Résumé

Les adultes et les jeunes autochtones continuent de se voir infliger des peines d’emprisonnement plus souvent que les personnes non autochtones au Canada (Statistique Canada, 2023a). En 1996, l’alinéa 718.2e) a été ajouté au Code criminel et a instauré le principe de modération dans le recours à l’emprisonnement lors de la détermination de la peine, soulignant l’importance de prêter une attention particulière à la situation des délinquants autochtones (ministère de la Justice du Canada, 2017a).

En 1999, la Cour suprême du Canada (CSC) a interprété l’alinéa 718.2e) pour la première fois, dans l’arrêt R c GladueNote de bas de page 1. Elle y a énoncé clairement que les juges doivent examiner les facteurs systémiques distinctifs qui peuvent être une des raisons pour lesquelles un contrevenant autochtone se retrouve devant les tribunaux. Pour qu’il leur soit plus facile d’appliquer dans leur processus décisionnel les principes de détermination de la peine découlant de l’arrêt Gladue, les juges ont besoin de renseignements pertinents sur les accusés autochtones qui sont traduits devant eux. Ces renseignements peuvent être fournis au moyen de rapports Gladue détaillésNote de bas de page 2, qui présentent de l’information sur les origines de la personne autochtone et son vécu en ce qui a trait à la colonisation, aux traumatismes intergénérationnels, au racisme et à la discrimination (Aboriginal Legal Services, 2022).

Le ministère de la Justice du Canada a entrepris la présente étude pour mieux comprendre comment les rapports Gladue sont préparés partout au pays et comment ces documents, ainsi que les principes reconnus dans l’arrêt Gladue, sont pris en considération par les tribunaux. L’étude s’appuie sur une analyse contextuelle de sites Web accessibles au public et un examen de 530 décisions et arrêts publiés sur CanLIINote de bas de page 3 entre 2000 et 2021.

Points saillants

Depuis l’arrêt Gladue rendu par la CSC en 1999, plusieurs décisions judiciaires ont contribué à clarifier le droit des contrevenants autochtones de demander que les facteurs reconnus dans l’arrêt Gladue soient pris en considération, mais ce droit n’est pas absolu dans toutes les provinces et tous les territoiresNote de bas de page 4. Les juges peuvent utiliser d’autres moyens pour obtenir les informations nécessaires avant de se prononcer, notamment des rapports pré-sentenciels (RPS) ou encore des observations orales ou écritesNote de bas de page 5.

Chaque province et territoire a mis en place une méthode, un processus ou des programmes qui lui sont propres en ce qui concerne les rapports Gladue. Dans certains cas, ce sont les organisations autochtones qui offrent les services relatifs aux rapports Gladue, tandis que d’autres possèdent un service centralisé de rédacteurs contractuels qui s’occupent de préparer les documents. Les provinces ou les territoires où il n’y a pas de programme financé par l’État pour la rédaction des rapports Gladue donnent une formation aux agents de probation afin qu’ils apprennent à intégrer aux RPS les facteurs énoncés dans l’arrêt Gladue.

Plusieurs éléments déterminent si un rapport Gladue sera demandé ou non par un tribunal, soit : la disponibilité de ressources aptes à préparer le rapport; le fait que ce rapport n’est présumé nécessaire par les juges que dans des situations exceptionnelles; la perception que les RPS ou les observations orales ou écrites ont constitué des solutions de rechange adéquates; les inquiétudes suscitées par le manque d’uniformité et l’absence de normes nationales en ce qui a trait aux rapports Gladue et à la formation connexe; le fait que le contrevenant renonce à obtenir un rapport Gladue ou des observations sur les facteurs reconnus dans l’arrêt, ou refuse de présenter une demande à cet égard, parce qu’il ne veut pas retarder la détermination de sa peine ou est réticent à revivre des événements traumatisants en salle d’audience.

L’examen des 530 décisions et arrêts a permis de constater qu’il y a eu une intensification marquée de l’application des principes Gladue dans les dossiers impliquant des personnes autochtones depuis 2000. Ainsi, 9 décisions et arrêts mentionnaient l’arrêt Gladue en 2000, contre 154 en 2020Note de bas de page 6. Le recours aux rapports Gladue a aussi connu une progression : 40 % des affaires examinées ont mentionné ces rapports entre 2018 et 2021, comparé à seulement une fois en 2010. Bien que la plupart des affaires examinées aient porté sur la détermination de la peine (pour des infractions violentes, dans la plupart des cas), les rapports Gladue ont été de plus en plus utilisés dans d’autres domaines, notamment pour les enquêtes sur le cautionnement, les demandes concernant le délinquant à longue durée et le délinquant dangereux, ainsi que les contestations fondées sur la Charte.

L’application des principes Gladue, soit parce que les tribunaux ont pris connaissance d’office des facteurs énoncés dans l’arrêt ou en ont tenu compte, a eu une incidence sur l’issue des affaires. Dans 23 % d’entre ellesNote de bas de page 7, la peine a été réduite ou modifiée (emprisonnement avec sursis, peine discontinue ou suspendue); il y a eu sursis à l’exécution du reste de la peine d’incarcération; la période d’inadmissibilité à la libération conditionnelle ou de probation a été raccourcie; ou les conditions de la mise en liberté sous caution ont été modifiées. Il est arrivé aussi qu’un tribunal permette que le contrevenant soit mis en liberté sous caution en s’appuyant sur les facteurs énoncés dans l’arrêt Gladue. Toutefois, lorsque le juge effectue une analyse en profondeur de type Gladue, l’existence de programmes, la proximité d’établissements de garde dans la collectivité du contrevenant de même que la probabilité de réadaptation et les ressources en matière de réinsertion sociale ont toutes été prises en considération dans le cadre du processus décisionnel et peuvent avoir influé sur la décision. Si les lacunes à ces égards étaient atténuées, l’application des principes Gladue pourrait contribuer à réduire encore davantage le recours à l’emprisonnement pour les contrevenants autochtones.

D’autres travaux de recherche pourraient s’attarder à cerner l’effet qu’auraient, sur les décisions judiciaires futures, l’offre d’un soutien permanent accru à la mise en application des principes énoncés dans l’arrêt Gladue et à la préparation des rapports GladueNote de bas de page 8, ainsi qu’une jurisprudence de plus en plus abondante. Qui plus est, il serait utile de savoir s’il y a des différences dans l’application de l’alinéa 718.2e) et des principes énoncés dans l’arrêt Gladue selon la langue officielle utilisée dans l’instance ou entre les tribunaux autochtones et non autochtones au Canada.