Les effets des peines minimales obligatoires sur la criminalité, la disparité des peines et les dépenses du système judiciaire

4. La dissuasion est-elle possible?

4. La dissuasion est-elle possible?

S'il est vrai que les PMO peuvent servir à des usages politiques (par exemple à apaiser l'indignation publique relative à un ou plusieurs crimes scandaleux) et de rétribution, l'effet de dissuasion de telles sanctions n'en reste vraisemblablement par moins un de leurs aspects importants. La neutralisation, qu'on l'envisage sous le rapport de la rétribution ou de l'utilité, pourrait en fin de compte s'avérer beaucoup trop coûteuse pour justifier à elle seule les PMO. Si l'effet de dissuasion ne se matérialise pas, le système correctionnel entrera probablement en crise du fait de l'accroissement continu de la population carcérale. La dissuasion permet d'espérer que l'éventuel accroissement immédiat de la population carcérale entraîné par l'application des PMO sera compensé sur la longue durée par une réduction de cette population du fait de la baisse du taux de criminalité.

Un certain nombre de faits nouveaux et d'études récentes éclairent la question de l'effet potentiel de dissuasion des peines d'emprisonnement. La plupart de ces études portent sur les sanctions judiciaires et l'incarcération en général, sans établir de distinction entre les peines obligatoires et les autres.

4.1 Le point de vue du choix raisonné

La thèse déterministe selon laquelle le comportement est modelé par les forces biologiques, sociales et psychologiques a dominé pendant la plus grande partie du XXe siècle. S'il est vrai que certains crimes sont sans doute l'expression d'une pure rage et que l'activité criminelle s'accompagne souvent d'un affaiblissement du jugement attribuable à des substances intoxicantes (Wolfgang, 1958; Innes, 1986), il convient aussi de prendre en considération un élément nouveau important de la théorie criminologique de ces deux dernières décennies, à savoir l'émergence du point de vue du choix raisonné (Siegel et McCormick, 1999). S'ils ne supposent pas une rationalité complète (Harding, 1990), les tenants de ce point de vue considèrent les délinquants comme des décideurs actifs plutôt que comme des sujets passifs réagissant à des conditions sociales défavorables et à des besoins psychologiques destructeurs. Le processus de prise de décision des délinquants comprend toutes sortes de choix, en plus de la décision de commettre un délit. Les délinquants, dans l'optique de ces auteurs, décident de l'heure et du lieu de leurs délits, choisissent les personnes ou les biens qui en feront l'objet, et arrêtent les moyens (par exemple les armes) qu'ils mettront en oeuvre à cette fin. Les caractéristiques documentées de divers délits montrent que ceux-ci ne sont pas perpétrés au hasard. Des douzaines d'études de cas, comportant souvent des entrevues avec les délinquants, mettent en lumière leurs raisonnements et leurs critères de décision (Clarke, 1997). Des études révèlent aussi que de nombreux délinquants ne sont rien moins qu'indifférents aux risques, notamment à celui de l'emprisonnement, liés à leurs infractions (Brown, 1997; Gabor et coll., 1987). Dans ce contexte, le risque se rapporte en général à la probabilité d'être arrêté et puni, plutôt qu'à la sévérité de la peine. En outre, les études effectuées dans ce domaine montrent que beaucoup de délits sont commis par des sujets appartenant à une population relativement nombreuse susceptible de réagir à des facteurs circonstanciels favorables au crime (par exemple l'occasion, de faibles risques ou des motifs transitoires), plutôt que par le seul groupe, plus restreint, des délinquants endurcis (Gabor, 1994).

4.2 Les caractéristiques des délinquants

Une série d'études semblent contredire la thèse voulant que les délinquants soient mus par des motifs raisonnables et que le crime soit en grande partie affaire d'occasion, dans la mesure où elles donnent lieu aux conclusions suivantes :

On pourrait concilier les thèses apparemment contradictoires des tenants du choix raisonné et des auteurs des études plus pessimistes que nous venons d'évoquer en prenant en considération le fait que les uns étudient une population relativement large de délinquants réels et éventuels, tandis que les autres examinent la récidive dans un groupe de délinquants plus caractérisés, dont beaucoup ont déjà été incarcérés. Certains éléments montrent effectivement que ce sont les délinquants qui ont déjà été punis qui sont le plus susceptibles de récidiver (Greenfield, 1985). Il se pourrait par conséquent que les sanctions pénales aient un effet de dissuasion plus grand sur ceux qui n'ont eu que peu de contacts avec le système judiciaire. La neutralisation, par ailleurs, pourrait se révéler plus efficace que la menace de sanctions dans le cas de la population plus restreinte des récidivistes chroniques, à laquelle il faut attribuer une part disproportionnée des crimes.

En termes négatifs, les moyens de dissuasion seront relativement inefficaces contre les délinquants endurcis, tandis que les politiques de neutralisation s'avéreront peu rentables à l'égard de ceux - le grand nombre - qui ne sont susceptibles de commettre des crimes qu'à l'occasion et qui restent accessibles à la simple menace de sanctions et à la persuasion morale (van Hirsch et coll., 1999). La « population délinquante » n'est certainement pas homogène, et la question clé, dans une grande mesure encore sans réponse, est de savoir quelle est la proportion des diverses catégories de délinquants qui est effectivement réfractaire à la dissuasion. Il se pourrait que la répartition entre criminels endurcis et délinquants d'occasion s'établisse en fonction de la nature des délits. On peut par exemple supposer qu'il y a plus de délinquants caractérisés et irréductibles parmi les auteurs de vols qualifiés que chez les adeptes de la conduite en état d'ivresse.