Interaction entre les capacités de développement des enfants et l'environnement d'une salle d'audience : Incidences sur la compétence à témoigner

2. Liens de causalité entre les capacités cognitives et les témoignages des enfants (suite)

2. LIENS DE CAUSALITÉ ENTRE LES CAPACITÉS COGNITIVES ET LES TÉMOIGNAGES DES ENFANTS (suite)

2.2 Compréhension de la notion de vérité et de la promesse de dire la vérité

On a beaucoup écrit sur la compréhension de la vérité chez les enfants et de leur capacité à faire la différence entre dire la vérité et dire un mensonge (p. ex. Gopnik et Astington, 1998). La fonction de recherche de la vérité dans un procès dépend de différents facteurs, mais dans les cas de violence où l'enfant est le seul témoin à charge, il est essentiel que l'enfant comprenne qu'il doit donner un témoignage véridique. Selon Haugaard (1993), pour que la vérité soit un concept porteur de sens lors d'une communication entre deux personnes, ces dernières doivent avoir de celle-ci la même définition. Les études menées sur la perception de la vérité chez les enfants et leur responsabilité à dire la vérité laissent supposer que la définition de la vérité et du mensonge comportent des différences qualitatives selon qu'il s'agit de jeunes enfants ou d'enfants plus vieux et d'adultes.

Selon Piaget (1962), les enfants âgés de moins de sept ans définissent le mensonge comme étant une faute morale commise au moyen du langage. Ces recherches ont démontré que les jeunes enfants de moins de cinq ans ont tendance à définir le mensonge d'une manière plus générale que les enfants plus âgés ou les adultes. Les enfants entre cinq et sept ans ont tendance à juger les événements du point de vue du réalisme moral. Lorsqu'un énoncé est inexact, les enfants jugent qu'il s'agit d'un mensonge, et si un énoncé est exact, il est perçu comme étant la vérité. En outre, dans le cas des enfants plus jeunes, l'intention de la personne qui parle n'a généralement pas d'importance lorsqu'ils doivent déterminer s'il s'agit d'un énoncé véridique ou d'un énoncé mensonger. Ce n'est que seulement chez les enfants plus âgés (plus de sept ans) que l'intention de la personne qui parle devient plus importante que les mots eux-mêmes.

Dans le cadre de l'étude réalisée par Haugaard et coll. (1991), on a examiné la définition de la vérité et du mensonge chez de jeunes enfants à qui l'on avait présenté une série de trois vignettes. La première décrivait une situation où une fillette mentait sur le fait qu'une personne l'avait frappée. La deuxième vignette décrivait une petite fille qui mentait afin de protéger un ami. Enfin, la troisième vignette décrivait une fillette qui mentait sur l'ordre d'un parent. Les enquêteurs ont trouvé que la plupart des enfants de l'étude ne définissait pas un mensonge d'une façon qui les disqualifierait à titre de témoins compétents devant le tribunal. Tous les enfants étaient en mesure d'identifier le facteur essentiel permettant de déterminer le caractère véridique de l'énoncé des fillettes dans les trois vignettes. Quatre-vingt quatorze pour cent des enfants se rappelaient que la fillette n'avait pas été frappée et ont dit qu'elle mentait, et 91 % ont dit qu'un ami qui mentait à son enseignant afin de protéger un ami commettait également un mensonge. En ce qui a trait à la vignette dans laquelle une fillette ment sur l'ordre d'un parent, la majorité des enfants ont reconnu que la fillette mentait même si un adulte l'avait incitée à dire que les choses s'étaient passées d'une certaine façon. Les enfants qui ont pris part à l'étude étaient âgés de quatre à sept ans. Les auteurs ont conclu que la plupart des jeunes enfants âgés de moins de sept ans pouvaient discerner le mensonge de la vérité, et qu'un faible pourcentage d'enfants s'étaient trompés. Cependant, ils signalent qu'il ne faut pas en conclure que tous les enfants ont une définition de la vérité qui ressemble à celle des adultes.

Une étude connexe réalisée par Astington (1988) sur l'acte de promettre est également pertinente pour les enquêtes effectuées en vue de l'assermentation. Ces travaux de recherche démontrent que chez les enfants, la compréhension des circonstances et des obligations relatives à l'acte de promettre intervient plutôt tard dans leur développement. Dans l'étude, Astington indique quels sont les types d'actes verbaux que les enfants âgés de cinq à treize ans considéraient comme une promesse. On a présenté aux enfants des histoires dans lesquelles quelqu'un promettait un événement hors de son contrôle (prédiction) ou une action passée qui s'était déjà produite (assertion). Les enfants âgés de moins de cinq ans ont eu de la difficulté à établir une différence entre les prédictions et les assertions car ils avaient tendance à se concentrer sur le résultat en tant que facteur déterminant. Dans presque tous les cas, le jugement porté par les enfants sur l'acte verbal en tant que promesse ou non correspondait à la concordance entre l'acte verbal et le résultat. Toutefois, les enfants âgés entre six et neuf ans commençaient à faire la distinction entre une promesse et une prédiction en fonction de la responsabilité du locuteur relativement au résultat.

Selon Astington (1988), la conclusion la plus importante de cette étude est que les enfants ne conçoivent pas une promesse seulement comme un acte verbal, c'est-à-dire comme quelque chose qui est accompli uniquement par la parole. Les enfants considèrent qu'une promesse comprend l'accomplissement de l'acte promis. Pour eux, une promesse est quelque chose que vous avez dit que vous feriez, mais ce n'est pas une promesse à moins qu'elle soit réalisée. Pour les enfants ayant participé à cette étude, une promesse est un énoncé vrai. Cette définition d'une promesse est différente de celle des adultes, qui voient en une promesse un simple acte verbal qui ne dépend pas du résultat. Ceci a une signification importante pour les tribunaux, parce que cela suggère que lorsque les enfants promettent de dire la vérité, ils prévoient le faire par des actions.

La notion de promettre chez les jeunes enfants a fait l'objet d'une étude publiée récemment par Maas et Abbeduto (1998). Leur étude confirme les conclusions de Astington sur la compréhension de la notion de promettre chez les enfants. Ces études recommandent que les enfants-témoins âgés de moins de quatorze ans promettent simplement de dire la vérité lorsqu'ils témoignent, plutôt que d'être soumis à un voir-dire sans fin afin de déterminer s'ils sont capables de prêter serment. Ces recherches sont encourageantes en ce sens qu'elles suggèrent que lorsque les enfants promettent de dire la vérité, cela comprend l'acte de dire la vérité.

L'adoption d'une pratique moins intrusive et d'une approche plus directe est encouragée dans un ouvrage intitulé Children's competency to testify, qui a été publié en 1981 par Melton . On y indique que le fait de demander aux enfants la signification de termes abstraits comme la vérité, le mensonge, un serment et une promesse vous en dit davantage au sujet de leur développement intellectuel cognitif que leur penchant à dire la vérité. Il affirme que demander aux enfants de simplement promettre au tribunal de dire la vérité constitue le meilleur choix.

2.3 Capacité des enfants à deviner les intentions d'autrui et à adopter le point de vue d'une autre personne

Les enfants âgés de moins de dix ans qui témoignent ont beaucoup de difficulté à répondre lorsqu'on leur demande de deviner les intentions d'un accusé (« Qu'est-ce que l'accusé essayait de faire à ce moment-là, espérait-il te faire peur ou te tromper? ») ou d'expliquer le point de vue d'un autre enfant-témoin (« Qu'est-ce que les autres enfants pensaient lorsque l'accusé s'est mis à courir vers eux? ») ou ce qu'une autre personne verrait si elle avait été là (« Qu'aurais-je vu si j'étais entré dans ta chambre? »). Ceci est dû au fait que les jeunes enfants ont de la difficulté à décrire ce que les autres ressentent. Ils ne sont pas très adroits à deviner les intentions d'autrui et ont tendance à répondre à ce genre de questions en prêtant simplement aux autres leurs propres émotions et perceptions.

Les études réalisées sur la capacité des enfants à deviner les intentions chez autrui suggèrent que même si les très jeunes enfants sont capables de comprendre un acte intentionnel simple d'un adulte, ils ne sont pas nécessairement capables de comprendre les intentions de l'adulte (Meltzoff, 2000). Cette compétence se développe lentement au fil du temps et grâce à l'exposition répétée aux comportements des personnes significatives de l'entourage. Le fait de demander à de jeunes enfants qui témoignent de deviner les raisons du comportement d'une autre personne (Fivush et Hudson, 1990) ou de leur demander d'adopter le point de vue d'une autre personne alors qu'ils ne comprennent pas encore que les autres peuvent voir les choses d'une manière différente à la leur est malavisé et entraîne généralement des réponses inexactes en raison du fait que les enfants essaient de répondre aux exigences qui leur sont imposées (Selman et coll., 1983).

Le développement du « mentalisme », qui renvoie à la compréhension de la pensée (la sienne et celle des autres), est essentiel à la capacité de déduction des enfants. Il existe des différences individuelles quant à l'âge où les enfants commencent à comprendre que les autres puissent avoir un état psychologique indépendant qui explique leur comportement (Fivush et Hudson, 1990). Malheureusement, les enfants âgés de trois ans et moins ont une capacité très limitée de raisonner sur les connaissances et les états d'esprit d'autrui. Généralement, tous les enfants âgés de moins de sept ans ont de la difficulté à répondre à cette demande, et les enfants âgés entre sept et dix ans ont besoin de l'aide pour accomplir cette tâche. Pour ce qui est des enfaâgés de plus de dix ans, cela dépend en grande partie de leur expérience personnelle. La signification de ces résultats pour le tribunal est évidente. La nature des questions posées à un enfant-témoin doit tenir compte de sa capacité à comprendre des intentions ainsi que le point de vue d'autres personnes.

Les enfants ont également de la difficulté à composer avec les messages verbaux ambigus lorsqu'ils sont à la barre. Ceci est relié au fait qu'ils ne font pas la distinction entre les messages compris dans les questions d'une part, et ce que veut dire le locuteur d'autre part. En raison de leur naïveté sociale, ils ont de la difficulté à saisir la double intention que peut comporter une question qui leur est posée. Malheureusement, dans le contexte d'un tribunal, il arrive souvent lors d'un contre-interrogatoire que les questions aient un double entendre. On pose aux enfants des questions qui semblent de prime abord directes, mais qui visent un objectif ultérieur autre que la simple réponse donnée.