Analyse des lacunes au chapitre des services offerts aux victimes et aux survivants d’exploitation sexuelle et de violence sexuelle contre les enfants en ligne au Canada
Constatations
Revue de la littérature
La prolifération rapide des nouvelles technologies numériques a donné lieu à une augmentation de l’exploitation sexuelle des enfants en ligne. L’ESVSE en ligne se manifeste de plusieurs façons, dont l’accès à du matériel de violence sexuelle facilité par la technologie par les personnes qui ont un intérêt sexuel envers les enfants et la possession, la production ou la distribution de ce type de matériel. Comme le démontre les précédentes recherches de Jennifer Martin auprès des fournisseurs de services aux enfants et aux jeunes (Martin, 2013; Martin, 2014; Martin 2015; Martin, 2016; Martin et Alaggia, 2013), bien des intervenants ne savent pas comment adapter leurs méthodes actuelles pour répondre aux cas de violence sexuelle envers des enfants facilités par la technologie en raison du manque de recherches et de théories sur les problèmes complexes concernant les modes d’intervention (British Association of Social Workers, 2013; Martin, 2014; Martin, 2016; Martin, Brady, Kwhali, Brown, Crowe et Matouskova, 2014; Rimer, 2008; von Weiler, Haardt-Becker et Schulte, 2010).
On considère généralement que l’ESVSE en ligne peut prendre trois formes :
- la cyberprédation et la sollicitation sexuelle;
- la prostitution juvénile et la traite d’enfants; et
- l’enregistrement et la distribution d’images de violence sexuelle en ligne.
La cyberprédation et la sollicitation sexuelle peuvent se définir comme l’utilisation d’Internet pour établir ou entretenir le contact avec des enfants afin de les amadouer et de les pousser à avoir des activités ou des conversations à caractère sexuel en ligne ou hors ligne (Gámez–Guadix, Almendros, Calvete et De Santisteban, 2018; Kloess, Beech et Harkins, 2014; Madigan et coll., 2018; Slane, 2011; Wolak, Mitchell et Finkelhor, 2006; Wurtele et Kenny, 2016), ce qui peut mener à l’extorsion sexuelle de la jeune victime. (Acar, 2016).
La prostitution juvénile et la traite d’enfants impliquent le recours à Internet pour vendre et acquérir de jeunes victimes, ainsi que l’échange de rapports ou d’actes sexuels pour des drogues, de la nourriture, un refuge, de la protection, de l’argent ou d’autres nécessités de la vie quotidienne (Acar, 2016; Muir, 2005).
L’enregistrement et la distribution d’images de violence sexuelle en ligne font référence à la création et à la distribution d’images sexuelles (vidéos avec ou sans bande audio, photographies et diffusion en direct) d’enfants et d’adolescents (Carr, 2003; Dodge et Spencer, 2018; Jones et Skogrand, 2006; Martin, 2014, 2015; McGlynn, Rackley et Haughton, 2017; Muir, 2005; Wolak, Finkelhor et Mitchell, 2005).
Les estimations de la prévalence des cas d’ESVSE en ligne dépendent des connaissances et des moyens disponibles pour signaler les expériences en ligne problématiques ou négatives (Kloess, Beech et Harkins, 2014). En 2016, le CCPE a publié un rapport d’analyse de données recueillies lors de signalements transmis à Cyberaide.ca, la centrale canadienne de signalement des cas d’ESVSE en ligne. Les auteurs ont étudié 152 000 signalements et 43 762 images considérées comme de la pornographie juvénile. Parmi ces images, 78 % représentaient des enfants prépubères et plus de 53 % des actes de violence sur des enfants de moins de 12 ans impliquaient des agressions et des actes sexuels explicites et des agressions sexuelles extrêmes. La plupart des agressions extrêmes étaient perpétrées à l’endroit d’enfants de moins de 8 ans.
Des recherches précédentes ont révélé que les auteurs d’ESVSE en ligne sont le plus souvent des membres de la famille de l’enfant (37 %) ou des connaissances de la famille (36 %) (Martin, 2014; Martin et Alaggia, 2013; Mitchell, Finkelhor et Wolak, 2005; Slane, 2009). Les cas d’ESVSE en ligne se caractérisent par le fait que les images numériques sont accessibles sur Internet, ce qui les rend potentiellement permanentes et, par le fait même, favorise l’exploitation constante de la jeune victime dans le temps (Martin et Alaggia, 2013).
Notre revue de la littérature a révélé des lacunes dans les recherches sur les traitements, ainsi que dans l’éducation, la formation et la supervision des fournisseurs de services qui travaillent avec les victimes d’ESVSE en ligne. Plus précisément, il existe un sérieux manque de connaissances et de recherches documentées, particulièrement en ce qui concerne les traitements cliniques et les services de soutien spécialisés (Centre canadien de protection de l’enfance, 2016; Leonard, 2010; Martin 2015; Martin, 2016; Martin et Alaggia, 2013; Palmer, 2015; von Weiler, Haardt-Becker et Schulte, 2010). Il est également essentiel de concevoir des interventions adaptées aux différentes situations : enfants exploités sexuellement en ligne ou hors ligne; victimes ayant ou croyant avoir consenti aux actes assimilables à de l’exploitation; victimes ayant produit elles-mêmes leurs images; et ESVSE en ligne n’impliquant aucun contact physique. Comme les conséquences des cas d’ESVSE en ligne peuvent différer selon qu’il s’agit d’un enfant ou d’un adolescent, des interventions adaptées devraient aussi être conçues en fonction de l’âge de l’enfant et de son stade de développement (Martin, 2014; Palmer, 2015).
La revue de la littérature a aussi révélé des lacunes dans les traitements psychologiques visant à faciliter la dénonciation des cas d’ESVSE en ligne pour les victimes. Elle a également permis de constater la nécessité de mener des études en vue de la mise en œuvre de cours et de formations destinés aux fournisseurs de traitements et de services de soutien aux victimes d’ESVSE en ligne, et d’en évaluer l’efficacité. Cela devrait inclure une meilleure compréhension des différents risques et préjudices, ainsi que l’évaluation de l’efficacité des méthodes de supervision clinique.
Intervenir efficacement en cas d’ESVSE en ligne nécessite une solide collaboration entre les fournisseurs de services (Centre canadien de protection de l’enfance, 2016; Slane, et coll., 2018). La formation et l’élaboration de politiques devraient être interdisciplinaires et modulées en fonction de la profession et du rôle de chacun (Slane et coll., 2018). La formation devrait aussi porter sur l’impact de l’ESVSE en ligne sur les fournisseurs de services, particulièrement dans le cas d’images et de bandes audio de violence (Martin et Alaggia, 2013). Dans leur article publié en 2019, Gewirtz-Meydan, Lahav, Walsh et Finkelhor soulignent la nécessité d’identifier et de traiter les enfants ayant vécu une expérience d’ESVSE en ligne, notamment parce que les jeunes survivants présentent des degrés plus élevés de psychopathologie à l’âge adulte. Ils affirment qu’une thérapie immédiate est préférable, étant donné les répercussions des réponses émotionnelles lors du crime, et peu après, sur la santé mentale des victimes. Ils recommandent que les cliniciens interviennent lorsque les réactions des victimes ne sont pas adaptées à l’aide d’approches appropriées à chacune de ces réactions. Les auteurs suggèrent aussi que des techniques spéciales soient conçues et utilisées pour diminuer le sentiment de honte chez les survivants d’ESVSE en ligne.
La protection contre la violence fait partie des droits fondamentaux des enfants. Même si l’on est beaucoup plus sensible au phénomène de l’ESVSE en ligne, la capacité d’intervenir efficacement demeure limitée par le manque de connaissances, de théories et de recherches (Martin, 2014; Slane et coll., 2018). Néanmoins, des ressources et du soutien devraient exister pour regrouper, intégrer et mettre à jour ce qui se fait pour les jeunes victimes et les survivants de crimes sexuels, pour renforcer les capacités des fournisseurs de services et pour adopter des approches fondées sur des données probantes dans les interventions auprès des victimes et pour instaurer les fondements essentiels à une formation, à des travaux de recherche et à la diffusion de connaissances intersectorielle axés sur la collaboration à long terme (Martin et Alaggia, 2013; Slane et coll., 2018). La recherche sur les enfants victimes d’ESVSE en ligne est essentielle pour y parvenir.
Recherche sur le Web
Une recherche approfondie a également été menée sur le Web, laquelle portait principalement sur les organismes offrant des programmes et services aux victimes et aux survivants d’ESVSE en ligne au Canada. La recherche a commencé par mots clés pour chacune des provinces et chacun des territoires (p. ex., « exploitation sexuelle en ligne [province] », « exploitation sexuelle des enfants au Canada » et « Internet exploitation [province] »). Ensuite, trois rapports sur des organismes qui offrent des services aux victimes ont été étudiés afin de trouver leurs sites Web : Environmental Scan and Gap Analysis: Online and Technology Facilitated Child Sexual Exploitation de Gelder, Gingras et Associates (le rapport produit pour Sécurité publique Canada en 2016); Les services d’aide aux victimes au Canada 2018 (le rapport de la Division de la recherche et de la statistique du ministère de la Justice du Canada); et le Répertoire des services aux victimes du ministère de la Justice du Canada.Le site Web de chacun des organismes a ensuite été étudié afin de déterminer la population ciblée par leurs services et d’établir si ces derniers étaient adaptés aux besoins particuliers des victimes ou des survivants d’ESVSE en ligne. Dans certains cas, une recherche par mot clé a été effectuée dans le site Web pour repérer les mentions d’ESVSE en ligne. Un courriel a ensuite été envoyé à certains des organismes pour clarifier l’offre de services de leurs programmes. De façon générale, la recherche sur le Web a confirmé qu’une multitude d’organismes ont pour présentement pour mandat d’offrir des ressources et de l’information pour lutter contre la victimisation sexuelle, bien que pratiquement aucun d’entre eux ne soit spécialisé dans les cas d’ESVSE en ligne.
Le CCPE offre un éventail de ressources en lien avec l’ESVSE en ligne, bien que leurs principaux et plus anciens services soient axés sur les enquêtes (p. ex., Cyberaide.ca, la centrale canadienne de signalement) et, plus récemment, le retrait d’images en ligne (p. ex., le projet Arachnid). Il s’agit de programmes importants qui contribuent à la lutte contre l’ESVSE en ligne, mais ils n’entrent pas dans le cadre de la présente étude, puisque ce ne sont pas des services directs aux victimes.
Le CAEA de Boost 1 est le seul organisme qui administre un programme de soutien et d’aiguillage destiné aux victimes d’ESVSE en ligne, soit le Programme de counseling en cas d’exploitation d’enfants sur Internet (Programme de counseling EEI). Ce programme, créé et financé par le Secrétariat ontarien des services aux victimes du ministère du Procureur général, fournit aux victimes d’ESVSE en ligne et à leurs familles (ainsi qu’aux familles de certains accusés) un aiguillage et du financement pour du counseling à court terme immédiat. D’autres programmes d’intervention en cas d’exploitation d’enfants sur Internet (EEI) sont offerts dans des services de police partout au Canada, mais ils sont spécialisés dans les enquêtes des cas d’ESVSE en ligne et n’offrent pas de services de soutien aux victimes. Si d’autres sites Web de fournisseurs de services aux victimes mentionnent « l’exploitation sexuelle d’enfants en ligne ou sur Internet » ou « les images en ligne de violence envers des enfants » dans la liste des crimes pour lesquels ils offrent des services aux victimes, aucun d’entre eux, à l’exception du CAEA de Boost, n’indique offrir des services de soutien spécialisés ou des traitements en lien avec l’ESVSE en ligne.
La recherche sur le Web n’a révélé aucun fournisseur de services de traitement ou de soutien spécialisés pour les victimes et les survivants d’ESVSE en ligne que nous ne connaissions pas déjà. Toutefois, elle a permis de constater le rôle majeur que le réseau des centres d’aide aux victimes d’agression sexuelle joue dans l’offre de services aux personnes affectées par de la violence sexuelle. Le site Web de bien des centres canadiens d’aide aux victimes d’agression sexuelle mentionne l’exploitation sexuelle en ligne, la cyberprédation, l’exposition à des images sexuelles et la diffusion d’images sexuelles sous la contrainte comme exemples de violence sexuelle. La recherche sur le Web n’a toutefois pas révélé l’offre de services de traitement et de soutien spécialisés. On y mentionnait seulement que les victimes d’ESVSE en ligne étaient admissibles aux services généraux offerts aux victimes et aux survivants d’agression sexuelle.
Constatations tirées des entrevues
Des représentants de 17 fournisseurs de services canadiens ont été interviewés. Les 12 mêmes questions leur ont été posées (voir les annexes A et B) afin de recueillir leurs points de vue sur les programmes et les services de soutien offerts aux victimes et aux survivants d’ESVSE en ligne, y compris sur les lacunes au chapitre des services et les pratiques prometteuses. Les questions abordaient les sujets suivants :
- l’offre de services spécialisés;
- les lacunes au chapitre des services spécialisés;
- la formation actuelle et ses lacunes;
- les partenariats avec d’autres fournisseurs de services et organismes communautaires afin d’offrir des services aux victimes d’ESVSE en ligne;
- les pratiques prometteuses pour répondre aux besoins particuliers des victimes d’ESVSE en ligne et de leurs familles;
- les difficultés particulières rencontrées dans l’offre de services aux victimes d’ESVSE en ligne et à leurs familles.
Les pages suivantes contiennent les constatations générales dégagées des entrevues (voir l’annexe C pour consulter le résumé des résultats d’entrevue par provinces et territoires). Les réponses du CAEA de Boost et du CCPE ont été isolées à l’occasion, car leur mission est beaucoup plus axée sur l’ESVSE en ligne que celle des autres organismes.
Lorsqu’ils ont été questionnés sur les services de soutien spécialisés en ESVSE en ligne, la plupart des répondants ont parlé des services offerts par leur organisme aux victimes de crimes de façon générale. Lorsqu’ils ont mentionné des services spécialisés, ils faisaient souvent référence aux services de traitement et de soutien pour les cas d’agression et de violence sexuelles, parfois plus précisément pour les cas de violence sexuelle envers des enfants, mais jamais pour l’ESVSE en ligne. Les répondants ayant une expérience avec des victimes d’ESVSE en ligne avaient, la plupart du temps, eu affaire à des cas de cyberprédation, d’échange d’images entre pairs ou de traite de personnes. La plupart des répondants étaient incapables de nommer des services spécialement destinés aux victimes de crimes en ligne ou d’expliquer en quoi ces services diffèrent de ceux offerts aux victimes de crimes sexuels sans composantes en ligne. La plupart des répondants des CAEA et des services aux victimes provinciaux avaient une vision traditionnelle de la violence sexuelle envers des enfants et de l’exploitation sexuelle hors ligne et des services de soutien dans leurs réponses.
Services offerts
La plupart des répondants mentionnaient la structure générale des services de soutien offerts à toutes les victimes de crimes ou à toutes les victimes de crimes admissibles à du counseling (p. ex., crimes violents), parfois plus précisément aux victimes de crimes sexuels ou plus précisément aux victimes de violence sexuelle contre des enfants. La famille reçoit habituellement des services de soutien destinés aux jeunes victimes (en d’autres mots, la famille ne reçoit pas de services de soutien distincts). De façon générale, les adultes survivants ne sont admissibles aux services que s’ils jouent un rôle actif dans un procès lié à un cas d’ESVSE survenu dans le passé.
On peut constater que la plupart des services de soutien offerts par les organismes provinciaux de services aux victimes effectuent des aiguillages vers des organismes (dont les CAEA) qui fournissent des services fondés sur des approches non spécialisées pour traiter les traumatismes liés à la violence sexuelle contre des enfants, qui ne sont pas spécialement adaptés aux cas d’ESVSE en ligne. Les répondants étaient incapables de nommer des méthodes d’intervention, de soutien ou de traitement adaptées aux particularités des cas d’ESVSE en ligne. Cela ne veut toutefois pas dire que la vaste expérience des organismes qui traitent les traumatismes et les nombreuses approches spécialisées qu’ils utilisent pour intervenir en cas d’agression ou de violence sexuelles ne sont pas pertinentes en cas d’ESVSE en ligne. Cependant, le manque d’approches fondées sur des données probantes et spécialement conçues pour les cas d’ESVSE en ligne représente une lacune.
Les organismes provinciaux de services aux victimes et les CAEA du pays aiguillent les victimes, les survivants et leurs familles vers les services d’autres organismes ou conseillers individuels afin qu’ils répondent à leurs besoins en matière de traitement. Or, ces services sont limités. Si les thérapies non spécialisées tenant compte des traumatismes sont aisément accessibles et utiles pour les victimes et leurs familles, elles ne parviennent pas toujours à répondre aux besoins additionnels et parfois distincts des survivants d’ESVSE en ligne.
Certains offrent une gamme de services et de ressources d’information destinés particulièrement aux victimes d’ESVSE en ligne et à leurs familles. Au Canada, cependant, les fournisseurs de services sont incapables d’offrir des programmes de traitement fondés sur la recherche et évalués pour répondre aux besoins complexes des victimes et des survivants d’ESVSE en ligne, puisque de tels programmes n’existent tout simplement pas à l’heure actuelle. Le CAEA de Boost, en Ontario, tient une liste des conseillers qui offrent des traitements non spécialisés par l’intermédiaire du Programme de counseling EEI. De l’aide financière à court terme est offerte sans délai aux victimes d’ESVSE en ligne, dès que l’on constate un besoin criant de soutien. Les temps d’attente sont donc minimes. Les conseillers inscrits sur la liste offrent des traitements en vertu de ce programme d’aide financière, souvent en recourant à une approche tenant compte des traumatismes. Il n’y a toutefois aucun conseiller possédant l’expertise spécialisée nécessaire pour répondre aux besoins complexes découlant de ce type de violence. Par ailleurs, s’il n’y a pas de liste d’attente actuellement pour les services destinés aux victimes d’ESVSE en ligne, plus de fonds sont nécessaires, puisque le nombre d’aiguillages ne cesse d’augmenter.
Le CCPE offre les ressources et les services d’aiguillage suivants aux victimes d’ESVSE en ligne :
- accompagnement des personnes qui souhaitent faire un signalement à la police;
- accompagnement des victimes qui souhaitent faire retirer du contenu (p. ex., marche à suivre pour demander à des médias sociaux ou à des sites Web de retirer des images intimes publiées sans leur consentement);
- accompagnement des victimes qui préparent une déclaration de la victime (DV) 2 *;
- accompagnement des victimes qui doivent remplir une demande d’indemnisation.
Les répondants du CCPE ont mentionné que lorsqu’une victime communique avec eux, ils l’aiguillent vers les ressources appropriées dans sa communauté (p. ex., services de police, protection de la jeunesse, counseling et avocat dans le système des États-Unis). On ne sait toutefois pas si le CCPE a des contacts avec des services de counseling plus spécialisés, étant donné que ces services sont rares au Canada. Il est fort probable que l’aiguillage soit fait vers des services de counseling non spécialisés.
Le CCPE accompagne aussi les gens dans la préparation des déclarations des répercussions sur la collectivité (DRC) qui seront soumises au juge chargé de déterminer la peine. Les DRC servent à décrire les dommages ou les pertes subies par une collectivité en raison d’une infraction. Le CCPE utilise les données recueillies par l’intermédiaire de Cyberaide.ca, de l’Enquête internationale auprès des survivantes et survivants et de Phoenix 11 pour rédiger des DRC dans lesquelles sont décrites les conséquences de ces crimes sur les victimes, particulièrement les conséquences des infractions liées à la possession de pornographie juvénile.
Le CCPE a aussi des ressources particulières pour les adolescents dont les images intimes ont été distribuées à leurs pairs (ce que le CCPE appelle l’autoexploitation juvénile). Il a notamment un site (AidezMoiSVP.ca) pour aider les adolescents à limiter la propagation de photos et de vidéos à caractère sexuel et leur proposer des ressources pour trouver des services de soutien. On y explique les démarches à entreprendre pour communiquer avec les fournisseurs de service et faire retirer une photo ou une vidéo, en plus de fournir de l’information sur l’importance d’obtenir du soutien moral et sur certaines infractions prévues par le Code criminel. On y conseille également aux jeunes de communiquer avec Cyberaide.ca pour obtenir de l’assistance et de l’information supplémentaire sur l’ESVSE en ligne. Le site contient aussi des ressources destinées aux parents et aux autres adultes de confiance qui aident les jeunes impliqués dans ce genre de situation, comme le Guide pour les familles : Faire face à l’autoexploitation juvénile.
Le CCPE organise plusieurs groupes de défense composés de victimes et de leurs familles afin qu’ils contribuent à l’élaboration de politiques, aux ressources et aux recherches futures sur l’aide appropriée à offrir aux survivants d’ESVSE en ligne. Il a également créé un groupe de mères survivantes. Ce groupe ne s’adresse pas uniquement aux parents non délinquants de victimes d’ESVSE en ligne. Il sert plutôt de plateforme pour provoquer des changements dans les services de soutien aux parents non délinquants touchés par les crimes liés à la violence sexuelle envers des enfants de façon générale. Ses activités consistent notamment à intervenir en lien avec les ressources nécessaires et l’enquête auprès des familles (voir ci-après) et à préparer et à enregistrer des déclarations des répercussions sur la collectivité au nom des mères survivantes de la collectivité.
Le CCPE a mené ou mène actuellement des sondages sur :
- les adultes survivants d’ESVSE en ligne (Enquête internationale auprès des survivantes et survivants menée actuellement en ligne); et
- les membres des familles des survivantes et survivants (quoique cette enquête ne porte pas précisément sur l’ESVSE en ligne). Le CCPE affirme que le but de ces enquêtes est de colliger des expériences qui pourront alimenter les démarches pour défendre les victimes et les survivants et contribuer à la préparation des DRC.
De façon générale, si les services et les ressources d’information disponibles sont louables, des lacunes demeurent pour les victimes et les survivants d’ESVSE en ligne et leurs familles. Il faudrait faire un effort supplémentaire pour veiller à ce qu’ils reçoivent des services de soutien spécialisés efficaces au moment opportun.
Lacunes au chapitre des services
Si la plupart des services de soutien offerts aux victimes sont généralement non spécialisés et rarement propres aux cas d’ESVSE en ligne, on observe également des lacunes dans la prestation de services non spécialisés (p. ex., manque d’accès à du counseling à long terme, manque de conseillers dans certaines collectivités, manque de communication entre les fournisseurs de services et manque de fonds pour la formation et le perfectionnement professionnel).
Les fonds consacrés aux services de counseling varient selon les provinces. Certains répondants ont souligné que les victimes d’ESVSE en ligne ne sont pas toujours admissibles aux services de counseling parce que certaines provinces ne les financent pas pour les victimes d’infractions « sans contact ». La cyberprédation ou l’échange d’images sexuelles en ligne n’impliquent pas toujours un contact direct avec le cyberprédateur. Au Québec, ces actes ne sont pas considérés comme des crimes violents et ne sont donc pas admissibles à de l’aide financière pour du counseling. Il s’agit d’une lacune dans la prestation de services, puisque l’offre de services de counseling gratuits pour les cas d’ESVSE en ligne sans contact varie selon le lieu de résidence de la victime.
De la formation doit aussi être offerte aux conseillers afin qu’ils connaissent les meilleures façons d’intervenir dans les cas d’ESVSE en ligne. Les victimes sont actuellement aiguillées vers des conseillers qui, la plupart du temps, n’ont pas d’expérience d’intervention en cas d’ESVSE en ligne, bien qu’ils aient habituellement de l’expérience de traitement de victimes de violence sexuelle. Comme la prévalence des cas d’ESVSE en ligne est en hausse, les conseillers doivent connaître les particularités des cas d’ESVSE en ligne, ainsi que les pratiques exemplaires en matière de traitement.
Un répondant du CAEA de Boost a reconnu la lacune en évaluation des programmes et des traitements pour les cas d’ESVSE en ligne en affirmant que « [traduction] les gens prennent part à des traitements et à du counselling, mais nous ne savons pas si ça fonctionne. La TCC [thérapie cognitivo-comportementale] était l’approche privilégiée, mais on commence à la remettre en question. Comment offrir une formation digne de ce nom si elle ne s’appuie pas sur des données probantes? ».
Certains répondants ont dit qu’ils voient rarement des cas d’ESVSE en ligne, voire aucun, et qu’ils en ignoraient donc les conséquences sur les victimes et les survivants, de même que les façons de leur offrir des services de soutien. Il n’est donc pas prioritaire, à leurs yeux, de développer une expertise spécialisée dans le domaine. Il n’est pas exclu, cependant, que le faible nombre de cas d’ESVSE en ligne mentionné par les répondants soit attribuable au fait que les fournisseurs de services ne s’informent pas du rôle potentiel de la technologie lors de leurs interventions auprès des victimes de violence sexuelle contre des enfants. Toutefois, lorsqu’on a questionné les répondants sur les lacunes au chapitre des services destinés aux victimes d’ESVSE en ligne, ils ont souvent répondu que les enfants et les jeunes pouvaient décider de ne pas en parler pour différentes raisons, y compris le fort besoin d’autoprotection par le déni de l’existence de ces images et la peur qu’elles soient vues, même par une personne qui souhaite leur venir en aide.
Certains répondants ont mentionné des lacunes en matière de connaissances plutôt que des lacunes en matière de services. Certains, par exemple, ont dit souhaiter être mieux informés des façons d’aider les victimes à faire retirer les images, tandis que d’autres ont dit avoir le sentiment que leur méconnaissance des technologies utilisées pour l’ESVSE en ligne constituait un obstacle à l’acquisition de l’expertise nécessaire pour mieux servir ces clients.
Formation
Interrogés sur la formation, bien des répondants ont nommé les conférences ou les présentations auxquelles ils avaient participé, lors desquelles les particularités et les dommages propres à l’ESVSE en ligne avaient été abordés (p. ex., conférence organisée par le CCPE et webinaires du CAEA de Boost). Ce genre d’événements ne sont pas réellement des formations sur les façons d’offrir du soutien aux victimes en lien avec les préjudices particuliers associés à l’ESVSE en ligne, comme du counseling et de l’accompagnement en vue d’un procès. Bien que ces événements soient un bon point de départ pour obtenir de l’information sur la victimisation découlant de l’ESVSE en ligne ou sur les préjudices particuliers subis par ces victimes, ils risquent peu d’améliorer les services de soutien ou les traitements offerts. Un répondant du CAEA de Boost a souligné que les cliniciens sont prêts à accepter des clients victimes d’ESVSE en ligne, mais « [traduction] qu’on ne sait pas trop s’ils transfèrent leurs compétences et leurs connaissances dans le secteur de l’EEI [exploitation d’enfants sur Internet] et, si oui, comment ».
Bien des répondants étaient conscients du manque de formation et de perfectionnement professionnel spécialisés pour offrir de meilleurs services de soutien et, tout particulièrement, de meilleurs services cliniques aux victimes d’ESVSE en ligne. Il existe des formations de qualité sur les pratiques exemplaires auprès des victimes d’agression et de violence sexuelles, mais très peu, voire aucune, axées sur l’ESVSE en ligne. S’il est important d’offrir des formations sur le soutien en cas de violence sexuelle, aucun des répondants n’a mentionné que l’ESVSE en ligne était abordée dans les formations actuelles. Les formations axées sur l’ESVSE en ligne sont habituellement offertes séparément; or, bien des cliniciens ne les suivent pas par manque de temps et d’argent pour leur perfectionnement professionnel. Ces constatations suggèrent que l’intégration d’une formation sur l’ESVSE en ligne dans les formations actuelles sur les agressions sexuelles (lorsque des données probantes auront été colligées) pourrait faire en sorte que plus de fournisseurs de services soient au courant des pratiques exemplaires.
Le CCPE propose, sur son site Web, des ressources de mobilisation des connaissances sectorielles sur l’ESVSE en ligne (p. ex., travail social et protection de la jeunesse, secteur juridique, application de la loi, thérapeutes, éducateurs, personnel médical et fournisseurs de soins de santé). Toutefois, ces ressources ne suffisent pas pour répondre aux besoins des victimes d’ESVSE en ligne.
Il reste encore à concevoir et adopter des approches fondées sur des données probantes pour répondre aux besoins des victimes d’ESVSE en ligne, les soutenir et, surtout, leur offrir des traitements adéquats, ce qui aiderait aussi à déterminer les formations qui font le plus défaut aux fournisseurs de services.
Partenariat avec d’autres organismes
Des partenariats solides ont été établis au sein de certains organismes qui offrent des services de soutien aux victimes de crimes et entre eux. Ces partenariats peuvent être locaux ou nationaux. Ils peuvent aussi avoir été établis de façon structurée ou s’être développé naturellement avec le temps. Le CAEA de Boost, par exemple, organise des rencontres annuelles de tous les CAEA du Canada, ce qui a permis de solidifier le réseau des CAEA au fil des ans. Les partenariats multidisciplinaires au sein des CAEA sont louables et efficaces, puisqu’ils assurent une offre de services de soutien importants aux jeunes victimes. Ils devraient constituer la base de la prestation de services de soutien spécialisés aux jeunes victimes d’ESVSE en ligne.
Tous les répondants ont indiqué que leur organisme travaille en partenariat avec d’autres organismes et aiguille vers d’autres conseillers ou organismes communautaires. La plupart des répondants ont mentionné collaborer avec d’autres organismes qui offrent des services aux victimes d’agression sexuelle (p. ex., centres d’aide pour victimes de viol), et certains d’entre eux ont nommé des organismes qui travaillent tout particulièrement avec les victimes de traite de personnes. Certains ont suggéré que ces fournisseurs de services bien établis pourraient améliorer leur offre en y intégrant des pratiques fondées sur des données probantes concernant la composante numérique des agressions sexuelles et de la traite de personnes.
Le réseautage et les partenariats, qui sont monnaie courante, constituent l’une des forces de la prestation de services aux victimes. Par conséquent, lorsque des pratiques exemplaires et des formations fondées sur des données probantes seront mises en place, leur diffusion parmi les fournisseurs de services, particulièrement dans les CAEA, devrait se faire naturellement. Tous les répondants ont souligné qu’ils font tout en leur pouvoir pour collaborer et diffuser ce qu’il savent au sujet des interventions auprès des victimes d’ESVSE en ligne, mais également que leurs connaissances sont limitées et qu’il n’y a actuellement aucune structure en place pour les aider à colliger et à diffuser leurs expériences de prestation de services (particulièrement de counseling) aux victimes d’ESVSE en ligne. Cette situation fait en sorte que bien des répondants ne sont certains ni d’offrir le soutien le plus adéquat ni d’aiguiller vers les conseillers les plus appropriés.
Pratiques prometteuses
De façon générale, les répondants ont peu abordé les pratiques prometteuses spécialement pour la prestation de services de soutien aux victimes d’ESVSE en ligne. Si la plupart d’entre eux disaient connaître différentes approches de traitement des traumatismes, plusieurs ont répété ne pas être au fait de pratiques spécialisées pour les cas d’ESVSE en ligne.
Les répondants du CAEA de Boost ont dit avoir dégagé des pistes prometteuses pour le développement de services de soutien, comme l’intérêt récent pour le soutien aux parents non délinquants de victimes d’ESVSE en ligne, particulièrement lorsqu’une personne déclarée coupable d’infractions de possession de pornographie juvénile a toujours accès à ses enfants. Ils ont également mentionné l’attention accrue accordée aux traitements destinés aux cyberprédatrices et aux services destinés aux victimes et aux survivants de conditionnement en ligne.
Les répondants du CCPE ont mentionné leurs propres projets comme pratiques prometteuses. Par exemple, le CCPE collecte des données auprès des adultes survivants et des familles des victimes dans le cadre d’enquêtes et de groupes de défense. Il pourrait donc alimenter la conception d’approches de traitement fondées sur des données probantes et contribuer à l’amélioration des services destinés aux survivants d’ESVSE en ligne.
Difficultés particulières
Questionnés sur les difficultés particulières rencontrées lors de la prestation de services spécialisés aux victimes d’ESVSE en ligne, les répondants ont réitéré plusieurs fois les problèmes mentionnés précédemment concernant les services et la formation. Certains ont insisté sur le fait que les difficultés rencontrées dans la prestation de services aux victimes sont beaucoup plus grandes dans le cas de victimes d’ESVSE en ligne. Ils ont notamment souligné la difficulté d’offrir des services en milieu rural en raison de nombreux obstacles, dont le manque de conseillers qualifiés et la distance à parcourir pour obtenir des services de soutien. Certains répondants ont mentionné que ces obstacles sont particulièrement difficiles à surmonter dans le cas d’ESVSE en ligne, étant donné que les conseillers qualifiés sont rares dans les meilleures circonstances.
D’autres ont souligné la complexité de certains cas, dont ceux impliquant des victimes dans plusieurs administrations, et les difficultés liées à la prestation de services aux victimes lorsque le procès a lieu en d’autres lieux. Certains répondants ont aussi mentionné que la culpabilisation de la victime nuisait à l’accès aux services de soutien, puisqu’on suppose souvent que les victimes de cyberprédation, par exemple, ont partiellement participé de façon volontaire à la création d’images sexuelles. Cela constitue un obstacle supplémentaire aux dénonciations et aux appels à l’aide, étant donné que les victimes se jugent responsables de leur victimisation. Un autre problème mentionné par les répondants est la présence – dans les documents d’information sur la sécurité en ligne destinés à prévenir l’échange d’images sexuelles entre pairs – de messages insistant sur le fait que l’échange d’images sexuelles de mineurs est un crime. Or, ces messages peuvent empêcher des victimes de dénoncer des cas d’ESVSE parce que « [traduction] les enfants ont peur d’être inculpés ».
Plusieurs répondants se sont dits inquiets des approches largement utilisées pour offrir du soutien en santé mentale aux victimes de crimes (p. ex., TCC tenant compte des traumatismes), qui ne répondent pas adéquatement aux besoins particuliers des victimes d’ESVSE en ligne. Plusieurs répondants ont rapporté le peu de mentorat et de supervision des conseillers, alors que d’autres ont mentionné l’absence d’entraide entre pairs chez les praticiens effectuant ce genre d’interventions. Les répondants du CAEA de Boost ont souligné qu’intervenir adéquatement auprès des victimes d’ESVSE en ligne nécessite un échange de connaissances entre les professionnels, une supervision efficace et le mentorat des conseillers intéressés par ce genre d’interventions, et que cela doit pouvoir mener à des directives de traitement plus solides et fondées sur des données probantes.
Les répondants du CCPE ont mentionné de nombreuses autres difficultés propres à la prestation de services aux victimes d’ESVSE en ligne et à leurs familles, en plus de celles rapportées précédemment, à savoir le manque :
- de protocoles fondés sur des données probantes sur les meilleures façons d’intervenir auprès des jeunes victimes (p. ex., à quel moment informer un enfant qui ne sait pas que la violence qu’il a subie a été enregistrée);
- de protocoles fondés sur des données probantes concernant les meilleurs conseils à donner aux parents de jeunes victimes sur les conséquences à long terme de l’ESVSE en ligne et sur ce qu’ils peuvent faire pour protéger leur enfant au fil du temps;
- de financement et de thérapies à long terme, étant donné que bon nombre de services aux victimes n’offrent que du soutien immédiat ou à court terme;
- de protocoles sur les façons de soutenir les victimes d’ESVSE en ligne en ce qui a trait aux menaces potentielles à leur sécurité dans les cas où des cyberprédateurs pourraient continuer à s’intéresser à elles (p. ex., collectionneurs de pornographie juvénile);
- de protocoles sur les façons de protéger le mieux possible l’anonymat des victimes d’ESVSE en ligne sans pour autant nuire aux procédures judiciaires et à la tenue de dossiers exacts;
- d’assistance uniforme aux victimes d’ESVSE en ligne en ce qui a trait aux recours judiciaires auxquels elles pourraient avoir droit (p. ex., confiscation, restitution et fonds d’indemnisation des victimes).
Toutes ces difficultés militent en faveur de la nécessité de mener d’autres travaux de recherche et d’évaluation sur les pratiques exemplaires en matière de soutien aux victimes d’ESVSE en ligne.
- Date de modification :