Examen du lien entre la criminalité et la situation socio-économique à Ottawa et à Saskatoon : Analyse géographique à petite échelle

Résumé

Depuis quelques décennies, de nombreuses études ont porté sur les facteurs liés à la criminalité et à la démographie ou au statut social en comparant différentes villes du Canada. Ce genre de « macro » recherche comporte habituellement la collecte et l'analyse de données sur les infractions criminelles et la situation socio-économique pour des municipalités ou des régions métropolitaines de recensement (RMR). Des recherches en géographie urbaine et dans d'autres disciplines ont révélé une grande variabilité spatiale au sein des centres urbains du Canada quant à la situation sociale et il est clair que la criminalité n'est pas distribuée également au sein d'une ville. Dans les trois études présentées ici, nous avons adopté une « micro » approche. Ottawa et Saskatoon ont servi d'études de cas pour examiner la relation entre la criminalité et la situation socio-économique au plan intra-urbain et, ce faisant, nous avons mis au point un modèle d'analyse de la criminalité au Canada applicable à une petite échelle géographique.

Dans la première étude portant sur Ottawa, nous avons examiné les données de 2001 sur les infractions criminelles, obtenues du Service de police d'Ottawa ainsi que des indicateurs socio-économiques tirés du Recensement de 2001, agrégés au niveau de l'aire de diffusion (AD). L'AD est la plus petite unité géographique pour laquelle des données de recensement sont disponibles et elle se compose de plusieurs pâtés de maisons. Nous avons analysé en tout 32 variables (6 liées à l'acte criminel et 26, à la situation socio-économique) dans 1187 AD à Ottawa au moyen de techniques statistiques multidimensionnelles, dont l'analyse des composantes principales et l'analyse de régression multiple. De plus, nous avons utilisé un logiciel de système d'information géographique (ArcGIS) pour produire une série de cartes illustrant la répartition des secteurs à taux de criminalité élevé à Ottawa et la relation spatiale entre ces secteurs et les collectivités défavorisées.

De façon globale à Ottawa, l'étude a révélé un lien statistique faible entre la criminalité et la situation socio-économique et aucun « indicateur » social clair de la criminalité au niveau des AD. La cartographie des variables de la criminalité a montré que les « secteurs à haut taux de criminalité » (SHTC) sont contenus en grande partie dans le noyau urbain construit, tandis qu'on voit très peu de SHTC dans les secteurs périphériques et ruraux. L'analyse des SIG a révélé une relation géographique modérée entre la criminalité et la situation socio-économique dans la ville, alors que 40 % des AD socialement défavorisées sont également des SHTC. Plusieurs caractéristiques importantes sont ressorties de l'examen plus approfondi de secteurs particuliers. Par exemple, nous avons constaté que les SHTC ont des taux supérieurs à la moyenne de personnes seules à faible revenu et de logements locatifs. De plus, l'étude a cerné plusieurs « points chauds » dans la ville (une combinaison de taux de criminalité élevé et de désavantage social) et nous avons constaté que ces secteurs affichent des taux plus élevés de crimes de violence et des proportions nettement plus grandes d'immigrants récents, de minorités visibles et de personnes vivant dans des immeubles d'habitation.

Quant aux stratégies de prévention du crime à Ottawa, il est évident que l'attention devrait se concentrer sur la répression et la revalorisation sociale dans les collectivités défavorisées affichant des taux de criminalité élevés et que les programmes devraient être conçus de manière à prendre en compte les caractéristiques sociales et à satisfaire aux besoins des personnes qui vivent dans ces secteurs. Par ailleurs, il faudrait continuer de s'employer à réduire les situations propices à la criminalité dans d'autres endroits, comme dans les banlieues résidentielles, les secteurs commerciaux et les endroits publics.

Dans la deuxième étude, nous avons examiné le rapport entre la criminalité, la situation socio-économique et la ségrégation à Saskatoon et établi plusieurs « indicateurs » de la criminalité. Nous avons examiné les statistiques de 2003 sur la criminalité, les variables du Recensement de 2001et des indicateurs de l'aménagement et de l'urbanisme dans 55 quartiers résidentiels de Saskatoon. En tout, nous avons analysé 31 variables des quartiers au moyen d'analyses statistiques, dont l'analyse des composantes principales, la régression multiple et l'auto-corrélation spatiale. Nous avons produit une série de cartes montrant la répartition de la criminalité et les caractéristiques des quartiers à l'aide du logiciel ArcGIS.

L'étude a révélé un lien étroit entre la criminalité et la situation socio-économique dans les quartiers de Saskatoon. La population autochtone, les familles monoparentales et les familles à faible revenu ont été identifiées comme des segments particulièrement vulnérables de la population quant aux crimes de violence et aux crimes majeurs contre les biens. La cartographie des variables de la criminalité a révélé une solide concentration des secteurs à haut taux de criminalité (SHTC) sur la rive ouest de la rivière South Saskatchewan River, en particulier dans le cœur de la ville. C'était particulièrement évident pour les SHTC de violence. Par comparaison, les crimes mineurs contre les biens et les infractions relatives aux stupéfiants présentent une configuration plus dispersée. Tandis qu'une majorité d'Autochtones et de personnes à faible revenu vivent dans l'Ouest de la ville, la ségrégation n'est pas une caractéristique dominante de la géographie sociale urbaine de Saskatoon. Nous avons constaté que les SHTC affichaient des proportions plus grandes de personnes seules et de personnes ayant récemment déménagé, des taux nettement plus faibles de scolarisation, des logements plus vieux et de moins bonne qualité et un taux de chômage plus élevé.

Quant aux politiques, nous avons examiné plusieurs initiatives lancées par la ville de Saskatoon et son service de police afin d'améliorer la qualité de vie et de faire face au taux de criminalité croissant dans les quartiers centraux. D'après les résultats de l'analyse statistique et géographique, l'étude permet de recommander que les interventions stratégiques additionnelles se concentrent sur quatre domaines connexes :

  1. la qualité et le caractère abordable du logement,
  2. l'éducation et la formation,
  3. les programmes et services destinés aux jeunes et
  4. la violence chez les Autochtones.

De plus, nous proposons que le gouvernement du Canada élargisse sa Stratégie pour les Autochtones vivant en milieu urbain et continue de travailler en collaboration avec la province de Saskatchewan et la ville de Saskatoon afin de fournir un logement stable et abordable et des possibilités d'éducation et de formation, en particulier aux jeunes Autochtones des quartiers centraux. L'objectif devrait consister à améliorer la qualité de vie des résidents de ces collectivités, ce qui permettrait de réduire les taux de victimisation et les contacts avec le système de justice.

Dans la troisième étude, nous avons ré-agréger les données sur les aires de diffusion d'Ottawa provenant de la première étude, de manière à les faire correspondre aux limites globales des 50 quartiers de la ville. Nous avons ensuite analysé de nouveau les données sur la criminalité et la situation socio-économique à cette échelle géographique et nous avons comparé les résultats aux constatations de l'analyse des quartiers de Saskatoon (étude no 2). Nous avons constaté qu'un changement d'échelle géographique a une incidence sur le lien statistique entre la criminalité et la situation socio-économique. Nous avons constaté que plusieurs indicateurs ont un effet significatif sur les taux de criminalité dans les quartiers d'Ottawa, y compris des proportions plus élevées de personnes seules et de jeunes ne fréquentant pas l'école, de même que les revenus des ménages inférieurs à la moyenne. La cartographie des variables de la criminalité a révélé une configuration plutôt dispersée des secteurs à haut taux de criminalité (SHTC) au sein du noyau urbain d'Ottawa et une présence visible de ces variables dans plusieurs des quartiers de la banlieue ouest de la ville.