Le concept de « Don »/Gift
Étude Comparative - Droit Civil
Common Law - Droit Fiscal
par Joseph Sirois, LL.D.
Ministère de la Justice Canada
Introduction[1]
La notion de don/gift est un concept important en matière de fiscalité. La Loi de l'impôt sur le revenu[2] permet à un contribuable qui effectue un don de réclamer un crédit d'impôt ou une déduction en fonction de la juste valeur marchande (ci-après « JVM ») du bien donné. Cet avantage est un bénéfice accordé par le gouvernement pour encourager les Canadiens à faire preuve de générosité. Sous certaines conditions, le gouvernement renonce, à des revenus pour encourager des activités de bienfaisance ainsi que d'autres types d'activité, tel le sport amateur.
C'est pourquoi la Loi de l'impôt sur le revenu contient un régime qui accorde certains avantages, tel un crédit d'impôt ou une déduction, à des individus (art.118.1 LIR) et des sociétés (art. 110.1 LIR) qui donnent à des donataires reconnus aux termes de cette loi[3].
Ce régime découle du concept de bienfaisance qui est le fondement de droit public sur lequel s'articule tout le régime des bénéfices fiscaux que le législateur a adopté pour compenser la générosité des contribuables. L'objet des règles de droit privé entourant le concept de bienfaisance dans les deux système de droit privé est la réglementation des moyens ou des véhicules choisis pour transférer des biens, qu'il s'agisse de legs, de dons ou de fiducie, à des fins de bienfaisance. Le droit fiscal ne retient du droit privé que les critères qui lui sont nécessaires pour l'enregistrement d'un organisme de bienfaisance afin d'en contrôler le financement. Il ne se préoccupe pas des moyens empruntés pour effectuer des dons à ces organismes.
Cette règle de droit public doit par contre faire appel à celles de droit privé pour que se concrétise la bienfaisance à travers les dons/gifts. Pour que la bienfaisance se traduise concrètement selon la Loi de l'impôt sur le revenu, il est nécessaire qu'existe un don/gift valide selon le droit privé pour que les règles de la Loi de l'impôt sur le revenu sur la bienfaisance puissent s'appliquer.
Donc, quand une loi fédérale utilise un concept de droit privé, tel celui de don/gift, il peut s'avérer nécessaire de recourir au droit privé de la province pour pouvoir appliquer la mesure fédérale. Ainsi, le droit fiscal doit souvent faire appel au droit privé pour arriver à ses fins :
Le droit fiscal, à mon avis, est un droit accessoire qui n'existe qu'au niveau des effets découlant des contrats. Une fois la nature des contrats déterminée par le droit civil, la Loi de l'Impôt intervient, mais seulement alors, pour imposer des conséquences fiscales à ces contrats. Sans contrat, sans droit et sans obligation il ne peut y avoir d'incidence fiscale. L'application de la Loi de l'Impôt est soumise à un diagnostic civil que ce diagnostic soit de droit civil ou de droit commun (common law)[4].
Il faut souvent s'en remettre au droit privé des provinces pour appliquer la législation fédérale qui renvoie à des notions de droit privé. C'est ce que nous dit l'article 8.1 de la Loi d'interprétation[5] qui se lit :
« 8.1 Le droit civil et la common law font pareillement autorité et sont tous deux sources de droit en matière de propriété et de droits civils au Canada et, s'il est nécessaire de recourir à des règles, principes ou notions appartenant au domaine de la propriété et des droits civils en vue d'assurer l'application d'un texte dans une province, il faut, sauf règle de droit s'y opposant, avoir recours aux règles, principes et notions en vigueur dans cette province au moment de l'application du texte. »
Si un texte fédéral emploie un terme sans le définir, et que ce terme renvoie implicitement au droit privé provincial, les règles de droit privé applicables à l'institution visée par le terme viendront compléter le droit fédéral. L'exception est l'application d'une règle de droit fédéral s'y opposant[6].
La Loi de l'impôt sur le revenu ne définit pas les termes « don »/gift. Il faut donc s'en remettre au droit privé des provinces, tel qu'il a été interprété et appliqué par la jurisprudence utilisée par les autorités fiscales pour baliser le don/gift aux fins de la Loi de l'impôt sur le revenu. étrangement, cette jurisprudence a entraîné l'application d'une règle de droit civil dans les provinces de common law, mais également l'application d'une règle de common law dans la Province de Québec. Ainsi, une étude comparative permettra de situer la notion de don/gift se retrouvant dans la Loi de l'impôt sur le revenu en fonction des concepts de don de common law et de donation de droit civil.
Une telle étude se fera à la lumière de la démarche mise de l'avant dans la décision St-Hilaire, selon laquelle il faut déterminer si les droits civils des contribuables sont en litige sans que ces droits aient été définis par le législateur fédéral, ou s'il s'agit de droit public régissant les relations entre les contribuables et l'état :
Ce qui, je pense, devrait déterminer s'il y a lieu ou non de recourir au droit privé (au Québec, le droit civil), ce n'est pas le caractère public ou privé de la loi fédérale en cause, mais le fait, tout simplement, que la loi fédérale, dans un litige donné, doit être appliquée à des situations ou à des relations qu'elle n'a pas définies et qui ne peuvent l'être qu'en fonction des personnes affectées. On ferme en quelque sorte le cercle et on revient au point de départ, à l'article VIII de l'Acte de Québec : quand ces personnes affectées sont des justiciables et que leurs droits civils sont en litige et n'ont pas été définis par le Parlement, c'est le droit privé provincial qui vient combler le vide. Bref, le droit civil s'applique, au Québec, à toute législation fédérale qui ne l'écarte pas[7].
La première partie du présent article sera donc consacrée aux règles de droit civil s'appliquant aux donations ou dons auxquels la Loi de l'impôt sur le revenu renvoie implicitement. Cette partie sera suivie d'un exposé des règles applicables au don/gift de common law, dont le gift inter vivos et la donatio mortis causa. L'étude se concentrera sur les donations qui sont pertinentes dans le cadre d'une donation admissible aux termes de la Loi de l'impôt sur le revenu. Ainsi, la donation à cause de mort de droit civil n'étant possible que dans un contrat de mariage, son traitement sera plus succinct que celui de la donatio mortis causa de common law qui peut possiblement être faite en faveur d'un donataire reconnu selon la Loi de l'impôt sur le revenu.
Le don/gift selon les deux régimes juridiques fera l'objet d'une comparaison pour en établir les similitudes et les différences. Suivra un exposé de la notion de don/gift en droit fiscal telle que perçue et établie par les tribunaux et appliquée par les autorités fiscales. De pair avec cette étude, il y aura comparaison entre le droit privé et le droit fiscal. Ces comparaisons mettront en lumière les différences entre les concepts de don/gift en fonction des différents régimes, particulièrement entre les régimes de droit privé et le régime fiscal.
Notes de bas de page
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[1] Ce texte constitue une version revue et corrigée du texte publié initialement dans la Revue de planification fiscale et successorale, 2003, vol. 24, no 2 381. L'auteur est conseiller juridique, équipe du droit fiscal, groupe du bijuridisme et des services d'appui à la rédaction, ministère de la Justice du Canada. Les opinions exprimées dans le texte sont celles de l'auteur et ne doivent pas être imputées au ministère de la Justice. L'auteur tient à exprimer ses sincères remerciements à Me André Ouellette pour la collaboration apportée à la rédaction de ce texte et à ses collègues Me Marc Cuerrier, Me Sandra Hassan, Me Martin Lamoureux et Me Benoit Mandeville pour la révision de ce texte et leurs judicieux conseils et commentaires. La majeure partie de la recherche a été complétée le 31 octobre 2001 mais prend en compte des propositions législatives du 20 décembre 2002, portant sur les dons.
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[2] L.R.C. (1985), 5e suppl., c. 1 et mod. (ci-après « LIR »).
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[3] L'expression « donataires reconnus » vise les organismes autorisés selon la LIR à émettre des reçus officiels de dons, et comprend notamment les organismes de bienfaisance enregistrés.
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[4] Canada c. Lagueux & Frères Inc., [1974] 2 C. F. 97, p. 103 (C.F. - 1re inst.)(J. Décary).
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[5] L.R.C. 1985, c. I-21, tel que modifié par L.C. 2001, c. 4, art. 8.
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[6] Voir la démarche exposée par le juge Décary pour l'application de cette règle dans la décision St-Hilaire c. Canada (Procureur général), [2001] 4 C.F 289 (Demande d'autorisation d'appel refusé par la Cour suprême le 29 novembre 2001) qui examinait alors le projet de loi S-4, devenu L.C. 2001, c. 4.
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[7] Id., p. 320-321 (opinion du juge Décary).
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