Tribunaux unifiés de la famille, Évaluation sommative

2. Contexte

La présente section décrit le contexte du droit de la famille au Canada et le modèle de TUF, notamment son objet, ses objectifs, son historique et sa situation actuelle.

2.1. Compétences fédérale et provinciale concernant le droit de la famille et les tribunaux de la famille

Selon la Loi constitutionnelle de 1867, le droit de la famille fait partie des domaines qui relèvent à la fois du gouvernement fédéral et des gouvernements provinciaux et territoriaux. Deux systèmes judiciaires parallèles existent : la cour supérieure provinciale ou territoriale, dont les juges sont nommés par le gouvernement fédéral, et les cours provinciales ou territoriales (de juridiction inférieure), dont les juges sont nommés par la province. Le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux et territoriaux ont des responsabilités différentes en matière de droit de la famille, notamment en ce qui concerne le droit proprement dit, la nomination des juges et le paiement de leur rémunération, ainsi que la structure et les procédures des tribunaux qui traitent les dossiers de droit de la famille. En outre, chaque tribunal est habilité à connaître les aspects particuliers du droit de la famille.

La cour supérieure a compétence exclusive en matière de divorce, y compris les mesures accessoires comme la pension alimentaire pour enfants, l'accès et la garde, et en matière de biens (p. ex. le partage du foyer conjugal). La Loi sur le divorce est le principal élément fédéral du droit de la famille du Canada. Chaque province ou territoire est responsable de la constitution et de l'administration de ses tribunaux supérieurs, notamment des décisions concernant leur structure et les services connexes. C'est cependant le gouvernement fédéral qui nomme les juges de ces tribunaux et paie leur rémunération.

Pour leur part, les provinces et les territoires sont les seuls responsables de leurs tribunaux de juridiction inférieure, à la fois en ce qui a trait à leur structure et à leur administration, ainsi que de la nomination et de la rémunération des juges des tribunaux provinciaux. Les lois provinciales et territoriales sur le droit de la famille régissent tous les aspects de la séparation des couples non mariés, ainsi que de la pension alimentaire pour enfants, de l'accès et de la garde dans les cas de couples mariés qui se séparent mais ne demandent pas le divorce1. Les provinces et les territoires ont également compétence en matière d'exécution des pensions alimentaires pour enfants et d'autres obligations, d'adoption, de protection de l'enfance, de changement de nom et d'administration des tribunaux. Chaque province ou territoire adopte ses propres lois relatives au droit de la famille.

La plupart des dossiers de droit de la famille sont soumis au tribunal provincial ou territorial de la famille traditionnel (de juridiction inférieure), mais c'est la cour supérieure qui a une compétence complète dans le domaine2. Les territoires mettent en oeuvre des mesures très particulières pour assurer l'accès au droit de la famille : en raison de l'éloignement de bon nombre de collectivités, la plupart des affaires relevant du droit de la famille sont entendues par des cours de circuit, et les juges de la cour supérieure d'un territoire sont juges ex officio des cours supérieures des autres territoires.

De nombreuses personnes considèrent que le partage des compétences entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux et territoriaux complique les choses pour les couples canadiens en instance de séparation ou de divorce3. Entre autres problèmes, ce partage des compétences et l'existence de systèmes judiciaires parallèles causent des tensions et de la confusion pour les familles. On considérait également que la procédure en matière de droit de la famille était trop contradictoire à cause de l'approche fragmentée utilisée pour régler les différends et de l'accès limité à des juges spécialisés en droit de la famille4. Plus particulièrement, la méthode employée pour régler les différends familiaux était davantage en adéquation avec l'approche privilégiée en matière civile, ce qui favorisait les affrontements et accroissait le stress pour les familles canadiennes et leurs enfants. Il semble également que les deux systèmes judiciaires parallèles contribuaient aux retards dans le traitement des affaires et à l'augmentation des frais juridiques que devaient supporter les familles en instance de séparation ou de divorce.

2.2. Modèle de TUF

En 1974, la Commission de réforme du droit du Canada a recommandé l'adoption du modèle de TUF afin de corriger les défauts de l'approche traditionnelle utilisée en droit de la famille. L'élément le plus fondamental des TUF était l'attribution de la compétence en matière de droit de la famille à un seul tribunal - la cour supérieure provinciale5 - qui pourrait alors connaître toutes les demandes de divorce, de pension alimentaire, de garde, d'accès, d'égalisation des biens familiaux nets et de biens implicitement détenus en fiducie6. De plus, les TUF devaient assurer un accès à des juges spécialisés nommés par le gouvernement fédéral et possédant une grande expérience en matière de droit de la famille. Finalement, le modèle conceptuel permettrait d'obtenir une grande variété de services de justice familiale au soutien des interventions précoces et du règlement à l'amiable des différends et de régler des dossiers sans l'aide du tribunal. On prévoyait que ce modèle allait résoudre les tensions et le désarroi des familles qui découlaient du partage des compétences et de l'existence de systèmes judiciaires parallèles. De manière générale, les TUF devaient améliorer le règlement des litiges familiaux en représentant une solution à la fragmentation des compétences, aux divergences des théories et des procédures judiciaires et au manque de services de soutien auxiliaires à l'intention des familles7.

Comme la cour supérieure est la seule instance compétente en matière de droit de la famille, la mise en oeuvre du modèle de TUF exige nécessairement la collaboration du gouvernement fédéral et des gouvernements provinciaux et territoriaux. Chaque province ou territoire doit décider s'il crée un tribunal de la famille et de quelle manière il le fera, et notamment à quels endroits celui-ci sera situé, quels seront les modes de prestation de services et quels services seront offerts. La participation du gouvernement fédéral est également nécessaire pour ce qui est de la nomination des juges qui feront partie de ce tribunal.

2.2.1. Caractéristiques du modèle de TUF

La figure 2-2 présente une description graphique du modèle de TUF et des éléments qui y sont associés.

Figure 2-2 : Modèle conceptuel de prestation de services des TUF

Figure 2-2 : Modèle conceptuel de prestation de services des TUF

[ Description ]

Source : Justice Canada (2004). CGRR pour les tribunaux unifiés de la famille, p. 9

L'un des éléments clés du modèle de prestation de services est la procédure d'accueil, laquelle constitue le point d'accès ou le premier contact des familles canadiennes ayant des problèmes de justice familiale8. Cette étape permet d'assurer la coordination entre les services de justice familiale et le système judiciaire. La procédure d'accueil facilite l'accès à ces services et favorise la coordination du volet judiciaire du modèle et de son volet relatif aux services de justice familiale9. C'est à cette étape ou dans le cadre de services semblables que la meilleure façon de régler le différend est déterminée et que le mécanisme de règlement des différends et les services de justice familiale dont les parties ont besoin leur sont proposés (ces questions sont abordées de manière plus détaillée dans la section 2.1.2). Comme le montre la figure ci-dessus, les parties peuvent, après l'étape de l'accueil ou du renvoi, avoir recours aux services de justice familiale ou au tribunal. Notons cependant que les parties peuvent se déplacer entre les deux parties du système.

2.2.2. Mise en oeuvre du modèle de TUF

Des TUF ont été mis à l'essai à quatre endroits : à Hamilton, en Ontario (1977); à Saskatoon, en Saskatchewan (1978); à Fredericton, au Nouveau-Brunswick (1979); et à St. John's, à Terre-Neuve-et-Labrador (1979). Après avoir fait l'objet d'une évaluation positive, ces TUF sont devenus permanents. Depuis, d'autres TUF ont été créés ailleurs dans ces provinces, ainsi qu'à l'Île-du-Prince-Édouard, au Manitoba et en Nouvelle-Écosse.

Il y a actuellement 39 TUF répartis dans sept provinces. Ils sont énumérés dans le tableau 2-2.

Tableau 2-2 : Tribunaux unifiés de la famille par province10
Province Nombre de sites Emplacements
Terre-Neuve-et-Labrador 1 St. John's
Nouveau-Brunswick 8 Moncton, Saint John, Bathurst/Tracadie, Edmundston, Fredericton, Miramichi, Woodstock, Campbellton
Nouvelle-Écosse 3 Halifax, Sydney, Port Hawkesbury
Île-du-Prince-Édouard 3 Georgetown, Charlottetown, Summerside
Ontario 17 Barrie, Bracebridge, Brockville, Cobourg, Cornwall, Hamilton, Kingston, L'Orignal, Lindsay, London, Napanee, Newmarket, Oshawa/Whitby, Ottawa, Peterborough, Perth, St. Catharines
Manitoba 4 Winnipeg, Brandon, Dauphin, Portage La Prairie
Saskatchewan 3 Saskatoon, Regina, Prince Albert
Nombre total de sites 39

S'il existe un tribunal ayant compétence à l'égard de tous les dossiers de droit de la famille à ces endroits, le modèle n'a cependant pas été mis en oeuvre de la même façon dans toutes les provinces. Au Nouveau-Brunswick et à l'Île-du-Prince-Édouard par exemple, le modèle de TUF dessert toute la province et connaît toutes les affaires de droit de la famille. Au Manitoba et en Saskatchewan par contre, le TUF a compétence exclusive aux endroits indiqués ci-dessus; ailleurs dans ces provinces, le TUF et la cour provinciale ont une compétence concurrente. Les juges des TUF se déplacent dans les régions éloignées, mais la cour provinciale continue de connaître certains types de litiges familiaux dans ces régions entre les séances du TUF. La mise en oeuvre du modèle de TUF et la mesure dans laquelle le modèle conceptualisé de prestation de services est adopté varient également d'un endroit à l'autre. Par exemple, des services d'accueil complets sont offerts et un rendez-vous est d'abord fixé avec un agent d'accueil à certains endroits. Dans d'autres TUF, seuls des services d'information sont proposés11. Les différents types de services de justice familiale qui sont fournis varient également en fonction de différents facteurs, notamment les besoins de la collectivité et les ressources allouées à ces services. Cette question est abordée plus longuement dans la prochaine section.

2.2.3. Les TUF dans le contexte canadien actuel

Les TUF font aujourd'hui partie d'une structure de politiques et de programmes fédéraux, provinciaux et territoriaux en matière de droit de la famille. Les priorités du gouvernement fédéral dans le domaine de la justice familiale sont énoncées par le ministère de la Justice et appuyées par les programmes et les initiatives mis en oeuvre par ce dernier. Chaque province alloue des fonds fédéraux et des fonds provinciaux à des programmes, à des services et à des sites selon ce que son ministère responsable de la justice familiale décide.

Au cours des dix dernières années, le ministère de la Justice a lancé plusieurs initiatives dans le domaine du droit de la famille dans le but d'aider les provinces et les territoires à créer des politiques et des services et à les améliorer. Plus récemment, la Stratégie de justice familiale axée sur l'enfant (SJFE) a été la cinquième initiative fédérale consécutive mise en oeuvre par le ministère de la Justice (de 2003 à 2008)12.

Grâce à ces initiatives fédérales et provinciales, les services extrajudiciaires de justice familiale ne se limitent pas aux TUF; de nombreux tribunaux offrent davantage que les services judiciaires traditionnels. Dans le rapport sur la conception de la recherche qui a été rédigé avant l'évaluation en 2007, il était mentionné que différents types de modèles de tribunaux existent au Canada, allant du modèle le plus traditionnel à un modèle unifié qui comporte tous les éléments concernant la prestation de services qui ont été conceptualisés pour le TUF13. Dans le modèle traditionnel, seuls les deux systèmes de tribunaux parallèles peuvent régler les différends et ce, de manière formelle, à la suite d'une audience ou d'un procès. À l'autre extrémité du spectre, le modèle de TUF comprend tous les éléments décrits précédemment. Dans le contexte actuel cependant, les tribunaux se trouvent probablement à différents endroits entre les deux extrémités du spectre, selon les mécanismes de règlement des différends et les services de justice familiale qu'ils offrent et la mesure dans laquelle ces mécanismes et ces services sont coordonnés avec le tribunal.

Le tableau 3-1 résume les éléments distinctifs des trois types de modèles de tribunaux qui ont été pris en compte dans le cadre de l'évaluation. Il importe de répéter que les services de justice familiale offerts variaient d'un endroit à l'autre.

Tableau 3-1 : Différences conceptuelles des modèles de tribunaux
Modèle de tribunal Offerts Non offerts
TUF Juridiction regroupée/tribunal unique
Juges spécialisés
Services d'accueil
Gamme complète de SJF14
Services administratifs regroupés/coordonnés
Quasi-TUF
(supérieur et provincial)
Juridiction regroupée/ tribunal unique
Juges spécialisés15
Services d'accueil (à certains endroits)
Gamme complète de SJF
Services administratifs regroupés/coordonnés
Tribunal traditionnel
(supérieur et provincial)
Juridiction regroupée/tribunal unique
Juges spécialisés
Services d'accueil
Accès à l'information Gamme complète de SJF
Accès à des services administratifs regroupés/coordonné

2.2.4. Types de services de règlement des différends et de justice familiale

Le modèle de TUF offre différentes options en matière de règlement des différends ainsi que d'autres services de soutien aux familles vivant une séparation ou un divorce. Il propose notamment les mécanismes suivants :

la médiation :
mécanisme non exécutoire dans le cadre duquel un tiers neutre et impartial, sans pouvoir décisionnel, cherche à faciliter un règlement à l'amiable entre les parties à un différend;
la conciliation :
approche essentiellement de la nature de la médiation où le tiers intervient davantage et peut devoir faire la navette entre les parties si celles-ci ne veulent pas se rencontrer;
la facilitation:
utilisation de techniques visant à améliorer la circulation de l'information pendant une rencontre des parties à un différend ou d'une réunion au cours de laquelle des décisions doivent être prises;
les conférences de règlement, les conférences de cas et les conférences préalables au procès:
processus de gestion des cas qui impliquent un dialogue informel entre un juge, les avocats ou les parties avant une audience ou un procès. Règle générale, les conférences servent à régler le différend ou à mieux préparer l'audience afin que celle-ci se déroule de manière plus efficace;
le procès :
processus au cours duquel un juge prend connaissance de la preuve et des arguments des parties et rend une décision qui lie celles-ci.

D'autres services de justice familiale peuvent aussi être offerts, les plus courants étant les services d'information. Un service qui a été récemment mis en oeuvre à grande échelle est la fourniture de renseignements concernant le droit de la famille par l'entremise d'un centre d'information sur le droit de la famille (CIDF). Des documents sur les pratiques et les procédures en matière de droit de la famille peuvent être obtenus en ligne ou en personne partout où des services de justice familiale sont offerts. Dans certains cas, des services d'information et de renvoi peuvent être obtenus en personne. Ces services permettent notamment aux personnes qui se représentent elles-mêmes d'obtenir de l'information sur la procédure judiciaire, les questions juridiques, les programmes offerts par les tribunaux et les autres services mis à leur disposition par les tribunaux afin de les aider à s'y retrouver dans le système de justice familiale.

Les programmes d'information et d'éducation des parents

visent à aider les parents à comprendre les besoins de leurs enfants pendant une séparation ou un divorce et à leur fournir des outils et des conseils. Ces programmes peuvent simplement donner de l'information aux parents intéressés ou exiger que ceux-ci participent à des séances, qui peuvent être obligatoires ou non ou être ordonnées par un juge.

Des programmes d'exécution des ordonnances alimentaires

existent dans toutes les provinces et dans tous les territoires. Ces programmes sont habituellement administrés séparément du système judiciaire, quoique les tribunaux puissent y participer dans certains cas, notamment lorsque des modifications doivent être apportées à la pension alimentaire pour enfants. Il y a aussi dans toutes les provinces et dans tous les territoires des programmes d'exécution réciproque des ordonnances alimentaires.

Les services d'accueil, d'examen et de renvoi

emploient du personnel qualifié pour aider les parties à comprendre leurs problèmes et leurs besoins et à choisir les ressources et les mécanismes les plus utiles pour elles. Règle générale, ces services sont utilisés au début du processus.

Il existe plusieurs autres types de services, comme les services de consultation juridique, des programmes de visites surveillées et d'autres programmes destinés à des groupes particuliers. Les services offerts varient d'une province ou d'un territoire à l'autre en fonction des besoins de la collectivité.