Introduction
Contexte et méthode
Le projet de loi C–4, Loi modifiant le Code criminel (thérapie de conversion), est entré en vigueur le 7 janvier 2022 au Canada, ajoutant du même coup de nouvelles infractions au Code criminel qui empêchent quiconque : de faire suivre une « thérapie de conversion » à une autre personne, sans égard à l’âge de consentement (article 320.102); de faire passer à l’étranger un enfant résidant habituellement au Canada pour le soumettre à une « thérapie de conversion » (alinéa 273.3(1)c)); de promouvoir ou de publiciser la « thérapie de conversion » (article 320.103); et de bénéficier d’un avantage financier ou matériel obtenu de la prestation de « thérapies de conversion » (article 320.104). Le projet de loi a également modifié le Code criminel afin d’autoriser les tribunaux à ordonner que les publicités pour la « thérapie de conversion » soient éliminées ou supprimées. Le Code criminel définit la « thérapie de conversion » comme une pratique, un traitement ou un service qui vise à rendre une personne conforme aux standards hétéronormatifs ou cisnormatifs (article 320.101). On y précise également que cela n’inclut pas les interventions qui visent à aider une personne à explorer ou à développer son identité, à moins que ces interventions ne s’appuient sur la fausse prémisse que certaines orientations sexuelles, identités de genre ou expressions de genre sont à privilégier.
Bien que la criminalisation de la « thérapie de conversion » constitue une étape importante pour protéger les personnes bispirituelles, lesbiennes, gaies, bisexuelles, transgenres et queers, les personnes en questionnement, les personnes intersexuées et asexuelles et les autres minorités sexuelles et minorités de genre (2ELGBTQQIA+) de la « thérapie de conversion », cette dernière persiste et continue de causer du tort aux personnes 2ELGBTQQIA+. De plus, le soutien aux survivant·e·s de « thérapie de conversion » fait défaut. Par ailleurs, les travaux précédents sur la « thérapie de conversion » n’ont pas mis l’accent sur les expériences des personnes 2ELGBTQQIA+ qui s’identifient également comme personnes autochtones, noires et de couleur (PANDC), personnes immigrantes, réfugiées ou nouvellement arrivées, ou personnes sans statut d’immigration. Pour mieux comprendre les expériences de « thérapie de conversion » de ces groupes de personnes 2ELGBTQQIA+ et leur offrir un meilleur soutien, le Centre de recherche communautaire (CRC) a mené 16 entretiens qualitatifs auprès de personnes 2ELGBTQQIA+ ayant survécu à une « thérapie de conversion » et qui s’identifient comme PANDC, personnes immigrantes, nouvellement arrivées et/ou réfugiées au Canada. Son objectif : découvrir la nature et la portée de leurs expériences et le genre de soutien que ces personnes désirent et obtiennent.
Principales constatations
Quoique plusieurs personnes participantes connaissent l’existence du projet de loi C–4, la plupart ne le comprennent pas bien. De plus, bon nombre d’entre elles soulèvent la nécessité de repenser le terme « thérapie de conversion » et de reconnaître le vaste éventail de pratiques de conversion, dont les pratiques explicites et implicites, qui sont toutes deux préjudiciables. Les personnes participantes rapportent avoir vécu différentes formes de « thérapie de conversion » et/ou d'efforts de coercition visant à changer leur orientation sexuelle, identité de genre ou expression de genre (SOGIECE) dans différents contextes (médical, religieux, éducatif et familial, notamment), et fréquemment dans plusieurs contextes. Toutes les formes de « thérapie de conversion », peu importe le contexte, ont des répercussions dévastatrices sur de nombreux aspects de la vie des personnes participantes : effets négatifs sur leur santé mentale et physique, déni constant de leur identité 2ELGBTQQIA+, perte de possibilités dans toutes les sphères de leur vie, perte de contacts et de relations interpersonnelles importantes et isolement, notamment.
La plupart des personnes interviewées n’ont pas eu beaucoup de soutien durant leur « thérapie de conversion », mais en ont obtenu par la suite. Les sources de soutien mentionnées incluent la famille, le ou la partenaire, les ami·e·s, les ressources en santé mentale, les organismes communautaires 2ELGBTQQIA+ et le soutien par des pairs 2ELGBTQQIA+. Le fait de recevoir le soutien des pairs a joué un rôle crucial dans le parcours de guérison de nombreux participants. Ils soulignent d’ailleurs la nécessité d’avoir des services de santé mentale accessibles et peu coûteux et du soutien tenant compte des traumatismes et des différences culturelles, afin de répondre pleinement aux besoins liés à l’intersectionnalité sexuelle, de genre, ethnique, religieuse, ainsi qu’aux autres identités et expériences. Par ailleurs, plusieurs personnes participantes ont exprimé le besoin d’obtenir des services anonymes afin de protéger leur vie privée et leur sécurité. De plus, il est important de mener des activités d’information et d’éducation tenant compte des différences culturelles pour faire connaître les services de soutien offerts, sensibiliser les gens aux « thérapies de conversion » et les informer du projet de loi C–4. Les personnes participantes insistent enfin sur la nécessité d’apporter des changements systémiques, comme l’amélioration des réseaux de la santé et des processus concernant les personnes immigrantes et réfugiées, la clarification et la mise au point du projet de loi C–4, et l’élaboration des lois et des politiques au-delà du projet de loi C–4, pour protéger les personnes.
Conclusions et recommandations
Les PANDC, les personnes immigrantes, nouvellement arrivées et réfugiées 2ELGBTQQIA+ qui ont survécu à une « thérapie de conversion » doivent surmonter des obstacles supplémentaires incomparables en raison de l’oppression intersectionnelle qu’elles vivent en raison de leur race, de leur ethnicité, de leur statut d’immigration, de leur langue, de leur religion et d’autres identités et expériences. Nos constatations indiquent que le soutien offert aux personnes 2ELGBTQQIA+ de ces groupes qui ont survécu à des pratiques de conversion pourrait être amélioré en :
- Cessant d'utiliser le terme « thérapie de conversion » pour y privilégier les termes pratiques de conversion ou efforts de coercition visant à changer l’orientation sexuelle, l’identité de genre ou l’expression de genre (SOGIECE) afin de refléter une définition plus large qui englobe un vaste éventail de pratiques de conversion.
- Menant des campagnes d’éducation pour mieux faire connaître le projet de loi C–4, l’éventail des pratiques de conversion et les conséquences de ces pratiques. Ces campagnes doivent être conçues pour des publics multiples, en collaboration avec des personnes survivantes, des communautés ethnoraciales, des immigrés, des nouveaux arrivés et des réfugiées.
- Adoptant, lors de la mise en œuvre du projet de loi C–4, des approches éducatives et réparatrices guidées par des PANDC, des personnes immigrantes, nouvellement arrivées et réfugiées 2ELGBTQQIA+ survivantes.
- Améliorant les connaissances relatives aux pratiques de conversion et à leurs conséquences au sein des services d’immigration, des organismes fédéraux, provinciaux et territoriaux et des services d’établissement communautaires. Ces connaissances doivent s’accompagner d’une amélioration des services tenant compte des traumatismes.
- Étendant les services de santé mentale aux personnes réfugiées 2ELGBTQQIA+ qui reçoivent des soins du Programme fédéral de santé intérimaireNote de bas de page 1 afin d’y inclure des services de santé mentale accessibles, durables et tenant compte des traumatismes.
- Éliminant la période d’attente de trois mois de la couverture d’assurance maladie qui existe toujours dans certaines provinces et certains territoires, de sorte que les personnes nouvellement arrivées puissent obtenir des soins de santé dès leur arrivée au Canada, ce qui est impératif pour les personnes ayant survécu à une « thérapie de conversion ».
- Étendant et bonifiant l’offre de services communautaires en présentiel et en ligne accessibles, tenant compte des traumatismes et qui soient culturellement et linguistiquement appropriés, destinés aux PANDC , aux personnes immigrantes, nouvellement arrivées et réfugiées 2ELGBTQQIA+. Il sera tout particulièrement important d’y inclure le soutien par les pairs et le soutien dirigé par les pairs. De plus, cet élargissement et cette bonification des services devront être soutenus par des investissements publics.
- Investissant dans des services d’aide au logement pour les personnes 2ELGBTQQIA+, avec des critères d’admissibilité inclusifs pour les communautés 2ELGBTQQIA+ qui rencontrent des obstacles systémiques supplémentaires, comme les personnes immigrantes, nouvellement arrivées et réfugiées, les personnes ayant un statut d’étudiant étranger et celles sans statut d’immigration.
- Faisant en sorte que les décideurs, les leaders communautaires et les organismes communautaires priorisent le soutien aux communautés 2ELGBTQQIA+ et la défense de leurs droits, y compris en prévenant et en interdisant les « thérapies de conversion », en garantissant des espaces sécuritaires aux personnes 2ELGBTQQIA+, notamment dans les écoles, en améliorant les services de façon à réduire les obstacles, à faciliter l’accès à de l’éducation sur la sexualité et le genre, à offrir des recours aux comportements haineux en ligne et en personne, etc.
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