Recueil de recherches sur les victimes d’actes criminels, no 13
Le vécu de victimes d’actes criminels dans le processus de la justice réparatrice : un projet d’écoute
Résumé par Lisa Ha
Le ministère de la Justice du Canada a retenu les services de Just Outcomes Canada pour organiser cinq séances d’écoute dans différentes régions du pays, soit en Ontario, en Nouvelle-Écosse, en Saskatchewan, en Colombie-Britannique et au Yukon, entre février et avril 2019. Le projet d'écoute est né aux États-Unis au début des années 2000, et a été adapté au contexte canadien. Ce projet porte sur les expériences et les préoccupations des victimes, des défenseurs des victimes et des prestataires de services aux victimes, et vise à mieux comprendre les besoins des victimes, leurs expériences en matière de justice et leurs impressions concernant la justice réparatrice. Voici un résumé du rapport rédigé par Catherine Bargen, Aaron Lyons et Matthew Hartman de Just Outcomes, responsables de la planification et de l’animation des séances. Ce résumé met en évidence certains des principaux thèmes qui ont émergé de ce projet. Le rapport complet se trouve sur le site Web de la Justice.
Qu’est-ce que la justice réparatrice?
Comme l’ont expliqué Catherine Bargen et ses collègues dans leur rapport, depuis les quatre dernières décennies, la justice réparatrice est de plus en plus reconnue comme une approche prometteuse pour améliorer le système de justice pénale canadien. La justice réparatrice est profondément enracinée dans de nombreuses pratiques juridiques autochtones ancestrales, dans des communautés religieuses et dans d’autres traditions culturelles. Elle permet aux personnes touchées par le préjudice et l’acte criminel de participer au processus de justice. L’objectif de la justice réparatrice est la prise en compte du préjudice sous l’angle du rétablissement, de la guérison ou de la réparation. Elle vise aussi la responsabilisation des auteurs du préjudice, afin que la collectivité puisse croître et guérir, ainsi que prévenir un préjudice futur.
À propos des séances d’écoute
L'objectif des séances d'écoute était de comprendre les expériences des participants en matière de justice réparatrice. Comme les auteurs le soulignent, ce projet est fondé sur la conviction que les approches réparatrices peuvent aider les collectivités à croître, en écoutant attentivement les voix et les points de vue des victimes ou des survivants et des fournisseurs de services aux victimes, et en prenant ces points de vue au sérieux dans la conception des politiques et des programmes futurs.
Les séances d’écoute ont rassemblé 36 participants, dont 26 étaient des victimes directes, 5 étaient des substituts de victimes, 6 étaient des intervenants de services aux victimes ou des défenseurs des droits des victimes et 2 étaient des représentants d’organisations (certains participants étaient visés par plus d’une de ces catégories). Les participants avaient été victimes des crimes suivants : crimes contre des biens/véhicules (n=4), fraude (n=1), vol (n=3), voies de fait (n=10), vandalisme motivé par la haine (n=2), conduite avec facultés affaiblies causant la mort d’un être cher (n=3) et meurtre d’un être cher (n=3). Comme l’ont expliqué Mme Bargen et ses collègues, la gravité de l’acte criminel peut ne pas avoir été proportionnelle aux répercussions du traumatisme vécu par les participants.
La formule des séances combinait un dialogue ouvert encadré par les animateurs et un « cercle de parole » dans lequel un objet de parole était utilisé pour garantir que chaque participant avait périodiquement l’occasion de parler sans être interrompu. Les séances portaient sur les trois principaux thèmes suivants :
- besoins et expériences vécues;
- améliorations des programmes de justice réparatrice;
- réflexions sur la séance d’écoute.
Voici un résumé des principales conclusions tirées du rapport.
Résumé des principaux thèmes
Besoins et expériences vécues en matière de justice réparatrice
Les participants aux séances d’écoute ont été invités à décrire la nature de l’expérience qu’ils ont vécue dans le cadre d’un processus de justice réparatrice, leurs motivations à y participer et les points positifs et négatifs de cette expérience. Le besoin d’information des victimes était l’un des thèmes prédominants. Certains participants se sont intéressés à la justice réparatrice en raison d’un désir d’obtenir de l’information et des réponses à leurs questions, notamment sur l’auteur du crime, les détails de l’infraction, le système de justice et les options offertes pour obtenir justice.
L’expérience des participants en matière de justice réparatrice
Lors des séances d'écoute, de nombreux participants ont déclaré qu'ils étaient heureux d'avoir obtenu des informations grâce au processus de justice réparatrice. Ils ont souligné qu’il était très utile de bénéficier de pratiques de suivi serrées et de soutien de la part du fournisseur de services de justice réparatrice, ainsi que d’obtenir de l’information continue sur la situation du délinquant. Par contre, un nombre considérable de participants ont dit n’avoir eu aucune nouvelle du programme de justice réparatrice sur les progrès du délinquant concernant le respect de ses ententes, ce qui a été jugé décevant ou désorientant. Certains participants ont également souligné qu'ils auraient aimé recevoir plus d'informations au début du processus, notamment sur le moment approximatif où le processus aurait lieu, et sur le délinquant, à savoir, à quoi s’attendre quant à son apparence ou à son attitude.
Les participants ont largement apprécié le soutien et les contacts personnalisés qu’ils ont reçus de la part de praticiens de la justice réparatrice, surtout durant les étapes de préparation et de suivi du processus. Certains participants estimaient n’avoir pas obtenu le genre de services aux victimes qu’ils souhaitaient, ni s’être sentis écoutés par les fonctionnaires du tribunal ou d’autres représentants du système de justice pénale ou du système scolaire. En revanche, bon nombre de participants avaient l’impression que le programme de justice réparatrice leur avait fourni l’attention, les réponses et les services auxquels ils n’auraient pas eu accès dans le système de justice pénale conventionnel.
Pourquoi les participants se sont impliqués dans le processus de justice réparatrice
Comme il est expliqué dans le rapport, l’une des motivations évidentes de la participation au processus de justice réparatrice était le besoin d’une mesure concrète, de justice, ou que « quelque chose soit fait » relativement à l’infraction commise. Certains participants étaient motivés à participer par le désir de changer la vie de la personne responsable en contribuant à une issue prosociale. Bien que certains aient dit avoir éprouvé un sentiment de justice véritable après avoir participé au processus de justice réparatrice, plusieurs participants ont exprimé leur incertitude à savoir si les conséquences pour le délinquant étaient « suffisantes ». En outre, certains participants ont déclaré qu'ils étaient déçus par la récidive ou d'autres comportements négatifs du délinquant. Comme un praticien de la justice réparatrice l’a fait remarquer, lorsque les victimes se sont engagées dans le processus principalement par souci pour les délinquants, les résultats ont souvent été moins satisfaisants parce que, en dernière analyse, ni la victime ni le programme ne pouvait contrôler le comportement futur des délinquants.
Nécessité de jouer un rôle. Les participants ont insisté sur la nécessité de jouer un rôle, d’être inclus et de se voir offrir des choix dans le processus de justice à propos du crime commis contre eux, au lieu de se voir dicter des processus. Les programmes de justice réparatrice étaient favorablement comparés à d’autres composantes du système de justice pénale, qui donnaient souvent l’impression de décider pour les victimes ce dont elles pouvaient ou non avoir besoin. De même, des participants qui avaient déjà eu des expériences avec d’autres programmes de déjudiciarisation, ont comparé leur expérience actuelle avec ces expériences antérieures jugées moins réparatrices.
Réparation. Bon nombre de participants étaient motivés à participer à des processus de justice réparatrice, du moins en partie, par un désir d’obtenir une quelconque forme de réparation symbolique ou matérielle. Plusieurs participants se sont dits satisfaits d’avoir obtenu réparation et indemnisation grâce au processus de justice réparatrice. D'autres ont été déçus parce que le délinquant n'a pas payé, ou a été perçu comme étant incapable de payer.
Tenir le délinquant responsable. Des participants ont fait remarquer que leur participation à la justice réparatrice découlait de la nécessité de reconnaître les « relations » (au sens le plus large) inhérentes à des actes criminels. Certains ont exprimé cette relation comme un besoin profond d’entendre et de constater que le délinquant regrettait le tort qui avait été infligé à la victime. Il y avait chez bon nombre de participants un désir de voir personnellement les personnes responsables des crimes commis contre eux assumer clairement la responsabilité de leurs choix. En conséquence, des participants ont exprimé un besoin d’un contact personnel avec la personne qui avait commis une infraction contre eux. Les processus de justice réparatrice semblent favoriser des relations plus positives et moins menaçantes entre de nombreuses victimes et les auteurs du crime commis contre elles. Toutefois, dans certains cas, les participants se sont dits insatisfaits du degré de responsabilité ou de remords que le délinquant a manifesté dans leur cas.
Rétablissement des suites d’un acte criminel. Selon Mme Bargen et ses collègues, l’une des principales motivations à s’engager dans la justice réparatrice était l’espoir ou l’impression que le processus peut offrir une voie vers le rétablissement des effets de l’acte criminel, y compris d’éléments d’un traumatisme psychologique. De nombreux participants au projet ont parlé en termes passionnés et positifs de la contribution de la justice réparatrice à leur rétablissement. Dans bien des cas, la justice réparatrice semblait jouer un rôle utile dans un processus de rétablissement psychologique, social et affectif (et souvent non linéaire) à beaucoup plus long terme. Par contre, d’autres participants n’ont pas estimé que la justice réparatrice avait contribué concrètement à leur rétablissement. Ces participants ont cité des facteurs comme le manque de soutien et d’information adéquats de la part du programme de justice réparatrice, et un processus qui visait essentiellement à aider le délinquant à se rétablir ou à éviter d’avoir un casier judiciaire. Après réflexion, ils se sont dits déçus du processus de justice réparatrice, parce qu’ils n’avaient simplement pas vécu le type de justice qu’ils avaient espéré.
Les délais et la durée du processus de justice réparatrice figuraient parmi les domaines dans lesquels les participants ont estimé que la gamme de choix qui leur étaient offerts était moins satisfaisante. En outre, plusieurs participants ont expliqué qu’ils auraient eu avantage à avoir plus de temps pour décider de participer ou non, ou de prolonger leur participation. Quelques participants ont senti des pressions pour décider de participer en fonction d’un échéancier sur lequel ils n’avaient aucun contrôle.
Améliorer la justice réparatrice
Se fondant sur les discussions et les thèmes qui ont émergé des séances d'écoute, les auteurs ont présenté une gamme de mesures qui pourraient aider à améliorer les programmes de justice réparatrice afin qu'ils puissent mieux servir et soutenir les personnes au-delà de la victimisation.
Délais souples. Mme Bargen et ses collègues ont souligné qu'il s'agirait d'un moyen d’améliorer la participation des victimes aux processus de justice réparatrice. Notamment, ils ont suggéré de créer une gamme d'options pour les victimes, permettant un suivi et des réunions multiples à la demande des victimes, et donnant aux victimes plus de contrôle sur les délais dans les processus.
Augmenter la quantité et le type d'informations fournies aux victimes, ainsi que les messages concernant l'objectif du processus de justice réparatrice. Il a également été suggéré d'accroître la coordination entre les partenaires du système judiciaire afin de mieux comprendre la justice réparatrice, en particulier entre les programmes de justice réparatrice et les services aux victimes.
Améliorer le soutien offert aux victimes. Voici quelques suggestions :
- offrir des options créatives, telles que la mise à disposition d'agents de police ou d'animaux de thérapie, selon les besoins de la victime;
- le concept d’un « mentor » pour la victime, qui l’accompagne et la soutient tout au long du processus. Un mentor a été mis à la disposition de certains participants aux programmes et cela a été jugé utile;
- tenir compte des conseils des participants aux séances d'écoute sur la manière dont les programmes de justice réparatrice pourraient offrir une participation plus significative et plus sûre aux victimes. Ils ont souligné la nécessité d'une information plus claire dès le départ sur la façon dont le programme pourrait répondre aux besoins de la victime en matière de soins et de soutien, et sur la façon dont la justice réparatrice les concerne aussi, et pas seulement le délinquant;
- veiller à ce que les programmes de justice réparatrice responsabilisent les délinquants et à ce qu'il y ait un recours si les délinquants ne respectent pas les ententes. Les participants ont estimé que les délinquants devraient bénéficier d'un soutien et d'une assistance pour participer de manière appropriée aux processus de justice réparatrice, afin de garantir que ces processus soient productifs pour toutes les parties.
Améliorer l’expérience de substitution de la victime. Des substituts sont désignés pour les victimes qui ne veulent pas ou ne peuvent pas participer au processus. Voici quelques suggestions :
- veiller à ce que les victimes soient consultées afin que le substitut ait une compréhension appropriée des besoins et des désirs de la victime avant de s'engager dans le processus de justice réparatrice.
- tenir les victimes informées du processus et des résultats lorsque l’on a fait appel à un substitut. Dans les cas où une victime est timide, il a été suggéré que la victime puisse accompagner le substitut afin qu'elle puisse avoir la possibilité de rencontrer le délinquant.
Un meilleur accès à de la formation sensible aux besoins de la victime pour les animateurs. Les victimes ont exprimé combien il était important pour elles d'avoir un animateur qui leur inspire confiance et avec lequel elles peuvent établir des rapports. Les participants ont mis en évidence certaines compétences ou certains domaines d'expertise importants :
- des services qui « tiennent compte des traumatismes »;
- des animateurs capables d'agir à la fois au nom du délinquant et de la victime;
- des membres du personnel du programme de justice réparatrice (y compris le personnel de soutien) qui sont sensibles et compatissants envers les victimes.
La plupart des participants aux séances d'écoute ne pensent pas que les processus de justice réparatrice doivent être limités à des infractions particulières; ils estiment toutefois qu'il est important que les animateurs du programme soient formés concernant une série d'infractions ainsi que sur les questions de sécurité et les autres enjeux qui peuvent être associés à différents types de crimes.
Réflexions sur les séances d’écoute
Les auteurs ont souligné que de nombreuses victimes ont trouvé utile de participer à la séance d'écoute. Certaines ont estimé que cela les a aidées à se sentir plus connectées, et quelques-unes ont même estimé que la séance d'écoute a eu un impact plus important que le processus de justice réparatrice sur leur bien-être. Dans cet esprit, il a été suggéré qu'il serait utile d'avoir un mécanisme par lequel les victimes pourraient communiquer entre elles et se retrouver, afin de s’aider à surmonter leur traumatisme, et ce, pour les personnes à différentes étapes de leur parcours de justice réparatrice, ainsi que pour les « anciens » du processus.
Conclusion
Mme Bargen et ses collègues ont conclu que les séances d'écoute offraient une occasion unique d'entendre parler de l'immense potentiel des processus de justice réparatrice pour répondre aux besoins des victimes de manière significative. Des améliorations aux processus de justice réparatrice pourraient viser à les rendre plus adaptables, à optimiser les choix et l’information pour les victimes, à privilégier les mesures de soutien souples et le suivi, et, pour le système dans son ensemble, à déterminer comment créer des structures de financement durables à l’appui des programmes qui apporteront ces améliorations.
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