Une étude empirique sur la maltraitance des aînés : Un examen des dossiers de la Section contre la violence à l’égard des aînés, du Service de police d’Ottawa
1. Contexte
Selon le recensement de 2011, il y a près de cinq millions de Canadiens âgés de 65 ans ou plus (le groupe démographique que nous appelons couramment « les aînés » ou « les personnes âgées »), soit une hausse de 14 % depuis 2006. Il y a une proportion plus élevée de femmes dans ce groupe démographique. On prévoit que la proportion de Canadiens âgés de plus de 65 ans doublera, passant de 13 % en 2001 à 25 % au cours des 25 prochaines années.Note de bas de la page 1 Ce changement démographique aura une incidence sur de nombreux segments des structures gouvernementales en matière d’assistance sociale et de politiques d’intérêt public, y compris le système de justice pénale. Par exemple, on prévoit que la proportion des aînés victimes d’actes criminels et celle des aînés qui commettent des actes criminels vont augmenter au cours des prochaines années.Note de bas de la page 2
Bien qu’il n’y ait pas encore de définition universellement acceptée de la maltraitance des aînés, la plupart des définitions tiennent compte de l’existence d’une relation entre l’auteur des mauvais traitements et sa victime. La définition adoptée en 2002 par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) est une des plus couramment utilisées. L’OMS définit la maltraitance des aînés comme suit :
« un acte unique ou répété, ou l’absence d’intervention appropriée, dans le cadre d’une relation censée être une relation de confiance, qui entraîne des blessures ou une détresse morale pour la personne âgée qui en est victime »
.Note de bas de la page 3
De façon générale, la maltraitance des aînés fait renvoi aux adultes ayant plus de 65 ans; toutefois, la plupart des politiques se rapportant à la maltraitance des aînés signalent que ce terme peut viser des adultes moins âgés, plus précisément si l’adulte en question souffre d’une capacité ou d’une compétence réduites à cause du vieillissement.
En vertu de la constitution canadienne, les gouvernements provinciaux et territoriaux et le gouvernement fédéral se partagent la compétence dans le domaine de la maltraitance des aînés, les programmes et services relevant principalement des provinces et territoires.Il y a certaines catégories de maltraitance – telles que la fraude, les voies de fait, l’agression sexuelle, la profération de menaces et le harcèlement criminel – qui constituent des crimes aux termes du Code criminel. Certains types de mauvais traitements et/ou de négligence sont également des infractions aux termes des lois provinciales et territoriales. De plus, en vertu de l’article 718.2 du Code criminel, au moment de la détermination de la peine, un tribunal doit tenir compte des éléments de preuve établissant que l’infraction était motivée par des préjugés ou de la haine fondés sur l’âge ou une déficience, ou que l’infraction perpétrée par le délinquant constituait un abus de la confiance de la victime ou un abus d’autorité à son égard.
Les aînés peuvent être plus vulnérables à certains types de crimes, tels que la fraude par télémarketing ou par Internet, l’utilisation abusive d’une procuration et la fraude liée à la rénovation domiciliaire. Par exemple, d’après les résultats du Projet PhoneBustersNote de bas de la page 4 pour la période de 1996 à 2003, 84% des sommes totales volées dans le cadre des stratagèmes de télémarketing frauduleux (faisant croire aux victimes qu’elles ont gagné un prix ou un gros lot) ont été subtilisées à des personnes de 60 ans ou plus.Note de bas de la page 5 En outre, les données policières de 2009 recueillies par Statistique Canada démontrent que le taux de violence familiale à l’endroit des aînés augmente depuis plusieurs années: il a augmenté de 14% depuis 2004 (l’année où ces données sont devenues disponibles). En 2009, 35% des aînés victimes d’actes criminels violents ont été victimisés par un membre de leur famille et une autre tranche de 35% ont été victimisés par un ami ou une connaissance.Note de bas de la page 6 De plus, il y a des études qui indiquent que les aînés sont plus susceptibles de subir de mauvais traitements ou de la négligence de la part de leurs soignants dans un contexte institutionnel.Note de bas de la page 7
Les professionnels qui travaillent auprès des personnes âgées victimes de maltraitance et les chercheurs qui examinent les problèmes de gérontologie ont également souligné les répercussions dramatiques de la maltraitance des aînés sur la santé, la sécurité et la qualité de vie des personnes âgées. La maltraitance peut avoir des effets dévastateurs sur la vie des personnes âgées. Les blessures subies par une personne âgée frêle peuvent avoir des conséquences beaucoup plus tragiques que des blessures similaires infligées à une personne plus jeune. La violence physique peut entraîner le placement de la victime dans un foyer de soins infirmiers, une invalidité permanente ou même la mort. L’exploitation financière peut priver les personnes âgées des ressources requises pour subvenir à leurs besoins fondamentaux. Contrairement aux jeunes, les personnes plus âgées auront moins de temps et d’occasions de rétablir leur situation financière. Une étude longitudinale publiée en 1998 a relevé une constatation inattendue : les personnes âgées ayant subi une forme quelconque de maltraitance sont trois fois plus susceptibles de mourir dans les trois années qui suivent que des aînés comparables (âge, état de santé et milieu social similaires) qui n’ont pas subi de mauvais traitements.Note de bas de la page 8
En raison de la proportion accrue de personnes âgées dans le système de justice pénale, soit à titre de victimes ou de contrevenants, diverses initiatives ont été entreprises. Par exemple, le Service correctionnel du Canada a ouvert sa première division des aînés en 2001.Note de bas de la page 9 De même, des services de police ont créé des programmes ou sections qui ciblent la maltraitance et/ou la négligence des aînés. Par exemple, en 2005, le Service de police d’Ottawa a mis pied une Section contre la violence à l’égard des aînés, chargée d’enquêter sur les allégations de maltraitance des aînés et d’autres adultes vulnérables aux mains d’une personne en situation de confiance – ce qui concorde avec la définition adoptée par l’OMC.
Plus récemment, en mai 2007, le gouvernement du Canada a créé un Conseil national des aînés dont le rôle est de formuler des conseils au gouvernement sur des questions d’importance nationale touchant les aînés. De plus, le projet de loi C-36, la Loi sur la protection des aînés, est entré en vigueur au début de 2013. La Loi « protège mieux les aînés en veillant à ce que ceux qui s’en prennent aux aînés du Canada se voient imposer des peines plus sévères »
. En vertu des modifications apportées, « des éléments de preuve établissant qu’une infraction a eu des répercussions importantes sur la victime, compte tenu de son âge et d’autres circonstances particulières, comme sa santé et sa situation financière, seront maintenant considérés comme une circonstance aggravante dans la détermination de la peine »
.Note de bas de la page 10
1.1 Section contre la violence à l’égard des aînés, du Service de police d’Ottawa
En 2005, le Service de police d’Ottawa (SPO) fut une des premières forces policières au Canada à mettre sur pied une section spécialisée dans la maltraitance des aînés. Le mandat de la section a deux volets: enquêter sur les allégations de maltraitance des aînés et d’autres adultes vulnérables où il existe une relation de confiance ou de dépendance entre l’auteur des mauvais traitements et sa victime; et travailler en étroite collaboration avec les travailleurs de première ligne afin de sensibiliser ces derniers de même que le public aux enjeux liés aux mauvais traitements à l’égard des aînés et aux services de soutien à l’intention des aînés. De plus, la section collabore étroitement avec l’Unité d’aide aux victimes en situation d’urgence, qui offre des services de counseling et diverses ressources aux victimes pendant et après une enquête policière.Note de bas de la page 11
La Section contre la violence à l’égard des aînés adopte une approche spécialisée quand elle intervient auprès de victimes âgées. Les policiers s’habillent en civil et utilisent un véhicule banalisé lorsqu’ils enquêtent sur les incidents; ils explorent des solutions de rechange, qui consistent souvent à coordonner l’intervention policière avec les organismes de services communautaires, sociaux et de santé.
1.2 But de la présente étude
Le but de la présente étude est d’examiner les dossiers d’enquête de la Section contre la violence à l’égard des aînés afin de relever l’ampleur et la nature des incidents touchant des victimes âgées ayant été signalés à la police. Nous examinons également l’issue des dossiers de la Section contre la violence à l’égard des aînés, qui se retrouvent dans le système de justice de justice pénale.
1.2.1 Questions posées dans le cadre dela recherche
- Quelles sont les caractéristiques des dossiers de maltraitance des aînés qui sont portés à l’attention de la Section contre la violence à l’égard des aînés du SPO?
- Qui sont les accusés et qui sont les victimes? Quelles sont les données démographiques associées aux accusés et aux victimes âgées?
- Quelle est la nature de la maltraitance? Quels types d’accusations sont déposés? Y a-t-il des solutions de rechange au dépôt de ces accusations?
- Quels sont les défis auxquels sont confrontés les policiers lorsqu’ils font enquête sur des affaires de maltraitance ou de négligence des aînés?
- Quelle est l’issue des dossiers de maltraitance ou de négligence des aînés (lorsqu’elle est consignée) qui sont portées à l’attention de la Section contre la violence à l’égard des aînés du SPO (aiguillage vers les services de soutien, les services policiers ou le ministère public, ainsi que la décision du tribunal)?
2. Méthodologie
Dans le cadre de la présente recherche, nous avons procédé à un examen manuel des dossiers de la Section contre la violence à l’égard des aînés, du SPO. L’objectif était d’examiner tous les dossiers depuis la création de la Section en 2005 jusqu’à la codification des données au printemps de 2010. Au bout du compte, nous avons disposé d’un échantillon de 531 dossiers. Cet échantillon est suffisamment vaste pour assurer leur représentativité par rapport à l’ensemble des dossiers d’enquête de la Section contre la violence à l’égard des aînés durant la période visée par l’étude.
Pour faciliter la collecte de données, une feuille de codage normalisée a été élaborée par des chercheurs de la Division de la recherche et de la statistique en collaboration avec le conseiller en matière de politiques de la Section de la famille, des enfants et des adolescents du ministère de la Justice, ainsi qu’avec des agents du SPO. Un consultant a été embauché pour transférer les données électroniques extraites du système informatisé du SPO aux feuilles de codage normalisées. Le consultant a obtenu une autorisation de sécurité du SPO pour avoir accès aux dossiers. Le projet ne soulevait pas de préoccupations d’ordre éthique, car l’analyse portait sur des données secondaires et aucun renseignement d’identification n’a été recueilli. Les données ont été transférées des feuilles de codage à un programme de statistique en vue de l’analyse.
De plus, nous avons tenu une entrevue semi-structurée avec deux agents de la Section contre la violence à l’égard des aînés du SPO à l’automne de 2011. Le but de cette entrevue était de mieux comprendre comment fonctionne la Section, à savoir comment elle mène ses enquêtes et relève les défis associés aux affaires de maltraitance des aînés. Nous avons posé des questions aux agents pour orienter l’entrevue.
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