Contexte

Le projet de loi C‑4, Loi modifiant le Code criminel (thérapie de conversion) (« projet de loi »), déposé à la Chambre des communes le 29 novembre 2021, est entré en vigueur le 7 janvier 2022. Le projet de loi C‑4 ajoute de nouvelles infractions au Code criminel qui empêchent quiconque : de faire suivre une « thérapie de conversion » à une personne, sans égard à l’âge de consentement (article 320.102); de faire passer à l’étranger un enfant résidant habituellement au Canada pour le soumettre à une « thérapie de conversion » (alinéa 273.3(1)c)); de promouvoir ou de publiciser ladite thérapie (article 320.103); et de bénéficier d’un avantage financier ou matériel obtenu de la prestation de « thérapies de conversion » (article 320.104). Le projet de loi a également modifié le Code criminel afin d’autoriser les tribunaux à ordonner que les publicités pour la « thérapie de conversion » soient éliminées ou supprimées. Le Code criminel définit cette thérapie comme une pratique, un traitement ou un service qui vise à rendre une personne conforme aux standards hétéronormatifs ou cisnormatifs (article 320.101).

On y précise également que cela n’inclut pas les interventions qui visent à aider une personne à explorer ou à développer son identité, à moins que ces interventions s’appuient sur la fausse prémisse que certaines orientations sexuelles, identités de genre ou expressions de genre sont préférables à d’autres. Cet important changement de politique est le résultat des nombreuses années de chaude lutte des communautés bispirituelles, lesbiennes, gaies, bisexuelles, transgenres, queers, en questionnement, intersexuées et asexuelles, et les communautés d’autres minorités sexuelles et minorités de genre (2ELGBTQQIA+) pour criminaliser ces pratiques préjudiciables et largement discréditées [2‑4]. Par la suite, les membres de la communauté et les universitaires ont souligné l’importance de l’adoption du projet de loi dans la protection de la santé et du bien-être des personnes 2ELGBTQQIA+ au Canada [5‑6].

Dans le présent rapport, le terme « thérapie de conversion » fait référence à un vaste éventail de pratiques qui mobilisent des efforts organisés et soutenus pour inciter quelqu’un à nier, réprimer ou changer son orientation sexuelle, son identité de genre ou son expression de genre pour hétérosexuelle ou cisgenre. Étant donné que la « thérapie de conversion » n’est pas une thérapie médicale réelle, mais bien une pratique préjudiciable et une infraction criminelle, nous mettons toujours cette expression entre guillemets dans le texte. Ces pratiques impliquent habituellement une institution, se déroulent très fréquemment en contexte religieux, confessionnel ou médical et peuvent faire l’objet de campagnes publicitaires [7]. La « thérapie de conversion » prend racine dans la pathologisation des identités 2ELGBTQQIA+. De nos jours, la « thérapie de conversion » est discréditée et jugée inefficace, inappropriée et dangereuse. Il en résulte qu’elle a perdu le soutien des institutions de santé traditionnelles.

Le terme « efforts de coercition visant à changer l’orientation sexuelle, l’identité de genre ou l’expression de genre (SOGIECE) » fait pour sa part référence à un éventail encore plus vaste d’efforts, y compris les plus subtils, pour changer, réprimer ou décourager certaines orientations sexuelles ou identités de genre. Les SOGIECE incluent des pratiques moins organisées, soutenues et définies, qui ne sont pas toujours menées dans le cadre d’une institution; par conséquent, ils n’entrent pas systématiquement dans la catégorie « thérapie de conversion ». Des parents ou des enseignants, par exemple, peuvent dire aux enfants que les garçons ne sont pas censés porter de jupes, ce qui pousse ces derniers à éviter d’afficher des expressions de genre socialement associées à la féminité.

Par ailleurs, le grand nombre de manifestations et de politiques éducatives anti‑2ELGBTQQIA+ au Canada peut rendre le développement, l’expression et l’affirmation de l’orientation sexuelle ou de l’identité ou de l’expression de genre plus difficiles pour les personnes 2ELGBTQQIA+. Ces exemples de SOGIECE ne sont pas couverts par le projet de loi C‑4, même s’ils sont préjudiciables pour les personnes 2ELGBTQQIA+. De plus, la ligne de démarcation entre une « thérapie de conversion » et des SOGIECE n’est pas toujours claire, des SOGIECE pouvant graduellement progresser vers une « thérapie de conversion ». Si le projet de loi C‑4 peut contribuer à protéger les personnes 2ELGBTQQIA+ des pratiques explicitement reconnues comme des « thérapies de conversion », des mécanismes plus efficaces, y compris du soutien éducatif et juridique, devront être mis en place pour prévenir toutes les formes de « thérapie de conversion » et de SOGIECE. En outre, les conséquences de la « thérapie de conversion » doivent être mieux comprises, d’autant que les questions relatives au soutien des personnes survivantes dans le cadre de cette nouvelle loi demeurent toujours sans réponse.

Les recherches précédentes sur la « thérapie de conversion » au Canada démontrent que peu avant l’adoption du projet de loi C‑4, ces pratiques étaient répandues et dommageables pour la santé et le bien-être des personnes 2ELGBTQQIA+. Par exemple, les résultats de l’enquête Sexe au présent 2019 du Centre de recherche communautaire (CRC) révèlent que près de 10 % des répondants GBT2Q (gais, bisexuels, trans, bispirituels et queers) ont déclaré avoir déjà été confrontés à ces pratiques, et que 21 % ont indiqué qu'eux-mêmes ou une personne ayant autorité sur eux avaient essayé de changer leur orientation sexuelle ou leur identité de genre [7]. D’après les résultats de l’étude Trans PULSE, la prévalence récente des « thérapies de conversion » chez les personnes trans et non binaires s’élève à 11 % [8]. Toutefois, ce pourcentage pourrait être sous-estimé en raison de la définition étroite de « thérapie » utilisée dans cette étude.

Les données canadiennes sur la prévalence de la « thérapie de conversion » chez les femmes queers et trans étant aussi très rares, il conviendrait de remédier à cette lacune. Malgré tout, les données actuelles démontrent une distribution inégale des « thérapies de conversion » dans les communautés 2ELGBTQQIA+, avec une prévalence plus élevée chez les jeunes, les personnes trans et non binaires, les personnes immigrantes, les minorités raciales et ethniques, et les personnes au statut socioéconomique inférieur [7‑9]. Les « thérapies de conversion » sont associées à des résultats négatifs sur le plan de la santé psychosociale, notamment à des taux plus élevés de solitude, de recours à des services de santé mentale, d’anxiété et de dépression [7; 9; 10‑12]. La suicidalité est également une conséquence courante, comme le révèle une étude qui indique que le tiers de ses participants GBT2Q ayant suivi une « thérapie de conversion » ont tenté de se suicider [9].

D’autres recherches soulignent également des lacunes majeures dans le soutien offert, ainsi que la nécessité d’offrir des services accessibles et peu coûteux, y compris des services en santé mentale tenant compte des traumatismes et axés sur l’affirmation [7; 9; 11; 13]. Il est essentiel d’améliorer les connaissances des prestataires de soins de santé sur les personnes 2ELGBTQQIA+ et les conséquences préjudiciables des « thérapies de conversion » pour combler ces lacunes [13; 14]. Les obstacles à l’accès au soutien persistent, dont le sentiment de honte, l’homophobie intériorisée, la transphobie intériorisée et le coût des services offerts [13]. Les principaux facilitateurs du rétablissement et de la guérison comprennent l’établissement de relations sociales propices à l’affirmation, notamment avec d’autres personnes et organismes 2ELGBTQQIA+, et la présence de lieux pour vivre ses émotions et surmonter ses traumatismes [13; 24].

Par ailleurs, des études antérieures insistent sur la nécessité d’explorer davantage l’intersectionnalité de l’identité ethnoraciale et du statut d’immigration avec les « thérapies de conversion » [13], tout particulièrement en raison de la surreprésentation des PANDC et des personnes immigrantes dans les estimations relatives aux « thérapies de conversion » [7]. Or, ces expériences n’ont pas fait l’objet de recherches qualitatives approfondies au Canada. Pour combler cette lacune, le présent rapport se veut une analyse qualitative de l’expérience vécue par les personnes 2ELGBTQQIA+ ayant survécu à une « thérapie de conversion » et qui s’identifient comme PANDC, personnes immigrantes, nouvellement arrivées, réfugiées ou sans statut d’immigration au Canada, y compris la nature et les conséquences de leurs expériences et les types de soutien (p. ex., programmes, politiques ou ressources) auxquels les survivants ont eu accès et qu'ils souhaitent obtenir.