Le concept de « Don »/Gift
Étude Comparative - Droit Civil
Common Law - Droit Fiscal

4. Droit fiscal et interaction avec le droit privé

Dans cette partie, l'exposé sur le don/gift de droit fiscal sera dans chaque section suivi des commentaires et des comparaisons avec le droit privé.

4.1 Principes généraux

La Loi de l'impôt sur le revenu ne contient pas de définition des termes « don »/gift qu'elle emploie dans le cadre des mesures mises en place pour encourager les dons à des donataires reconnus selon la loi. La définition retenue en matière fiscale pour le don/gift peut se résumer ainsi : « Aux fins des articles 110.1 et 118.1, un don est un transfert volontaire de biens sans contrepartie de valeur »[91].

Des définitions du terme « don » se retrouvent dans d'autres publications émanant des autorités fiscales, dont:

« L'expression "don" n'étant pas définie dans la loi, c'est donc la définition qu'en donne la common law qui prévaut. Il s'agit en effet d'un transfert volontaire de biens sans contrepartie et sans espoir d'en tirer avantage ou une rémunération[92]. »

Il y a des points communs à la définition de « don »/gift en droit privé et en droit fiscal : il s'agit du transfert d'un bien (property) par un donateur à un donataire sans contrepartie ou avantage pour le donateur. Il n'y a pas de doute que le don/gift de la Loi de l'impôt sur le revenu s'inspire donc des règles de droit privé canadien, plus particulièrement celles de common law. Les autorités fiscales le reconnaissent elles-mêmes.

Par contre, le don/gift de droit fiscal comprend la donation fiduciaire et la donation par testament[93]. En common law, tant que les conditions requises pour qu'il y ait donation sont respectées, il y aura don/gift quel que soit le véhicule employé; une donation fiduciaire (gift by trust) et une donation testamentaire (gift by will) seront parfaitement valables si les conditions de fond sont présentes.

En droit civil, alors qu'il était associé au testament dans le Code civil du Bas-Canada, le don/gift renvoie maintenant à la donation qui est un contrat nommé spécifique dans le Code civil du Québec. La fiducie, sous le Code civil du Bas-Canada, ne pouvait être créée que par le biais d'une donation ou d'un testament[94]; maintenant la constitution d'un patrimoine fiduciaire et le simple transfert de biens à ce patrimoine constitué en fiducie suivi de l'acceptation par le fiduciaire sont requis pour ce faire[95]. Il n'est pas évident que les termes « don »/gift comprennent les fiducies et les testaments sous le Code civil du Québec puisqu'ils visent le contrat nommé « donation/gift », synonyme de don/gift. Si tel était le cas, seul le contrat nommé du Code civil du Québec serait visé par la Loi de l'impôt sur le revenu en droit civil et l'application des règles fiscales portant sur les dons se limiterait ainsi à la donation entre vifs du droit privé québécois.

Les autorités fiscales exigent que le bien faisant l'objet de la donation soit de valeur conséquente, autre que de simple valeur nominale, pour être reconnu comme don. Le don de vêtements usagés de peu de valeur ne serait pas reconnu comme un don en nature; un tel don serait toujours un don au sens du droit privé, mais il ne sera pas admissible pour fins fiscales[96].

Il faut également que les donataires soient des donataires reconnus, émetteurs de reçus officiels de dons, pour que les dons donnent ouverture au crédit d'impôt ou à la déduction[97]. C'est évident, mais cela vient quand même limiter la portée des termes « don »/gift dans le cadre fiscal puisque ces donataires reconnus sont limités par la Loi de l'impôt sur le revenu. Alors qu'en droit privé il est possible de donner à toute personne, la Loi de l'impôt sur le revenu nous indique les donataires qu'elle reconnaît pour fins de déduction ou de crédit d'impôt.

Nous ne toucherons pas comme tel aux dons de biens écosensibles et de biens culturels qui font l'objet de règles particulières sous la législation tant fédérale que provinciale.

4.2 Déduction et crédit d'impôt : considérations permises selon le droit fiscal

Le premier élément qui distingue le don en droit fiscal de celui de droit privé est une atténuation de l'exigence pour le donateur de ne recevoir aucune contrepartie pour le don qu'il a fait pour les fins reconnues par la Loi de l'impôt sur le revenu. à la suite du transfert d'un bien à un donataire reconnu, le donateur peut obtenir en contrepartie un reçu officiel donnant ouverture à une déduction s'il s'agit d'une corporation (art. 110.1 L.I.R.) ou d'un crédit d'impôt s'il s'agit d'un individu (art.118.1 L.I.R.). Le juge Linden s'exprimait ainsi dans la décision Friedberg :

Thus, a gift is a voluntary transfer of property owned by a donor to a donee, in return for which no benefit or consideration flows to the donor (see Heald, J. in The Queen v. Zandstra [1974 DTC 6416] [1974] 2 F.C. 254, at p. 261.) The tax advantage which is received from gifts is not normally considered a «benefit» within this definition, for to do so would render the charitable donations deductions unavailable to many donors[98].

La Cour d'appel fédérale a par la suite confirmé cette règle :

« Le juge de la Cour canadienne de l'impôt a appliqué aux transactions visées les principes du Code civil du Bas-Canada qui, à l'époque, gouvernaient les libéralités, notamment les articles 755 et 776. Il a conclu que les conditions essentielles à l'existence d'une donation, soit l'intention libérale, la remise du bien et l'acceptation par le donataire, étaient remplies. Appliquant l'arrêt The Queen v. Friedberg, 92 DTC 6031 de notre Cour, il a statué que l'obtention d'un avantage fiscal, même si c'était là la motivation principale de l'intimé en l'espèce, n'effaçait pas l'intention libérale du donateur. Il fut aussi d'avis que l'obtention d'un reçu de la part de l'organisme bénéficiaire ne pouvait être considérée comme une contrepartie éliminant le caractère gratuit et libéral de la transaction[99]. »

Donc, dans un premier temps, il est reconnu que l'obtention d'un avantage pourrait invalider une donation à la lumière du droit privé si cet avantage n'était pas spécifiquement autorisé et accordé par la Loi de l'impôt sur le revenu. C'est ce qui ressort de la première citation.

Dans un deuxième temps, il est établi que si une donation est valide au sens du droit privé, elle pourra alors être considérée au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'obtention d'un crédit d'impôt ou d'une déduction, si elle remplit les exigences de cette loi. La validité de la donation en droit privé sera requise pour qu'elle soit considérée à la lumière de la Loi de l'impôt sur le revenu; le droit fiscal s'appuiera alors sur le droit privé pour l'application des règles en matière de don/gift.

La Loi de l'impôt sur le revenu accorde un avantage fiscal pour le don à un donataire reconnu qui a émis un reçu officiel, ce qui constitue une différence importante à l'égard du droit privé. Par contre, la déduction et le crédit d'impôt sont essentiels afin d'encourager les contribuables à appuyer les donataires reconnus par leurs dons; ce principe a été reconnu par la jurisprudence[100].

Hormis cette atténuation, le don en droit fiscal vise un transfert de bien par une personne à un donataire reconnu qui émet un reçu donnant ouverture à une déduction ou un crédit d'impôt sans considération autre que l'avantage fiscal[101]. Par contre si le but avoué du don est uniquement l'obtention d'un avantage fiscal et que la donation n'est qu'un simple paravent pour aller chercher ledit avantage sans que les conditions de fond du droit privé soient respectées, le don ne sera pas admissible puisque l'avantage fiscal devient alors une contrepartie[102].

4.3 Contreparties selon la Loi de l'impôt sur le revenu

En matière d'éducation religieuse, il semble que le fait par un parent de verser des sommes pour que son enfant obtienne une éducation religieuse que ce parent se sent moralement obligé de lui fournir, même sans obligation légale de ce faire, ne sera pas considéré comme un don admissible même si l'institution est dûment enregistrée[103].

Il a été également considéré que le versement de dons à une association sportive amateur enregistrée par un père dont la fille bénéficie de programme d'entraînement sous l'égide de cette association n'est pas un don puisque les bénéfices retirés par la fille du donateur constituent une considération pour laquelle le père a versé de l'argent[104].

Ceci étant dit, les autorités fiscales ont déterminé les dons qu'elles considèrent admissibles conformément à la Loi de l'impôt sur le revenu[105].

4.4 Contrepartie différente de la valeur d'un bien ou de certains services

L'achat d'un billet pour un dîner, un bal, un concert, un spectacle ou un événement de même genre pour une valeur supérieure à la valeur marchande de la nourriture ou des services offerts à l'acquéreur du billet peut donner ouverture à l'émission d'un reçu pour la différence entre le prix du billet et cette valeur marchande; on considère alors qu'il y a un paiement comportant deux contreparties, une pour la valeur du billet et l'autre à titre de don à l'organisme : « Without a doubt, in the contribution made there is a twofold consideration: one subscription was made for charitable purposes and the other for entertainment purposes. »[106]

La règle est que le bien ou le service doit être consomptible et ne doit pas donner ouverture à la possibilité de revendre ce bien ou service. C'est ce qui expliquerait qu'un dîner doublé d'une vente aux enchères ou d'un tirage ou une loterie ne donne pas ouverture à un don, à moins que la valeur des biens vendus ou les prix proposés soit inférieure à une valeur nominale[107].

La pratique fiscale, suivant la jurisprudence, va reconnaître comme conforme à la Loi de l'impôt sur le revenu un don pour un montant excédant la valeur d'un dôner, un bal, un concert, un spectacle ou un événement de même genre ce qui est permis en droit civil, mais n'est pas un don selon la common law puisque considéré comme une seule et même transaction. Il est intéressant de noter que ce principe applicable à travers le pays provient de la décision Aspinall émanant du Québec[108]. Une question se pose à savoir si l'article 8.1 de la Loi d'interprétation rendra nécessaire la « codification » de cette règle pour son application dans les juridictions de common law.

Pour ce qui est de l'achat de biens non consomptibles ou qui peuvent être revendus par le « donateur », il faut s'assurer que le don et l'achat sont des opérations séparées sans lien entre elles. Ainsi, si l'achat ne peut être fait sans qu'il soit accompagné de la contribution charitable, il n'y aura pas de don, la transaction étant considérée comme une seule opération comprenant une contrepartie[109]. Les décisions Allan S.W. Tite et Hudson Bay Mining émanent de provinces de common law, tout comme Gaudin, qui provient de la Colombie-Britannique. La même règle va s'appliquer pour la vente d'un bien à un donataire reconnu pour une valeur inférieure à la valeur marchande; la différence entre le prix payé et cette valeur ne pourra constituer un don, la transaction ne pouvant être « divisée »[110]. Ces mêmes situations se présentant au Québec constitueraient des dons pour la différence entre la valeur réelle du bien donné et la contrepartie. Est-ce que ces dons se verraient reconnaître selon l'article 8.1 de la Loi d'interprétation?

S'il y a considération dans un acte telle une vente, non seulement cette considération écartera la possibilité que cette vente contienne un don puisque ce dernier n'est valide que s'il y a absence de considération, mais la différence entre le prix et la valeur ne constitue pas un bien pouvant faire l'objet d'un transfert aux fins fiscales :

« A contract of sale, which is, by definition, a transfer of property for a consideration, cannot be a gift, which is, by definition, a disposition of property without consideration.[...] While speaking loosely, one might say that a gift was made by way of sale at an underevaluation (the gift being the benefit so conferred), in my view, the word gift in a taxing statute must be taken as referring to what is known to the law as a gift, namely, the gratuitous transfer of property, and the difference between value and price is not 'property' and is not something that can be transferred[111]. »

Il faut que l'achat et le don soient complètement indépendants l'un de l'autre et qu'ils constituent deux opérations distinctes pour que le montant versé à titre de don soit admissible[112]. La même logique pourra s'appliquer à un billet donnant ouverture à un tirage ou à une loterie; si l'achat du billet et la contribution charitable constituent deux opérations indépendantes, cette dernière pourra être considérée comme un don[113].

L'abandon ou le « don » par une personne du montant constituant la différence entre la valeur d'un bien et celle de la contrepartie convenue, notamment dans le cas d'un achat pour un montant plus élevé que la valeur et une vente pour un montant moins élevé que la valeur ne permettra pas que cette différence soit considérée comme un don aux fins de la Loi de l'impôt sur le revenu[114]. Ce don est refusé suivant la règle de common law dans les cas de biens non consomptibles, alors qu'une telle donation est valide en droit civil. Il y a également application de ce principe à travers le pays, malgré des règles de droit privé différentes entre les juridictions de common law et celle de droit civil. Une application de règles de droit civil dans les juridictions de common law ainsi que la non-application d'une règle de droit civil au Québec devront-elles faire l'objet d'une « codification » dans le cadre de la Loi de l'impôt sur le revenu afin d'éviter qu'une telle application soit écartée en raison de l'article 8.1 de la Loi d'interprétation?

Il y a également les cas où un organisme enregistré a le droit d'établir des rentes et où un particulier verse pour l'établissement d'une telle rente un montant supérieur au montant total qui lui sera versé à titre de rente. Les autorités fiscales permettent que la différence entre ces deux montants soit traitée comme un don au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu et qu'un reçu pour don soit émis[115]. Il s'agit d'une extension du transfert de bien sans contrepartie, car le montant versé en sus de la rente l'est effectivement sans considération; par contre il s'agit d'une transaction unique qui autrement ne donnerait pas ouverture à un don admissible comme dans le cas d'une vente de bien non consomptible.

La possibilité de se procurer une rente moyennant un montant plus élevé que celui qui sera versé au contribuable à titre de rente et d'obtenir un avantage fiscal à titre de don pour le montant excédentaire s'identifie à l'achat d'un bien pour un montant au-dessus de sa valeur. Ce type de donation, permise selon les règles du droit civil, n'est pas un don/gift selon la common law, l'octroi de la rente constituant une considération.

4.5 Fourniture de services

La fourniture de services ne peut faire l'objet d'un don admissible, puisqu'il ne s'agit pas du transfert d'un bien[116]. Par contre, les services peuvent être chargés à l'organisme enregistré qui se voit remettre volontairement le paiement de ces services, remise qui donnera ouverture à l'émission d'un reçu pour don; ainsi, il y a transfert de biens puisque le montant des services est donné à l'organisme[117].

Même s'il y a prohibition de faire un don de services, un autre moyen, la facturation de ces services et la remise au donataire reconnu du montant de ces services, permet de parvenir aux mêmes fins. Il y a transformation de services en créances dont le paiement, une somme d'argent qui est un bien pouvant faire l'objet d'un don, est retourné au donataire. On liquide les services pour les transformer en biens qui peuvent être donnés selon les règles du droit privé.

4.6 Capital d'une fiducie et droit viager

Il est également permis aux fins fiscales de faire don d'une participation résiduelle dans un bien immeuble (residual interest in real property) ou d'une participation au capital dans une fiducie (equitable interest in a trust)[118]. Ce sont des types de dons qui sont reliés de façon étroite au régime des intérêts viagers et des trusts de common law et dont les conditions relèvent des particularités de ces institutions. Il est difficile de trouver des similitudes dans les institutions de droit civil, vu l'absence d'institution semblable aux intérêts/interest de common law et d'un régime des fiducies est différent de celui des trusts. La possibilité d'utiliser des institutions équivalentes de droit civil au Québec pour faire des donations valides selon la Loi de l'impôt sur le revenu ne fait pas l'objet d'une position unifiée des autorités fiscales fédérales[119].

De plus, la fiducie de droit civil étant un patrimoine d'affectation sans titulaire, il n'y a pas de place pour les concepts de legal et beneficial ownership requis pour qu'un don par le biais d'une fiducie à titre gratuit soit valide sous la Loi de l'impôt sur le revenu.

On ne pourra parler en droit civil de dons de participation résiduelle dans un immeuble et de participation au capital dans une fiducie lesquels découlent directement de la common law. L'utilisation de ces véhicules fiscaux en contexte de droit civil est ardue pour ne pas dire impossible en raison des conceptions différentes de la propriété entre le droit civil et la common law.

En effet, on peut aisément se demander si une harmonisation des concepts de don/gift doit entraîner nécessairement des possibilités équivalentes pour les contribuables du Québec. Si tel est le cas, sera-t-il possible de traduire en termes civilistes ces réalités provenant de concepts fondamentaux de common law?

4.7 Don d'une police d'assurance-vie

Les autorités fiscales permettent le don d'une police d'assurance vie par un particulier à un donataire reconnu en autant qu'elle lui soit léguée, ou que la propriété de la police d'assurance vie soit transférée au donataire et que ce dernier soit inscrit comme bénéficiaire à la police[120]. Les versements de primes sur cette police, propriété du donataire reconnu, par le donateur seront également considérés comme un don[121]. Dans ces cas, il s'agit de transfert de biens (police d'assurance ou versement de primes) sans considération. Il y a ici transfert volontaire d'un bien, la police d'assurance vie, en faveur d'un donataire reconnu. Mais il est possible d'avancer que le versement des primes directement à la compagnie d'assurances et non au donataire reconnu, même avec son accord, ne constituerait pas une donation au sens du droit privé puisque le transfert de bien n'est pas fait au donataire, mais à un tiers; et qui plus est, contre une contrepartie qui est la couverture d'assurance.

4.8 Résumé

Ainsi, la pratique fiscale en matière de don, tout en s'inspirant des règles fondamentales de droit privé, a aménagé la notion de don/gift en fonction des avantages que les autorités fiscales, dans certains cas en s'inspirant de la jurisprudence, consentent à accorder aux contribuables. Le don/gift est considéré bien plus à la lumière de la Loi de l'impôt sur le revenu que du droit privé. Un bénéfice fiscal est une exception au principe général de la Loi de l'impôt sur le revenu et doit être interprété en conséquence.

C'est donc à la lumière de la Loi de l'impôt sur le revenu qu'il faut considérer les conditions qui permettront qu'un don/gift soit valide pour donner ouverture à un avantage fiscal; par contre, c'est en s'inspirant des règles provenant du droit privé que le don/gift a déposé ses assises dans le droit fiscal fédéral.

Comme certaines des mesures retenues et reconnues en matière fiscale ne sont pas toujours soutenues par le droit privé applicable, faut-il harmoniser la Loi de l'impôt sur le revenu pour tenir en compte ces disparités afin que le traitement fiscal du don/gift soit semblable pour tous les contribuables? Faudra-t-il procéder à une codification des règles fiscales qui aurait pour effet de permettre l'application des règles de droit privé d'un régime à l'autre pour atteindre cette fin?

Notes de bas de page