Techniques d’entrevue judiciaire pour les enfants
Ce rapport est actuellement en cours de révision.
Les entrevues avec des enfants susceptibles d’avoir été victimes de maltraitance ou de violence doivent faire l’objet d’une attention particulière, car l’âge et les capacités de développement de l’enfant peuvent affecter sa mémoire, sa capacité de remémoration et sa capacité à communiquer les détails d’un incidentNote de bas de page 2. Les traumatismes peuvent également avoir une incidence sur la capacité des enfants à se souvenir d’un événement et à le comprendre. Les interviewers judiciaires doivent veiller à ce que le processus d’entrevue ne traumatise pas de nouveau l’enfant, mais ils doivent aussi trouver un équilibre entre la nécessité de détecter correctement les mauvais traitements et celle d’exclure les enfants qui ne sont pas des victimes de mauvais traitements (Coulborn Faller, 2014). Au cours des dernières décennies, de nombreux protocoles et lignes directrices ont été élaborés par des universitaires, des organisations professionnelles et des ministères et des organismes gouvernementaux pour interroger les enfants. Ces protocoles ont généralement plusieurs principes directeurs en commun, notamment le fait d’éviter les questions suggestives, l’utilisation d’une approche de vérification des hypothèses et le fait de mettre l’enfant au centre du processus d’entrevue (Yuille 2009).
Les lignes directrices nationales pour les centres d’appui aux enfants et les centres d’appui aux enfants et à la jeunesse (CAE/CAEJ)Note de bas de page 3 du Canada décrivent les pratiques exemplaires pour les entrevues judiciaires des enfants victimes d’agressions sexuelles (Bertrand, Paetsch, Boyd et Bala, 2018). Ces lignes directrices ont été établies pour s’assurer que les bonnes procédures sont suivies lors des entrevues judiciaires avec les enfants. Une entrevue judiciaire menée dans un CAE/CAEJ a pour but d’obtenir la déclaration d’un enfant ou d’un jeune en tenant compte de son développement et de sa culture. Ces entrevues doivent être impartiales et permettre de recueillir des faits ou des éléments de preuve qui aideront une équipe pluridisciplinaire composée d’intervenants de la justice pénale et de la protection de l’enfance à prendre des décisions équitables. Bien que les modèles d’entrevue judiciaire avec les enfants varient quelque peu, trois phases importantes sont communes à tous les modèles :
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Phase d’établissement du rapport
L’interviewer tente d’établir une relation de confiance avec la personne interrogée et lui explique le déroulement de l’entrevue, par exemple, la documentation de la déclaration ou les règles que l’enfant doit suivre pendant l’entrevue. Cette phase permet à l’interviewer de comprendre le niveau de développement de l’enfant et influencera le reste du processus d’entrevue.
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Étape de fond
L’interviewer pose des questions ouvertes pour recueillir des informations sur l’événement auprès de l’enfant. L’interviewer s’efforce de recueillir autant d’informations que possible sur la maltraitance, ce qui nécessite souvent d’explorer différentes hypothèses pour l’allégation de l’incident, le cas échéant.
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Phase de clôture
L’interviewer a décidé qu’il n’y avait plus d’informations à recueillir auprès de l’enfant. À ce stade, l’interviewer prend en compte les besoins de l’enfant et peut orienter la conversation vers un sujet plus neutre avant de conclure l’entrevue. Dans certains cas, l’interviewer peut remercier l’enfant pour sa participation, même si l’enfant n’a pas fourni d’informations suffisantes pour une divulgation.
Certains éléments de l’entrevue judiciaire peuvent varier d’un modèle à l’autre, notamment la structure de l’entrevue, les instructions données à l’enfant, les discussions concernant la compréhension de la vérité et du mensonge par l’enfant, les questions appropriées à poser au cours de l’entrevue en fonction des capacités développementales de l’enfant. Parmi les lignes directrices suggérées pour ces entrevues, citons la formation spécialisée des interviewers, la création d’un environnement sûr propice au rappel libre, le fait de réduire au minimum l’influence de l’interviewer et d’éviter les entrevues répétées (Bertrand, Paetsch, Boyd et Bala, 2018). Les sections suivantes décrivent trois des protocoles les plus utilisés pour les entrevues judiciaires avec les enfants.
L’entretien cognitif avec l’enfant
L’EC, dont il a été question précédemment dans les protocoles d’entrevue judiciaire pour les adultes, est également largement utilisé pour les enfants victimes et a été adapté à ce groupe. Les éléments de l’EC, comme le rappel des événements dans l’ordre chronologique inverse, ont été modifiés lorsque ce protocole est appliqué aux enfants. L’EC a été évalué du point de vue de la qualité et de l’exactitude des informations obtenues auprès des enfants victimes et témoins, et la recherche a démontré que l’EC est efficace pour améliorer la remémoration des événements chez les enfants; il semble toutefois qu’il soit plus efficace avec les enfants plus âgés (Cronch et coll., 2005; Goodman et Melinder, 2007).
Entrevue par étapes (Step-Wise)
L’entrevue par étapes (Step-Wise) est un protocole d’entrevue judiciaire utilisé dans les cas d’allégations d’abus sexuels d’enfants (Yuille, 2001). La technique a été mise au point au début des années 90 et a été modifiée au fil du temps pour tenir compte de l’évolution de la théorie, de la pratique et de la littérature empirique. Au fil du temps, le protocole a également été modifié pour s’assurer que les interviewers tiennent compte du contexte culturel des personnes interrogées (Yuille, Cooper et Hervé, 2009). Ce protocole vise à minimiser tout traumatisme que l’enfant pourrait subir au cours de l’entrevue, à maximiser la quantité et la qualité des informations recueillies auprès de l’enfant tout en réduisant au minimum toute contamination de ces informations, et à maintenir l’intégrité du processus d’enquête pour toutes les parties concernées. Le terme « step-wise » renvoie à l’utilisation de plusieurs étapes ou phases qui se déroulent au cours de l’entrevue :
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Établir un rapport
La première phase de l’entrevue consiste pour l’interviewer à établir un rapport avec l’enfant. Il peut s’agir de poser des questions de base à l’enfant à propos de sa vie, par exemple : « Quelle est ta matière préférée à l’école? » Cette phase permet à l’interviewer de se faire une idée des capacités linguistiques de l’enfant et de ses réactions physiques (contact visuel, mouvements).
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Dire la vérité
La phase suivante de l’entrevue par étapes consiste à expliquer la nécessité de dire la vérité. Pour ce faire, l’interviewer demande à l’enfant de décrire ce que signifie dire la vérité et dire un mensonge. Si l’enfant n’est pas en mesure de faire la distinction entre la vérité et le mensonge, l’interviewer sait que les questions doivent être posées avec prudence.
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Présenter le sujet de préoccupation
La phase suivante consiste à présenter le sujet de préoccupation à l’enfant. L’interviewer demande à l’enfant s’il connaît la raison de la rencontre et lui pose des questions générales telles que « Veux-tu me parler de ce qui t’est arrivé? ». Cette phase vise à inciter l’enfant à révéler les événements. Toutefois, si cette approche générale n’incite pas l’enfant à donner des détails, des questions plus précises peuvent être posées avant de revenir à des questions plus générales et ouvertes.
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Narration libre
Une fois cette phase achevée, l’enfant est invité à raconter et à décrire librement les événements. Il s’agit de la phase la plus importante de l’entrevue par étapes, car c’est à ce moment-là que l’enfant se remémore les événements au mieux de ses capacités, sans être interrompu par l’interviewer. Des questions incitatives comme « Que s’est-il passé ensuite? » peuvent être posées au cours de cette étape.
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Questions générales
Après la phase de narration libre, l’interviewer posera des questions ouvertes à l’enfant. Il posera des questions plus précises sur l’incident et demandera à l’enfant de donner des détails si possibles.
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Questions précises (au besoin)
Une phase facultative de l’entrevue par étapes est de poser des questions précises, qui sont posées uniquement dans les cas où les informations recueillies au cours des étapes précédentes sont insuffisantes. Cette phase est également utilisée en cas d’incohérences lors de la narration libre afin d’améliorer la clarté de la déclaration enregistrée.
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Aides à l’entrevue (au besoin)
Parfois, l’interviewer utilise des aides à l’entrevue comme des poupées anatomiques ou crée un tableau dans lequel l’enfant peut consigner ses réponses aux questions par rapport à l’incident : qui, quoi, où, quand et comment.
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Conclusion de l’entrevue
L’interviewer conclut l’entrevue en remerciant l’enfant, quelle que soit l’issue de l’entrevue. L’interviewer demande à l’enfant s’il a des questions et lui explique ce qui peut se passer au cours de l’enquête (Yuille, 2001).
Le protocole d’entrevue par étapes est largement utilisé pour les entrevues judiciaires avec les enfants au Canada, ainsi qu’aux États-Unis et au Royaume-Uni; cependant, comme la plupart des protocoles, il n’a pas fait l’objet d’une étude empirique rigoureuse (Brubacher, Roberts, Cooper, Price, Barry et Vanderloon, 2018). Une étude de 2003 a comparé l’entrevue par étapes à deux autres protocoles d’entrevue : l’entrevue par le jeu de poupées et l’entrevue structurée modifiée (ESM)Note de bas de page 4, en évaluant plus particulièrement les procédures de questions de suivi des techniques et la manière dont elles sondent la mémoire (Lindberg, Tantalo Chapman, Samsock, Thomas, et Lindberg, 2003). L’expérience a été menée auprès de 64 enfants qui ont regardé un film dans lequel une mère gifle son enfant au visage, et qui ont reçu une suggestion et un encadrement délibéré de la part de l’expérimentateur. Les résultats ont montré que les enfants ayant participé aux entrevues réalisées selon les protocoles d’entrevue par étapes et de MSI se rappelaient de plus d’éléments pendant la séance de rappel libre, tandis que les entrevues réalisées selon le protocole de MSI donnaient lieu au plus grand nombre de descriptions correctes de la pièce, par rapport aux autres techniques.
Entrevue d’élaboration narrative
Le protocole d’entrevue d’élaboration narrative a été conçu pour aider les enfants à surmonter des limites sur le plan développemental de la mémoire et de la communication (Saywitz et Snyder, 1996). L’élaboration narrative s’appuie sur l’entretien cognitif et intègre plusieurs procédures expérimentales reconnues pour améliorer la capacité de remémoration des enfants. Il s’agit notamment : 1) d’apprendre à l’enfant des stratégies pour améliorer la remémoration; 2) de fournir des indicateurs visuels; et 3) de donner à l’enfant l’occasion de pratiquer les stratégies, en lui donnant des commentaires, en l’encourageant et en lui rappelant d’utiliser les techniques nouvellement apprises (Saywitz et Snyder, 1996).
Ce protocole d’entrevue commence par l’enseignement aux enfants d’une stratégie utilisée pour se remémorer les détails d’un événement en les organisant en plusieurs catégories : participants, milieu, actions, conversation et états affectifs et conséquences. Chacune de ces catégories est représentée par un dessin sur une petite carte et rappelle aux enfants qu’ils doivent donner le plus de détails possibles pour chaque catégorie. Au début de l’entrevue, l’interviewer demande à l’enfant de s’entraîner à utiliser ces cartes pour décrire des événements. L’interviewer peut demander à un enfant d’utiliser les cartes pour décrire un autre événement afin de s’entraîner à utiliser cette stratégie de remémoration. Lorsque l’enfant passe à une narration libre de l’événement, l’interviewer peut montrer la carte d’une des catégories et demander si la carte rappelle d’autres informations à l’enfant dont il pourrait faire part, ce qui lui offre la possibilité d’ajouter des informations de manière impartiale.
Le protocole d’élaboration narrative est bien adapté aux entrevues judiciaires avec les enfants, car il tient compte de la capacité de l’enfant à se remémorer des informations pertinentes pour l’enquête. Une étude portant sur l’efficacité de la technique de l’entrevue d’élaboration narrative auprès d’enfants âgés de 6 à 11 ans a révélé que les enfants ayant fait l’objet de ce type d’entrevue présentaient une amélioration de 53 % du rappel spontané (Saywitz & Goodman, 1996).
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