Les effets des peines minimales obligatoires sur la criminalité, la disparité des peines et les dépenses du système judiciaire
4. La dissuasion est-elle possible? (suite)
- 4.3 Éléments d'appréciation relatifs à la dissuasion et à la neutralisation (suite)
- 4.3.2 La neutralisation
- 4.3.2 La neutralisation
4. La dissuasion est-elle possible? (suite)
4.3 Éléments d'appréciation relatifs à la dissuasion et à la neutralisation (suite)
4.3.2 La neutralisation
Au premier abord, l'évaluation des effets de prévention de la neutralisation des délinquants semble assez simple : il suffit de multiplier par le nombre de détenus le nombre annuel moyen d'infractions par délinquant. Malheureusement, le problème est plus complexe, étant donné entre autres les énormes variations qu'on rencontre dans l'estimation des taux individuels d'infractions. Les estimations fondées sur les rapports d'arrestation s'inscrivent entre huit et 14 délits (hors établissement) répertoriés par an, tandis que l'intervalle des estimations basées sur l'autodéclaration est encore plus grand. On estime que les auteurs de vols qualifiés en commettent de cinq à 75 par an en moyenne, et que les cambrioleurs perpètrent en moyenne annuelle de 14 à 50 vols avec effraction (Nagin, 1999). Selon Zimring et Hawkins (1995), les estimations du nombre de délits empêchés par année d'emprisonnement s'inscrivent entre trois et 187. Même les estimations les plus prudentes donnent à penser que la neutralisation prévient la perpétration d'un grand nombre de délits.
Nagin fait cependant observer que les moyennes sont biaisées par un petit nombre de sujets qui commettent un nombre extraordinairement élevé de délits. Visher (1986), par exemple, a constaté que 5 p. 100 des auteurs de vols qualifiés perpétraient 180 délits de cette nature ou plus par an. On voit donc que la neutralisation des 90 ou 95 p. 100 restants de délinquants entraîne un effet de prévention considérablement plus restreint que ne le laisserait supposer le taux moyen d'infractions. Il faut aussi prendre en considération le rendement décroissant de la neutralisation du fait du vieillissement des prisonniers, et de leur remplacement pour ce qui concerne les activités criminelles qui répondent à une demande (par exemple le trafic de drogue) et les délits qui se perpètrent en groupe, ainsi que la possibilité que la neutralisation ne fasse qu'interrompre provisoirement les carrières criminelles plutôt que d'y mettre fin (Vitiello, 1997).
On estime que, pour 1975, la prévention de 32,9 p. 100 des infractions potentielles avec violence à l'échelle des États-Unis était attribuable à la seule neutralisation (Cohen et Canela-Cacho, 1994). Or, en 1989, l'accroissement de près de 200 p. 100 de la population carcérale n'avait empêché, selon les mêmes auteurs, que 9 p. 100 de plus des infractions avec violence, ce qui donne une proportion totale de 41,9 p. 100. L'avantage marginal de l'emprisonnement diminue avec l'âge des prisonniers et une fois que la plupart des délinquants à taux élevé d'infractions ont été incarcérés. Greene (1988) a confirmé ce fait au moyen d'un modèle mathématique d'estimation des effets de l'incarcération, qui a permis de constater que les taux de criminalité sont tout à fait insensibles à la taille de la population carcérale.
La méthode de neutralisation la plus rentable consisterait à répartir les ressources carcérales de manière plus sélective par le repérage avancé des délinquants les plus actifs : c'est ce qu'on appelle la neutralisation sélective. Cependant, la neutralisation sélective a fait l'objet de critiques virulentes, d'inspiration éthique aussi bien que pragmatique. Du point de vue éthique, on fait valoir que la détermination de la peine fondée exclusivement sur le risque déroge à des principes juridiques fondamentaux en ce qu'elle est déterminée par des prévisions de comportement (Dershowitz, 1973), ébranle la règle de la proportionnalité des peines (Capune, 1988) et défavoriserait probablement diverses populations, par exemple les minorités ou les jeunes (Capune, 1988; Gabor, 1985).
Il convient de noter, sur le plan pratique, que les instruments de prévision se révèlent essentiellement incapables de repérer les sujets qui deviendront des criminels endurcis à taux élevé d'infractions (Petersilia, 1980; Greenberg et Larkin, 1998). Qui plus est, les études qui essaient de prédire le risque présenté par les délinquants tendent à produire des faux positifs (c'est-à-dire une surestimation de la dangerosité) dans une proportion de plus de 50 p. 100 (Auerhahn, 1999). En outre, certains pensent que bon nombre de délinquants à taux élevé d'infractions sont déjà neutralisés par les pratiques actuelles de détermination de la peine, ce qui limite les avantages qu'on peut escompter d'une politique de neutralisation sélective (Beres et Griffith, 1998; Nagin, 1998). Quoi qu'il en soit, les PMO tendent à se fonder sur une approche collective plutôt que sélective de la neutralisation, leur application étant en général déclenchée par des délits particuliers ou par une fréquence déterminée de leur perpétration, plutôt que par des attributs des délinquants liés au risque d'infraction.
Le caractère limité de la capacité carcérale influe sur les effets de neutralisation aussi bien que de dissuasion. Comme il est difficile d'accroître en même temps le taux d'incarcération et la durée des peines d'emprisonnement, il convient de s'interroger sur les avantages respectifs de ces deux facteurs. Selon une étude portant sur cette question (Petersilia et Greenwood, 1978), un régime prévoyant des peines de courte durée (un an) pour une large population de délinquants (la totalité des condamnés) est plus rentable qu'un régime à peines de longue durée (quatre ans) infligées à une population plus restreinte (les récidivistes coupables d'actes délictueux graves). Ces auteurs estiment que les deux stratégies ont la même efficacité préventive, mais que le coût de la seconde serait beaucoup plus élevé sous le rapport de la taille de la population carcérale.
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