1. Introduction

Depuis les années 1970, la surreprésentation des Autochtones dans le système correctionnel du Canada suscite des critiques et a été confirmée par de nombreuses études gouvernementales et universitairesNote de bas de page 9. Malgré les efforts déployés sur le plan des lois, des politiques et des programmes pour s’attaquer à ce problèmeNote de bas de page 10, les adolescents et adultes autochtonesNote de bas de page 11 continuent d’être incarcérés plus souvent que les non-Autochtones. En 2021-2022, les Autochtones représentaient 5 % de la population adulte canadienne, mais ils comptaient pour 31 % de toutes les admissions d’adultes dans les établissements de garde provinciaux et territoriaux; ils représentaient aussi 33 % de toutes les personnes admises dans les établissements fédéraux. La situation était pire pour les femmes autochtones, qui constituaient 43 % de toutes les délinquantes incarcérées dans les établissements provinciaux et territoriaux, et 51 % des détenues dans les établissements fédéraux. La même année, 48 % des admissions dans les établissements de garde provinciaux et territoriaux étaient des adolescents autochtones, même si ceux-ci ne formaient que 8 % de la population d’âge mineur au Canada (Statistique Canada, 2023a; Statistique Canada, 2023b).

En 1996, l’alinéa 718.2e) a été ajouté au Code criminel dans le cadre de réformes en profondeur des dispositions sur la détermination de la peine. Cet alinéa exige que le tribunal qui détermine la peine à infliger examine « plus particulièrement en ce qui concerne les délinquants autochtones, […] toutes les sanctions substitutives autres que l’emprisonnement qui sont raisonnables dans les circonstances et qui tiennent compte du tort causé aux victimes ou à la collectivitéNote de bas de page 12 ». Cette disposition a instauré le principe de modération dans le recours à l’emprisonnement lors de la détermination de la peine et a souligné l’importance de prêter une attention particulière à la situation des délinquants autochtones (ministère de la Justice du Canada, 2017a).

En 1999, la Cour suprême du Canada (CSC) a interprété l’alinéa 718.2e) pour la première fois, dans l’arrêt R c GladueNote de bas de page 13. La CSC a cherché à établir un « cadre d’analyseNote de bas de page 14 » dont le juge qui détermine la peine pourra se servir dans le cas des délinquants autochtones, et a énoncé clairement que le tribunal doit examiner les facteurs systémiques distinctifs qui peuvent être une des raisons pour lesquelles le délinquant autochtone se retrouve devant les tribunaux. Elle y a précisé également que l’alinéa 718.2e) « s’applique à tous les délinquants autochtones où qu’ils résident, à l’intérieur comme à l’extérieur d’une réserve, dans une grande ville ou dans une zone rurale. Lorsqu’il s’agit de définir la collectivité autochtone pertinente en vue de fixer une peine efficace, le terme ‘collectivité’ devrait recevoir une définition assez large »Note de bas de page 15. La CSC a ainsi étendu la définition des collectivités et des réseaux de soutien pour faire en sorte que l’alinéa 718.2e) s’applique à tous les contrevenants autochtones, indépendamment de leur lieu de résidence.

Pour qu’il leur soit plus facile d’appliquer dans leur processus décisionnel les principes de détermination de la peine découlant de l’arrêt Gladue, les juges ont besoin de renseignements pertinents sur les accusés autochtones qui sont traduits devant eux. Ces renseignements peuvent être fournis au moyen de rapports Gladue détaillésNote de bas de page 16, qui comprennent de l’information sur les origines de la personne autochtone et son vécu en matière de colonisation, de traumatismes intergénérationnels, de racisme et de discrimination (Aboriginal Legal Services, 2022). La préparation des rapports Gladue nécessite énormément de temps et d’argent à cause des recherches poussées nécessaires pour la collecte de renseignements et leur rédaction.

En 2017, le ministère de la Justice du Canada a entrepris une étude intitulée : La lumière sur l’arrêt Gladue : défis, expériences et possibilités dans le système de justice pénale canadien (ministère de la Justice du Canada, 2017a), où les auteurs ont examiné les répercussions de l’arrêt Gladue et des décisions judiciaires subséquentes sur le système de justice pénale du Canada. Le rapport renfermait un aperçu statistique de la surreprésentation des Autochtones dans le système correctionnel, une revue de la littérature, une description des initiatives et des programmes mis en place dans le système de justice conformément aux principes énoncés à l’alinéa 718.2e), et un résumé de la recherche portant sur les expériences des tribunaux et des contrevenants autochtones qui ont participé à ces initiatives.

Depuis cette étude réalisée en 2017, d’autres investissements ont été consacrés au soutien à la préparation de rapports Gladue, et un nombre croissant de tribunaux ont interprété l’alinéa 718.2e). Le ministère de la Justice du Canada a entrepris la présente étude pour mieux comprendre comment les rapports Gladue sont préparés partout au pays et comment ces documents, ainsi que les principes reconnus dans l’arrêt Gladue, sont pris en considération par les tribunaux.