Pratiques exemplaires pour les entrevues judiciaires
Ce rapport est actuellement en cours de révision.
Bien qu’il y ait peu de normalisation des protocoles et des méthodes employées pour les entrevues judiciaires avec les victimes vulnérables adultes comparativement à ceux avec les enfants (O’Donohue, 2021), les chercheurs dans le domaine des entrevues judiciaires ont dégagé certaines pratiques exemplaires. Des études ont également porté sur les difficultés relevées par les enquêteurs ou les plaignants au cours du processus d’entrevue judiciaire.
L’Association internationale des chefs de police a créé un document décrivant les stratégies d’entrevue pour les rapports d’enquête sur les incidents d’agression sexuelle (Association internationale des chefs de police, 2018). Ces lignes directrices ont été élaborées en collaboration avec les organismes d’application de la loi ainsi qu’avec d’autres intervenants juridiques et professionnels judiciaires. Elles fournissent aux interviewers des recommandations à prendre en compte lors des entrevues judiciaires. Les interviewers judiciaires sont encouragés à consigner par écrit tous les renseignements fournis par la victime, même si ces renseignements ne la présentent pas sous son meilleur jour. Il faut également s’efforcer d’éviter les questions suggestives et noter les mots exacts de la victime au lieu de « nettoyer » le langage pour le rapport. Ce rapport recommande également que le langage utilisé dans les rapports rende compte de l’usage de la force. Par exemple, si une victime affirme « il m’a menacé », il convient d’énumérer les menaces exactes qui ont été proférées, les tons utilisés et les gestes effectués.
En ce qui concerne les entrevues avec les enfants et les jeunes, les CAE et les CAEJ ont mis en place un grand nombre de pratiques exemplaires et de lignes directrices. Le modèle des CAE et des CAEJ nécessite une approche multidisciplinaire et encourage l’échange d’informations, y compris des séances de compte rendu avant et après entrevue (Rivard et Compo, 2019). Les chercheurs ont suggéré que les données relatives au développement de l’enfant, à son contexte culturel et à ses besoins particuliers, peuvent être utiles lors de la préparation d’une entrevue judiciaire, afin de planifier des questions efficaces et de faire appel à un interprète, au besoin. Certaines personnes suggèrent également que les informations relatives à l’allégation peuvent être utiles pour orienter les questions de l’entrevue, interpréter les réponses de l’enfant et aborder le sujet de la maltraitance; toutefois, si les informations relatives à l’allégation sont inexactes, elles peuvent compromettre la neutralité de l’entrevue judiciaire et l’exactitude de la déclaration de l’enfant. Selon certaines sources, puisque les CAE et les CAEJ s’efforcent de mener des entrevues neutres pour établir les faits, limiter la connaissance des allégations par l’interviewer avant l’entrevue, ce qu’on appelle une entrevue sans information préalable, est une stratégie prometteuse pour réduire les idées préconçues et les préjugés associés aux informations préalables à l’entrevue. Très peu d’études ont comparé l’efficacité de la méthode d’entrevue sans information préalable et la méthode d’entrevue avec information préalable; toutefois, deux études ont démontré que les entrevues sans information préalable sur le crime ou l’allégation permettaient de recueillir des détails et des renseignements plus précis que les entrevues avec information préalable sur l’allégation (Cantlon et coll., 1996; Rivard, Pena, et Schreiber Compo, 2016). Des études supplémentaires sont nécessaires dans ce domaine pour déterminer dans quels contextes les renseignements sur l’allégation peuvent être fournis aux interviewers judiciaires sans compromettre l’intégrité de l’entrevue.
D’autres études ont porté sur les protocoles de formation, ainsi que sur les difficultés auxquelles les enquêteurs sont confrontés lorsqu’ils mènent des entrevues judiciaires. Pour les auteurs Tohvelmann et Kask (2023), il est important que les intervenants qui mènent les entrevues reçoivent une formation de qualité afin que les victimes et les témoins soient traités avec respect et professionnalisme par les enquêteurs. Des études ont montré que la qualité des entrevues, en particulier le respect des pratiques exemplaires dans les entrevues avec les enfants victimes d’abus sexuels, est faible, et que la quantité et la qualité de la formation que reçoivent les enquêteurs ont une incidence importante sur leur capacité à mener des entrevues fructueuses (Yuille, Cooper, Hervé, 2009).
Une étude récente portant sur les difficultés relevées par les enquêteurs dans le cadre d’affaires d’agression sexuelle d’adultes propose de modifier les entrevues d’enquête pour répondre à ces préoccupations (Westera, Powell et Zajac, 2023). Dans le cadre de cette étude, les auteurs ont interrogé 21 enquêteurs de police ayant une grande expérience (le nombre d’entrevues avec des victimes d’agressions sexuelles réalisées par les participants était en moyenne 210) de la réalisation d’entrevues auprès de plaignants adultes dans des affaires d’agressions sexuelles en Australie et en Nouvelle-Zélande. Bon nombre des préoccupations consignées par les interviewers sont liées aux difficultés rencontrées lors de la collecte d’un maximum d’informations pertinentes sans victimiser à nouveau les plaignants ou les dissuader de participer au processus. Les auteurs affirment qu’il serait utile de simplifier les protocoles d’entrevues ou d’alléger les mnémoniques, afin de cibler les informations les plus pertinentes pour l’enquête. Les auteurs soulignent également l’importance pour les intervenants de disposer du soutien nécessaire (p. ex., une personne de soutien professionnel) pour gérer la détresse et l’état psychologique des plaignants. Il est aussi important que les enquêteurs aient des attitudes et des croyances appropriées à propos des agressions sexuelles (p. ex., éviter de blâmer la victime ou d’entretenir des mythes sur le viol) afin de créer un environnement favorable à l’entretien.
Entrevues auprès de groupes en quête d’équité
Les entrevues judiciaires avec des personnes vulnérables ou en quête d’équité peuvent nécessiter des considérations supplémentaires afin de s’assurer que la méfiance préexistante à l’égard des services de police est atténuée et que les personnes interrogées ne sont pas traumatisées de nouveau au cours de l’entrevue judiciaire. Les auteurs Rioja et Rosenfeld (2018) soulignent un consensus dans le domaine de la santé mentale dans le contexte judiciaire, selon lequel la compétence culturelle est un élément fondamental de la formation et de la pratique en ce qui a trait aux entrevues judiciaires. Ils constatent toutefois que, malgré ce consensus, il y a un manque d’orientation sur la façon dont ces principes peuvent être appliqués sur le terrain. Les auteurs recommandent aux intervenants de rechercher des occasions d’améliorer leurs connaissances et leur compréhension, par exemple en participant à des ateliers, à des consultations ou à des études indépendantes. Parmi les enjeux mentionnés, citons la détermination du type de connaissances culturelles nécessaires et la manière d’acquérir ces connaissances (p. ex., la religion, les normes et comportements culturels); le recours ou non à des interprètes et la manière de le faire; la manière dont la culture pourrait avoir une incidence sur le consentement éclairé (puisque le concept est ancré dans les concepts occidentaux d’autonomie et d’autodétermination); la manière dont la phase de l’établissement du rapport d’une entrevue pourrait être influencée par la culture (p. ex., en raison de conceptualisations culturelles différentes du temps, des horaires ou des priorités) (Rioja et Rosenfeld, 2018).
Une étude portant sur l’entretien cognitif avec des survivants 2ELGBTQI+ d’actes criminels a fourni des recommandations sur la manière de mener efficacement des entrevues pour ce groupe démographique (Houston-Kolnik, et Vasquez, 2022). Elle semble indiquer que le fait d’expliquer au plaignant en quoi consiste un entretien cognitif avant de commencer l’entrevue aidait le plaignant à comprendre le processus et les attentes. L’étude a également montré que le recours à des questions de suivi centrées sur la personne survivante était bénéfique. Des chercheurs ont relevé des pistes et des questions qui peuvent poser problème aux personnes ayant des antécédents de traumatisme ou de victimisation et qui ne pensent pas qu’on les croira (Houston-Kolnik et Vasquez, 2022).
Des recherches ont également porté sur les perceptions autodéclarées et les pratiques policières en ce qui concerne la réalisation d’entrevues avec des victimes et des témoins dans un environnement interculturel (Chenier et coll., 2022). Deux études ont été menées dans un territoire nordique du Canada dont la population est majoritairement autochtone. La première étude était un sondage par Internet réalisé auprès d’agents de police et concernant la formation sur les techniques d’entrevue, les pratiques et les problèmes interculturels rencontrés lors d’entrevues. Une deuxième étude a examiné et codifié les transcriptions d’entrevues avec des victimes et témoins adultes autochtones afin d’examiner les types de questions posées, les interruptions des agents et le temps de parole. Il ressort de ces études que la plupart des agents n’ont pas reçu de formation sur les protocoles d’entrevues scientifiques, mais qu’ils connaissent les pratiques générales d’entrevues d’enquêtes, comme l’établissement d’un rapport et la demande d’une narration libre. Les agents n’ont pas suivi les règles préétablies concernant le temps qu’ils devraient parler, et les agents ont fréquemment eu recours à des types de questions improductives (c.-à-d. des questions fermées, des questions suggestives). La plupart des policiers interrogés ont mentionné que les différences culturelles avaient un effet sur leur style d’entrevue et ont fait état de difficultés liées à la communication et aux barrières linguistiques avec les personnes interrogées autochtones. Les agents ont souligné que la communication non verbale, qui est un aspect important des cultures autochtones, peut être facilement mal interprétée par les agents (Chenier et coll., 2022). Cette recherche fait ressortir la nécessité d’offrir de la formation sur la communication interculturelle aux organisations policières qui desservent les populations autochtones.
Des recherches récentes sur les techniques d’entrevues d’enquête pour les adultes vulnérables souffrant de troubles de communication et de déficiences cognitives ont mis en évidence certaines pratiques exemplaires applicables aux témoins dont la mémoire et les capacités de communication sont plus limitées, et qui pourraient s’appliquer à ces adultes vulnérables. Il s’agit notamment de réaliser des entrevues aussi courtes que possible, d’utiliser des instructions simples, de permettre aux personnes interrogées de poser des questions de clarification, d’établir un rapport au moyen de questions ouvertes, d’éviter les questions suggestives et d’utiliser des questions qui permettent des réponses narratives (Bearman et coll. 2020).
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