Évaluations et analyses du système de mise en liberté sous caution du Canada
Kyle Coady, Division de la recherche et de la statistique
2018
La présente Recherche en bref est fondée sur des données publiques provenant de plusieurs études et publications du ministère de la Justice, des gouvernements canadiens (fédéral, provinciaux et territoriaux), du milieu universitaire et d’organismes communautaires qui ont été publiées entre 2009 et 2018, ainsi que sur des renseignements tirés de diverses sources médiatiques. Des constatations préliminaires d’une étude du ministère de la Justice sont également présentées.
Les problèmes de mise en liberté sous caution constituent un enjeu nationalNote de bas de page 1
Compte tenu de l’ampleur et des répercussions des enjeux qui touchent à l’heure actuelle le système de mise en liberté sous caution du Canada, les intervenants et les experts (par exemple, le Bureau de l’enquêteur correctionnel, l’Association canadienne des libertés civiles, les universitaires, le personnel des tribunaux) ont fait valoir qu’un leadership et une approche coordonnée à l’échelle nationale se révélaient nécessaires pour régler les questions de mise en liberté sous caution. En effet, le récent Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles [traduction] « reconnaît la nécessité de réformer le processus de mise en liberté sous caution et la manière dont les accusés sont mis en détention provisoire. » Certains aspects du leadership et de la réforme peuvent découler d’investissements dans l’infrastructure et le soutien relatifs à la mise en liberté sous caution, d’une réforme juridique et de la mise en place de programmes de traitement, de réadaptation et d’emploi à l’étape de la mise en liberté sous caution et de la détention provisoire.
Les universitaires, les organismes communautaires et les travailleurs auprès des tribunaux ont fait valoir qu’un changement culturel à l’égard de l’aversion pour le risque a entraîné la création d’un système de mise en liberté sous caution trop punitif
De nombreux acteurs se disent préoccupés par l’attention accrue accordée à l’évitement et à la gestion du risque au sein du système de mise en liberté sous caution. Les principaux décideurs, les agents de police et le personnel des tribunaux sont influencés par une mentalité d’aversion pour le risque. Cette mentalité a eu pour effet de limiter le pouvoir discrétionnaire de ces intervenants et ceux‑ci évitent donc de remettre en liberté des accusés qui présentent des risques non négligeables de récidive, et ce, même lorsqu’il est question d’accusés ayant commis des infractions mineuresNote de bas de page 2.
De récentes recherches comparatives ont révélé dans quelle mesure les procureurs canadiens sont susceptibles de se préoccuper de la gestion générale des risques et des restrictions onéreuses imposées aux accusés libérés sous caution, alors que les praticiens des tribunaux en Angleterre se soucient de la rapidité des procédures de mise en liberté sous caution, minimisant la détention et réduisant les coûts associés aux tribunaux et aux établissements correctionnels. En règle générale, cette constatation met en évidence l’ensemble des facteurs en jeu dans les tribunaux saisis des demandes de mise en liberté sous caution, l’importance de la culture judiciaire et les priorités des praticiens et des politiques en ce qui concerne le rôle du processus de justice pénale. En ce qui a trait à la culture judiciaire, on a observé que les relations entre la défense et la Couronne dans les tribunaux saisis des demandes de mise en liberté sous caution sont très litigieuses et caractérisées par des négociations prolongées. Lorsque des décisions de mise en liberté sous caution sont prises, des renseignements sur le risque, un plan de mise en liberté sous caution, une caution et une atténuation des risques sont souvent présentés pour obtenir une libération. Habituellement, la mise en liberté est accordée une fois que la défense a accepté les conditions restrictives de la mise en liberté sous caution, ce qui nécessite souvent une certaine forme de surveillance.
De surcroît, les observations sur la mise en liberté sous caution au Canada ont mis en évidence que la mise en liberté sous caution nécessite la plupart du temps plus d’une comparution, ce qui contribue aux problèmes de retard et d’efficacité des tribunaux pénaux du CanadaNote de bas de page 3.
Les analystes ont également souligné dans quelle mesure les réformes législatives ont entraîné la délivrance d’ordonnances de mise en liberté onéreuses (notamment en raison de l’augmentation du recours aux cautions, aux conditions multiples, aux programmes de surveillance des libérations sous caution et aux garanties pécuniaires) qui, souvent, ne sont pas liées à l’infraction qui aurait été perpétrée et qui sont imposées aux accusés qui ne sont pas détenus. L’ampleur de cette situation est perçue comme étant un problème pour ce qui est de la présomption d’innocenceNote de bas de page 4.
Divers intervenants ont signalé que les répercussions des problèmes actuels de la mise en liberté sous caution pourraient criminaliser davantage les populations vulnérables
Les universitaires, les organismes communautaires et le personnel des tribunaux ont relevé qu’un certain nombre de dispositions relatives à la mise en liberté sous caution entraînent des conséquences indésirables sur les populations vulnérables. Ainsi, les dispositions relatives à l’inversion du fardeau de la preuve, faisant peser la responsabilité sur l’accusé de fournir les raisons justifiant sa libération, ont été déterminées comme étant des difficultés pour les personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale ou pour celles qui ne sont pas représentées par un avocatNote de bas de page 5. Les exigences liées au fait d’avoir à trouver les cautions et les garanties pécuniaires nécessaires ont également été décrites comme étant un obstacle à la libération des personnes à faible revenuNote de bas de page 6. Le recours aux conditions comprenant des interdictions, comme le fait de demander à un accusé ayant des problèmes de toxicomanie de s’abstenir de consommer de l’alcool ou de la drogue, est vu comme étant une mesure favorisant l’échec de la libération des personnes ayant des problèmes de toxicomanie et de santé mentale. Plus précisément, les conditions d’abstention peuvent donner lieu à des manquements aux conditionsNote de bas de page 7. Enfin, des recherches récentes sur les conditions de mise en liberté sous caution des jeunes ont révélé, qu’en moyenne, les jeunes sous soumis à sept (7) conditions et qu’il existe des différences au chapitre de la quantité et de la qualité des conditions selon le sexe de l’accuséNote de bas de page 8.
Les répercussions à ce chapitre se sont révélées particulièrement importantes pour les Autochtones, puisque ceux‑ci doivent faire face à plusieurs problèmes interreliésNote de bas de page 9. Une récente étude menée par le Centre d’innovation de politiques et de programmes pour les Autochtones auprès de 692 principaux intervenants de la justice applicable aux Autochtones a mis en lumière l’ampleur des répercussions des problèmes actuels entourant la mise en liberté sous caution chez les AutochtonesNote de bas de page 10. Les conseillers parajudiciaires aux Autochtones ont confirmé que de nombreux facteurs socioéconomiques, psychologiques ou familiaux poussent régulièrement les Autochtones accusés d’actes criminels à violer leurs conditions de libération et à commettre des infractions contre l’administration de la justice (IAJ)Note de bas de page 11.
D’autres analystes des questions de mise en liberté sous caution ont observé que d’importants principes juridiques n’ont pas été respectés à l’étape de la mise en liberté sous caution lorsqu’il s’agit des peuples autochtonesNote de bas de page 12. Plus précisément, on craint que les principes de l’arrêt Gladue ou les considérations systémiques qui devraient être prises en compte ne soient pas interprétés et appliqués adéquatement à l’étape de la mise en liberté sous caution ou de la mise en liberté provisoire par voie judiciaire. Par exemple, on néglige les questions systémiques comme la partialité institutionnelle, les tendances en matière de maintien de l’ordre et les pratiques de mise en liberté sous caution qui influent de manière disproportionnée, et entraînent des conséquences, sur les peuples autochtones.
Soulignant davantage l’incidence de la mise en liberté sous caution sur les peuples autochtones, une récente étude du ministère de la Justice sur les plaidoyers de culpabilité utilise les observations formulées par des membres de divers groupes de travail et comités travaillant auprès des peuples autochtones dans le système de justice pénaleNote de bas de page 13 pour exposer dans quelle mesure les accusés autochtones peuvent plaider coupable en raison de divers facteurs, dont les facteurs liés à la mise en liberté sous caution. On peut constater cette situation chez les accusés autochtones qui sont plus susceptibles de plaider coupable lorsqu’on leur refuse la mise en liberté sous caution simplement pour « s’en débarrasser », pour ne plus être détenu provisoirement et pour obtenir une peine allégée en retourNote de bas de page 14. Ainsi, la mise en liberté sous caution n’influe pas seulement sur le traitement et l’efficacité du système de justice pénale, mais elle peut possiblement avoir une incidence différentielle et conséquente sur différents groupes, en particulier les groupes autochtones et vulnérables.
La plupart des intervenants ont critiqué l’inefficacité du processus de mise en liberté sous caution
Les problèmes liés à la lenteur dans le processus de mise en liberté sous caution ont été relevés par bon nombre d’universitaires et d’organisations communautairesNote de bas de page 15, confirmés par le personnel des tribunauxNote de bas de page 16 et constatés par plusieurs administrations dans le cadre d’examens ou de plans d’actionNote de bas de page 17. Il existe une préoccupation largement répandue concernant le fait que les audiences de mise en liberté sont souvent retardées en raison d’ajournements obtenus pour divers motifs (par exemple, trouver une caution, recueillir des renseignements, ralentir le rythme pour retenir les services d’un avocat). Ces retards ont donné lieu à des instances judiciaires improductives et à de longues périodes d’attente en détention provisoire.
Des lacunes dans le processus de mise en liberté sous caution ont aussi été constatées en ce qui a trait au recours à des ordonnances de mise en liberté strictes, lesquelles condamnent l’accusé à l’échec en lui imposant typiquement des exigences impossibles à respecter ou de multiples conditions lourdes, susceptible de donner lieu à des violations et, de ce fait, d’inonder le système judiciaire d’accusations contre l’administration de la justiceNote de bas de page 18.
Les inefficacités ne constituent pas la seule préoccupation. De nombreuses études ont mis en lumière les graves problèmes associés à l’augmentation du nombre d’accusés qui sont détenus dans l’attente des audiences sur la mise en liberté sous caution et des procès. Par exemple, il peut y avoir des violations potentielles des droits des accusés garantis par la Charte, une augmentation du nombre de personnes en détention qui sont présumées innocentes, une hausse des coûts, une exposition accrue aux comportements criminels et criminogènes et une hausse des répercussions négatives de la détention sur les populations vulnérablesNote de bas de page 19. Il y a aussi la question du manque de programmes dans le contexte de la mise en liberté sous caution. Ainsi, bien que les délinquants condamnés soient surveillés et suivent des programmes de réadaptation, il est peu probable que les personnes en détention provisoire reçoivent le type d’attention, de programme ou de service nécessaire pour répondre à leurs besoins en matière de réadaptation ou de traitementNote de bas de page 20.
De nombreux Canadiens appuient les initiatives visant à réformer le système de mise en liberté sous caution et le traitement des infractions contre l’administration de la justiceNote de bas de page 21
Une enquête menée par le ministère de la Justice en 2016 a révélé que les jeunes Canadiens estiment que le système de justice pénale est injuste pour les personnes détenues en attente d’un procès. La majorité des Canadiens sont en faveur de l’augmentation des mises en liberté sous caution s’il y a un faible risque pour la sécurité publique (75 %) et estiment qu’il ne faut pas accuser les personnes d’une infraction criminelle si elles ont commis une infraction liée à l’administration de la justice sans activité criminelle (68 %).
Les jeunes estiment qu’un accusé devrait demeurer dans la collectivité en liberté sous caution pour tous les types d’infractionsNote de bas de page 22
Un projet de participation des jeunes mené par le ministère de la Justice, en partenariat avec La Commission des étudiants du Canada, a montré que les jeunes croient qu’un accusé devrait demeurer dans la collectivité en liberté sous caution pour tous les types d’infractions (assortie de certaines conditions) en attendant son procès. Cela est préférable à la détention provisoire.
Pour ce qui est de la décision relative à la mise en liberté sous caution, les jeunes voulaient que les responsabilités en matière de soins et les réalités vécues (comme la pauvreté, les besoins en santé mentale et les conditions d’emploi) soient prises en considération lorsque les juges imposent des conditions à un accusé faisant l’objet d’une liberté sous caution. En outre, les jeunes étaient d’avis que les accusés doivent bénéficier d’un meilleur soutien pour les aider à respecter des conditions raisonnables de mise en liberté sous caution, par exemple en les aiguillant vers des services de soutien ou en les conduisant au tribunal. Les jeunes estimaient qu’une solution appropriée pour un manquement aux conditions exige des interventions personnalisées, y compris l’examen des circonstances individuelles, ainsi que le motif et la nature du manquement
L’Association du Barreau canadien appuie la réforme du système de mise en liberté sous caution, mais émet des réserves quant aux dispositions proposées dans le cadre des initiatives de réforme de la mise en liberté sous caution
Dans une lettre adressée en 2008 au ministère de la Justice, la Section du droit pénal de l’Association du Barreau canadien a confirmé son soutien aux initiatives visant à simplifier les procédures de mise en liberté sous caution et a reconnu que l’augmentation des mises en liberté par la police constitue un moyen prometteur pour régler les problèmes actuels en matière de mise en liberté sous cautionNote de bas de page 23. Elle estime toutefois que l’augmentation du pouvoir des agents de police au chapitre de la mise en liberté sous caution d’un accusé assortie de conditions pourrait entraîner d’autres complications dans le système de mise en liberté sous caution si ces agents ne sont pas formés adéquatement. C’est pourquoi elle a recommandé que de telles initiatives soient assorties de ressources appropriées en matière de formation. Les commentaires formulés par l’Association du Barreau canadien en 2018 au sujet du projet de loi C‑75Note de bas de page 24 appuient également les modifications relatives à la mise en liberté sous caution et les efforts visant à accélérer les audiences, à assurer la conformité avec la jurisprudence actuelle, à décourager l’utilisation des dépôts et cautions en espèces, à favoriser un processus plus rationalisé et à faire face aux taux de détention avant procès qui augmententNote de bas de page 25.
Les victimes d’actes criminels et les défenseurs des droits des victimes ont dit vouloir une loi sur la mise en liberté sous caution qui protège efficacement les citoyens canadiensNote de bas de page 26
À la suite de plusieurs décès tragiques dans la communauté imputables à des accusés libérés sous caution, les victimes et les défenseurs des droits des victimes ont exprimé leur insatisfaction à l’égard des dispositions actuelles en matière de mise en liberté sous caution et ont proposé des modifications au Code criminel afin de restreindre les mises en liberté sous caution pour certaines personnes (par exemple, dans le cadre de l’ancien projet de loi S‑127, rejeté en juin 2017Note de bas de page 27.
Bien qu’il existe peu de recherches et de données sur la fréquence et le type d’infractions commises par les personnes en liberté sous caution, les groupes de victimes ont diverses préoccupations en ce qui concerne la mise en liberté sous caution. Cela comprend la nécessité de tenir soigneusement compte des victimes dans le processus de mise en liberté sous caution, de prendre en considération la souplesse et la réactivité du processus de mise en liberté sous caution, d’accroître les mesures de sécurité et de sûreté, d’inscrire les droits dans la Charte canadienne des droits des victimes et de veiller à ce que les victimes aient accès aux mesures de soutien, aux renseignements, aux politiques et aux pratiques et à ce qu’elles soient protégéesNote de bas de page 28.
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