Points de vue des juges des tribunaux pour adolescents sur le système de justice pour les jeunes : les résultats d'une enquête

Placement sous garde de courte durée

Bien des jeunes contrevenants reçoivent des peines de placement sous garde de courte durée (60 jours ou moins). Le personnel correctionnel se montre parfois préoccupé par l'imposition de telles peines, en partie parce qu'elles sont assez longues pour perturber la vie du jeune, mais trop courtes pour permettre une participation fructueuse aux programmes offerts en établissement. Pourtant, ces peines semblent populaires. Dans l'ensemble du Canada, 35 % des ordonnances de placement sous garde en milieu fermé et 28 % des ordonnances de placement sous garde en milieu ouvert visent une période inférieure à un mois. En outre, 42 % des peines de placement sous garde en milieu fermé et 49 % des peines de placement sous garde en milieu ouvert vont de un à trois mois, inclusivement[46].

Afin de connaître les motifs des ces décisions, nous avons demandé aux juges d’indiquer l’importance de neuf facteurs dans leurs décisions d’imposer une période de placement sous garde de courte durée.

Importance de divers facteurs dans la décision d'imposer une période de placement sous garde de courte durée (n=238)
Facteur 1=pas du tout impor-
tant
2 3 4 5=très impor-
tant
Total Cote moyenne
Gravité de l’infraction 4 % 8 % 10 % 27 % 52 % 100 % 4,14
Échec des peines antérieures non privatives de liberté 6 % 7 % 19 % 42 % 26 % 100 % 3,76
Effet « traitement de cÉchec des peines antérieures non privatives de libertéhoc » visé 7 % 10 % 20 % 33 % 30 % 100 % 3,69
Incidence d’une période de garde plus longue sur des activités productives (études, p. ex.) 6 % 10 % 28 % 34 % 22 % 100 % 3,56
Longueur de la période de détention avant le procès 13 % 11 % 15 % 36 % 24 % 100 % 3,46
Peine non privative de liberté inopportune selon l’agent de probation 15 % 24 % 31 % 24 % 7 % 100 % 2,84
Importance de l’effet dissuasif sur les autres jeunes 24 % 30 % 23 % 15 % 8 % 100 % 2,53
Décision raisonnable en raison des conditions sociales du jeune 26 % 23 % 28 % 19 % 4 % 100 % 2,52
Aucune autre mesure possible 50 % 21 % 13 % 8 % 7 % 100 % 2,01

Deux choses importantes ressortent de ces résultats. Premièrement, et cela vaut pour chacun des neuf facteurs, certains juges (au moins neuf, en fait) estimaient que les facteurs n’étaient « pas du tout » importants, alors que certains autres (un minimum de neuf, également) les trouvaient très importants. À l’évidence, les juges rendent des ordonnances de placement sous garde pour des raisons très variées. Deuxièmement, il est clair que les juges accordent, en moyenne, plus d’importance à certains facteurs qu’à d’autres.

Il existait une différence qualitative entre le facteur jugée le plus important dans la décision d’imposer une peine de placement sous garde de courte durée et ceux qui venaient au deuxième et au troisième rang d’importance à cet égard. Le plus important était la nécessité – en raison de la gravité de l’infraction – de mettre le jeune contrevenant sous garde. Le deuxième et le troisième dénotaient tous deux une orientation « axée sur l’avenir ». Les juges ont en effet manifesté leur confiance dans l’efficacité des peines comportant le placement sous garde sur le plan de la réadaptation en attribuant une cote assez élevée au facteur « Le jeune s’est déjà conformé à des peines ne comportant pas le placement sous garde, mais (…) a récidivé » et en indiquant l’importance de l’effet « traitement de choc ».

Les deux tableaux qui suivent permettent d’examiner la cote moyenne attribuée à chaque facteur dans chaque région. On relève une variation significative entre les régions sur le plan de l’importance relative accordée aux divers facteurs [47]. Cette variation est importante dans la mesure où elle signifie que les juges des diverses régions ont des « théories » différentes au sujet des circonstances dans lesquelles une période de placement sous garde de courte durée est indiquée. Étant donné l’absence de normes nationales et le fait que la Loi sur les jeunes contrevenants n’énonce pas de principes clairs pour la détermination de la peine, il n’y a rien de surprenant à ce que des différences régionales existent. Les résultats détaillés présentés dans ces tableaux ne sont peut‑être pas aussi importants que la principale constatation qui en découle, à savoir que ce type de peine (placement sous garde de courte durée) est apparemment considéré comme ayant des fonctions différentes, selon la région.

Importance moyenne de divers facteurs de la décision d'imposer une peine de placement sous garde de courte durée (1=Pas du tout important; 5=Très important) Partie-I

Importance
de la gravité de l'infraction
Région Moyenne Écart-type Nombre
Atlantique 4,1 0,9595 30
Québec 3,9524 1,0235 21
Ontario 4,4909 0,9204 55
Prairies 3,7391 1,421 46
C.-B. 4,2292 0,9728 48
Territoires 4 1,4142 4
Total 4,1373 1,1101 204

Importance
du fait qu'aucune autre mesure n'était possible
Région Moyenne Écart-type Nombre
Atlantique 2,0667 1,2847 30
Québec 2,9524 1,6272 21
Ontario 1,5455 0,9779 55
Prairies 1,7174 1,0886 46
C.-B. 2,1667 1,2434 48
Territoires 2,25 0,9574 4
Total 1,9657 1,2492 204

Importance
du fait que l'agent de probation trouve
qu'une peine non privative de liberté serait inopportune
Région Moyenne Écart-type Nombre
Atlantique 2,8 1,0954 30
Québec 3,381 0,8646 21
Ontario 2,5091 1,1201 55
Prairies 2,6304 1,2357 46
C.-B. 3,0833 1,0686 48
Territoires 2,75 0,9574 4
Total 2,8088 1,1307 204

Importance de la
nécessité d'un changement
Région Moyenne Écart-type Nombre
Atlantique 2,8 1,0954 30
Québec 2,381 1,244 21
Ontario 2,6 1,2561 55
Prairies 2,2609 1,1438 46
C.-B. 2,4375 1,1091 48
Territoires 2 0,8165 4
Total 2,4804 1,1680 204

Importance de la
nécessité d'un traitement de choc
Région Moyenne Écart-type Nombre
Atlantique 3,4667 1,1958 30
Québec 4,1905 0,7496 21
Ontario 3,4545 1,3446 55
Prairies 3,8696 1,2402 46
C.-B. 3,7083 1,051 48
Territoires 3,75 1,893 4
Total 3,6912 1,2025 204

Importance moyenne de divers facteurs de la décision d'imposer une peine de placement sous garde de courte durée (1=Pas du tout important; 5=Très important) Partie-II
Région Moyenne Écart-type Nombre
Importance
de l’effet
dissuasif sur
les autres
jeunes
Atlantique 2,333 1,1547 30
Québec 2,381 0,8646 21
Ontario 2,4727 1,3858 55
Prairies 2,5217 1,2951 46
C.-B. 2,5625 1,2012 48
Territoires 2,25 0,5 4
Total 2,4706 1,2214 204
Importance de
l’échec de
peines antérieures
non privatives
de liberté
pour ce qui est
d’empêcher la
récidive
Atlantique 3,8333 0,9499 30
Québec 4,381 0,5896 21
Ontario 3,6909 1,2152 55
Prairies 3,5 1,2953 46
C.-B. 3,75 1,0211 48
Territoires 3,75 0,9574 4
Total 3,7549 1,1136 204
Importance de
la durée
de la détention
avant jugement
Atlantique 2,7667 1,3566 30
Québec 3,4762 1,1670 21
Ontario 3,7091 1,3006 55
Prairies 3,5870 1,3094 46
C.-B. 3,3125 1,3234 48
Territoires 4 0,8165 4
Total 3,4314 1,3206 204
Importance de
ne pas interrompre
des activités
productives telles
que les études
Atlantique 3,3333 1,2130 30
Québec 3,6667 1,3166 21
Ontario 3,8 1,0784 55
Prairies 3,2174 1,2634 46
C.-B. 3,6458 0,9338 48
Territoires 3,5 1 4
Total 3,5441 1,1460 204

Évidemment, les raisons pouvant expliquer l’imposition d’une peine de placement sous garde de courte durée ne se limitent pas aux neuf facteurs présentés aux juges dans la question à ce sujet. En outre, certains juges ont souligné le fait que ce type de peine faisait souvent suite à une proposition conjointe en ce sens. D’autres ont mentionné qu’une telle peine était parfois imposée (en tant que peine consécutive) dans les cas d’évasion. On a aussi donné des exemples précis de situations dans lesquelles ce genre de peine était imposé à des fins de réadaptation ou pour assurer la protection du jeune : lorsqu’on veut permettre la désintoxication du jeune, lorsqu’on veut briser le cycle de comportement d’un jeune qui est « hors de contrôle », lorsqu’on veut faire connaître au jeune l’expérience de la détention tout en évitant un contact prolongé avec d’autres jeunes perturbés. En plus de ces raisons, il semble également que certains juges en sont venus à croire en l’efficacité de l’effet « traitement de choc » de ces peines. L’un d’entre eux mentionnait que, selon les explications d’un psychiatre, un période de placement sous garde de cinq jours avait cet effet, mais ne laissait pas au jeune le temps de « s’habituer »à la détention. Un autre expliquait qu’une peine de placement sous garde de courte durée était plus efficace, dans certains cas, lorsqu’on voulait faire en sorte que le jeune réponde de ses actes parce que ce dernier risquait de ne pas se conformer à une ordonnance de probation (et, partant, de se voir imposer une peine de placement sous garde plus longue).