Toutes les voix comptent : les répercussions des problèmes juridiques graves chez les jeunes de 16 à 30 ans de la communauté noire

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Intersections entre le statut d’immigrant et les problèmes juridiques

Les participants ont décrit la façon dont l’incertitude qu’ils vivaient ou ont vécue relativement à leur statut d’immigrant a influencé la compréhension qu’ils avaient de leurs problèmes juridiques graves. Ils ont parlé de l’expérience qu’ils ont vécue lorsque, après avoir quitté un pays où tout le monde avait la même couleur de peau, ils ont immigré au Canada et ont soudainement pris conscience que la couleur de leur peau leur valait d’être traités différemment. Une participante a dit avoir été transférée à plusieurs reprises dans un cours d’anglais langue seconde à l’école simplement parce qu’elle portait un hijab.

« En ce moment, je dois y penser à deux fois [avant d'appeler un avocat], car je risque de me retrouver à l’aéroport. » – environ 27 ans

Peu après son arrivée au Canada à titre d’immigrant, un participant a découvert que seuls les immigrants parrainés par le gouvernement pouvaient obtenir un logement. Il ne connaissait personne au Canada et n’a pas été en mesure de contourner les exigences des propriétaires de logements. Un autre des participants, qui était au Canada à titre d’étudiant étranger, a mentionné qu’il avait été incapable d’obtenir une cote de crédit, laquelle était pourtant indispensable pour trouver un logement stable. Aucun représentant du gouvernement n’a été en mesure de l’aider à obtenir le rapport de solvabilité requis pour louer un logement dans une résidence universitaire. Il a donc dormi par terre chez un membre de sa famille pendant un an, tout en fréquentant l’université, jusqu’à ce qu’il remplisse les critères lui permettant de louer un logement. Après avoir reçu les conseils d’un agent d’établissement, un participant qui avait été victime de discrimination au cours d’un processus d’embauche a décidé de ne pas solliciter d’assistance juridique. Il ne souhaitait pas s’adresser au tribunal, car il craignait que le fait de déposer une plainte puisse avoir des répercussions sur son statut d’immigrant. Certains participants ont indiqué avoir renoncé à déposer une plainte officielle ou à signaler une situation à la police, ou concernant la police, parce qu’ils craignaient d’éventuelles répercussions négatives sur leur statut d’immigrant ou leur permis professionnel.

« Je devais me battre pour conserver ma place en classe, car ils cherchaient constamment à me transférer dans une classe d’anglais langue seconde même si je n’en avais pas besoin. Simplement parce que je portais un hijab. » – environ 20 ans

Services de police et profilage racial

Des participants ont raconté avoir été interceptés par la police et tenus de présenter leurs papiers d’identité, interceptés pour des infractions présumées au code de la route, et interceptés ou arrêtés parce qu’ils ressemblaient soi-disant à une personne qui était recherchée par la police. Des participants ont indiqué qu’il arrivait fréquemment que des policiers les interceptent sans donner de raison et qu'ils cherchent ensuite une justification pour poursuivre leur intervention. À titre d’exemple, un policier pouvait prétendre que l’affolement évident du participant était suspect et suffisant en soi pour justifier une fouille ou, encore, qu’une discussion en langue étrangère entre les occupants de la voiture constituait une menace pour la police et justifiait de procéder à l'arrestation du participant. Un participant a décrit une expérience troublante, affirmant que la police avait inventé un crime afin de pouvoir l’intercepter en lui disant qu’il correspondait à la description d’un homme suspecté de délit de fuite. Or, le participant a découvert par la suite qu’il n’y avait jamais eu de délit de fuite.

« J’ai lu dans le rapport de la Commission des droits de la personne que les Noirs sont 20 fois plus susceptibles d’être abattus par la police lors d’une interaction. Nous payons des impôts pour entretenir un système qui n’accorde aucune valeur à nos vies. C’est mon sentiment personnel. … La police est mon dernier recours parce que j’ai vu ce qui se produit lorsqu’elle intervient. Je n’ai pas le sentiment d’être protégé par la police. Je ne me sens pas en sécurité. J’ai l’impression que ma dernière heure pourrait sonner à tout moment. » – environ 26 ans

Services de police et profilage des quartiers

Un certain nombre de participants ont été jugés suspects par la police après que celle-ci eut appris qu’ils vivaient dans un quartier à faible revenu ou majoritairement noir. Il est arrivé que la police leur demande de justifier ce qu’ils faisaient à l’extérieur de leur quartier.

« Tout le monde sait que les interactions avec la police ne donnent jamais rien de bon. Vous devez faire de votre mieux pour assurer votre propre sécurité… Le principal objectif face à la police est de rester en vie, c’est la priorité. » – environ 26 ans
« Le policier m’a dit : « J’espère que tu n’es pas ici pour faire ce que je pense que tu es en train de faire. » – environ 27 ans

Certains participants ont également mentionné que la police était peut encline à intervenir ou à assurer un suivi relativement aux crimes se produisant dans leur quartier. Ils ont décrit des situations où la police s'est contentée de mener une enquête superficielle dans des cas de violence conjugale ou a renoncé à élucider certaines affaires. Un participant a mentionné avoir été victime d’un crime et a raconté son expérience. Des participants ont indiqué que dans les quartiers majoritairement noirs ou à faible revenu, il était plus fréquent que les gens tentent de résoudre leurs problèmes eux-mêmes plutôt que de faire appel à la police.

« Je n’ai aucun casier judiciaire et aucune infraction à mon actif, alors quand je me fais intercepter, je sais que c’est à cause de la couleur de ma peau. » – environ 27 ans

Certains participants qui ont indiqué avoir vécu des problèmes juridiques graves impliquant la police (y compris le fait d’être identifié à tort comme une personne d’intérêt) ont demandé des excuses à l’agent de police ou ont déposé une plainte officielle. Un participant ayant déposé une plainte contre la police a mentionné que le processus de présentation de la preuve avait été très long et qu’un délai tout aussi long s’était écoulé avant qu’une décision soit rendue. La plupart des participants ont indiqué qu’ils ne s’attendaient pas à ce que le dépôt d’une plainte officielle auprès de la police produise un résultat positif.

« Quand j’ai un problème, j'ai plutôt tendance à ne pas appeler la police. » – environ 29 ans

Expériences vécues pendant l’enfance

Bien que les problèmes juridiques graves mentionnés par les participants se soient produits au cours des trois années précédant l'étude, les expériences qu’ils ont vécues ont été directement influencées par les problèmes juridiques auxquels ils ont été exposés lorsqu’ils étaient plus jeunes. Les participants ont indiqué que des problèmes liés à la famille et à l’immigration avaient été à l’origine de leur premier contact officiel avec le système de justice. Ils ont décrit un processus complexe et intimidant, impliquant des visites de nombreux bureaux et un soutien insuffisant. Ils se sont sentis laissés pour compte à l’intérieur du système, soit parce qu’ils devaient représenter seul leur famille soit parce qu’ils sont arrivés seul au Canada.

Les problèmes juridiques auxquels les participants ont été exposés dans leur enfance ont eu une incidence sur la façon dont la plupart d’entre eux ont vécu des conflits d’ordre juridique survenus plus tard dans leur vie. Les participants qui ont grandi dans des logements sociaux ont indiqué se souvenir que les réparations nécessaires n’étaient jamais effectuées et qu’il leur fallait lutter sans cesse simplement pour avoir accès au strict minimum. Ils ont indiqué avoir vécu avec leur famille dans des logements locatifs mal entretenus qui nécessitaient des réparations que les propriétaires refusaient d’effectuer. Une participante a indiqué avoir dû déménager à de nombreuses reprises en raison de la situation précaire de ses parents. Au cours de son enfance et de son adolescence, elle a souvent eu à défendre la cause de sa famille auprès de propriétaires et a vu sa famille pâtir du mauvais état des logements dans lesquels ils vivaient. Les expériences des participants avec les propriétaires de logements ont été marquées par des confrontations incessantes et une succession de retards et d'excuses. Ces expériences ont une incidence sur l’efficacité avec laquelle ils gèrent aujourd’hui les problèmes de nature similaire. Une participante a expliqué qu’elle ne fait pas confiance aux propriétaires de logements sociaux et qu’elle s'attend toujours à ce qu’un conflit éclate.

Les participants ont également parlé de la désagrégation familiale qui a suivi le divorce de leurs parents et de l’influence que cet événement exerce encore aujourd’hui sur leurs relations. Les participants qui étaient les aînés de la famille ont indiqué avoir eu pour tâche d’expliquer ce qui se passait à leurs frères et sœurs plus jeunes. Un participant a dit avoir dû seconder sa mère lors de son divorce, en agissant pour elle à titre représentant auprès des bureaux du gouvernement alors qu’il était lui-même tout juste majeur. Estimant alors que les affaires familiales relevaient strictement de la sphère privée, il n’a demandé l’aide de personne. Une participante a dû aider sa mère à remplir des formulaires et à obtenir une assistance juridique.

En observant leurs parents tenter de résoudre leurs problèmes, les participants ont appris à éviter les systèmes officiels (tribunaux) et les services juridiques (bureaux gouvernementaux et cliniques juridiques).

« Cela m’a donné un aperçu du fonctionnement des tribunaux. J’ai compris qu’il faut les éviter à tout prix. » – environ 27 ans