L'efficacité du traitement de la toxicomanie chez les jeunes délinquants
3. Le traitement de la toxicomanie chez les jeunes délinquants : ce qui marche! ( suite )
3. Le traitement de la toxicomanie chez les jeunes délinquants : ce qui marche! ( suite )
3.2 Variables en cours de traitement
Plusieurs chercheurs soulignent qu'il est primordial d'examiner la « boîte noire » du traitement. La méthode privilégiée pour ce faire consiste à faire le point sur les questions théoriques et pratiques que pose toute intervention (Cullen et Gendreau, 2000; Rossi, Freeman et Lipsey, 1999; Sealock, Gottfredson et Gallagher, 1997). Sans une telle démarche, il est presque impossible de déterminer la mesure dans laquelle un programme de traitement est réellement responsable des résultats observés et, qui plus est, quel en est le fonctionnement précis (Danegger, Cohen, Hayes et Holden, 1999; voir aussi Mears et Kelly, 2002). Cette analyse évaluative a beau être très utile pour l'avancement des connaissances en matière de traitement correctionnel, elle est boudée par la majorité des chercheurs en criminologie (Mears, Kelly, et Durden, 2001; Prendergast, Podus et Chang, 2000). Qui plus est, la plupart des évaluations de programmes sont limitées à un petit nombre de variables comme la récidive, ce qui donne une idée bien incomplète des ingrédients de la réussite du traitement (Harachi, Abbott, Catalano, Haggerty et Fleming, 1999).
Il est primordial d'évaluer les résultats d'un programme pour en vérifier l'efficacité, mais il est très difficile, sinon impossible, d'établir une corrélation directe entre les effets de la participation au programme et le résultat atteint si l'on ne cherche pas à savoir comment le participant s'en est sorti (en se demandant, par exemple, si les attitudes favorables à l'abus d'alcool ou de drogues ont régressé après le traitement). L'évaluation la plus complète et la plus fiable de l'efficacité d'un programme correctionnel consiste à établir des liens entre les changements survenus dans les résultats intermédiaires du programme (Andrews et Bonta, 1998). Comme le résument très bien Prendergast et coll. (2000), lorsque des programmes réunissant certaines caractéristiques sont responsables de différences significatives observées dans les résultats de traitement, les organismes chargés de leur exécution peuvent améliorer l'efficacité de leurs services de traitement en misant sur ces caractéristiques. Plusieurs variables rentrent dans cette catégorie générale, soit : le milieu dans lequel le programme est offert, les caractéristiques organisationnelles, la durée du programme, les objectifs du programme, la prévention des rechutes, l'appariement client-traitement, le style et le mode d'exécution du programme.
3.2.1 Le milieu dans lequel le programme est offert
Les études existantes sur le traitement correctionnel en général font grand cas de l'incidence du milieu dans lequel le programme est offert sur le résultat du traitement. Plus précisément, plusieurs chercheurs affirment que les programmes devraient de préférence être donnés dans la collectivité, plutôt que dans les centres résidentiels (Andrews et coll., 1990; Andrews et Bonta, 1998; Hill, Andrews et Hoge, 1991). La question est également débattue dans les études sur le traitement de la toxicomanie, bien que la terminologie soit légèrement différente, les programmes de traitement en consultation externe et en hospitalisation correspondant aux programmes de traitement dans la collectivité et en centre résidentiel respectivement.
Plusieurs chercheurs ont examiné l'incidence respective des programmes de consultation externe et des programmes d'hospitalisation sur les résultats du traitement. Toutefois, à ce jour, rien ne prouve que les uns sont plus efficaces que les autres (Annis, 1990; Catalano et coll., 1990). Plus précisément, certaines évaluations mettent les deux types de programmes sur un pied d'égalité, tandis que d'autres accordent la préférence aux premiers ou aux seconds. Il est d'autant plus difficile d'interpréter ces résultats contradictoires que ces études s'appuient sur des indicateurs de résultats différents et n'ont pas les mêmes périodes de suivi (Catalano et coll., 1990). Qui plus est, on peut mettre en doute la validité de ces résultats pour les jeunes délinquants toxicomanes dans la mesure où ils sont tirés d'évaluations du traitement de la toxicomanie chez les adolescents en général. C'est pourquoi certaines des conclusions de ces études plus générales seront examinées ici plus avant pour faire le tour de la question.
Les méta-analyses existantes des écrits publiés sur le traitement correctionnel révèlent une corrélation significative entre le milieu dans lequel le programme est offert et l'efficacité du traitement chez les jeunes contrevenants. Plus précisément, les programmes offerts dans la collectivité donnent de meilleurs résultats relativement à la réduction moyenne de la récidive que les programmes donnés en établissement (Dowden, 1998; Hill et coll., 1991). Dans une méta-analyse plus récente des études sur le traitement de la toxicomanie, Dowden, Bania et Andrews (en cours de préparation) fournissent des éléments de preuve préliminaires. Ils notent que les programmes pour jeunes délinquants toxicomanes donnent de meilleurs résultats (tels que mesurés par la réduction de la récidive) lorsqu'ils sont offerts dans la collectivité, et non en centre résidentiel.
3.2.2 La durée du programme
La durée du programme est une autre variable dont on peut raisonnablement supposer, à première vue, qu'elle est en corrélation avec l'efficacité du traitement. Des constatations préliminaires relativement aux populations de délinquants (Sealock et coll., 1997) et de non-délinquants (Friedman et coll., 1986; Hubbard et coll., 1985; Latimer, Newcomb, Winters et Stinchfield, 2000) indiquent qu'il existe une corrélation positive entre la durée du traitement et le fait qu'il soit suivi jusqu'au bout, mais la contribution de cette variable à l'efficacité du traitement est minime (Catalano et coll., 1990). Une étude effectuée récemment par Latimer et coll. (2000) pourrait apporter des éclaircissements sur ces résultats apparemment contradictoires. En effet, les résultats de cette étude révèlent effectivement l'existence d'une corrélation positive entre la durée du traitement et son efficacité, qu'il s'agisse d'un programme de consultation externe ou d'hospitalisation, mais elle n'apparaît qu'au bout de six mois après la fin du programme. Les auteurs indiquent que les résultats contradictoires enregistrés antérieurement et l'ampleur limitée des effets constatés s'expliquent sans doute par le fait que la période de suivi post-traitement n'était pas assez longue pour permettre de dégager les effets thérapeutiques du programme. Ce qui est d'autant plus important pour les besoins du présent examen, c'est que ces résultats se retrouvent non seulement dans des échantillons de populations de non-délinquants, mais également dans des échantillons de jeunes contrevenants.
Comme on l'a indiqué, les résultats enregistrés relativement à la durée du programme n'ont été examinés explicitement que dans des populations d'adolescents toxicomanes non délinquants. Dans une méta-analyse plus générale au sujet du traitement correctionnel, Dowden (1998) signale une corrélation positive significative entre la durée du programme (mesurée en heures de traitement) et les résultats du traitement chez les jeunes contrevenants. Il faudrait donc explorer plus avant l'incidence de la durée du programme sur l'efficacité du traitement, les constatations préliminaires donnant à penser qu'elle est importante.
3.2.3 Les objectifs du programme
Plusieurs méta-analyses récentes des écrits publiés sur le traitement correctionnel en général sont axées plus précisément sur les objectifs de l'intervention et sur leur corrélation avec les résultats du traitement. Certains chercheurs ont fait la distinction à cet égard entre les besoins criminogènes et les besoins non criminogènes (Dowden et Andrews, 1999a, 1999b, 2000; Dowden et coll., sous presse), tandis que d'autres ont adopté une approche plus générale (Garrett, 1985; Lipsey, 1995; Lipsey et Wilson, 1998; Pearson et Lipton, 1999). Peu importe le point de vue adopté, toutes ces méta-analyses démontrent que les objectifs du programme, y compris les objectifs relatifs à la toxicomanie, ont une incidence significative sur ses résultats.
Dans une méta-analyse effectuée dernièrement, Wilson et coll. (2001) ont fait le point sur l'efficacité de plusieurs types de programmes de prévention en milieu scolaire au sujet de l'alcool et des drogues. Ils ont classé les interventions existantes en deux grandes catégories, axées respectivement sur l'environnement (gestion de l'enseignement en classe, établissement de normes ou d'attentes en matière de conduite, etc.) et sur l'individu (apprentissage de la maîtrise de soi ou d'un comportement adaptif, etc.). Dans l'ensemble, très peu d'interventions étaient suffisamment bien évaluées pour en dégager des conclusions fiables, mais il reste que les programmes axés sur l'environnement sont plus efficaces, bien que l'ampleur de l'effet soit minime (environ 0,10).
Bien que la méta-analyse précitée soit axée exclusivement sur les programmes de prévention en milieu scolaire, les conclusions générales s'appliquent aux études du traitement de la toxicomanie chez les jeunes contrevenants. Wilson et coll. (2001) concluent qu'il est très peu probable qu'une seule stratégie d'intervention, utilisée isolément, ait une incidence significative sur les problèmes de toxicomanie des clients, comme le confirment leurs données. Il s'ensuit que, pour se faire une meilleure idée de « ce qui marche », il faut explorer les combinaisons ou successions de programmes qui donnent les meilleurs résultats. De toute évidence, les études existantes font abstraction des questions relatives aux effets additifs ou multiplicateurs de la combinaison de différents programmes. L'importance d'une exécution simultanée ou séquentielle de programmes est encore plus évidente lorsqu'on examine la co-occurrence de la toxicomanie et d'autres problèmes de comportement. C'est pourquoi Wilson et coll. (2001) exhortent les chercheurs à évaluer l'efficacité relative de diverses séquences ou combinaisons d'interventions pour pouvoir constituer une base de connaissances qui facilitera la sélection de la série de programmes qui convient le mieux à une clientèle donnée.
Plusieurs autres chercheurs abondent dans le même sens (Annis, 1990; Farrell et coll., 1992; Greenwood, 1992). Comme le notent ces auteurs, il est généralement établi qu'une pléthore de facteurs entrent en jeu simultanément (dont la toxicomanie et la délinquance); il est donc primordial que les responsables des programmes veillent à cibler les catégories de besoins les plus importantes (comme les études, les relations familiales et les fréquentations antisociales) pour que l'intervention donne de bons résultats.
Pour améliorer l'efficacité des programmes, il faudrait également étudier l'incidence de la contribution de la famille au traitement. Plus précisément, Dobkin et coll. (1998) constatent que les adolescents sont nettement plus susceptibles de suivre le traitement jusqu'au bout lorsque leurs parents prennent une part active au processus. L'évaluation récente d'un programme de traitement de la toxicomanie offert à des jeunes délinquants confirme l'incidence des variables relatives à la famille en ce sens que, aux dires des agents de programme, les problèmes familiaux représentent l'un des principaux obstacles à la réussite du traitement (Mears et coll., 2001). Enfin, plusieurs chercheurs font valoir les avantages associés à la contribution d'autres membres de la famille dans les programmes de prévention de la toxicomanie qui ciblent les adolescents (DeMarsh et Kumpfer, 1985; Kumpfer et Turner, 1990).
Plusieurs méta-analyses des écrits publiés sur le traitement correctionnel confirment l'incidence importante des interventions auprès des familles pour la réussite du traitement chez les jeunes contrevenants (Dowden et Andrews, 1999a; Garrett, 1985; Latimer, 2001; Lipsey, 1995). En revanche, Dowden et Andrews (1999a) notent que toutes les formes d'intervention auprès des familles ne sont pas efficaces. Plus précisément, les participants à des programmes axés sur l'affection entre les membres de la famille et sur l'encadrement parental obtiennent de meilleurs résultats relativement à la réduction moyenne de la récidive que les sujets des groupes témoins n'ayant pas suivi ces programmes. Les programmes axés sur une intervention plus générale auprès des familles (ceux qui n'ont pas d'objectifs explicites orientés sur la famille) sont, toutefois, associés à des résultats de traitement peu encourageants. Les administrateurs de programme devraient donc prévoir des objectifs explicites relatifs à la famille, à commencer par ceux qui ont une incidence importante sur la réduction du comportement criminel chez les adolescents.
3.2.4 La prévention des rechutes
La prévention des rechutes devrait sans doute être considérée comme un objectif de programme à part entière, compte tenu de la popularité de ce concept dans les études consacrées au traitement de la toxicomanie et son expansion récente au sein d'un cadre programmatique complet, mais l'on a décidé de traiter ce sujet séparément. Des résultats de travaux de recherche antérieurs, selon lesquels pas moins de 85 % des toxicomanes adultes et adolescents rechutent, illustrent la nécessité d'incorporer une forme de prévention des rechutes dans un programme de traitement pour toxicomanes (Catalano et coll., 1990). Il n'est donc pas surprenant que la prévention des rechutes soit considérée comme une partie intégrante de tout traitement efficace (Annis, 1990; Catalano et coll., 1990).
Le modèle de prévention des rechutes a été conçu au départ pour faciliter le traitement de diverses dépendances, dont la toxicomanie, le tabagisme et l'hyperphagie (Marlatt et Gordon, 1985). Son but premier était de maximiser les changements de comportement résultant de la participation à un programme de traitement à l'aide de diverses stratégies de maîtrise de soi (Bakker, Ward, Cryer, et Hudson, 1997). Plus précisément, il s'agissait d'apprendre aux participants à reconnaître les situations à risque élevé pour eux, à se familiariser avec diverses stratégies d'adaptation et à renforcer son sentiment d'auto-efficacité face à ces situations (Bakker et coll., 1997; Laws, 1999; Marlatt et Gordon, 1985).
Ce modèle de prévention des rechutes étant jugé très attrayant et pouvant s'appliquer à diverses dépendances, il a été utilisé auprès des toxicomanes (Peters, 1993) et des délinquants sexuels (Laws, 1999; Pithers, Marques, Gibat et Marlatt, 1983; Ward et Hudson, 1996). D'autres chercheurs soulignent que la prévention des rechutes devrait également faire partie intégrante du traitement des populations de délinquants en général, dans la mesure du possible (Cullen et Gendreau, 1989; Gendreau, 1996).
La prévention des rechutes a beau être un sujet abondamment traité, rares sont les études effectuées avec groupe témoin qui en évaluent méthodiquement l'efficacité auprès d'échantillons de délinquants (Laws, 1999) et de non-délinquants (Catalano et coll., 1990; Stephens, Roffman et Simpson, 1994). En revanche, dans une méta-analyse effectuée récemment sur les écrits consacrés au traitement correctionnel, Dowden et coll. (sous presse) regroupent les résultats des interventions correctionnelles qui incorporent la prévention des rechutes dans leurs objectifs. Les auteurs constatent que les programmes de prévention des rechutes sont efficaces dans l'ensemble et entraînent une baisse moyenne de 15 % de la récidive chez les sujets traités par rapport aux sujets du groupe témoin. Fait encore plus important aux fins du présent examen, ils notent que la prévention des rechutes a plus d'effets bénéfiques relativement à la baisse de la récidive chez les jeunes contrevenants que chez les délinquants adultes. Il semble donc, à la lumière des constatations précitées, qu'il soit primordial d'incorporer des éléments de prévention des rechutes dans un programme de traitement pour jeunes délinquants.
3.2.5 L'appariement client-traitement
Plusieurs chercheurs constatent que l'un des ingrédients clés de la réussite d'un programme est la sélection, l'évaluation et la recommandation des clients auxquels ce programme convient (Farabee et coll., 1999; Hiller et coll., 1999a). C'est ce qu'on appelle l'appariement client-traitement dans le domaine du traitement des toxicomanes, ou encore l'hypothèse de l'appariement (Annis, 1990). Le principe fondamental sous-jacent est qu'un client présentant un certain nombre de caractéristiques peut répondre plus favorablement à un type particulier de traitement ou de milieu de traitement, et qu'il faut faire le nécessaire, avec la diligence raisonnable, pour apparier le client au traitement qui lui convient afin de maximiser les effets bénéfiques de sa participation au programme. Ce concept a beau être relativement nouveau, Annis (1990) en constate la validité empirique dans son examen des écrits consacrés au traitement de la toxicomanie, en signalant que 15 études confirment les effets bénéfiques de cette pratique.
L'appariement client-traitement reçoit également une attention favorable dans les écrits consacrés aux interventions correctionnelles en général. Plus précisément, dans une méta-analyse récente, Dowden (1998) indique que les programmes dans lesquels les besoins du délinquant sont évalués à l'admission pour que ce dernier soit aiguillé vers le traitement qui lui convient donnent de meilleurs résultats relativement à la réduction moyenne de la récidive que les programmes qui ne recourent pas à cette pratique. Des évaluations de programmes correctionnels pour jeunes contrevenants (Dowden et Andrews, 1999a) et pour délinquantes (Dowden et Andrews, 1999b) corroborent cette tendance.
Dans l'ensemble, ces études confirment de façon convaincante la validité empirique de cette pratique dans le traitement correctionnel des jeunes délinquants toxicomanes. Cette pratique est très attrayante à première vue dans la mesure où l'on peut s'attendre à ce qu'un individu aiguillé vers un programme qui est axé sur une catégorie de besoins « personnelle » ait de bien meilleures chances d'en retirer des effets bénéfiques.
3.2.6 Le style et et le mode d'exécution du programme
Le style et le mode d'exécution des programmes revêt une importance considérable pour les chercheurs, et notamment la question de savoir si les méthodes cognitivo-comportementales/ comportementales (comme le modelage, la pratique progressive, le jeu de rôles) sont aussi efficaces que les méthodes non comportementales et plus didactiques pour le traitement de la toxicomanie chez les adolescents. L'immense majorité des données recueillies à cet égard indiquent que les méthodes cognitivo-comportementales sont bien supérieures, comme il a été démontré dans les programmes de prévention en milieu scolaire (Wilson et coll., 2001), ainsi que dans le cas d'échantillons de délinquants (Dowden, 1998; Dowden et Andrews, 1999b; Losel, 1995), de jeunes contrevenants (Dowden, 1999a; Lipsey, 1995) et de délinquants toxicomanes (Pearson et Lipton, 1999). Ces nombreux résultats de recherche démontrent clairement la nécessité d'un cadre comportemental ou cognitivo-comportemental pour le traitement des jeunes délinquants toxicomanes.
3.2.7 Les variables organisationnelles
Récemment, les enquêteurs correctionnels ont commencé à examiner le rôle des variables organisationnelles (comme le roulement du personnel, la formation du personnel, l'appui de l'organisation à la mission de réadaptation) dans l'efficacité du traitement correctionnel. Cette nouvelle orientation est motivée par les écarts substantiels constatés à cet égard d'un programme à l'autre, même parmi ceux qui suivent la même méthode de traitement (Prendergast et coll., 2000). Très peu d'études traitent jusqu'à maintenant de ce sujet, mais les observations empiriques préliminaires donnent à penser que les variables organisationnelles sont peut-être les plus déterminantes pour la réussite des programmes en raison de leur forte incidence sur la mise en œuvre et l'exécution mêmes des programmes (Cullen et Gendreau, 2000; Farabee, Prendergast, Cartier, Wexler, Knight et Anglin, 1999; McBride, VanderWaal, Terry et VanBuren, H., 1999; Mears et coll., 2001).
L'une de ces variables organisationnelles susceptibles d'influer sur les effets bénéfiques d'un programme est la rotation du personnel (Farebee et coll., 1999; Mears et Kelly, 2002). Mears et Kelly (2002) avancent plusieurs explications plausibles pour justifier une corrélation négative entre la rotation du personnel et l'efficacité d'un programme. Premièrement, les jeunes peuvent s'attacher à un agent et, le jour où ce dernier quitte son poste, ils se sentent abandonnés et démotivés. Deuxièmement, les nouveaux agents embauchés, au prix d'une coûteuse formation, ne sont pas aussi efficaces auprès des clients, et le programme profite alors moins à ces derniers. Enfin, comme le constatent plusieurs enquêteurs correctionnels, c'est un défi de taille que d'entretenir au profit des clients un milieu propice à leur traitement lorsque le renouvellement du personnel est constant, en ce sens que les agents de remplacement ont une connaissance limitée du programme et de ses participants (Farabee et coll., 1999; Harachi et coll., 1999).
Une autre variable organisationnelle qui a commencé à retenir l'attention des chercheurs est la durée d'existence du programme. Par exemple, Mears et Kelly (2002) constatent que les programme plus récents donnent de meilleurs résultats, sans doute à cause de l'enthousiasme qu'ils suscitent et des ressources humaines et financières suffisantes qui y sont affectées. Les études consacrées au traitement correctionnel en général corroborent cette constatation (Dowden, 1998). Il faudrait donc faire en sorte que les programmes bien établis bénéficient du même enthousiasme et du même financement pour en maintenir les effets bénéfiques auprès des clients.
Plusieurs études isolées, quoique préliminaires, révèlent l'existence d'une corrélation entre d'autres variables organisationnelles ou environnementales et l'efficacité de programmes de traitement de la toxicomanie. Par exemple, McCaughrin et Price (1992) indiquent que les clients s'en sortent beaucoup mieux dans des programmes comptant de nombreux thérapeutes, à but lucratif, imposant la sobriété comme condition d'admission, prévoyant un renvoi à des services post-traitement et des évaluations de suivi post-traitement. Dans un examen à grande échelle des traitements d'entretien à la méthadone, Magura et ses collègues (1999) notent une corrélation positive entre l'expérience du directeur de clinique et sa contribution directe aux services de traitement auprès des clients, ainsi que le nombre de visites de counseling, et le résultat du programme. Une
méta-analyse effectuée récemment au sujet des programmes de traitement de la toxicomanie (Prendergast et coll., 2000) révèle que des programmes présentant certaines caractéristiques - « surveillance étroite de la conformité au protocole thérapeutique, ratio conseillers-clients moindre, taux de décrochage moindre et plus d'heures d'exposition au traitement »
(p.1958)- étaient plus bénéfiques pour les clients que d'autres programmes se réclamant de la même méthode de traitement. Enfin, Farabee et coll. (1999) notent que les modalités de recrutement et de formation des thérapeutes, le leadership, les capacités existantes et, de façon plus générale, l'engagement en faveur de la réadaptation étaient des variables organisationnelles susceptibles d'influer sur l'efficacité d'un programme. Mears et Kelly (2002) confirment cette dernière constatation au sujet d'un programme de la toxicomanie pour jeunes contrevenants.
Une méta-analyse récente des écrits publiés sur le traitement correctionnel confirme la validité empirique de l'utilité clinique d'une série de variables organisationnelles relatives à l'intégrité de programme (Andrews et Dowden, en cours d'examen). La notion d'intégrité s'entend du fait qu'un programme est exécuté tel qu'il a été conçu, tant sur le fond que sur la forme (Hollin, 1995). Dans la méta-analyse d'Andrews et Dowden (en cours d'examen), sur le chapitre de l'intégrité de programme, on vérifie si le programme s'inspire d'un modèle donné, si les agents de programme sont correctement sélectionnés, formés et encadrés, si une documentation imprimée (comme la description des objectifs et du contenu du programme) est disponible, et si l'on a enregistré les changements survenus dans les résultats intermédiaires. Les résultats indiquent que tous ces aspects de l'intégrité sont associés à une efficacité accrue du programme. Qui plus est, tous ces indicateurs, à l'exception du suivi des changements enregistrés dans les résultats intermédiaires, sont liés à des améliorations significatives des effets bénéfiques du programme (autrement dit, les programmes qui incorporent ces éléments relatifs à l'intégrité donnent de meilleurs résultats relativement à la réduction moyenne de la récidive que les programmes qui n'en tiennent pas compte).
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