Recueil de recherches sur les victimes d’actes criminels, no 12

Faits récents en matière de participation de la victime et de la collectivité à la justice pénale

Par Marie ManikisNote de bas de la page 1

Introduction

Les droits des victimes et les lois sur la déclaration de la victime ont considérablement évolué depuis la dernière mise à jour du Recueil des recherches sur les victimes d’actes criminels 2012 (Manikis 2012). En 2015, la Loi sur la Charte des droits des victimes (CDV) a été modifiée et est devenue la Charte canadienne des droits des victimes (CCDV)Note de bas de la page 2, qui enchâssait les droits des victimes dans la législation fédérale pour la première fois. Ces droits sont les suivants :

La Loi sur la Charte des droits des victimes a aussi modifié le Code criminel du CanadaNote de bas de la page 3 (CC) en y ajoutant les déclarations au nom d’une collectivité, des dispositions supplémentaires sur la déclaration de la victime et des formulaires pour préciser la teneur de ces déclarations. Le présent article traite des principales affaires dans lesquelles sont appliquées la déclaration de la victime, la déclaration au nom d’une collectivité et la CCDV, ainsi que des faits nouveaux sur la scène internationale dans ce domaine du droit.

1.0 Déclaration de la victime : principes récemment énoncés par les cours d’appel

1.0 Cadre

Depuis 2012, les cours d’appel du Canada ont fourni des directives supplémentaires concernant la déclaration de la victime.

L’arrêt BernerNote de bas de la page 4 de 2013 énonce certains des grands principes directeurs et des principales limites de la déclaration de la victime. Premièrement, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a souligné que la déclaration de la victime doit favoriser la détermination d’une peine juste, à la lumière des objectifs de la détermination de la peine énoncés à l’article 718 du Code criminel :

Deuxièmement, la déclaration de la victime ne doit pas contenir de matériel qui :

Le juge qui prononce la peine doit se méfier du risque de valoriser les victimes en fonction de la force des sentiments exprimés dans la déclaration de la victime. En présence de tels renseignements, les juges peuvent soit les ignorer, soit les faire enlever si la Couronne et la défense y consentent toutes deuxNote de bas de la page 5. En outre, comme le caractère punitif (châtiment mérité) est un motif important de détermination de la peine au Canada, la déclaration de la victime et la déclaration au nom d’une collectivité sont des outils importants pour évaluer la culpabilité morale du délinquant et la gravité de l’infraction dans le processus de détermination d’une peine justeNote de bas de la page 6.

1.1 Approche souple de présentation de la déclaration de la victime

Avant l’entrée en vigueur de la CDV, les tribunaux ne précisaient pas la façon de déposer la déclaration de la victime. Par conséquent, les décisions des tribunaux concernant cette déclaration variaient. Par exemple, dans l’affaire M.B.Note de bas de la page 7, un courriel était accepté comme déclaration de la victime au motif que le Code criminel permettait une certaine souplesse dans la forme que pouvait prendre la déclaration si aucune partie ne s’y opposait. Dans l’affaire Berner, cependant, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a conclu que le tribunal de détermination de la peine et la Couronne avaient commis une erreur en permettant la projection d’une photographie de l’enfant victime et de la vidéo d’un spectacle scolaire. Le tribunal a déclaré que ce matériel exacerbait les émotions, posait le risque d’une détermination injuste de la peine et faisait naître chez les victimes l’espoir que l’hommage influe sur la durée de la peine.

Les modifications apportées au Code criminel en 2015 permettent une approche souple quant à la lectureNote de bas de la page 8 de la déclaration de la victime et aux diverses méthodes de présentation de ces déclarationsNote de bas de la page 9. Dans l’affaire MorganNote de bas de la page 10, toutefois, le juge a clairement indiqué que si toute mesure autre que la lecture de la déclaration de la victime, comme l’utilisation de photographies et de présentations vidéo, était envisagée, les victimes devaient en faire la demande et donner un préavis suffisant à la défense et au tribunal. Le formulaire de déclaration de la victime indique aux victimes que leur déclaration peut comprendre un dessin, un poème ou une lettre, si cela les aide à exprimer comment le crime les a touchées. Les tribunaux se sont montrés réceptifs à ces différents modes de présentation, qui comprennent également des photographiesNote de bas de la page 11. Par exemple, dans l’affaire BainsNote de bas de la page 12, la mère d’une victime de meurtre a inclus un poème auquel le juge a fait allusion et auquel il a répondu favorablement.

La question de savoir si le visionnement de vidéos comme moyen de présenter la déclaration de la victime est acceptable n’a pas encore été clarifiée. Comme on l’a vu dans l’affaire Berner, les juges ont été réticents à autoriser les vidéos en raison des émotions intenses qu’elles suscitaient. Cependant, comme on le verra dans l’affaire Denny dans le contexte de la déclaration au nom de la collectivité, un juge a exceptionnellement permis la présentation de vidéos, au besoin, [traduction] « afin d’offrir au tribunal une fenêtre sur la collectivité et les répercussions du crime sur cette collectivitéNote de bas de la page 13 ». Dans le contexte de la déclaration de la victime, les tribunaux pourraient tirer profit de la recherche empirique limitée sur les vidéos effectuée aux États-Unis pour déterminer les risques potentiels de cette méthode qui fait appel aux émotionsNote de bas de la page 14.

1.2 La déclaration de la victime comme preuve aggravante et atténuante?

La plupart des cours d’appel et des tribunaux de première instance du pays ont reconnu que la déclaration de la victime peut aggraver la peine, c’est-à-dire qu’elle pourrait justifier une peine plus sévère. Les cours d’appel ont soit utilisé la preuve de la déclaration de la victime comme facteur aggravantNote de bas de la page 15, soit déterminé que ce n’est pas une erreur de principe pour un juge d’établir que l’incidence d’un crime sur la victime, telle qu’elle est décrite dans la déclaration, est un facteur aggravantNote de bas de la page 16. En fait, une cour d’appel a souligné que, s’il en était autrement, la déclaration de la victime n’aurait qu’un usage limité, ce qui rendrait le mandat de prendre en considération la déclaration de la victime dans le processus de détermination de la peineNote de bas de la page 17 vide de sensNote de bas de la page 18. La plupart des jugements rendus en première instance et en appel se sont appuyés sur les nouvelles dispositions du Code criminel pour justifier l’utilisation de la déclaration de la victime déposée en preuve comme facteur aggravantNote de bas de la page 19. De plus, les tribunaux de plusieurs provinces ont élargi les facteurs qui peuvent aggraver la peine du délinquant pour inclure les dommages accessoires ou secondairesNote de bas de la page 20 subis par des membres de la famille (ou des personnes proches de la victime) même dans certains cas non liés à un homicideNote de bas de la page 21.

En Alberta, la question n’est toujours pas réglée. Dans l’affaire DeerNote de bas de la page 22, la Cour d’appel a conclu que le juge de première instance avait commis une erreur en traitant la perte subie par des membres de la famille décrite dans les déclarations de victime comme une circonstance aggravante après le meurtre d’une victime. On ne sait toujours pas si la Cour d’appel rejette également comme facteur aggravant toute utilisation des éléments de preuve présentés au moyen de la déclaration de la victime ou si ce rejet ne porte que sur le dommage secondaire. Ce manque d’orientation se fait sentir en première instance. Certains juges de première instance ont conclu que lorsque le dommage (direct ou indirect) décrit dans la déclaration de la victime n’est pas contesté, les faits qui figurent dans la déclaration peuvent être considérés comme des circonstances aggravantesNote de bas de la page 23. Par contre, dans l’affaire KrahnNote de bas de la page 24, le juge a donné à l’arrêt Deer une interprétation large, qui interdisait l’utilisation générale des éléments de preuve présentés au moyen de la déclaration de la victime comme circonstance aggravante. Dans l’affaire Firingstoney, le juge a interprété l’arrêt Deer de façon plus étroite pour n’interdire que les dommages accessoires, indiquant que [traduction] « la perte d’une famille, décrite dans la déclaration de la victime, ne peut être traitée comme une circonstance aggravante lors de la détermination de la peineNote de bas de la page 25 », tout en précisant que ce raisonnement ne faisait pas abstraction du facteur aggravant prévu au sous-alinéa 718.2a)(iii.1).

Les tribunaux ont également confirmé que la Couronne doit prouver hors de tout doute raisonnable les circonstances aggravantes contestées. En effet, lorsqu’une partie invoque un aspect contesté de la déclaration de la victime dans le but d’aggraver la peine, elle doit prouver cet aspect hors de tout doute raisonnable. Dans l’affaire RaccoNote de bas de la page 26, des renseignements contenus dans la déclaration de la victime, laquelle comprenait des diagnostics et des dossiers médicaux, ont été contestés, puis rejetés au motif qu’ils n’avaient pas été prouvés hors de tout doute raisonnable. De même, dans l’affaire B.M.S., le tribunal a exigé plus de preuves qu’une déclaration de la victime pour conclure que le degré de dommage psychologique subi par la victime constituait une « infraction avec violence » de sorte qu’une peine d’emprisonnement pouvait être imposée à un jeune délinquantNote de bas de la page 27.

Les tribunaux de première instance n’ont pas examiné la question de savoir si une déclaration de la victime peut être utilisée comme un facteur atténuant pertinent. Dans des dossiers d’appel, cependant, les opinions des victimes favorisant l’atténuation ont été prises en considération. Dans l’affaire Guerrero SilvaNote de bas de la page 28, l’épouse de l’agresseur, victime de violence familiale, a souhaité que son conjoint violent ne soit pas séparé de leur enfant. La Cour d’appel du Québec a interprété ce souhait comme une forme de pardon et reconnu que la jurisprudence le considérait comme un facteur atténuant pertinent. Le tribunal a néanmoins souligné les précautions particulières qu’il fallait prendre dans les affaires de violence familiale pour s’assurer que le pardon s’exprime sans pression indue. La Cour a également souligné que le pardon est inversement proportionnel à la gravité de l’infraction et que la détermination de la peine comporte également une dimension de dénonciation sociale – l’infraction porte atteinte aux valeurs fondamentales de notre société – qui va au-delà des intérêts du délinquant et de la victime. En fin de compte, le tribunal a conclu que même si la compassion de la victime envers le délinquant ne découlait pas de pressions externes, le juge avait accordé trop d’importance aux souhaits de la victime et sous-estimé la preuve de risque de violence future envers la victimeNote de bas de la page 29. Il est intéressant de noter que le tribunal n’a pas perçu les souhaits de la victime comme une recommandation de peine. Il a également souligné que l’opinion de la victime quant à la peine appropriée n’était pas pertinente et ne devrait pas être sollicitée ni prise en considération par le juge chargé de déterminer la peine.

Des victimes ont exprimé leurs souhaits à l’égard d’une atténuation dans une autre affaire récente, celle de H.E.Note de bas de la page 30. Dans cette affaire, les victimes d’agressions sexuelles, c’est-à-dire l’épouse de l’intimé et leurs deux enfants, ont exprimé dans leur déclaration de la victime le souhait que l’intimé obtienne des services de consultation pour maîtriser sa colère et devenir une meilleure personne. Les victimes ne voulaient pas qu’il soit emprisonné, et l’épouse était surprise de voir que la conduite de l’intimé pouvait avoir de graves conséquences. Malgré cette recommandation, le tribunal ne s’est pas fondé sur l’opinion des victimes pour déterminer la peine. Il a plutôt maintenu le besoin de dénoncer pour justifier une peine de plusieurs années d’emprisonnement.

Ces décisions soulignent que même si les tribunaux considèrent parfois les souhaits et les perceptions des victimes comme étant pertinents, ces souhaits ne sont pas des facteurs déterminants lorsque la preuve justifie le besoin de dénoncer. Ce principe est difficile à concilier avec le point de vue selon lequel l’opinion de la victime sur la peine appropriée n’est pas pertinente et que le juge ne devrait pas la solliciter ni en tenir compteNote de bas de la page 31. En effet, séparer les souhaits de la victime quant à l’avenir de la relation et ses souhaits quant à la peine à imposer peut être une distinction artificielle pour le juge, en particulier lorsque les souhaits de la victime quant à la relation feraient en sorte que le délinquant ne soit pas incarcéré. La CDV et les modifications apportées au Code criminel codifient la jurisprudence existante, notamment les cas exceptionnels où le tribunal a permis aux victimes de présenter leur révision de la peine. Toutefois, la loi ne précise pas ces circonstances exceptionnelles. Il est donc difficile de savoir quelles situations peuvent justifier l’opinion des victimes.

Bien que la CDV reconnaisse que l’opinion de la victime peut parfois être pertinente lors de la détermination de la peine, certains juges se sont opposés à l’idée de permettre aux victimes de formuler des recommandations, en particulier lorsqu’il s’agit de peines démesurément sévèresNote de bas de la page 32. Cette question a été abordée dans l’affaire B.P.Note de bas de la page 33. Le juge a souligné que la CDV ne crée pas un droit pour les victimes de recommander des peines, mais qu’elle permet à leurs recommandations d’être admissibles si le tribunal l’autorise. Il reste à voir si les juges accorderont la permission lorsqu’ils voudront entendre les souhaits de la victime quant à la relation, ou si la CDV s’étendra également à d’autres contextes. Cette dernière approche a été favorisée dans l’affaire Bard, où l’opinion de la victime a été entendue sur la question de savoir combien de temps devrait durer la peine d’emprisonnement avant que le délinquant puisse être admissible à une libération conditionnelleNote de bas de la page 34.

2.0 Déclaration au nom d’une collectivité

Les modifications apportées en 2015 au Code criminel par la Loi sur la Charte des droits des victimes comprenaient une nouvelle disposition sur la déclaration au nom d’une collectivité, ce qui reconnaissait officiellement l’utilisation de la déclaration au nom d’une collectivité lors de la détermination de la peine. Depuis 2015, environ 25 décisions publiées – toutes rendues par des tribunaux de première instance – ont porté sur la déclaration au nom d’une collectivitéNote de bas de la page 35.

2.1 Qu’est-ce qu’une collectivité reconnue?

Bien que les tribunaux n’aient pas expliqué comment définir une collectivité ou désigner le représentant d’une collectivité lors du dépôt d’une déclaration au nom d’une collectivité, des collectivités identifiables se trouvent dans la jurisprudence. Elles s’inscrivent généralement dans l’une des quatre catégories suivantes :

Les représentants de ces collectivités semblent être soit des particuliersNote de bas de la page 42 ou des organismesNote de bas de la page 43 ayant ces marqueurs d’identité qui sont des activistes au sein de la collectivitéNote de bas de la page 44.

2.2 Cadre de la déclaration au nom d’une collectivité

Très peu de décisions judiciaires portent sur le rôle, la teneur ou la forme de la déclaration au nom d’une collectivité. Les tribunaux se fondent sur le cadre de la déclaration de la victime pour interpréter le régime de la déclaration au nom d’une collectivité, d’autant plus que les formulaires des deux déclarations sont rédigés de la même façon dans le Code criminel. En effet, à l’instar de la déclaration de la victime, la déclaration au nom d’une collectivité ne doit pas contenir d’assertions de fait concernant l’infraction ou le délinquant, ni de commentaires sur la moralité du délinquant, ni de recommandations sur la peine. La déclaration au nom d’une collectivité vise à décrire les répercussions du crime sur une collectivité, dans les mots d’une personneNote de bas de la page 45. Des tribunaux permettent une certaine souplesse quant au mode de présentation, mais ce n’est pas toujours le cas.

Dans l’affaire Denny, deux déclarations au nom d’une collectivité ont été soumises, dont l’une par un membre de la communauté LGBT, qui comportait notamment la présentation d’une revue communautaire locale et d’un montage vidéo YouTube pour illustrer un hommage commémoratif rendu par la collectivité locale. La défense s’est opposée à l’admissibilité de la revue et de la vidéo, affirmant qu’elles n’étaient pas conformes au nouveau formulaire de déclaration au nom d’une collectivité. Le juge a accepté ce mode de présentation. Il a souligné que la déclaration devrait être préparée et présentée comme une déclaration de la victime dans toute la mesure du possible, mais qu’il pourrait être difficile pour une personne de dépeindre pleinement les répercussions que l’infraction avait eues sur la collectivité, ou préférable de communiquer ces répercussions d’une manière non traditionnelle. En fait, le juge a souligné que le formulaire 34.3 du Code criminel prévoit une certaine souplesse en permettant à la personne de faire un dessin ou d’écrire un poème ou une lettre pour décrire le dommage subi.

Dans l’affaire AliNote de bas de la page 46, un document qui aurait été soumis par la Couronne à titre de déclaration au nom d’une collectivité a été rejeté comme tel par le tribunal (bien qu’il ait été accepté pour des motifs différents). Le tribunal a expliqué que le document ne disait rien sur le dommage ou la perte subis par la collectivité, ne donnait que des renseignements généraux sur la fréquence d’une catégorie d’infractions, ne faisait pas référence à une infraction précise et n’était pas conforme au formulaire 34.3 requis.

3.0 Mise en œuvre des modifications législatives adoptées à la suite de la Loi sur la Charte des droits des victimes

La section qui suit porte sur les cas où l’on s’est appuyé sur les modifications législatives apportées dans le cadre de la CDV pour faire respecter les droits des victimes, dont les suivants :

3.1 Droit à l’information et droit à des mesures d’aide au témoignage

Le droit à l’informationNote de bas de la page 47 s’applique à différentes étapes de la procédure pénale. Il a été utilisé le plus souvent pour fournir aux victimes des renseignements sur les décisions de mise en liberté de l’accusé. Plus précisément, cette disposition a été invoquée par les tribunaux administratifsNote de bas de la page 48 dans le contexte de décisions concernant la non-responsabilité criminelle aux termes de l’article 672.38 du Code criminel. Son but était de fournir aux victimes des renseignements sur la décision de mettre l’accusé en liberté sous condition, les conditions précises de la mise en liberté, ainsi que les avis d’audiences futures. Pour protéger la vie privée de l’accusé, les tribunaux ont refusé de fournir le lieu exact de la résidence de l’accusé lorsque la victime a demandé ce renseignement.

En application de l’article 13 de la CCDV, qui reconnaît le droit de la victime de demander des mesures visant à faciliter son témoignage, les tribunaux ont permis à des plaignants de témoigner avec l’aide d’un chien d’assistanceNote de bas de la page 49 et à l’extérieur de la salle d’audience par liaison vidéoNote de bas de la page 50.

3.2 Droit au dédommagement et droit de participation

Dans une affaire récente de fraude, le tribunal a appliqué le droit de la victime de demander un dédommagementNote de bas de la page 51 et ordonné au délinquant de dédommager entièrement la ou les victimesNote de bas de la page 52. La CCDV est aussi fréquemment citée comme fondement législatif permettant aux victimes d’être entendues au tribunal, des références étant expressément faites à la déclaration de la victime à l’étape de la détermination de la peineNote de bas de la page 53.

4.0 Faits nouveaux sur la déclaration de la victime dans les pays de common law

4.1 Angleterre et Pays de Galles

En Angleterre et au Pays de Galles, l’arrêt PerkinsNote de bas de la page 54 a clarifié le cadre et les limites de la déclaration de la victimeNote de bas de la page 55, notamment son objet, sa forme et son contenu. Cette décision a été citée péremptoirement dans de nombreuses affaires et présente des similitudes avec l’approche canadienne, à savoir que la déclaration de la victime constitue une preuve et qu’elle doit être juridiquement traitée comme telle. Les victimes peuvent décider de déposer ces déclarations ou non, mais c’est à la poursuite qu’il incombe de présenter les éléments de preuve admissibles. La déclaration de la victime peut être contestée en contre-interrogatoire et, par conséquent, le régime de la déclaration de la victime – la teneur de la déclaration et tout élément de preuve à l’appui – donne lieu à des obligations de divulgationNote de bas de la page 56.

Bien que l’opinion de la victime quant à la peine ne soit pas pertinente aux termes des lignes directrices du Crown Prosecution ServiceNote de bas de la page 57, dans certains cas, le point de vue de la victime a été considéré comme une circonstance atténuante. Dans l’affaire NunnNote de bas de la page 58, une affaire de conduite dangereuse ayant causé la mort, des membres de la famille de la victime, qui connaissaient le délinquant et ses souffrances à la suite de l’infraction, ont plaidé que la peine était trop longue et qu’il était difficile pour eux de se remettre de leur traumatisme. Bien que le tribunal ait souligné que leur opinion ne devrait jouer aucun rôle dans la détermination de la peine, il s’est appuyé sur une approche miséricordieuse envers la famille de la victime pour réduire la peine. De même, dans l’affaire Roche, la Cour d’appel a laissé entendre qu’un tribunal ne peut jamais devenir un instrument de vengeance, mais qu’il peut [traduction] « dans des circonstances appropriées, et dans une certaine mesure, devenir un instrument de compassionNote de bas de la page 59 ». Enfin, dans l’affaire Perks, la Cour d’appel a déclaré que l’opinion des victimes ne devrait pas être prise en considération, sauf dans les cas suivants :

  1. lorsque la peine infligée au délinquant aggrave la détresse de la victime;
  2. lorsque le pardon de la victime prouve que ses souffrances psychologiques ou mentales doivent être bien moindres qu’elles ne le seraient normalementNote de bas de la page 60.

4.2 Australie

En Australie, la jurisprudence récente a également abordé les questions de preuve concernant l’aggravation, le libellé distinct de la déclaration de la victime et la prise en compte des dommages accessoires.

Comme au Canada, les tribunaux australiens exigent une preuve hors de tout doute raisonnable lorsque la déclaration de la victime contient des éléments de preuve aggravants contestésNote de bas de la page 61. Lorsque la défense ne conteste pas cette preuve, le tribunal peut généralement se fonder sans problème sur des renseignements contenus dans la déclaration qui sont confirmés par d’autres sources. Des problèmes surviennent lorsque la défense ne conteste pas la preuve, mais invoque des éléments de preuve qui peuvent aggraver la peine considérablement. Dans ces cas, les juges ont pour instruction d’attirer l’attention de la défense sur ce point afin de lui donner l’occasion de contester la preuveNote de bas de la page 62. Cette plus grande intervention judiciaire s’écarte du modèle accusatoire et n’est pas reconnue dans d’autres pays de common law.

Dans l’affaire DimitrovskaNote de bas de la page 63, la Cour d’appel établit une distinction entre le langage juridique et le langage des victimes. Le tribunal reconnaît la subjectivité de la déclaration de la victime et déclare qu’elle ne peut être utilisée que pour fournir des renseignements sur l’incidence générale du dommage, plutôt que sur les conséquences plus particulières du dommage. Lorsque des éléments plus précis sont cités comme éléments de preuve, par exemple les pronostics, il est nécessaire de faire appel à un expert qualifié. De plus, il a été décidé que la déclaration de la victime perdrait beaucoup de sa force et de ses avantages si elle était exprimée dans le langage utilisé par les avocats. Par conséquent, il est acceptable que la déclaration de la victime soit formulée de manière imprécise ou dans un langage ordinaire.

Enfin, à l’instar de certaines affaires canadiennes, dans l’affaire G.E.Note de bas de la page 64, le tribunal a élargi la reconnaissance des dommages accessoires subis par les membres de la famille au-delà des cas d’homicide où la victime principale est décédée. Le tribunal a statué que, compte tenu de la définition large du dommage, la loi inclut le dommage subi par la famille d’un jeune enfant, qui est la principale victime, même s’il n’y a pas eu de décès.

4.3 États-Unis

Le régime américain de la déclaration de la victime diffère considérablement de celui de la plupart des pays de common law. Dans l’affaire BosseNote de bas de la page 65, la Cour suprême a estimé que c’était une erreur de permettre aux victimes de faire des recommandations au jury dans une affaire de peine de mort. Toutefois, cette question n’est pas réglée, puisqu’une cour suprême d’ÉtatNote de bas de la page 66 a statué que l’arrêt Bosse ne s’appliquait pas aux procédures sans peine capitale. Ce tribunal a déclaré que la dangereuse utilisation par un jury de la recommandation d’une victime dans un procès pour meurtre passible de la peine capitale ne se produisait pas dans une procédure sans peine capitale devant un juge neutre et impartial. Si cette approche devait s’appliquer, elle différerait de celle des pays de common law qui ne permettent habituellement pas de formuler des recommandations en matière de détermination de la peine. Enfin, un autre tribunal a récemment statué que le juge chargé de la détermination de la peine disposait d’un large pouvoir discrétionnaire pour admettre et prendre en considération la preuve de la victime sous des formes débordant du cadre de la déclaration de la victime et de son témoignageNote de bas de la page 67. Contrairement à l’ambiguïté au Canada, le tribunal a précisé que les vidéos font partie de ces formes acceptées.

Conclusion

La jurisprudence nationale et internationale a considérablement évolué depuis l’adoption de la CCDV. Bien que les tribunaux aient offert des précisions au fil des ans sur les questions entourant la reconnaissance de la déclaration de la victime et la déclaration au nom d’une collectivité comme éléments de preuve, il serait utile, dans ce domaine, d’avoir une meilleure orientation issue d’une analyse de la détermination de la peine fondée sur des principes. D’autres réflexions et recherches sur les conceptions du dommage, de la victimisation secondaire et de l’incidence des émotions dans le processus pénal contribueraient à faire mieux comprendre l’importance de la participation de la victime et de la collectivité à ce processus.

Bibliographie

Manikis, Marie, et Julian Roberts. 2012. « Déclaration de la victime : Principes récemment énoncés par les cours d’appel », Recueil des recherches sur les victimes d’actes criminels, no 5, p. 2 à 6.

Marie Manikis est professeure adjointe à la Faculté de droit de l’Université McGill depuis 2013 et membre du Centre pour les droits de la personne et le pluralisme juridique, Université McGill, ainsi que du Centre International de Criminologie Comparée, Université de Montréal. Elle enseigne la justice pénale, le droit pénal, la détermination de la peine et la procédure pénale.