relation. Comme nous le verrons, des problèmes d’invalidité viennent souvent compliquer l’analyse.

Dans bon nombre de cas, le bénéficiaire quitte son emploi ou devient volontairement sous-employé après la séparation. Dans de telles situations, un tribunal attribue tout simplement au bénéficiaire son revenu précédant la séparation et détermine ensuite la fourchette : Wright c. Lavoie, 2014 ONSC 6690 (épouse perd son emploi après la séparation en raison de sa mauvaise conduite); Hutchen c. Hutchen, 2014 BCSC 729 (l’épouse quitte son emploi, déménage aux États-Unis pour son nouveau conjoint, accepte l’attribution de son revenu précédent); McDougall c. Alger, 2013 BCSC 1925 (l’épouse quitte son emploi, entreprise infructueuse). Ou bien, un tribunal peut attribuer un montant intermédiaire, comme c’est le cas dans Abernethy c. Peacock, 2012 ONCJ 145 (confirmé par 2013 ONSC 2045) (le déménagement de l’épouse à London, en Ontario, était une erreur, mais raisonnable, salaire minimum attribué, mariage traditionnel de 13 ans).

Il existe des situations de fait dans laquelle la pension alimentaire peut augmenter, ou même être rétablie : lorsque le bénéficiaire subit un désavantage compensatoire important en raison des rôles assumés pendant le mariage, trouve un emploi avant ou peu de temps après la séparation, puis perd son emploi par la suite, parce qu’il est le dernier arrivé. Le manque d’ancienneté du bénéficiaire traduit son entrée tardive sur le marché du travail. Ces affaires ne sont pas nombreuses.

Lorsque la perte d’emploi du bénéficiaire après la séparation est involontaire, des questions concernant le lien avec le mariage peuvent se poser, obligeant le tribunal à tenir compte de divers facteurs, comme le fondement du droit aux aliments et la période qui s’est écoulée depuis la séparation; Rezel c. Rezel, [2007] O.J. no 1460 (C.S.J.) (demande initiale, mariage de 5 ans sans enfant, les deux époux avaient un emploi au moment de la séparation; l’épouse perd son emploi 6 ans après la séparation et demande une pension alimentaire pour époux; pas de droit aux aliments), et Lawder c. Windsor, 2013 ONSC 5948 (mariage de 16 ans, sans enfant, l’épouse a atteint son indépendance économique 16 ans après la séparation, puis perd son emploi, n’a plus droit aux aliments, fin de la pension alimentaire).

Plus souvent, le bénéficiaire subit une diminution importante de son revenu après la séparation en raison d’une maladie ou d’une invalidité. Il est difficile de séparer la diminution du revenu après la séparation des questions plus dominantes relatives à l’invalidité : voir le chapitre « Les exceptions ». L’un des cas types sur cette question est Fyfe c. Jouppien, 2011 ONSC 5462, une affaire de payeur gardien dans laquelle l’époux est tombé malade après la séparation et avait droit aux aliments, mais l’épouse n’avait aucune capacité de payer. Dans cette décision, le juge Chappel a énoncé, au paragraphe 54, six principes utiles qui peuvent s’appliquer aux demandes non compensatoires qui peuvent survenir après la séparation. On trouve, au cœur de cette analyse, la mutualité et l’interdépendance durant le mariage et après la séparation, la période écoulée entre le moment de la séparation et l’apparition de l’invalidité ou de la nécessité, ainsi que la durée de la relation. Lorsqu’une invalidité survient après la séparation, des arguments seront présentés au sujet du droit aux aliments, et différents résultats peuvent découler de l’équilibre entre tous ces facteurs : M.E.K. c. M.K.K., 2014 BCSC 2037 (droit aux aliments), Tscherner c. Farrell, 2014 ONSC 976 (droit aux aliments, mais le tribunal reconnaît que certains pourraient ne pas être d’accord) ou Peters c. Peters, 2015 ONSC 4006 (aucun droit aux aliments, mais il aurait pu y en avoir un selon les faits).

Souvent, le tribunal conclura à l’existence du droit aux aliments en raison de l’invalidité du bénéficiaire survenue après la séparation, et ordonnera le versement d’une pension alimentaire pour époux, mais parfois, le montant sera inférieur à la fourchette obtenue au moyen des formules des Lignes directrices facultatives : G.W.C. c. K.C.C., 2015 BCSC 1802 (mariage traditionnel de 19 ans, l’épouse travaillait au moment de la séparation, a été victime d’accidents par la suite, pension alimentaire non compensatoire basée sur le revenu de l’époux au moment de la séparation, 9 ans plus tôt); Tscherner c. Farrell, 2014 ONSC 976 (mariage de 19 ans, l’épouse a été victime d’un accident après la séparation, montant inférieur à la fourchette, puisque le besoin n’était pas lié au mariage); Fuerst c. Fuerst, 2014 ONSC 1506 (l’épouse a subi une opération chirurgicale pour traiter un cancer, son revenu est passé de 35 000 $ à 22 256 $, extrémité inférieure de la fourchette, après une cohabitation et un mariage de 28 ans); Firth c. Firth, 2012 BCSC 857 (problèmes médicaux de l’épouse, un « vestige de lien » subsiste, demande tardive, montant minime, montant forfaitaire de 10 000 $). Dans Soschin c. Tabatchnik, 2013 ONSC 1707, après une relation de 11 ans, sans enfant, un montant forfaitaire de 40 000 $ a été accordé, malgré une entente de règlement finale, après que l’épouse a éprouvé de graves problèmes de santé mentale après la séparation. Pour établir le montant forfaitaire, le juge Mackinnon a examiné divers scénarios et calculs selon les Lignes directrices facultatives.

Comme pour l’augmentation du revenu du payeur après la séparation, il serait judicieux de préparer d’autres hypothèses de calculs dans cette situation également. Les limites externes du débat seront déterminées par les calculs fondés sur le revenu initial d’une part, et les revenus actuels d’autre part.

(g) Les demandes tardives

Une autre sous-catégorie de cas inhabituels est apparue récemment : des affaires dans lesquelles le bénéficiaire présente une demande initiale de pension alimentaire pour époux longtemps après la séparation. Dans certains cas, le bénéficiaire tarde à présenter une demande en raison d’une invalidité après la séparation ce qui soulève les questions difficiles mentionnées dans la rubrique précédente. Dans d’autres cas, diverses raisons peuvent expliquer le délai, raisons qui sont parfois acceptées et parfois ne le sont pas. Les demandes de pension alimentaire rétroactive présentées après de longues périodes sont souvent rejetées, au moins en partie, et sont traitées plus en détail ci-après, au chapitre « La pension alimentaire pour époux rétroactive ». La présente section porte sur les demandes de pension alimentaire future.

Dans une affaire moins récente, Van Rythoven c. Van Rythoven, [2009] O.J. no 3648 (confirmé par 2010 ONSC 5923 (Cour div.), le tribunal a conclu que les Lignes directrices facultatives étaient [TRADUCTION]« peu utiles » pour résoudre une demande tardive; l’épouse invalide avait présenté une demande de pension alimentaire 13 ans après la fin de sa pension alimentaire à durée limitée (le tribunal a finalement rendu une ordonnance prévoyant un montant de pension alimentaire situé à l’extrémité supérieure de la fourchette en se fondant sur les revenus actuels des époux).

Les demandes tardives peuvent soulever des questions relatives au droit des aliments, surtout si le délai est assez long : voir Howe c. Howe, 2012 ONSC 2736 (demande présentée 24 ans après la fin d’un mariage de 13 ans, entente prévoyant le partage inégal des biens, autres questions, aucun droit aux aliments).

Si le droit aux aliments est établi, les Lignes directrices facultatives sont quelque peu utiles dans les demandes tardives. Cependant, les demandes tardives posent des questions épineuses en ce qui concerne les revenus : quels revenus doivent être utilisés pour les époux après un long délai? Au fil du temps, les revenus du payeur et du bénéficiaire vont changer. Si le délai est long et que la demande est non compensatoire, il peut être approprié d’utiliser le revenu à la date de la séparation. D’un autre côté, si la demande est compensatoire, les revenus actuels peuvent être plus appropriés. Encore une fois, il serait judicieux de faire les deux séries de calculs, en plus de quelques autres, pour tenir compte des variations des revenus des époux pendant le délai. Malheureusement, ces questions relatives aux revenus sont souvent négligées dans les décisions.

Dans Quackenbush c. Quackenbush, 2013 ONSC 7547, la juge Mackinnon a pris en compte les calculs des Lignes directrices facultatives, mais elle a ordonné le versement d’un montant de 300 $ par mois à l’épouse invalide au titre de la pension alimentaire pour époux, soit environ la moitié du montant situé à l’extrémité inférieure de la fourchette. Le mariage avait duré 19 ans, mais les parties s’étaient séparées en 1990, et la demande avait été déposée en 2001. Le délai très long justifiait le montant minime, selon la Cour. La décision ne contenait aucun renseignement au sujet du revenu du payeur au moment de la séparation.

Dans Dingle c. Dingle, 2010 ONCJ 731, une autre affaire de demande tardive mettant en cause un bénéficiaire invalide, le tribunal a utilisé les revenus actuels des épouses et a ordonné le versement d’un montant de pension alimentaire pour époux situé à l’extrémité supérieure de la fourchette, malgré un délai de 7,5 ans, après un mariage de 9 ans et une longue procédure d’ÉEROA. Voir également G.W.C. c. K.C.C., 2015 BCSC 1802 (délai de 9 ans, revenu du payeur à la date de la séparation utilisé, diminution du revenu de l’épouse bénéficiaire après la séparation); et Firth c. Firth, 2012 BCSC 857.

Les demandes tardives peuvent aussi soulever des questions difficiles concernant la durée future, selon la décision rendue au sujet d’une éventuelle pension alimentaire rétroactive.