« Créer un cadre de sagesse communautaire » : examen des services aux victimes dans les territoires du Nunavut, du Nord-Ouest et du Yukon

3.0 Territoires du Nord-Ouest (suite)

3.0 Territoires du Nord-Ouest (suite)

3.2 Services offerts dans les collectivités des Territoires du Nord-Ouest (suite)

3.2.2 Constatations du recensement (suite)

Défis en matière de prestation de services aux victimes

Bien que la prestation de services aux victimes ait remporté un certain succès, les répondants ont fait état de difficultés dans ce domaine qui doivent encore fait l'objet d'une attention. Cette description des difficultés et lacunes dans les services offerts aux victimes de crime a été établie à partir des sources suivantes :

Des difficultés permanentes ont été relevées dans presque tous les domaines, notamment en ce qui concerne les victimes et les fournisseurs de services, le soutien et la compréhension des dirigeants, l'infrastructure nécessaire, les ressources et les services et la disponibilité de l'information, la difficulté de travailler avec les victimes de violence. En outre, même si les peines sont plus sévères, il est encore difficile de collaborer avec les systèmes judiciaire et correctionnel. Des renseignements détaillés sur chacun de ces domaines font l'objet d'un examen ci-dessous.

Manque de soutien des victimes et des fournisseurs de services

Presque tous les répondants ont décrit le manque constant de soutien de la collectivité et des familles à l'égard des victimes et des fournisseurs de soins et(ou) de services qui cherchent à les aider. Ils estiment que cette approche est devenue une norme sociale acceptée. Certains croient que cette attitude s'est développée par suite de la violence généralisée subie dans les pensionnats par des générations entières d'Autochtones qui ont été brutalisés et traumatisés dans les T.N.-O. D'autres disent que ces attitudes ont toujours existé dans les cultures autochtones traditionnelles du Nord canadien. Cependant, quelle que soit leur origine, ces attitudes ont débouché sur un manque de soutien, le blâme, l'intimidation, la mortification et l'évitement des victimes et de ceux qui pourraient s'en occuper. Les victimes craignent que si elles parlent, demandent de l'aide ou essaient de partir, il n'en résulte des répercussions sur elles-mêmes, leurs enfants et leurs familles. On ne les croit pas; on les appuie ou les aide encore moins.

Selon les répondants, ces attitudes sont généralement plus fréquentes dans les petites collectivités éloignées. (Comme il est mentionné ailleurs dans le présent document, les répondants ont l'impression que cette approche négative de la victimisation change dans les grands centres.) Toutefois, lorsqu'elle existait, cette attitude a contribué à réduire au silence les victimes, à perpétuer le cycle de violence et de traumatisation de chaque génération et à entraîner un manque perpétuel de services pour les victimes de violence. On a reproché à certaines institutions, en particulier l'Église, de perpétuer une attitude consistant à « blâmer la victime » chez ses membres.

Manque de soutien et de compréhension des dirigeants

La plupart des répondants ont fait état du manque de connaissance, chez les dirigeants à tous les niveaux des administrations publiques et des Premières nations, de la prévalence de la victimisation et de ses effets généraux sur les individus et les familles et sur le tissu social du territoire. Certains répondants croient que des dirigeants qui sont au courant des effets dévastateurs de la violence intergénérationnelle, mais qu'ils n'en tiennent pas compte. Ces répondants ont indiqué que les victimes de violence constituent des boucs émissaires idéals pour les problèmes de la collectivité et empêchent les gens de mettre en question le déséquilibre du pouvoir dans la collectivité et les inégalités sociales qui en résultent. Plusieurs répondants ont signalé que certains de ces dirigeants sont eux-mêmes des agresseurs. Certains ont été reconnus coupables de voies de fait et sont quand même souvent réélus par la suite.

Les répondants ont indiqué que la violence familiale et la violence et les voies de fait à l'endroit des enfants ne sont pas des priorités politiques aux yeux de la plupart des dirigeants du territoire, de la région, du gouvernement autonome ou de la municipalité. Ils constatent que la plupart des dirigeants se concentrent sur le développement économique (comme le récent boom dans les secteurs du diamant, du pétrole et du gaz) à l'exclusion de la justice sociale et de services sociaux et de santé adéquats.

En outre, très peu de femmes occupent des postes de commande sur le plan politique dans le territoire. Les répondants ont signalé que les hommes au niveau de la collectivité, de la région et du territoire dissuadent activement les femmes de présenter leur candidature et qu'ils travaillent contre elles si elles sont élues. Plusieurs femmes des Premières nations ont dit qu'elles avaient été élues à des postes politiques dans leur collectivité mais que les hommes élus leur avaient dit qu'il n'y avait pas de place pour elles en politique et qu'elles devraient retourner chez elles.

Manque d'infrastructure, de ressources et de services

Le défi mentionné le plus souvent par les répondants était le manque général de ressources et de services dans les T.N.-O. La plupart ont fait une liste détaillée des services dont on avait le plus besoin, mais qui n'étaient pas offerts. Ce manque de ressources et de services se fait sentir le plus cruellement dans les petites collectivités. Toutes les collectivités, grandes et petites, aimeraient bénéficier de plus de services. Mais les répondants des petites collectivités estiment que cette lacune a créé une crise grave, car les tragédies et les injustices subies pendant des centaines d'années se font sentir durement chez les générations actuelles.

Ces nombreuses lacunes sur le plan des services sont les suivantes :

Enfin, en ce qui concerne les ressources et les services, les répondants ont indiqué que les services pratiques dont les femmes et les enfants victimes de violence avaient le plus besoin semblent adopter une attitude de plus en plus punitive à l'égard de leurs clients. Ils disent que les périodes d'attente et les autres règles concernant le soutien du revenu créent du désespoir chez les gens et que les sommes accordées au titre du soutien du revenu ne tiennent pas compte du coût de la vie élevé dans les T.N.-O., car ils sont fondés sur les prix en cours dans le Sud. De plus, les répondants ont critiqué les approches négatives qu'utilisent, selon eux, certains conseils de la santé envers les mères à risque élevé. On a dit à certains organismes non gouvernementaux qu'ils ne recevraient plus de financement s'ils critiquaient publiquement les mesures prises par les travailleurs sociaux. Bien que ces services publics ne soient pas considérés comme des « services aux victimes », leur clientèle est constituée presque exclusivement d'hommes, de femmes et d'enfants victimes de violence. Les répondants croient que le service instable et punitif qu'ils reçoivent les victimise encore davantage et rend leur rétablissement impossible.

Manque d'information

Selon les répondants, même si la population semble de plus en plus sensibilisée, elle manque encore d'information. Le grand public et les fournisseurs de services de tous les secteurs n'en savent pas assez sur les ressources existantes; le public et les professionnels ont une connaissance limitée de la dynamique de la violence familiale et de la violence à l'endroit des enfants ainsi que des besoins et de la situation des victimes de violence. Le public ne connaît pas suffisamment les conséquences à long terme de la victimisation et du traumatisme. De plus, en raison des obstacles linguistiques et de la connaissance parfois trop limitée chez les fournisseurs de services des cultures des Premières nations, des Inuvialuits et des Métis, il est difficile de comprendre ces questions.

Difficultés de travailler avec les victimes de violence

Les fournisseurs de services et les fournisseurs de soins dans les T.N.-O. ont indiqué qu'il peut être difficile de travailler avec des victimes de violence, et ce pour diverses raisons. Il est difficile et bouleversant d'essayer d'aider des victimes de violence qui maltraitent également d'autres personnes, y compris leurs enfants. Il est difficile d'aider des victimes qui ont généralement des besoins très variés auxquels il est impossible de répondre rapidement ou de répondre tout simplement. Il est difficile d'aider des victimes qui sont généralement des otages affectifs de leurs agresseurs et qui ne peuvent pas mener leur vie comme elles l'entendent. Il est difficile de faire face à l'isolement affectif que vivent la plupart des victimes et à la crainte permanente à l'égard de la sécurité des victimes. Il est difficile de traiter avec des personnes qui abusent du système de soutien actuel. Il est difficile d'apporter une aide lorsque la victime ne veut pas quitter sa collectivité pour recevoir de l'aide. Il est difficile d'aider la victime lorsque celle-ci craint le système et a peur de subir d'autres actes de violence. Il est difficile d'aider les victimes lorsqu'on est soi-même une victime et qu'on n'a pas bénéficié d'une guérison ou d'une formation.

Difficulté de travailler avec les systèmes judiciaire et correctionnel

Selon les répondants, des améliorations ont été apportées aux systèmes judiciaire et correctionnel, mais il faut poursuivre le travail pour que ces institutions de la justice pénale répondent aux besoins des victimes. Les répondants ont indiqué que la police n'applique pas toujours la politique obligatoire en matière de mise en accusation dans les cas de violence conjugale. De plus, elle ne donne pas toujours suite aux ordonnances de non-communication et aux manquements aux conditions de la probation.

Les répondants ont fait état des difficultés occasionnées par le processus judiciaire; celui-ci grugerait trop le temps et le délinquant ne serait pas surveillé avant la date de sa comparution. En outre, il arrive souvent que la victime n'ait pas de soutien pendant le processus judiciaire tandis que le délinquant semble bénéficier d'une aide considérable. Les répondants estimaient que les déclarations de la victime sont peu connues et que les victimes et leurs défenseurs sont frustrés du fait que l'accusé ne soit pas reconnu coupable à cause du manque de preuves.

Souvent, les victimes ne comprennent pas ce qui se passe devant le tribunal. Il y a un obstacle linguistique dans la salle d'audience, car certaines victimes ne peuvent pas exprimer ce qu'elles ressentent et décrire les faits en anglais et en langage juridique.

Les répondants ont relevé un certain nombre de difficultés particulières concernant le système correctionnel : il n'y a pas de counseling obligatoire pour le délinquant incarcéré ou en probation, les délinquants sont peu surveillés pendant la période de probation et les programmes d'aide postpénale après l'incarcération ou le traitement sont limités; il n'y a pas de système de sécurité ou de soutien pour les victimes dont les agresseurs sont mis en liberté.

Parmi les autres difficultés relevées, mentionnons le fait qu'il n'y ait pas assez d'avocats spécialisés en droit familial dans les T.N.-O. et qu'il n'y ait pas d'indemnisation des victimes d'actes criminels qui ont besoin d'une aide financière.


[96] Le financement hors réserve des refuges est différent du financement dans les réserves. Même si les Autochtones constituent 51 % de la population des T.N.-O., ce territoire ne reçoit pas de fonds spéciaux pour les refuges destinés aux Autochtones, contrairement aux refuges situés dans les réserves des Premières nations dans le Sud du Canada.