Le lien #40 … avril 2013

Le Service de révision bijuridique (fiscalité et droit comparé) de la Direction des services législatifs du ministère de la Justice tient à vous informer des plus récents développements en matière d'harmonisation et de bijuridisme.

Jurisprudence

Avis aux contribuables qui cessent d'exister en droit privé

Les questions liées à la situation et à la capacité juridiques des entités relèvent principalement du droit privé. Deux décisions récentes rappellent l'impact que peut avoir cette réalité sur l'application de la Loi de l'impôt sur le revenuNote de bas de page 1 et incitent les contribuables et leurs conseillers à faire preuve de prudence.

Dans l'affaire S. Cunard & Company Limited c. Procureur général du CanadaNote de bas de page 2, la Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire d'une décision rendue par la représentante du ministre du Revenu national. Cette dernière avait rejeté la demande de production tardive d'un formulaire T2057 faite au titre du paragraphe 85(7.1). Le choix visé à l'article 85 devait être fait conjointement par le vendeur et l'acheteur concernés, toutefois la société de l'acheteur (612482 NB Limited) avait été volontairement dissoute le 20 juillet 2004.

La représentante du ministre était prête à accepter un choix tardif, à condition qu'il soit établi que l'acheteur avait toujours la capacité juridique d'effectuer ce choix malgré la dissolution intervenue en 2004Note de bas de page 3. À cet égard, les démarches entreprises par l'acheteur pour reconstituer la société n'ont mené à rien. En effet, la Loi sur les corporations commerciales du Nouveau-BrunswickNote de bas de page 4 ne prévoit pas de règles sur la reconstitution d'une société volontairement liquidée. L'acheteur n'avait donc pas la capacité juridique d'effectuer le choix.

Dans le dossier Clearwater Seafoods Holdings Trust c. La ReineNote de bas de page 5, l'appelante sollicitait une directive autorisant son remplacement par Clearwater Seafoods Incorporated dans le cadre de l'appel interjeté par une fiducie devant la Cour canadienne de l'impôt en juin 2011. En octobre de la même année, les parts de la fiducie avaient été acquises par Clearwater Seafoods Incorporated selon un plan d'arrangement et la fiducie avait été dissoute. Clearwater Seafoods Incorporated avait acquis les actifs et pris en charge le passif de la fiducie de revenu.

Le juge D'Arcy de la Cour canadienne de l'impôt a rejeté la requête, concluant que ni les Règles de la Cour canadienne de l'impôt ni la Loi ne permettaient le remplacement demandé. Abordant ensuite la common law, le juge D'Arcy s'est exprimé ainsi :

[29] À mon avis, une entente par laquelle une partie prend en charge l'obligation fiscale d'une autre partie ne peut pas lier le ministre.

[…]

[31] Dans l'arrêt National Trust Co. c. Mead [[1990] 2 RCS 410], la juge Wilson a écrit ce qui suit :

Voilà longtemps que la common law reconnaît que si l'on peut être libre de céder à un tiers les avantages découlant d'un contrat, il n'en va pas de même des obligations contractuelles. C'est là un principe qui procède de la fusion de deux principes fondamentaux du droit des contrats: 1) celui selon lequel les parties peuvent contracter avec qui elles veulent (la liberté contractuelle); et 2) celui selon lequel les parties ne sont pas tenues de s'acquitter d'obligations contractuelles à la création desquelles elles n'ont pas participé (effets relatifs du contrat).

[…]

[32] Le fait que Seafoods Inc. est peut-être maintenant légalement tenue, envers la fiducie, de payer une dette fiscale de la fiducie ne change rien au fait que la Couronne est néanmoins créancière de la fiducie. En outre, la prise en charge et la cession d'une telle dette n'entraînent pas le transfert par la fiducie de ses droits d'appel à l'égard des cotisations pertinentes.

La Cour ne s'est pas prononcée sur la question de savoir si la fiducie avait toujours qualité pour mener à bien l'appelNote de bas de page 6.

La décision Clearwater Seafoods fait l'objet d'un appelNote de bas de page 7.

Une succession n'est pas une fiducie

Le paragraphe 116(3) de la Loi exige des non-résidents qui disposent de certains biens canadiens imposables qu'ils en avisent le ministre dans les dix jours suivant la disposition. La question en litige dans l'affaire Lipson c. La ReineNote de bas de page 8 était de savoir si deux particuliers non résidents (les « contribuables ») qui avaient reçu des distributions d'une succession québécoise étaient tenus d'envoyer un tel avis.

En 2003, 2004, 2005 et 2007, les contribuables avaient reçu des distributions de la succession de leur mère. La défunte était résidente du Québec au moment de son décès et la succession était régie par le Code civil du Québec. Les contribuables avaient envoyé l'avis de disposition exigé au paragraphe 116(3) relativement à la distribution de 2007. En 2008, le ministre a imposé des pénalitésNote de bas de page 9 aux contribuables pour avoir négligé d'envoyer des avis de disposition à l'égard des distributions de 2004 et de 2005. Aucune des distributions n'avait de conséquences fiscales au CanadaNote de bas de page 10.

Le ministre était d'avis que, lorsque les contribuables avaient reçu des distributions, ils avaient disposé d'un « bien canadien imposable », consistant en une participation au capital d'une fiducie. Par conséquent, ils avaient l'obligation d'envoyer un avis de disposition. La principale question à trancher était celle de savoir si le droit d'une personne à titre d'héritier ou de légataire d'une succession au Québec constituait une « participation au capital d'une fiducie », entraînant ainsi l'application de la définition de « bien canadien imposable »Note de bas de page 11 à ce droit.

Le juge Jorré a commencé par déclarer que, dans le Code civil du Québec, les notions de succession et de fiducie sont clairement différentes. Il a émis l'hypothèse que, même dans les provinces de common law, il n'est pas certain que la succession ouverte au décès d'une personne établisse automatiquement une fiducieNote de bas de page 12.

Ensuite, le juge a procédé à l'analyse du paragraphe 104(1) de la LoiNote de bas de page 13 :

Dans la présente loi, la mention d'une fiducie ou d'une succession (appelées « fiducie » à la présente sous-section) vaut également mention, sauf indication contraire du contexte, du fiduciaire, de l'exécuteur testamentaire, de l'administrateur successoral, du liquidateur de succession, de l'héritier ou d'un autre représentant légal ayant la propriété ou le contrôle des biens de la fiducie. Toutefois…

In this Act, a reference to a trust or estate (in this subdivision referred to as a “trust”) shall, unless the context otherwise requires, be read to include a reference to the trustee, executor, administrator, liquidator of a succession, heir or other legal representative having ownership or control of the trust property, but, …

Le juge Jorré a aussi procédé à une analyse approfondie des définitions connexes de la Loi, de la difficulté d'imposer les obligations fiscales aux fiducies et aux successions (qui n'ont pas de personnalité juridique) et de l'objet du paragraphe 104(1) dans ce contexte.

La Cour a rejeté l'argument du ministre selon lequel la définition de « fiducie », au paragraphe 104(1) de la Loi, englobait, à l'égard de la fiscalité, les successions. Selon le juge Jorré, l'expression « la mention d'une fiducie ou d'une succession (appelées « fiducie » à la présente sous section) » vise un objectif pratique, celui de simplifier la rédaction. L'expression n'a pas pour effet d'assimiler la succession à la fiducie pour l'application de la LoiNote de bas de page 14.

Ainsi, la Cour canadienne de l'impôt a conclu que les contribuables n'avaient pas disposé d'un bien canadien imposable, soit une participation au capital d'une fiducie, lorsqu'ils avaient reçu les distributions de la succession au Québec. Ils n'avaient donc aucune obligation d'envoyer l'avis prévu au paragraphe 116(3) et les pénalités n'auraient pas dû leur être imposées.

La Couronne n'a pas porté la décision en appelNote de bas de page 15.

Mise à jour – Envision Credit Union

Le 19 mars dernier, la Cour suprême du Canada a entendu l'appel d'Envision Credit UnionNote de bas de page 16. La question en litige est celle de savoir si la fraction non amortie du coût en capital des biens appartenant aux entités fusionnées est transmise à l'entité issue d'une fusion non assujettie au paragraphe 87(1) de la LoiNote de bas de page 17.

Législation

Projet de loi C-48

Le 27 mars, le Comité permanent des finances a présenté son rapport sur le projet de loi C-48 à la Chambre des communes. La partie 4 du projet de loi propose des modifications à la Loi de l'impôt sur le revenu liées au bijuridisme. La partie 5 comprend notamment des propositions visant à alléger les règles de la common law relatives aux dons à des donataires reconnusNote de bas de page 18.

Publication

Le droit fiscal n'est pas un vase clos

Dans la rubrique Quoi de neuf du site Web de la Cour d'appel fédérale, on a remarqué les paroles du juge Evans, tirées d'un discours intitulé « Confessions judiciaires, ou comment j'ai appris à aimer la Loi de l'impôt sur le revenu ». Le juge Evans y souligne avec justesse que « [l]e droit fiscal n'est pas un vase clos » et décrit l'incidence du bijuridisme en ces termes :

Le droit fiscal est […] accessoire, en ce sens qu'il doit être appliqué aux rapports et aux opérations régis par d'autres ensembles de règles de droit, dont le droit des contrats, des biens et des sociétésNote de bas de page 19.