L'efficacité du traitement de la toxicomanie chez les jeunes délinquants

3. Le traitement de la toxicomanie chez les jeunes délinquants : ce qui marche! ( suite )

3. Le traitement de la toxicomanie chez les jeunes délinquants : ce qui marche! ( suite )

3.3 Les variables post-traitement

3.3.1 Le suivi

Le suivi désigne l'encadrement et les activités thérapeutiques dont font l'objet les clients après avoir suivi un programme de traitement de la toxicomanie pour les aider à intégrer dans leur vie les gains acquis en cours de traitement (Service correctionnel du Canada, 1996; Lurigio, 2000; Sealock et coll., 1997). Cette phase est nécessaire parce que l'une des principales critiques formulées à l'endroit du traitement de la toxicomanie est que, compte tenu de la complexité du problème, il serait naïf de s'attendre à ce que les changements observés en milieu résidentiel se matérialisent avec succès dans la collectivité (Stein, Garrett, et Christiansen, 1990).

L'une des raisons pour lesquels le suivi est un ingrédient clé de la réussite du traitement de la toxicomanie réside dans le fait que les études antérieures démontrent qu'environ la moitié des cas d'échec enregistrés dans les populations adultes sont attribuables à des variables post-traitement, comme le manque de soutien familial (Moos, Finney, et Cronkite, 1990). Malheureusement, on ne dispose pas de données comparables sur le traitement des adolescents toxicomanes; il s'agit là d'une lacune importante à combler (Latimer et coll., 2000).

En dépit de l'intérêt à première vue de cette forme de programmation, très peu d'études des populations de délinquants traitent de l'incidence du post-traitement (Sealock et coll., 1997). Deux méta-analyses récentes des écrits consacrés au traitement correctionnel donnent des résultats préliminaires en la matière, selon lesquels les programmes qui incorporent des séances de suivi après le traitement sont légèrement plus bénéfiques pour les clients (Dowden et coll., sous presse; Dowden et coll., en préparation).

3.3.2 Facteurs de protection

Des études antérieures révèlent des variations considérables dans la façon dont les adolescents réagissent aux mêmes facteurs de risque. C'est pourquoi les spécialistes tentent de déterminer les facteurs de protection susceptibles de renforcer la résistance de ces adolescents face aux situations à risque et d'ouvrir ainsi un nouveau champ de recherche en matière de traitement des adolescents toxicomanes.

Les facteurs de protection font pendant aux facteurs de risque et ne doivent pas être examinés séparément de ces derniers (Gilvarry, 2000). D'autre part, on fait fausse route en supposant que les facteurs de protection et les facteurs de risque agissent aux deux extrêmités d'un même continuum, cette hypothèse n'ayant pas encore été validée (Newcomb et Felix-Ortiz, 1992; Rutter, 1991). Plus précisément, les facteurs de protection peuvent atténuer le risque d'abus de drogues ou d'alcool ou, dans le scénario idéal, accroître la résistance personnelle face aux situations risquées (Newcomb, et Bentler, 1988; Newcomb et Felix-Ortiz, 1992;). Gilvarry (2000) retient plusieurs facteurs de protection qui reviennent souvent dans les écrits consacrés au traitement des adolescents toxicomanes, soit : un bon tempérament; le soutien de la famille; des relations fonctionnelles et de soutien avec au moins un adulte; un système externe de soutien qui prône et récompense les valeurs prosociales. Fergusson et coll. (1996) inventorient également une série de facteurs de protection, dont une intelligence élevée, le fait de ne pas être attiré par la nouveauté à tout prix, et l'absence de relations d'amitié avec des pairs antisociaux.

Malheureusement, aucune des études examinées aux fins du présent rapport ne traite des facteurs de protection et de leur incidence sur l'efficacité du traitement des jeunes délinquants toxicomanes. L'incidence des facteurs de protection sur la probabilité et le traitement du comportement criminel qui est lié à la toxicomanie a plusieurs conséquences évidentes. Par exemple, les programmes de traitement pourraient miser sur ces facteurs de protection pour maximiser les atouts existants dans la vie du jeune délinquant. Cette approche a été adoptée avec succès dans la thérapie familiale fonctionnelle, comme en témoignent plusieurs études sur la question (Alexander et Parsons, 1973; Alexander, Pugh, Parsons et Sexton, 2000; Alexander, Sexton et Robbins, 2000). La validité empirique de cette approche a été démontrée relativement à son effet thérapeutique sur des populations de jeunes contrevenants (Alexander et Parsons, 1973; Klein, Alexander et Parsons, 1977; Barton, Alexander, Waldron, Turner, et Warburton, 1985; Gordon, Graves et Arbuthnot, 1995). C'est pourquoi il ne faudrait pas lésiner sur les ressources affectées à l'exploration de ce domaine de recherche sur le traitement de la toxicomanie chez les jeunes contrevenants.

3.4 Autres variables d'intérêt

3.4.1 Le taux d'abandon

Un problème majeur qui sévit dans le domaine du traitement des toxicomanes réside dans les taux élevés d'abandon (Henggeler, Pickrel, Brondino et Crouch, 1996; Hiller et coll., 1999a), problème constaté également dans les études concernant les adolescents non délinquants (Dobkin et coll., 1998). La question est prioritaire pour les administrateurs de programme dans la mesure où les décrocheurs gaspillent des ressources aussi précieuses que limitées, les dépenses engagées à l'admission et au début du traitement n'étant pas récupérées sous la forme d'une réduction des comportements problématiques comme la récidive ou l'abus d'alcool ou de drogues (Hiller et coll., 1999a). Dans une étude récente auprès d'un échantillon de probationnaires adultes, Hiller et coll. (1999a) notent que plusieurs variables sont associées au problème de l'abandon de programme, dont le chômage et des niveaux élevés de dépression, d'anxiété et d'hostilité. Comme on l'a vu précédemment, la psychopathologie est également une variable déterminante en corrélation avec l'abandon de programme.

En dépit des difficultés bien documentées rencontrées pour faire en sorte que les clients toxicomanes suivent le traitement jusqu'au bout, Henggeler et coll. (1996) signalent que la thérapie multisystémique (TMS) peut donner des résultats très prometteurs pour prévenir ce problème. Plus précisément, les résultats de leur étude effectuée auprès d'un échantillon de plus de 100 adolescents renvoyés au hasard les uns à des services communautaires conventionnels, les autres à une TMS révèlent que 98 % des seconds ont suivi jusqu'au bout le traitement, contre 22 % des premiers.

Les auteurs notent que si l'approche TMS donne des résultats si encourageants pour ce qui est de réduire le taux d'abandon du traitement, c'est sans doute parce qu'elle mise sur des stratégies reconnues par d'autres spécialistes comme étant essentielles pour éviter le décrochage (Stark, 1992; Szapocznik, Perez-Vida, Brickman, Foote, Santisteban, Hervis et Kurtines, 1988). Selon Henggeler et ses collègues (1996), les principaux avantages de la TMS résident dans les faits suivants :

En dépit de ces résultats encourageants relativement à l'efficacité des programmes axés sur la TMS pour ce qui est d'éviter le décrochage, il reste encore beaucoup à faire dans ce domaine. Par exemple, il faudrait tenter de déterminer le profil des clients, au sein des populations de jeunes délinquants, susceptibles d'abandonner le traitement en cours de route et les raisons qui les poussent à décrocher. En outre, il serait sans doute utile d'appliquer à d'autres formes de traitement de la toxicomanie ou d'intervention correctionnelle pour toxicomanes les caractéristiques gagnantes inventoriées par Henggeler et ses collègues, afin de déterminer si elles sont aussi prometteuses pour ce qui est de réduire les cas de décrochage.

Étant donné l'ampleur du problème du décrochage dans le domaine du traitement des toxicomanes, les chercheurs ne devraient pas lésiner sur les moyens de découvrir les facteurs qui ont une valeur prédictive de l'abandon de traitement. La validité empirique de certaines variables intéressantes à première vue reste à prouver, dont le degré de satisfaction du client à l'égard du programme (Hiller, Knight et Simpson, 1999b), les attentes du client au sujet du traitement (McCorkel, Harrison et Inciardi, 1998) et la qualité des rapports entre le conseiller et le client (Broome, Knight, Hiller et Simpson, 1996; Broome, Knight, Knight, Hiller et Simpson, 1997).

3.4.2 La contribution de l'évaluateur

Des chercheurs ont examiné l'efficacité des interventions tant auprès des délinquants (Dowden, 1998; Dowden et Andrews, 1999b; Latimer, 2001) que des non-délinquants (Prendergast et coll., 2000) pour constater l'existence d'une corrélation significative entre la contribution de l'évaluateur à l'élaboration et à l'administration du programme de traitement et les résultats de ce dernier. Plus précisément, les programmes évalués par une personne qui apporte une contribution directe ou indirecte à un volet ou l'autre ont plus d'effets bénéfiques que les autres.

Il y a deux explications possibles à cela. La première réside dans le fait que les évaluateurs qui prennent part à l'administration du traitement sont beaucoup plus susceptibles d'en suivre le protocole, de veiller à ce que le personne reçoive la formation requise, de suivre de plus près l'exécution du programme, sur le fond et sur la forme. Autrement dit, par sa participation, l'évaluateur veille à l'intégrité du programme (Dowden et Andrews, 1999a; Lipsey, 1995; Prendergast et coll., 2000). Une autre hypothèse est que, par sa contribution au processus, l'évaluateur est à l'affût des effets bénéfiques du traitement sur le client et est plus susceptible de commenter favorablement les résultats obtenus (Lipsey, 1995; Prendergast et coll., 2000). Malheureusement, les études existantes ne permettent pas de trancher la question, et il serait très difficile de confirmer la validité empirique de cette constatation.

3.4.3 Le VIH/sida

Comme on l'a mentionné précédemment, la toxicomanie chez les adolescents engendre souvent d'autres problèmes de comportement, qui ne se limitent pas à la délinquance. Le problème du VIH/sida est particulièrement préoccupant au sein de cette population, les données existantes révélant une corrélation significative entre l'abus d'alcool ou de drogues et le risque de maladie transmissible sexuellement (Gilvarry, 2000). Cette corrélation est documentée dans d'autres études du domaine de la justice pénale, selon lesquelles les délinquants sont beaucoup plus susceptibles d'être atteints du VIH/sida que la population générale (Collica, 2002; Hammett, Harmon et Maruschak, 1999). La situation est encore plus préoccupante chez les délinquantes, le taux d'infection au VIH étant plus élevé au sein de cette population, la seule population dans laquelle les femmes sont plus durement touchées que les hommes (Anderson, Rosay, et Suam, 2002). Le nombre extrêmement élevé de cas de VIH/sida en milieu correctionnel et le risque de contagion qui en résulte, tant en milieu carcéral que dans la collectivité en général, incitent les chercheurs à recommander que l'on accorde une attention prioritaire à ce problème par une programmation intensive dans les prisons (Hammett et coll., 1999; Keeton et Swanson, 1998).

Le problème de la tranmission du VIH/sida chez les délinquants toxicomanes est particulièrement préoccupant compte tenu de leurs comportements à risque, tant en milieu correctionnel que dans la collectivité. Par exemple, des études révèlent que les détenus sont plus susceptibles d'être séropositifs lorsqu'ils ont été déclarés coupables d'une infraction liée aux drogues (Cotton-Oldenburg, Martin, Jordan, Sadowski et Kupper, 1997; Hammett et coll., 1999) ou qu'ils utilisent des drogues injectables (Harrison, Butzkin, Inciardi et Martin, 1998). Il est d'autant plus important de lutter contre ce problème chez les jeunes délinquants que les adolescents toxicomanes sont plus enclins aux comportements à risque que leurs homologues plus âgés (Battjes, Leukefield et Pickens, 1992; Nelson, Vlahov, Solomo, Cohn et Munoz, 1995). Fait plus alarmant encore, il semble que certains groupes marginalisés, comme les jeunes des rues, soient particulièrement enclins à des comportements à risque pour la transmission du VIH/sida.

Compte tenu de la forte corrélation existant entre toxicomanie et comportement criminel et des mauvaises conditions de vie des jeunes toxicomanes, on devrait accorder une attention encore plus prioritaire au problème de la transmission du VIH/sida au sein de cette population. Les programmes de traitement du VIH/sida par les pairs représentent une stratégie d'intervention intéressante dans la mesure où ils offrent beaucoup d'avantages tant aux délinquants qu'à l'établissement correctionnel. Par exemple, le haut niveau de confiance qui règne entre délinquants et les antécédents qu'ils ont généralement en commun pourraient inciter les participants aux programmes à les suivre jusqu'au bout. En outre, les pairs conseillers sont plus disponibles pour les délinquants traités, puisque leur présence dans l'unité est constante. Les groupes animés par des pairs auraient un autre avantage très appréciable en ce sens que les animateurs seraient beaucoup plus au fait des comportements à risque en matière de VIH/sida dans leur établissement et qu'ils pourraient tirer parti de cette connaissance pour faire valoir l'importance du programme auprès des clients. Enfin, d'un point de vue plus pragmatique, ce type de programme serait très rentable (Hammett et coll., 1999).

3.4.4 Les Alcooliques anonymes

Pour les Alcooliques Anonymes (AA), l'alcoolisme est une maladie incurable à laquelle l'individu doit faire face (McNeece et coll., 2001). Dans cette perspective, les AA préconisent un modèle de traitement fondé sur l'abstinence. D'autres programmes en douze étapes, comme celui des Narcotiques anonymes, s'inspirent de celui des AA et suivent essentiellement le même cadre conceptuel.

En dépit de leur popularité, peu de chercheurs ont évalué l'efficacité de ces initiatives (McNeece et coll., 2001). L'une des rares études d'évaluation qui traitent de cette approche (Alford, Koehler, et Leonard, 1991) révèle que le programme des AA ne profite qu'aux adolescents qui en connaissent et en acceptent les principes, mais quelques mises en garde s'imposent à cet égard. Premièrement, les auteurs n'ont pas utilisé de groupe de référence pour cette étude, ce qui constitue une grave lacune méthodologique, car il n'y a aucun moyen de savoir comment un autre groupe comparable de délinquants non traités s'en serait sorti. En outre, cette étude a été effectuée auprès d'un échantillon d'adolescents non délinquants, dont on ne peut généraliser les résultats en les appliquant à une population de délinquants.

Des données très préliminaires au sujet de l'efficacité des programmes d'autothérapie en douze étapes pour les populations de jeunes contrevenants sont présentées dans la méta-analyse de Dowden et coll. (en préparation). Plus précisément, les résultats indiquent que les participants aux programmes qui incorporent des éléments d'auto-assistance dans leur stratégie d'intervention globale sont plus susceptibles de récidiver que les sujets du groupe témoin. Toutefois, l'ampleur modeste de l'effet contribuant à ce résultat donne à penser qu'un tel résultat doit être interprété avec circonspection.

Les résultats précités indiquent qu'il reste beaucoup à faire pour évaluer l'efficacité des programmes d'autothérapie chez les adolescents toxicomanes, tant les délinquants que les non-délinquants. Toutefois, il convient de noter que les données préliminaires disponibles ne sont pas très concluantes. À tout le moins, si les administrateurs de programme veulent offrir ce genre de traitement aux jeunes contrevenants, ils doivent veiller à ce que d'autres formes d'intervention soient incorporées au plan global de traitement.