Les jeunes provenant des communautés noires et le système de justice pénale : rapport sommaire sur un processus de mobilisation au Canada
Résultats des séances de mobilisation
Circonstances qui contribuent à ce que les jeunes noirs aient des démêlés avec le système de justice pénale pour les adolescents
Les histoires que les participants ont racontées pendant les séances de mobilisation ont illustré comment une multitude de facteurs sociaux interreliés font que les jeunes noirs en arrivent à avoir des démêlés avec le SJP pour les adolescents. Elles ont fait ressortir le fait qu’en pratique, le SJP au Canada agit comme une institution qui gère une variété de problèmes sociaux touchant les jeunes noirs, et non comme un mécanisme contribuant à l’orientation et à la réadaptation de jeunes qui ont commis des infractions criminelles. Au lieu de s’attaquer aux causes fondamentales d’enjeux sociaux systémiques, le SJP (et d’autres systèmes) individualise souvent les problèmes sociaux. Cette situation fait en sorte que la responsabilité de régler ces problèmes revient aux jeunes noirs, qu’ils soient immigrants ou nés au Canada, et à leur famille. Les discussions sur les circonstances contribuant à faire en sorte que les jeunes noirs en arrivent à avoir des démêlés avec le SJP pour les adolescents ont donné des résultats très semblables dans les différentes villes et séances de mobilisation. Les histoires racontées ont mis en évidence de nombreux cheminements menant au SJP dans les contextes suivants : 1) intervention policière excessive; 2) infractions criminelles commises par les jeunes à des fins de survie et d’identité. Ces cheminements étaient massivement caractérisés par des expériences de racisme à l’endroit des Noirs et de pauvreté, ainsi que par l’absence de services adéquats, comme il est précisé ci‑après.
Intervention policière excessive
Les interventions policières dans les écoles et le cheminement de l’école à la prison
Dans toutes les villes, les participants ont indiqué que les écoles sont l’un des principaux endroits où les jeunes noirs ont leurs premiers démêlés avec le SJP. Le lien entre l’école et le SJP est bien documenté et on l’appelle souvent le cheminement de l’école à la prison (Henry et Tator, 2010; James, 2012; Maynard, 2017; Solomon et Palmer, 2004). Il ressort des réponses des participants qu’il existe deux cheminements distincts menant aux démêlés avec le SJP à partir de l’école. Le premier découle des interventions policières excessives, à savoir des interventions excessives ou exagérées des forces de l’ordre compte tenu des circonstances. Le deuxième découle des processus d’étiquetage et d’exclusion à l’école, dont il sera question dans la section 5.1.2.
Les interventions policières excessives façonnent le premier contact avec les services de police à l’école en raison de pratiques discriminatoires et dures, comme les politiques de tolérance zéro qui font que les jeunes noirs sont traités différemment des autres jeunes. Ces pratiques ont pour conséquence que la proportion de jeunes noirs suspendus, expulsés ou renvoyés de l’école est supérieure (Collins et Magnan, 2018; James, 2012; James et Turner, 2017; George, 2020). En outre, les jeunes noirs, leur famille et les intervenants ont souvent signalé que lorsque de jeunes noirs présentent des problèmes de santé mentale ou de comportement, on fait trop souvent appel aux services de police (ou aux agents en service dans les écoles, qui se trouvent déjà sur le campus) pour régler ces situations. Par conséquent, il se peut que ces jeunes se voient imposer des sanctions pénales.
Les participants ont souligné que pour les jeunes noirs nés au Canada, les problèmes de santé mentale peuvent découler de la pauvreté, de problèmes à la maison, et de racisme à l’endroit des Noirs dans la classe et dans la société en général. Les jeunes noirs qui sont de nouveaux arrivants au Canada peuvent aussi éprouver des problèmes de santé mentale découlant de la difficulté à s’adapter à la société canadienne, de l’exclusion attribuable au fait que leur langue maternelle n’est pas l’anglais ou le français ou qu’ils parlent avec un accent, au stress occasionné par la migration ou aux traumatismes causés par l’exposition à la guerre ou à d’autres menaces à la sécurité nationale dans leur pays d’origine. Lorsque ces problèmes de santé mentale ne sont pas pris en charge adéquatement, les étudiants noirs peuvent mal se conduire ou manifester des troubles de comportement à l’école. Des participants ont indiqué qu’en raison de leur coût, la plupart des services de santé mentale sont presque inaccessibles. Certains jeunes qui avaient les moyens et la possibilité d’obtenir des services de santé mentale ont souligné que les services qu’ils avaient obtenus étaient caractérisés par la stigmatisation des Noirs et les stéréotypes, de sorte que ces milieux n’étaient pas des endroits où les jeunes noirs pouvaient se sentir en sécurité. D’autres jeunes ont souligné qu’ils ne pouvaient pas établir de lien avec les fournisseurs de services de santé mentale, car ils n’avaient pas vécu d’expériences semblables. Les intervenants ont également mentionné que, comparativement aux jeunes non noirs aiguillés vers des services de santé mentale, les jeunes noirs sont trop souvent pris en charge par le SJP au lieu de recevoir des services de soutien adaptés à leurs besoins.
Des participants ont indiqué que les nouveaux arrivants sont victimes de harcèlement de la part d’élèves et enseignants et qu’il arrive souvent que les membres de l’administration scolaire ne les croient pas et ne les prennent pas au sérieux. Les jeunes décident alors de s’occuper de ces problèmes eux-mêmes, ce qui peut se traduire par des altercations verbales ou physiques. Dans le cas des jeunes non noirs, ces altercations sont souvent vues comme des bagarres dans la cour d’école ou des comportements normaux de garçons, ce qui donne à penser qu’il est considéré comme normal et prévisible qu’il y ait des bagarres entre jeunes dans une certaine mesure. Cependant, dans le cas des jeunes noirs, on s’attend à ce que les agents en service dans les écoles interviennent pour régler des troubles de comportement semblables, et une simple bagarre peut donner lieu à des accusations de voies de fait. Ce traitement différentiel découle probablement de stéréotypes répandus selon lesquels les jeunes noirs sont colériques, agressifs, violents et enclins à la criminalité (Rogers et Way, 2016; Jerald et coll., 2017). Des participants ont souligné que les jeunes noirs sont trop souvent perçus comme dangereux en raison de leurs caractéristiques physiques. Par exemple, à Montréal, une mère noire a rapporté que l’école avait appelé la police après que son fils de 12 ans avait soulevé un bureau dans un geste de colère. Bien qu’affirmant que le garçon ne semblait pas présenter une menace pour lui-même ou pour les autres, l’école avait violé son propre protocole en ne communiquant pas d’abord avec les parents, au motif que l’enseignant considérait que le garçon était [traduction] « hors de contrôle ».
Enfin, des participants ont souligné que les jeunes noirs peuvent entrer en contact avec le SJP pour la première fois lorsqu’ils signalent des tensions ou des problèmes familiaux à des dirigeants scolaires. La majorité des recherches et des écrits sur l’éducation des enfants s’appuient sur des pratiques eurocentriques, selon lesquelles les méthodes d’éducation des enfants d’autres cultures sont considérées comme étant inférieures, autoritaires ou néfastes. Ainsi, les professionnels, y compris les éducateurs, peuvent mal interpréter et étiqueter les méthodes d’éducation des enfants adoptées par des parents noirs, et juger qu’une intervention est nécessaire (Okpokiri, 2021). Dans ces situations, il est possible qu’on fasse appel à des organismes de protection de l’enfance et que ceux-ci retirent les jeunes de leur milieu familial, ce qui augmente considérablement les probabilités que les jeunes finissent par avoir des démêlés avec le SJP. Cette question est approfondie ci-après, s’agissant de la mesure dans laquelle les services de police ont recours aux organismes de protection de l’enfance.
Interventions policières excessives dans les communautés noires
Des participants ont indiqué que les jeunes noirs subissent du racisme prenant la forme d’interventions policières excessives dans leur communauté, ce qui contribue à ce que les jeunes entrent en contact avec le SJP. Les interventions policières excessives dans les communautés noires prennent les formes suivantes : a) forte présence policière dans les quartiers marginalisés sur le plan économique, profilage racial, interpellations et fouilles discriminatoires, mobilisation de règlements municipaux et d’autres lois discrétionnaires pour punir de façon différentielle les jeunes noirs; b) recours des services policiers aux organismes de protection de l’enfance; c) traitement des problèmes de santé mentale au sein du SJP.
Forte présence policière dans les quartiers marginalisés sur le plan économique, profilage racial, interpellations et fouilles, interventions policières discrétionnaires
Le cheminement menant les jeunes noirs au SJP le plus souvent mentionné découle du racisme à l’endroit des Noirs dont font preuve les services de police de quartier. Des participants ont indiqué que les jeunes ont souvent leur premier contact avec le SJP en raison de la forte présence policière dans leur quartier. Certains quartiers sont étiquetés ou désignés comme des « secteurs à améliorer », des « quartiers prioritaires » ou des « quartiers à risque ». Généralement, ils sont caractérisés par des niveaux élevés de pauvreté et de criminalité et par une forte proportion de nouveaux arrivants ou de résidents racisés. Dans le cadre d’une stratégie visant à réduire le taux de criminalité dans ces quartiers, les organismes de maintien de l’ordre adoptent des pratiques policières « proactives » ou « préventives », qui font en sorte que dans ces quartiers, la surveillance est massive et les patrouilles sont nombreuses. Cette stratégie a des effets néfastes et irréguliers. L’application de la loi de façon différentielle est l’une des conséquences manifestes de la forte présence policière. Il en est ainsi, car les infractions mineures et les comportements normaux d’adolescents rebelles passent souvent inaperçus auprès des services police à l’extérieur des quartiers jugés « à risque », mais font l’objet d’interventions policières dans les quartiers « à risque ». Cela entraîne des résultats de vie largement différents pour les jeunes noirs, même si les jeunes non noirs autodéclarent autant d’infractions criminelles que les jeunes noirs (Hamilton et coll., 2018; Chambre des communes, 2021; Commission ontarienne des droits de la personne, 2019; Maynard, 2017). Par exemple, un parent à Halifax s’est exprimé en ces termes :
[traduction]
Des enfants de 13 et 14 ans qui rentraient chez eux après être allés au parc marchaient sur la pelouse d’un immeuble, ils s’amusaient [sur la pelouse]. Leur présence a rendu des occupants de l’immeuble nerveux, car ceux-ci croyaient que les jeunes tentaient d’entrer dans l’immeuble par effraction. Des policiers sont arrivés avec leur arme à la main et ont annoncé leur arrestation pour violation de domicile.
On parle de profilage racial lorsque des policiers soupçonnent des personnes d’avoir commis une infraction criminelle en raison de leur race perçue, de leur nationalité ou de leur religion, et non en raison de leur comportement. Cette pratique policière peut aussi avoir cours lorsque les policiers ont l’autorisation de faire des interpellations et des arrestations, de contrôler l’identité de gens ou de faire des contrôles de routine. Les jeunes noirs ont souvent souligné qu’à partir de huit ou neuf ans, ils ont avec les policiers des relations dans lesquelles ils sont impuissants. Cela se produit qu’ils aient déjà eu un comportement criminel ou non. Les policiers finissent par les connaître par leur prénom et interrompent régulièrement leur quotidien en les ciblant. Des recherches révèlent que les jeunes noirs sont beaucoup plus susceptibles que les jeunes non noirs de subir de telles interventions policières (Fitzgerald et Carrington, 2011). Les séances de mobilisation ont confirmé que les jeunes noirs sont forcés d’interagir avec les policiers lorsqu’ils font des activités banales, comme lorsqu’ils marchent ou flânent dans leur quartier.
[traduction]
J’ai interagi avec la police lorsque je marchais tard la nuit avec mes amis. Nous nous promenions simplement en discutant lorsque les policiers nous ont interpellés, plaqués et menottés… Ils ne nous ont pas vraiment expliqué pourquoi ils nous arrêtaient. C’était tard le soir et nous n’avons pas été autorisés à communiquer avec qui que ce soit lorsque nous avons été mis en détention. (Jeune à Ottawa)
Le pouvoir discrétionnaire des policiers en matière d’application de lois, particulièrement des règlements municipaux, fait souvent en sorte que le traitement réservé aux jeunes noirs est différent et plus dur. Par exemple, à Montréal, il était fréquent que de jeunes noirs soient arrêtés pour des motifs futiles, comme le fait d’être assis sur le dossier d’un banc de parc. Des jeunes rencontrés en entrevue ont également dit avoir été accusés à tort d’une infraction criminelle lorsqu’ils se trouvaient en présence d’autres jeunes noirs.
[traduction]
La première fois que j’ai été arrêté, j’avais 14 ans. J’ai été accusé de possession d’une arme à feu. J’étais dehors avec d’autres jeunes lorsqu’une personne a appelé la police pour dire qu’elle avait vu quelqu’un avec une arme à feu. Des policiers ont frappé à ma porte et ont porté des accusations contre moi, car j’étais avec le groupe plus tôt. Tout le monde a été arrêté. (Jeune à Toronto)
Des intervenants ont confirmé ces histoires et ont observé qu’un groupe de jeunes noirs était beaucoup plus susceptible d’être arrêté en bloc qu’un groupe de jeunes blancs lorsqu’une seule personne avait commis un acte criminel. À l’inverse, de jeunes noirs ont raconté des histoires au cours desquelles ils avaient été pris à partie dans un groupe comptant des personnes de différentes races.
[traduction]
Par exemple, si une personne disait que ça sent le cannabis, ils me demanderaient de défaire ma ceinture et de déplacer la taille de mes pantalons. Ou encore, si je suis le seul Noir avec trois personnes, ou si un gars blanc me dépasse en voiture et que je suis derrière lui. Ils me prendraient à partie et me poseraient des questions. Si une fille blanche se trouvait dans le véhicule, ils lui demanderaient si elle va bien. (Jeune à Toronto)
En outre, des participants partout au pays ont affirmé que les policiers cherchent souvent un motif de pénaliser les jeunes.
[traduction]
Les enfants noirs dans un quartier qui a une mauvaise réputation sont considérés comme des criminels. Les policiers tentent de trouver un motif pour les arrêter lorsqu’ils vieillissent. (Fournisseur de services à Toronto)[traduction]
En tant que jeune noir, j’ai connu beaucoup de problèmes de racisme, y compris le fait d’être arrêté sur la route et harcelé ou fouillé sans aucune raison, et ce, à maintes reprises. Un policier est même allé jusqu’à dire ceci : « Je vais faire tout ce qui est en mon pouvoir maintenant pour te jeter en prison. » (Jeune à Ottawa)
Mesure dans laquelle les services de police ont recours aux organismes de protection de l’enfance
Des participants ont indiqué que les services de police avaient trop souvent recours aux organismes de protection de l’enfance pour régler des conflits au sein de familles noires, que les personnes en question soient mineures ou non. Par exemple, une mère de Calgary a appelé la police afin d’obtenir de l’aide pour un de ses enfants. Lorsque les policiers sont arrivés, ils ont jugé qu’elle était instable mentalement, car elle semblait émotive. Ils ont ensuite appelé les services à l’enfance et à la famille, qui ont retiré deux enfants du domicile. La mère a précisé ceci :
[traduction]
Les services à l’enfance et à la famille ont rendu les choses très difficiles à gérer à la maison… J’avais seulement besoin de soutien, et ils m’ont enlevé mes enfants.
Des intervenants à Winnipeg et à Toronto ont affirmé que le recours inutile aux organismes de protection de l’enfance non seulement perturbe les familles noires, mais aussi augmente les probabilités qu’un jeune entre en contact avec le SJP. C’est ce qu’on appelle le pipeline de l’aide à l’enfance à la prison. Des recherches ont révélé que les jeunes pris en charge par le système de protection de l’enfance sont nettement moins susceptibles d’obtenir un diplôme d’études secondaires (Sécurité publique Canada, 2012), qu’ils sont proportionnellement plus nombreux à avoir des démêlés avec le SJP (Turpel-Lafond, 2013; Finlay et coll., 2019) et que la proportion de jeunes noirs dans le système de protection de l’enfance est beaucoup plus élevée que la proportion de jeunes noirs dans la population générale (Commission ontarienne des droits de la personne, 2018b; Finlay et coll., 2019). En outre, des recherches menées en Ontario ont révélé que les jeunes noirs pris en charge par le système de protection de l’enfance sont [traduction] « surcriminalisés » et font l’objet d’accusations criminelles plus nombreuses et plus graves que leurs homologues blancs. Comparativement à la fois aux jeunes blancs et aux jeunes Autochtones, ils font l’objet de plus nombreuses accusations d’infractions liées à l’administration de la justiceNote de bas de page2 lorsqu’ils sont en foyer de groupe pour différents comportements, comme la fugue, le non-respect d’un couvre-feu ou le fait de discuter avec un coaccusé (Finlay et coll., 2019, p. 29).
Plus de recherches sont nécessaires, en raison du manque de données et d’efforts déployés pour recueillir systématiquement des données fondées sur la race pour ce qui est des résultats relatifs à la protection de l’enfance (Commission ontarienne des droits de la personne, 2018b). Les recherches existantes et les résultats des séances de mobilisation montrent que les interventions policières excessives auprès des jeunes noirs dans le but des conflits familiaux entraînent l’intervention inutile du système de protection de l’enfance, ce qui augmente les probabilités que les jeunes aient des démêlés avec le SJP.
Interventions policières relatives à la santé mentale
Des participants ont indiqué que les jeunes noirs qui éprouvent des problèmes de santé mentale dans la communauté, qu’ils soient immigrants ou nés au Canada, sont généralement pris en charge par les services de police et non par le système de santé publique. Il s’agit d’un problème, car comme un travailleur communautaire de Winnipeg l’a expliqué :
[traduction]
[…] les policiers sont particulièrement inaptes à gérer ces problèmes.
Lorsque le premier contact d’une personne avec les services de police découle de problèmes de santé mentale, il est probable que cette personne ait d’autres démêlés avec le SJP. Une personne à Ottawa a raconté qu’un membre de sa famille souffre de schizophrénie, et qu’au cours des dix dernières années, il a été pris en charge, et libéré, à de nombreuses reprises par le SJP au lieu d’être traité dans un établissement de santé mentale. Elle s’est exprimée en ces termes :
[traduction]
Même si les services de police savent qu’il est instable mentalement, des policiers se déplacent pour l’arrêter et le traîner devant les tribunaux.
Les problèmes de santé mentale des jeunes noirs sont non seulement mal gérés par les policiers, mais ils sont également susceptibles d’être causés par les interventions policières en soi. Ces problèmes peuvent se manifester lorsque les jeunes subissent des interventions policières inutiles et souvent agressives, ce qui leur fait vivre des traumatismes et des expériences stressantes. Des jeunes noirs à Montréal ont souligné qu’ils se sentaient comme en prison en raison des interactions fréquentes avec les policiers dans leur quartier.
Ces déclarations montrent comment les interventions policières excessives auprès des jeunes noirs découlant de préjugés raciaux entraînent des contacts avec le SJP et ont une incidence négative sur des facteurs contribuant à ce que les jeunes aient des démêlés avec le SJP, qu’ils commettent des infractions criminelles ou non. Les interventions policières excessives auprès des jeunes noirs ne sont qu’un exemple du racisme à l’endroit des Noirs. Le racisme que subissent les jeunes noirs dans d’autres sphères de la société pousse aussi les jeunes noirs à commettre des infractions criminelles.
Commission d’infractions criminelles : survie et identité
De nombreux jeunes ont dit être entrés en contact pour la première fois avec le SJP après avoir commis une infraction criminelle. Leur récit remettait leurs actions en contexte, c’est-à-dire que celles-ci s’inscrivaient dans une stratégie de survie ou d’identité visant à répondre à des besoins non satisfaits. Affirmer que les jeunes noirs sont entièrement responsables de leurs démêlés avec le SJP revient à fermer les yeux sur leur situation réelle et sur la discrimination soutenue qui entraîne des résultats différentiels pour les communautés noires. Comme il est précisé dans la section contextuelle du présent rapport, la discrimination raciale systémique fait que les personnes noires sont plus susceptibles de vivre dans la pauvreté et d’être exclues du marché du travail. Ces iniquités en matière d’emploi ont une incidence directe sur les familles et les enfants. En 2015, le pourcentage d’enfants noirs en situation de faible revenu était de deux fois et demie à trois fois supérieur à celui observé chez les autres enfants canadiens. Ce même écart persistait entre le taux de faible revenu chez les enfants noirs issus de familles de deuxième et de troisième génération et celui du reste de la population (Houle, 2020). Cela signifie que de nombreux jeunes noirs ne peuvent échapper au fait que certains de leurs besoins économiques de base ne sont pas satisfaits. Comme ces jeunes noirs sont systématiquement exclus du marché du travail, cette situation peut en pousser certains à avoir recours à des moyens non conventionnels (c.-à-d. en commettant une infraction criminelle) pour répondre à leurs besoins financiers (Owusu-Bempah et coll., 2021). Les histoires racontées par les participants ont situé le contexte et illustré pourquoi les jeunes noirs peuvent choisir de commettre des infractions criminelles dans le cadre d’une stratégie de survie ou d’identité. Quatre thèmes récurrents qui se dégagent des motifs pour lesquels les jeunes noirs commettent des infractions criminelles sont décrits en détail ci-dessous.
Pauvreté, environnement et effets intergénérationnels
Les jeunes noirs, leur famille et des fournisseurs de services ont été nombreux à déclarer que la plupart des infractions criminelles commises par les jeunes noirs sont liées à la pauvreté, et que certains jeunes ont recours au vol, à la fraude et à la vente de drogues pour subvenir à leurs besoins financiers de base. Bien que plus de recherches soient nécessaires, des données montrent que les personnes noires sont généralement surreprésentées dans les quartiers à faible revenuNote de bas de page 3 (Hulchanski, 2010). Une recherche sur des quartiers de Toronto a révélé que les personnes noires sont, proportionnellement, environ 2,2 fois plus nombreuses à vivre dans un quartier à faible revenu que dans un quartier à revenu moyen, et 4,3 fois plus nombreuses à vivre dans un quartier à faible revenu que dans un quartier à revenu élevé (Hulchanski et Maaranen, 2018). Des participants ont indiqué que dans un quartier où la concentration de la population à faible revenu est élevée, davantage de personnes sont exclues du marché du travail et ont un accès moindre aux programmes gouvernementaux adéquats offrant une aide financière ainsi qu’aux programmes récréatifs. La concentration de la population à faible revenu peut également entraîner une concentration de personnes commettant des infractions criminelles pour faire de l’argent. Cette réalité peut avoir une incidence sur la visibilité et les connaissances de la « criminalité de rue » dans le quartier, ainsi que sur l’exposition des jeunes à d’autres personnes commettant des infractions criminelles. Un travailleur communautaire de Winnipeg a formulé la remarque suivante :
[traduction]
Les enfants qui sont venus ici [au Canada] sont parfois en échec scolaire et ne trouvent pas de travail. S’ils ne trouvent pas d’emploi, quelle est la prochaine étape? Donc si quelqu’un leur propose de faire a, b, c, d, il est facile pour eux d’être impliqués dans ce [crime].
Cette citation illustre l’importance des obstacles auxquels sont confrontés les jeunes noirs, en plus de se faire « offrir » par d’autres habitants du quartier l’occasion de participer à des activités criminelles. Un jeune à Toronto a affirmé ceci :
[traduction]
J’ai eu des démêlés avec le système de justice pour les adolescents, car j’avais des besoins financiers. Des membres de ma famille faisaient partie de gangs… là d’où je viens, c’est ce que les gars faisaient.
Cela illustre comment le comportement criminel peut devenir normalisé pour les jeunes noirs vivant dans un quartier à faible revenu lorsqu’ils sont grandement exposés à la criminalité et que leurs besoins financiers ne sont pas satisfaits. Un fournisseur de services d’Halifax a donné l’explication suivante :
[traduction]
Il importe de comprendre que les démêlés avec le SJP pour les adolescents peuvent être transgénérationnels à cause d’obstacles systémiques, comme le manque d’éducation et le manque d’emplois. Cette situation peut être due au fait que c’est l’exemple reçu des membres de la famille et de la maisonnée.
Des membres de la famille, des amis et d’autres personnes qui ont recours à la criminalité en réponse à la pauvreté, aux obstacles limitant l’accès au marché du travail et à une aide gouvernementale inadéquate peuvent devenir des modèles pour les jeunes noirs, ou encore un point d’entrée dans une trajectoire de vie au sein de laquelle la criminalité est un gagne-pain. Par conséquent, les inégalités raciales peuvent façonner les milieux dans lesquels se retrouvent les jeunes noirs et avoir un effet intergénérationnel par lequel la criminalité est reproduite en tant que stratégie de survie au sein des familles.
Pauvreté, discrimination et incidence sur la dynamique familiale
Des participants ont mentionné que les répercussions de la discrimination systémique sur la dynamique familiale permettent également de comprendre la participation des jeunes noirs aux activités criminelles. La présente section traite de la mesure dans laquelle la discrimination sur le marché du travail conduisant à la pauvreté et la surcriminalisation des hommes noirs agissent sur les familles noires de deux façons importantes qui peuvent inciter les jeunes noirs à commettre des infractions criminelles.
Premièrement, la surcriminalisation des hommes noirs fait partie des facteurs contribuant à faire en sorte que la proportion de familles monoparentales noires est plus élevée. Les jeunes noirs, leur famille et les fournisseurs de services ont tous indiqué que de nombreux jeunes noirs, qu’ils soient nés au Canada ou immigrants, n’avaient pas de père à la maison. Des données de Statistique Canada le confirment : en 2016, 27,4 % des femmes noires (de 25 à 59 ans) étaient monoparentales, comparativement à 10,6 % des femmes dans le reste de la population au Canada (Houle, 2020).
La monoparentalité a d’importantes conséquences pour les familles et les jeunes noirs. Les enfants dont le parent seul est marginalisé sur le plan économique passent davantage de temps seuls. Les mères monoparentales doivent assumer la responsabilité d’être le soutien de famille tout en élevant leurs enfants seules. En raison de la discrimination dans le milieu de travail, qui fait souvent en sorte qu’elles occupent des emplois faiblement rémunérés, les mères monoparentales ont souvent de nombreux emplois ou sont absentes de la maison pendant de longues heures. Des intervenants ont souligné comment ces difficultés sont parfois amplifiées pour les mères qui viennent d’arriver au pays, car celles-ci doivent travailler ou chercher un emploi, apprendre l’anglais et s’intégrer dans la société canadienne. Pour y arriver, elles doivent passer du temps à l’extérieur de chez elles, loin de leurs enfants.
[traduction]
Lorsque les jeunes arrivent ici [au Canada], ils sont souvent désavantagés. Ils arrivent avec un seul parent, et c’est souvent la mère qui est avec les enfants. Disons qu’une mère doit s’occuper de ses sept enfants, le rôle traditionnel qu’elle assumait en Afrique doit changer… Elle apprend un rôle différent. L’apprentissage d’un nouveau rôle lui rend la tâche difficile [élever des enfants]. Ils ont également un emploi et vivent loin de leur milieu traditionnel où ils ont des membres de la famille élargie. (Travailleur communautaire à Winnipeg)
Les participants ont mentionné que les réfugiés et les nouveaux arrivants noirs au Canada subissent d’autres désavantages, comme des obstacles linguistiques, des sentiments anti-immigrants et anti-réfugiés, et de la xénophobie, qui nuisent à leur sécurité financière et à leur établissement réussi. Des recherches ont révélé qu’on s’attend à ce que les immigrants noirs nés en Afrique qui sont à la recherche d’un emploi aient un accent canadien, des études canadiennes et une expérience canadienne, même s’ils se sont vus accorder leur statut d’immigrant précisément en raison de leurs études et de leurs compétences de haut niveau. Cela signifie que de nombreux immigrants noirs sont surqualifiés pour les emplois qu’ils réussissent à obtenir et occupent des [traduction] « emplois de survie » pour joindre les deux bouts (Creese et Wiebe, 2012). Comme l’illustre la citation ci-dessus, les mères monoparentales doivent également composer avec la perte du soutien communautaire et de leur réseau familial élargi, qui les aiderait autrement à s’occuper des enfants. Ces conditions s’ajoutent à un manque de programmes, de services et d’occasions pour les jeunes noirs et leurs parents. Il se peut que les enfants passent plus de temps à faire des activités informelles, non structurées et non supervisées dans les rues de leur communauté, comparativement aux jeunes vivant dans une famille jouissant d’une sécurité économique, qui consacrent généralement plus de temps à des activités organisées, structurées et supervisées (Lareau, 2003). Un jeune à Toronto a affirmé ceci :
[traduction]
J’ai eu des démêlés avec le système de justice pour les adolescents, car je m’ennuyais. Je ne faisais rien. J’admirais les jeunes plus vieux que moi, je suivais mes amis et je voulais des choses pour m’intégrer, comme des chaussures de sport Jordan.
Les jeunes qui passent du temps dans les rues sans avoir une routine structurée et sans être supervisés par leurs parents ou d’autres adultes sont plus susceptibles de côtoyer des personnes qui commettent des infractions criminelles et d’entrer en contact avec elles. C’est dans ces circonstances qu’ils risquent le plus de commettre des infractions criminelles.
Deuxièmement, des participants ont indiqué que la discrimination systématique contribuant à l’absence des pères du ménage désavantageait davantage les jeunes noirs en raison de l’absence d’un modèle masculin positif à la maison. Par exemple, à l’un des endroits où les séances ont eu lieu à Toronto, parmi les 25 jeunes noirs incarcérés consultés, 24 ont indiqué qu’il avait été plus facile de céder à la pression exercée par des pairs commettant des infractions criminelles, en raison de l’absence de relation étroite (ou de quelconque relation) avec leur père ou d’autres modèles masculins. De nombreux jeunes hommes ont aussi indiqué qu’ils s’étaient sentis obligés d’assumer les responsabilités et les devoirs de leur père absent. Entre autres, ils avaient commis des infractions criminelles afin d’obtenir de l’argent pour leur ménage, et ils avaient apporté leur aide à l’éducation des enfants.
[traduction]
Nous sommes venus en famille, mais quand nous sommes au Canada, nous perdons ce contenu familial. Ce sentiment de famille. Tout est différent. Il y a des jours où je vois à peine ma mère. Elle travaille toujours si dur. Elle travaille de nuit. Cela laisse beaucoup d’enfants vulnérables. Tu n’as pas de modèle, parce que ta mère essaie de gagner de l’argent pour survivre, mais encore, elle le fait pour gagner le salaire minimum. Nous avons des obstacles à surmonter. Nous ne parlons pas la langue. Nous essayons d’être à notre place. Je suis là, j’essaie de survivre. J’essaie d’avoir une maison où mes enfants pourront grandir et réussir. Mais en même temps, qui s’occupe de mes enfants… Laisse-moi m’occuper de mes affaires et tenter d’aider ma mère. Ils ne le réalisent pas, mais ils le font [commettre une infraction criminelle] pour rendre leur mère fière. (Jeune à Winnipeg)
Ici, les infractions criminelles mènent directement au SJP pour les jeunes noirs, particulièrement les jeunes hommes noirs qui assument des responsabilités financières tout en étant exclus du marché du travail et de la possibilité de gagner un revenu légalement. Cette situation peut pousser les jeunes à commettre des infractions criminelles pour faire de l’argent. Elle peut également pousser les jeunes à adopter des habitudes malsaines ancrées dans un mode de vie criminel (Anderson, 1999). Les jeunes hommes noirs qui prennent certains rôles dans le but de faire de l’argent et de subvenir aux besoins de leur famille peuvent avoir de la difficulté à exprimer leurs émotions, revoir à la baisse l’urgence de leurs propres besoins au profit de ceux d’autrui, et être déçus par l’écart entre le concept normatif de l’homme considéré comme le soutien de la famille, d’une part, et la réalité de la discrimination sur le marché du travail, d’autre part. Cette situation peut entraîner des problèmes de santé mentale.
[traduction]
[…] Nous venons ici en pensant que nous serons acceptés, que nous irons à l’école, que nous obtiendrons un diplôme et que nous trouverons un meilleur emploi. Mais non, au bout du compte, même si vous étudiez dur, vous avez toujours cette discrimination qui vous fait reculer. Cela vous fait penser que vous êtes juste sans valeur. (Jeune à Winnipeg)
Des participants ont également mentionné que les garçons et les hommes noirs impliqués dans la criminalité pour faire de l’argent, principalement en vendant de la drogue, peuvent avoir besoin de recourir à la violence pour paraître forts et se protéger contre des rivaux qui seraient tentés d’user de violence contre eux. Des participants ont indiqué qu’il est possible que des jeunes se joignent à des gangs pour être protégés de leurs rivaux. En outre, pour les jeunes qui ne vivent avec ni l’un ni l’autre de leurs parents, l’appartenance à un gang peut combler un besoin d’amour et d’acceptation, et le gang peut être une deuxième famille. Comme d’autres recherches l’ont révélé, cela contribue également aux démêlés avec le SJP (Anderson, 1999; Ludwig et Kling, 2007; Wortley et Tanner, 2008).
Pour dire les choses simplement, la pauvreté, l’exclusion du marché du travail et la surcriminalisation sont des facteurs qui, ensemble, désavantagent grandement les familles noires, de différentes façons pouvant inciter les jeunes noirs à commettre des infractions criminelles. La stratégie misant sur le recours à des mesures de justice pénale pour s’attaquer à ces infractions criminelles au lieu de se pencher sur leurs causes fondamentales marginalise encore plus les familles noires et crée un lien cyclique avec la criminalité et le SJP.
Le cheminement de l’école à la prison
Les démêlés avec le SJP découlent également de la criminalisation de la part des administrations scolaires et des policiers. Aux interventions policières excessives dans les écoles s’ajoute un autre cheminement de l’école à la prison, attribuable à l’étiquetage négatif et aux traitements discriminatoires qui entraînent l’exclusion. Les jeunes peuvent subir cette exclusion lorsqu’ils sont traités comme des étrangers indésirables dans l’école. Dans une situation rapportée à Montréal, un conseiller scolaire a dit à un jeune noir qu’il [traduction] « ne vaudrait rien ». À l’un des endroits où les séances ont eu lieu à Toronto, de jeunes noirs, leur famille et des intervenants ont aussi déclaré que les élèves se sentaient [traduction] « mis de côté », jugés, victimes de traitements négatifs et confrontés à un sentiment général de rejet de la part de certains enseignants, qui agissaient de façon nettement différente avec leurs pairs non noirs.
L’exclusion se manifeste également par des tentatives de corriger les disparités raciales touchant les résultats scolaires. Par exemple, des intervenants d’Halifax ont souligné que le Halifax Regional Centre for Education avait élaboré des plans de programme individualisés (PPI) pour aider les élèves qui avaient des difficultés scolaires. En théorie, ces plans ont comme objectif de servir [traduction] « d’échafaudage » et de fournir à l’élève le soutien et les ressources nécessaires pour qu’il atteigne le niveau scolaire recherché. Chaque année, les élèves du programme sont censés faire l’objet d’une réévaluation pour établir la nécessité de maintenir le PPI. Cependant, des participants ont souligné que les jeunes noirs semblent moins susceptibles de faire l’objet d’une réévaluation annuelle, vraisemblablement en raison des faibles attentes à leur endroit découlant des préjugés raciaux. Par conséquent, une proportion relativement plus élevée de jeunes noirs ont un PPI lorsqu’ils obtiennent leur diplôme. Cette situation est problématique, car on ne confère pas à un diplôme obtenu dans le cadre d’un PPI la même valeur qu’à un diplôme d’études secondaires normal. En outre, les participants qui ont un PPI ou qui participent à d’autres programmes alternatifs peuvent éprouver des problèmes d’estime de soi. Un fournisseur de services d’Halifax a donné l’explication suivante :
[traduction]
Assujettir nos adolescents à des PPI – les enseignants peuvent mettre en place des PPI pour les jeunes sans le consentement de leurs parents – les prédispose à l’échec. L’institution qu’est le système scolaire n’est pas adaptée à nos élèves noirs, et cela nuit à leur estime de soi et à leur réussite.
Des fournisseurs de services à Montréal ont affirmé que la discrimination fondée sur la race dans les écoles et le tri des élèves en fonction de leurs aptitudes scolaires perçues constituent des gestes d’exclusion sociale, font en sorte que les jeunes noirs se sentent limités et confinés, ont des aspirations ou des [traduction] « champs de possibilités » moindres, et encouragent les élèves à renforcer les stéréotypes au lieu de lutter contre ceux-ci. En outre, les pratiques scolaires, comme les PPI et d’autres programmes d’enseignement alternatifs, qui entraînent des taux de diplomation moindres ou des diplômes d’études secondaires de moindre valeur, désavantagent encore plus les jeunes noirs sur le plan de l’employabilité. Ces pratiques poussent essentiellement les jeunes noirs à obtenir des résultats socioéconomiques inférieurs. Combinés aux obstacles raciaux à l’école, les obstacles raciaux dans le marché du travail contribuent également aux taux élevés de chômage et de sous-emploi au sein de la population noire comparativement à la population blanche, même lorsque les titres de compétences et l’étendue de l’expérience sont les mêmes (Picot et Hou, 2011). Ces obstacles peuvent pousser les jeunes à gagner un revenu illégalement.
Étiquetage, idée de soi-même négative, criminalisation et culture de méfiance
Les jeunes, leur famille et des fournisseurs de services partout au Canada ont souligné que les jeunes noirs peuvent internaliser le fait d’être vus ou traités comme des criminels, des voyous ou des gangsters. Cela a une incidence négative sur l’idée de soi-même et peut entraîner une prophétie autoréalisatrice. Les participants ont souvent rapporté qu’en raison des interventions policières excessives, il existe une culture persistante de méfiance entre les policiers et les personnes noires vivant dans les quartiers où le taux de criminalité est élevé. Cette méfiance est transmise par la famille et les amis, et elle s’explique par l’observation du traitement injuste subi par d’autres membres de leur communauté aux mains des policiers, ainsi que par l’expérience personnelle. Des participants ont illustré que cette méfiance donne lieu à des mesures d’évitement des policiers et façonne la façon dont les jeunes noirs apprennent à agir avec les policiers. Un père, qui est aussi un fournisseur de services à Halifax, s’est exprimé en ces termes :
[traduction]
[…] Dès la naissance de nos enfants, il faut penser à leur dire comment répondre à la police, comment garder leurs mains visibles. Et vous [les policiers], vous demandez pourquoi nous sommes si contrariés quand vous traitez mal nos enfants. Ils sont des criminels avant même de naître.
Des participants ont aussi laissé entendre que ce type de criminalisation donne aux jeunes noirs l’impression qu’ils ne sont pas en contrôle de leur propre vie, et que le cours de leur vie et leurs résultats sont souvent prédéterminés. Cette approche policière donne l’impression qu’il n’y a aucun motif de ne pas basculer dans la criminalité, comme l’ont expliqué deux jeunes :
[traduction]
Comme j’étais un criminel avant d’en être un, je me suis dit que je serais aussi bien d’être un criminel puisqu’on me reproche d’en être un de toute façon. (Jeune à Toronto)[traduction]
La première fois que j’ai été arrêté et accusé d’un crime dont je n’étais pas coupable, j’avais 14 ans. Cela m’a fait perdre la confiance dans le système et il m’a semblé que le système avait été créé pour me nuire. Cela m’a suivi plus tard dans ma vie, [lorsque] des chefs d’accusation ont été portés contre moi. Je crois que si je n’avais pas eu des démêlés avec le système judiciaire si jeune, je ne me serais pas retrouvé dans cette situation. La race a été un facteur très important dans mon cas, parce que j’ai fait l’objet de profilage racial en raison d’un chandail. (Jeune à Ottawa)
Pour les jeunes noirs qui n’ont pas basculé dans la criminalité, les expériences négatives avec les services de police peuvent devenir un moteur de comportement criminel ultérieur (voir Del Toro et coll., 2019; McGlynn-Wright et coll., 2020). Des données révèlent que les jeunes noirs qui sont interpellés par des policiers à un jeune âge sont plus susceptibles d’adopter un comportement criminel ultérieurement que les jeunes noirs qui n’ont eu aucun contact avec la police à un jeune âge (lorsque tous les autres facteurs sont égaux) (Del Toro et coll., 2019). Cette probabilité accrue de comportement criminel peut découler de l’internalisation des stéréotypes associant les Noirs à la criminalité (Unnever et Gabbidon, 2011), ainsi que des sentiments de découragement, de dépression, de défiance et de colère résultant des traitements injustes subis aux mains de policiers (Unnever, 2014). Autrement dit, le profilage racial et les interventions policières excessives peuvent augmenter les comportements criminels chez les jeunes noirs au lieu de les prévenir. Cela peut être particulièrement probable dans les secteurs affichant une forte concentration de personnes à faible revenu, où les taux de criminalité sont supérieurs et où les interventions policières excessives sont plus fréquentes en général.
Cette relation entre un taux de criminalité supérieur et des interventions policières excessives est importante, car les secteurs affichant une forte concentration de personnes à faible revenu sont aussi caractérisés par un risque de victimisation accru (Taylor-Butts, 2004). Un fournisseur de services de Toronto a souligné ceci :
[traduction]
Le milieu a une incidence sur les jeunes. Même si un jeune ne participe pas aux affaires du quartier, il peut se faire tuer seulement parce qu’il revenait de l’école à pied.
Malgré les risques de victimisation et la réalité des interventions policières excessives, les participants ont mentionné une autre expérience négative avec les services policiers, à savoir que les policiers n’aident pas les jeunes noirs lorsque ceux-ci sont victimes d’un acte criminel. On utilise l’expression « intervention policière inadéquate » pour désigner ce phénomène, qui se produit lorsqu’il y a une réponse inadéquate des organismes de maintien de l’ordre à la victimisation ou à la victimisation possible, et ce pour des motifs liés au groupe auquel appartient la personne (Commission ontarienne des droits de la personne, 2019). À Calgary, une jeune femme a décrit une situation dans laquelle ses frères et elle s’étaient fait dire par le propriétaire d’un dépanneur de sortir du commerce, car [traduction] « leur espèce n’est pas autorisée ». Lorsque les policiers sont arrivés, ils se sont rangés du côté du propriétaire et ont demandé aux jeunes de partir. Un parent à Halifax s’est exprimé en ces termes :
[traduction]
Quand vous avez besoin d’aide, pourquoi appelleriez-vous le 911 si la police n’a jamais été là pour vous aider?
Des intervenants à Toronto ont souligné que même les jeunes noirs qui sont victimes d’un acte criminel perçoivent les policiers comme [traduction] « l’ennemi » en raison de leur réticence à aider adéquatement les personnes qui demandent de l’aide aux organismes de maintien de l’ordre. Des travailleurs communautaires partout au Canada ont souligné qu’en raison de l’impossibilité de faire confiance aux services policiers et de la prévalence des gangs et de la violence par arme à feu, des jeunes qui n’ont autrement pas d’activités criminelles portent une arme pour se protéger. Cependant, compte tenu de la forte présence policière et des probabilités élevées d’être interpellés, ces jeunes peuvent faire l’objet d’accusations criminelles pour possession d’une arme, ce qui marque le début d’un cheminement menant au SJP.
Expériences au sein du système de justice pénale
Dans les différents endroits où les séances ont eu lieu, les jeunes noirs (ceux incarcérés et ceux vivant dans la communauté), leur famille et les intervenants s’entendaient pour dire que le racisme à l’endroit des Noirs entraînait des expériences largement négatives et discriminatoires au sein du SJP. Il en était ainsi pour leurs expériences avec les services policiers, au sein des tribunaux, avec les représentants juridiques, dans les établissements de détention, ainsi que pendant la période de probation et de libération conditionnelle ou après leur remise en liberté.
Services de police
Les récits et les témoignages présentés ci-dessus au sujet des interventions policières excessives établissent que les jeunes noirs doivent composer avec une forte présence policière dans leur quartier, avec le profilage racial, avec des pratiques d’interpellation et de fouille discriminatoires, ainsi qu’avec l’application différentielle du pouvoir discrétionnaire des policiers, soit des facteurs qui contribuent tous à la criminalisation des jeunes noirs. Les jeunes noirs peuvent être ciblés en raison de la langue qu’ils parlent (autre que l’anglais et le français), de leurs vêtements, de leurs rassemblements ou de leur emplacement géographique. Comme les jeunes font constamment l’objet d’interventions policières, ils se sentent comme des étrangers au sein de leur propre communauté. De nombreux jeunes ont dit craindre en permanence d’avoir des interactions avec les policiers et avoir peur de mourir lors d’interactions avec les policiers. Les jeunes ont également peur de la façon dont les services de police peuvent utiliser les renseignements qu’ils recueillent à leur sujet et sont perturbés par la rareté avec laquelle les policiers posent des questions pour mieux comprendre les communautés qu’ils servent. Comme il a été souligné, les jeunes noirs ont également signalé à la fois obtenir des interventions policières inadéquates lorsqu’ils sont victimes d’un acte criminel et faire l’objet d’interventions policières excessives. Cette situation crée en sentiment de méfiance envers les services policiers et réduit la confiance accordée à leur capacité à assurer la sécurité des communautés.
Les expériences des jeunes noirs avec les policiers sont également caractérisées par des abus de pouvoir, la déshumanisation et la brutalité policière. Les abus de pouvoir prennent différentes formes dans les interactions avec les policiers. De nombreux participants en sont arrivés à la conclusion que les policiers arrêtent les jeunes noirs sans motif, et lorsque les jeunes leur demandent les motifs de leur arrestation, ils se font souvent dire qu’ils vont le savoir [traduction] « lorsqu’ils arriveront en prison ». Un jeune à Ottawa a affirmé ceci :
[traduction]
J’étais assis dans une voiture garée dans l’aire de stationnement d’un immeuble, lorsque j’ai vu un pistolet pointé sur mon visage à travers la fenêtre. J’ai pensé que j’allais me faire voler. Un homme en tenue civile pointait un pistolet vers mon visage et a crié pour me demander de sortir de la voiture. Un autre agent en tenue civile m’a saisi et m’a tiré dehors par la fenêtre. J’ai été jeté par terre et ma tête a alors heurté le capot de la voiture, avant que je sois finalement arrêté. Jusqu’à ce moment-là, je n’avais pas la moindre idée de ce qui se passait.
Les participants estiment que les policiers abusent également de leur pouvoir en déshumanisant les jeunes noirs. Des jeunes à Calgary ont rapporté qu’ils s’étaient fait traiter de [traduction] « criminels noirs » et de [traduction] « voyous » par des policiers. À Montréal, des jeunes ont parlé de la façon dont on les faisait se sentir comme des objets ou des animaux, et un jeune a mentionné avoir été forcé de manger de la neige pendant une interaction avec des policiers. Le racisme à l’endroit des Noirs se présente sous ces formes, ne contribue aucunement à l’efficacité des services policiers et a une grande incidence sur le bien-être des jeunes noirs.
Les jeunes noirs subissent également un recours démesuré à la force et de la brutalité policière. Cette réalité a été signalée dans chaque ville, à maintes reprises. Le recours démesuré à la force comprend, par exemple, le fait de mettre volontairement les menottes trop serrées, ou encore de plaquer ou de jeter au sol un jeune qui obéit. À Calgary, un jeune a dit s’être cassé un poignet lorsque les policiers l’ont plaqué sur une table à café au domicile familial. À Montréal, un intervenant a raconté qu’une jeune femme noire :
[traduction]
[…] a raconté un épisode traumatique lors duquel elle a été l’unique jeune arrêtée pour un crime commis avec un ami blanc, qui d’ailleurs n’en a subi aucune conséquence. La jeune a expliqué qu’après l'avoir été arrêtée et menottée pour la faire entrer dans le véhicule de police, l’agent en a profité pour frapper sa tête sur la portière, si bien qu’elle a eu la mâchoire disloquée. Elle dit avoir souffert physiquement et avoir eu du mal à parler pendant plusieurs semaines.
Des jeunes ont également été aspergés de poivre de cayenne et battus, même une fois détenus par la police. Un jeune de Toronto a raconté ceci :
[traduction]
Ils m’ont battu au poste de police jusqu’à ce qu’ils apprennent mon âge, après quoi ils ont dit « Oh merde, il faut le laisser partir ». Ils m’ont donc laissé partir sans que des accusations soient portées contre moi. Je n’ai jamais formulé de plainte ni intenté de poursuite. Je commettais de petits délits et je ne pouvais pas m’en sortir sans être accusé, je voulais seulement m’en aller.
Des jeunes ont indiqué que ce traitement était un [traduction] « voyage à sens unique » menant inévitablement au SJP. Lorsque les jeunes sont interpellés une fois, les policiers présumeront ensuite à maintes reprises qu’ils sont en train de commettre un acte criminel. Des intervenants à Calgary ont déclaré connaître de jeunes noirs qui voulaient devenir policiers, mais que le traitement raciste qu’ils ont subi aux mains de policiers les avait fait changer d’avis. Ainsi, les mauvais traitements que les policiers réservent aux jeunes noirs peuvent par la suite avoir une incidence inédite sur la diversité au sein des services policiers.
Tribunaux
Quelques jeunes ont souligné que les juges qui avaient déterminé leur peine semblaient faire preuve de compassion ou d’indulgence, mais il s’agissait de cas exceptionnels. La majorité des jeunes noirs avaient l’impression qu’ils étaient présumés coupables jusqu’à preuve du contraire dans les instances judiciaires. Des avocats, des travailleurs communautaires et des jeunes ont signalé que, comparativement aux jeunes blancs, les jeunes noirs se voyaient imposer des peines plus longues, davantage de conditions, moins de mesures extrajudiciaires à la détention et moins de mesures extrajudiciaires mettant à profit les programmes en santé mentale, et qu’ils étaient plus susceptibles de voir leur demande de mise en liberté sous caution refusée avant le procès. Un avocat à Calgary s’est exprimé en ces termes :
[traduction]
Je dois travailler deux fois plus lorsque mon client est un jeune de couleur, car je dois d’abord dissiper les préjugés, puis bâtir une image positive pour mon client afin que le juge puisse prononcer une peine positive.
Bien que les données fondées sur la race soient limitées en ce qui concerne la détermination des peines (Owusu-Bempah et coll., 2021), des professionnels et des dirigeants communautaires ont souligné que le racisme à l’endroit des Noirs dans les tribunaux se manifeste par une approche généralement plus dure envers les jeunes noirs. D’autres travaux de recherche canadiens appuient cette conclusion et montrent que le taux de déclaration de culpabilité est 3,2 fois plus élevé chez les personnes noires que chez les personnes blanches (Wortley et Jung, 2020). Fait intéressant, Wortley et Jung (2020) ont également conclu que les personnes noires à Toronto sont surreprésentées dans les situations où une accusation a été retirée, où l’action a été rejetée et où la personne a été acquittée. Le taux de personnes noires qui connaissent ces résultats est plus élevé que celui des personnes blanches (p. 96). Les retraits, les rejets et les acquittements se produisent lorsqu’il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve ou de renseignements pour tenir un procès ou pour juger l’accusé coupable d’une infraction. Cette conclusion met en évidence le fait que les préjugés raciaux dans les organismes de maintien de l’ordre ont pour résultat que les personnes noires sont accusées d’infractions alors qu’elles n’auraient probablement pas dû l’être, compte tenu du manque d’éléments de preuve, par exemple. Ainsi, de nombreuses personnes noires ont inutilement des démêlés avec le système judiciaire. Au sujet de leurs expériences devant le tribunal, des participants ont indiqué que les juges considèrent plus souvent que les jeunes blancs ont fait une erreur et font ainsi preuve d’indulgence à leur égard. À Montréal, des intervenants ont souligné que cela s’inscrit dans une stratégie visant à [traduction] « montrer [aux jeunes noirs] comment le monde fonctionne » et à s’assurer qu’ils respectent l’autorité. Le traitement différentiel par les tribunaux est particulièrement manifeste lorsque de jeunes noirs et de jeunes blancs sont jugés pour la même affaire. Une jeune à Toronto a raconté l’expérience suivante :
[traduction]
J’ai été victime de racisme au moment de la détermination de ma peine. Mon ami et moi étions jugés pour la même accusation. C’est lui qui avait orchestré les choses, mais j’ai obtenu une peine plus lourde. J’ai obtenu une peine d’incarcération de 90 jours et 2 ans de probation. Mon ami blanc a obtenu une peine d’incarcération de 30 jours et un an de probation, avec le même juge.
Ces résultats différents ont une incidence négative sur la trajectoire de vie des jeunes noirs. Cela s’ajoute à l’expérience de comparution devant un tribunal, qui peut en soi être traumatisante et déshumanisante. Des jeunes ont indiqué qu’ils avaient été frustrés que le personnel de la salle d’audience utilise les expressions [traduction] « homme noir », « criminel » ou « voyou » au lieu de leur nom pour les désigner. Des membres de la famille de jeunes noirs peuvent aussi être victimes d’humiliation dans la salle d’audience en raison de la criminalisation découlant de préjugés raciaux, en raison de leur accent ou de leur compréhension limitée du français ou de l’anglais. Un fournisseur de services à Toronto a mentionné ceci :
[traduction]
Les parents qui sont de nouveaux arrivants et qui ne parlent pas bien la langue font rire d’eux lorsqu’ils comparaissent pour la caution. Souvent, les jeunes et leur famille sont méprisés et se font refuser la liberté sous caution.
Tant les jeunes que les fournisseurs de services estimaient que la surreprésentation des personnes blanches parmi les juges, procureurs, avocats et jurés dans les tribunaux diminuait considérablement la probabilité que les origines et les milieux des jeunes noirs, ainsi que les obstacles auxquels ils ont été confrontés, soient pris en compte dans le processus décisionnel. Il s’agit d’un problème important compte tenu du fait, comme il a été souligné plus haut, que les jeunes noirs sont victimes de préjugés raciaux dans l’ensemble du SJP, ainsi que dans d’autres sphères sociales (p. ex. éducation, marché du travail). Le racisme systémique augmente la probabilité que les jeunes noirs entrent en contact avec le SJP une première fois, même s’ils n’ont commis aucune infraction criminelle. Ces premiers contacts biaisés façonnent les résultats des jeunes noirs sur le plan judiciaire, si ceux-ci ont d’autres contacts avec le SJP par la suite, en justifiant le maintien des préjugés raciaux et des traitements plus sévères (p. ex. mesures de déjudiciarisation moindres, conditions supplémentaires, peines plus longues). Autrement dit, les répercussions des préjugés raciaux peuvent s’accumuler et entraîner un effet domino par lequel les résultats des préjugés raciaux dont les enfants et les jeunes sont victimes servent à justifier une criminalisation subséquente plus dure.
Représentation juridique
Certains des avocats qui ont participé aux séances de mobilisation ont dit avoir défendu vigoureusement les intérêts de leurs jeunes clients noirs, et quelques jeunes ont mentionné avoir eu des avocats qui s’investissaient particulièrement pour obtenir les meilleurs résultats possible pour leurs clients. Néanmoins, la plupart des jeunes, des familles et des intervenants rencontrés en entrevue ont laissé entendre qu’un problème important touchant les jeunes noirs ayant des démêlés avec le SJP réside dans le fait que ces jeunes n’ont pas les moyens de s’offrir des services de représentation juridique de qualité et qu’ils doivent s’en remettre à des avocats de l’aide juridique. Lorsqu’ils ont recours à l’aide juridique, les jeunes noirs rencontrent des avocats qui s’occupent d’un très grand nombre de dossiers et qui souvent n’expliquent pas ce qui se passe ni le déroulement de l’instance judiciaire. Cette réalité rend l’expérience encore plus intimidante. En outre, des participants estimaient que les avocats de l’aide juridique ne se souciaient pas d’eux, ne semblaient pas vouloir écouter les jeunes ou chercher à obtenir de bons résultats pour leurs clients, et semblaient simplement vouloir passer au dossier suivant. Il est fréquemment arrivé aux jeunes noirs que leur avocat les encourage à plaider coupables même s’ils étaient innocents ou s’ils en étaient à leur première infraction. Un jeune à Toronto a donné l’explication suivante :
[traduction]
Les avocats de l’aide juridique ne font pas les mêmes efforts que les avocats payés. Comme ma famille manque de moyens, nous ne pouvions pas payer un avocat, et c’est pourquoi mon avocat m’a convaincu d’accepter un plaidoyer négocié.
Comme il est illustré plus haut, les participants aux séances de mobilisation dans les différentes villes considéraient largement que le racisme à l’endroit des Noirs, la pauvreté et d’autres formes de marginalisation se recoupent et donnent lieu à des expériences particulièrement négatives pour les jeunes noirs devant les tribunaux. Ces formes de marginalisation se combinent les unes aux autres et les jeunes noirs sont continuellement punis pour leur situation financière et leur accès limité aux ressources nécessaires, comme des avocats cherchant à obtenir des résultats proportionnés et équitables. Ainsi, en plus d’être traités inéquitablement par une variété d’intervenants judiciaires, les jeunes noirs se voient imposer des peines plus longues et plus sévères, ce qui a des conséquences négatives à long terme dans leur vie.
Détention
Les séances de mobilisation ont révélé que les jeunes noirs ont vécu certaines expériences positives lorsqu’ils étaient en détention dans des établissements pour adolescents. Cependant, les expériences vécues dans les établissements pour adolescents et dans les établissements pour adultes ont été négatives dans la majorité des cas, que ce soit en raison de la déshumanisation, de la violence, de la négligence ou de l’étiquetage, comme il est décrit ci‑après.
Les jeunes noirs étaient plus nombreux à déclarer avoir vécu certaines expériences positives dans les établissements de détention pour jeunes qu’aux autres étapes du SJP. Certains ont comparé les centres de détention à des [traduction] « camps ». D’autres ont souligné qu’ils avaient été traités de façon équitable par les agents correctionnels, n’avaient observé dans la façon dont ils étaient traités aucune différence découlant de préjugés raciaux et estimaient que les agents correctionnels apportaient du soutien. Un jeune a même demandé de rester plus longtemps que nécessaire en détention pour terminer ses études, ce qui tient peut-être surtout l’accès limité aux services dans la communauté, et non le traitement positif en détention. En outre, ils ont vécu une expérience plus positive dans les établissements où les agents correctionnels, les gestionnaires de cas et le personnel scolaire présentaient une diversité raciale et ethnique. Les jeunes noirs dans ces établissements ont déclaré qu’ils sentaient que les intervenants se souciaient d’eux et faisaient valoir leurs intérêts, car ils s’efforçaient de [traduction] « comprendre leurs combats ».
Néanmoins, la majorité des participants ont raconté des expériences négatives vécues dans les établissements de détention pour adolescents et pour adultes, et celles-ci étaient souvent liées à leur identité noire. À leur arrivée dans les établissements pour adolescents, les jeunes noirs étaient marqués par le grand nombre de jeunes noirs et Autochtones, le petit nombre de jeunes blancs et le fait que le personnel était majoritairement blanc. La déshumanisation des jeunes noirs par les agents correctionnels fait partie des mauvais traitements rapportés dans les établissements pour adolescents. Elle prenait de nombreuses formes. Des jeunes ont déclaré que des agents leur mettaient volontairement les menottes trop serrées et se moquaient d’eux quand ils s’en plaignaient. Un parent a signalé que son fils avait dû rester nu toute la nuit au froid parce qu’il s’était battu avec un autre jeune. Un autre jeune noir a affirmé que des agents adoptaient des comportements hostiles, simplement parce qu’ils le pouvaient. Par exemple, un jeune à Calgary a raconté que des agents correctionnels le provoquaient, puis lui retiraient ses privilèges lorsqu’il réagissait. Ce jeune a mentionné qu’il avait observé des agents cibler et harceler d’autres jeunes noirs dans l’établissement. Ils les réveillaient à toute heure de la nuit sans aucune raison apparente. De jeunes noirs ont aussi indiqué que des jeunes et des membres du personnel non noirs faisaient des commentaires explicitement racistes. Par exemple, ils les traitaient de [traduction] « nègres » ou affirmaient que [traduction] « la vie des Noirs ne compte pas ». Ce traitement était perçu comme plus dur lorsque les agents travaillaient à la fois avec des adultes et des jeunes. Un jeune à Toronto a affirmé ceci :
[traduction]
Les gardes travaillaient des deux côtés [adultes et jeunes]. Ils avaient l’habitude de traiter les gens de façon inhumaine.
De jeunes noirs ont aussi dit avoir été victimes de violence et de mauvais traitements physiques de la part d’autres jeunes et de membres du personnel de garde. En fait, des participants ont raconté que des agents des établissements pour adultes se mêlaient des affaires de détenus en répandant des rumeurs dangereuses au sujet des jeunes et des infractions commises, en les montant les uns contre les autres et en les encourageant à se battre. Des agents faisaient aussi tout en leur pouvoir pour endommager les effets personnels des détenus, comme des textes religieux ou des photos personnelles. Par exemple, un jeune à Calgary a affirmé qu’après avoir été transféré dans un établissement pour adultes, un membre du personnel a mis le pied sur son Coran, et lorsqu’il a réagi avec colère, les membres du personnel l’ont emmené dans les douches, où il n’y a aucune caméra, l’ont menotté à un tuyau, puis l’ont battu. Des participants ont aussi raconté que le fait d’être victime de violence en détention augmente souvent les chances de récidive. Autrement dit, la détention en soi peut mener à la criminalité. Par exemple, un jeune de Toronto a expliqué ceci :
[traduction]
Les agents correctionnels m’ont mis en isolement, m’ont attaché les mains et les pieds et m’ont arrosé avec un boyau. J’ai été abandonné en boxers. Cette merde nous fait dire fuck le système. Pourquoi vouloir faire partie d’une société dans laquelle nous sommes traités ainsi? J’étais prêt à tout lorsque je suis sorti!
Comme ce jeune l’a fait ressortir, les victimes de violence de la part d’intervenants du SJP éprouvent des sentiments d’exclusion, de colère et d’animosité, et elles ont l’impression qu’on ne les juge pas assez importantes pour avoir droit à un traitement équitable de la part des figures d’autorité. Ces sentiments servent ensuite à justifier la commission d’infractions criminelles après la remise en liberté. En plus d’être confrontés à des obstacles fondés sur la race dans le milieu de travail et à des obstacles liés au casier judiciaire, les jeunes noirs qui ont été victimes de violence lorsqu’ils étaient en détention sont susceptibles de rejeter les modes de vie conventionnels et de se tourner vers la criminalité pour composer avec expériences vécues lorsqu’ils étaient en détention (Listwan, Sullivan, Agnew, Cullen, Colvin, 2013).
En outre, des participants qui ont séjourné dans des établissements pour adolescents et adultes ont indiqué qu’ils avaient souvent été victimes de négligence lorsqu’ils étaient en détention. De jeunes noirs ont affirmé que leurs problèmes de santé mentale et physique étaient ignorés, qu’ils avaient passé des mois en isolement cellulaire, où ils sont isolés 23 heures par jour, et avaient été affamés lorsque leur gamelle était vide. De jeunes noirs ont aussi précisé que les membres du personnel fermaient souvent les yeux lorsqu’ils étaient victimes de mauvais traitements de la part d’autres détenus. Des intervenants ont fait valoir que lorsque les agents n’interviennent pas, les jeunes adoptent des comportements antisociaux pour survivre pendant leur période de détention. Cela illustre comment les interventions policières inadéquates dans la communauté forcent les jeunes à adopter des comportements criminels pour assurer leur sécurité. La négligence et la violence mentale et physique dont sont victimes les jeunes noirs dans les établissements de détention font que certains jeunes ont des tendances comportementales pires à leur sortie de l’établissement qu’à leur arrivée dans celui-ci.
Les quelques membres du personnel noir qui cherchent à offrir du soutien aux jeunes noirs peuvent être ciblés par leurs collègues. Un fournisseur de services à Toronto a raconté ceci :
[traduction]
Il y avait un agent noir au centre […] il était ciblé; pneus crevés, nourriture empoisonnée, forcé de partir par les agents blancs, parce qu’il avait remarqué qu’un jeune noir souffrait de maladie mentale et avait tenté de faire valoir ses intérêts auprès des autres agents […]
Des intervenants de jeunes noirs ont indiqué que la détention pour les adolescents était une occasion ratée d’assurer leur réadaptation. Ils ont souligné le manque de communication entre les établissements où les jeunes sont transférés, ce qui nuit à l’évaluation des traumatismes, des difficultés d’apprentissage, des problèmes familiaux et d’autres besoins. Comme un jeune à Toronto l’a souligné :
[traduction]
Le système de justice pour les adolescents est un grand gaspillage de ressources. Aucun programme adapté sur le plan culturel, mauvais traitement en détention. Des plans mal conçus, mal exécutés. Personne ne voulait s’attaquer à la cause profonde.
En l’absence de programmes de réadaptation appropriés, on attend des jeunes qu’ils ne récidivent pas après leur sortie d’établissement, alors qu’ils n’ont pas reçu les interventions nécessaires pour réduire leurs chances de récidive.
Un autre problème signalé était le manque de préparation pour faire la transition d’un établissement pour adolescents à un établissement de détention, ce dernier étant plus [traduction] « pénible et sévère » de l’avis d’un jeune de Montréal. Un jeune de Toronto a affirmé ceci :
[traduction]
On dirait que c’est un coup monté. On a l’impression d’avoir du soutien entre les murs, mais lorsqu’on est transféré dans une prison pour adultes à 18 ans, alors qu’on est encore des adolescents, il n’y a plus aucune mesure de soutien et on est laissé à nous-mêmes dans la prison pour adultes, malgré notre âge et nos besoins. Je suis allé dans une prison pour adultes. Il y a une énorme différence dans la façon dont on est traité lorsqu’on est dans une prison pour adultes et lorsqu’on est un jeune délinquant.
Enfin, les jeunes noirs sont également plus susceptibles d’être étiquetés, ce qui a une incidence négative sur leur expérience pendant leur détention et après leur remise en liberté. Il a été signalé que les jeunes noirs partout au Canada sont plus susceptibles d’être étiquetés à tort comme des membres de gang en raison du racisme à l’endroit des Noirs. Cette étiquette est particulièrement problématique pour les jeunes de 18 ans et plus qui entrent dans le système correctionnel pour adultes. Le Service correctionnel Canada attribue l’étiquette « groupe menaçant la sécurité » aux délinquants que l’on croit appartenir à un gang. Il est difficile de retirer cette étiquette lorsqu’elle a été attribuée. Lorsque les délinquants sont incarcérés, cette étiquette peut avoir une incidence sur la cote de sécurité, les possibilités d’emploi, la rémunération au travail, la rangée où sera placé le délinquant et les privilèges au sein de l’établissement. Notamment, des travaux de recherche ont révélé que le refus d’accès à ces services pendant la détention peut pousser les détenus à des actes d’inconduite en prison (Blevins, Listwan, Jonson, et Cullen, 2010). À la suite de leur remise en liberté, les jeunes adultes noirs ayant l’étiquette de groupe menaçant la sécurité peuvent se voient refuser l’accès à des services, y compris à des programmes de lutte contre la toxicomanie, la violence familiale et les agressions sexuelles, ainsi que l’entrée dans des maisons de transition. En outre, il a été signalé que des agents de libération conditionnelle offraient moins de soutien aux jeunes adultes noirs à qui on avait attribué l’étiquette de groupe menaçant la sécurité.
Probation et mise en liberté
Certains jeunes noirs ont déclaré que leur agent de libération conditionnelle ou de probation les avait appuyés pleinement et avait eu une grande incidence sur leur vie, car il les avait aidés à trouver un emploi et du soutien communautaire. Cela était particulièrement vrai s’ils avaient les mêmes origines ethniques ou raciales qu’eux ou s’ils avaient vécu une expérience semblable, car ces points en commun permettaient aux jeunes de s’identifier à leur agent. Cependant, il ne s’agit pas de l’expérience de la plupart des jeunes noirs. Par exemple, les intervenants à Montréal étaient presque unanimes pour dire que pendant les périodes de libération conditionnelle, les périodes de probation ou lorsque le délinquant est remis à liberté après avoir purgé la totalité de sa peine, les agents de probation ou de libération conditionnelle ont pour rôle [traduction] « de prendre des mesures, d’accroître la surveillance et d’infliger des sanctions ». On fait valoir que ces mesures diminuent les probabilités de récidive, mais en fait, elles agissent comme un prolongement du système de détention dans la communauté. De jeunes noirs étaient aussi de cet avis :
[traduction]
Le système de probation est légèrement plus souple que ce à quoi on peut s’attendre, mais j’avais toujours l’impression que les agents cherchaient uniquement à me surprendre en train de faire une erreur et ne se souciaient pas vraiment de ma réadaptation. (Jeune à Calgary)
Des intervenants, de jeunes noirs et leur famille ont signalé que les jeunes noirs se voyaient souvent imposer des conditions de probation ou de libération conditionnelle contradictoires qui les vouaient à l’échec. Par exemple, à Calgary, un jeune a mentionné que l’une de ses conditions était d’assister à des séances de gestion de la colère. Cependant, ces séances étaient prévues pendant les heures d’école, de sorte qu’il devait manquer de l’école pour suivre la formation, sans quoi il risquait de recevoir un avis de non-respect des conditions et d’aller en prison. Toutefois, le fait de manquer l’école était aussi considéré comme nuisant à la réadaptation. De même, une jeune à Toronto qui devait lui aussi participer à des séances de gestion de la colère deux fois par semaine a souligné que cette formation était une perte de temps pour lui étant donné qu’il était innocent. Il a ajouté que la formation n’était pas offerte dans la ville où il vivait et qu’il devait donc faire cinq heures d’autobus pour y participer, de sorte qu’il pouvait accidentellement commettre un manquement à ces conditions en cas de non-respect du couvre‑feu. Il a fini par déménager pour se rapprocher de l’endroit où le programme était offert. D’autres conditions de mise en liberté contradictoires exigeaient des jeunes qu’ils n’aient pas de contacts avec des criminels. Les jeunes avaient de la difficulté à respecter cette condition, car comme il l’a été mentionné plus haut, de nombreux jeunes noirs qui ont des démêlés avec le SJP viennent de quartiers où le taux de criminalité est élevé ou font partie de familles dont des membres ont eu des démêlés avec le SJP.
Des intervenants, de jeunes noirs et leur famille ont également mentionné les obstacles que posent la méconnaissance des services offerts et le manque de programmes efficaces ou adaptés sur le plan culturel. Les jeunes noirs en probation ou en libération conditionnelle, ainsi que ceux qui ont purgé leur peine en totalité se retrouvent souvent en situation d’itinérance et perdent le soutien de leur famille à la suite de leur remise en liberté. Cela peut se produire parce que leurs conditions les empêchent d’habiter à l’endroit où ils ont eu des ennuis, ou parce leur famille ne veut plus qu’ils habitent là. Sans interventions et services efficaces, les jeunes doivent se débrouiller seuls et se retrouvent dans un cercle vicieux où ils ne peuvent trouver d’emploi parce qu’ils n’ont pas d’adresse permanente et où ils n’arrivent pas à trouver un logement parce qu’ils n’ont pas d’emploi stable ou de revenu. En plus d’être victimes de discrimination dans le marché du travail, les jeunes noirs qui ont un casier judiciaire ont une employabilité moindre et, à leur sortie des établissements de détention, ils n’ont généralement pas les compétences, la formation ou les études qui augmenteraient leur employabilité. Par conséquent, les jeunes noirs finissent souvent par faire ce qu’ils peuvent (c.-à-d. des « activités illégales ») pour avoir suffisamment d’argent pour survivre.
[traduction]
Je suis un homme noir de 6 pieds, je suis déjà considéré comme intimidant, et maintenant un chef d’accusation de voies de fait a été porté contre moi. Je sais que si j’avais l’air blanc, je ne serais pas traité de la même façon. Ma maison était constamment surveillée par la police. Je sortais en douce, parce que je devais gagner de l’argent. Qui va vous embaucher lorsque vous êtes noir avec un casier judiciaire? Ils ne se souciaient pas non plus du fait que je souffrais de problèmes de santé mentale. Mon agent de probation semblait croire que j’exagérais mes sentiments et mes émotions. (Jeune à Ottawa)
Les participants ont soulevé un autre problème, à savoir qu’en plus du manque de programmes adaptés sur le plan culturel répondant aux besoins des jeunes noirs, certains agents de libération conditionnelle ou de probation ne prenaient pas le temps d’identifier et d’aiguiller les jeunes aux quelques programmes adaptés sur le plan culturel qui existent. Au lieu de faire preuve de compassion et d’empathie et de formuler des conseils sur les façons d’éviter les ennuis, ils demandaient souvent aux jeunes noirs s’ils avaient fait des gaffes au cours de la fin de semaine. Sans participer à des programmes efficaces, les jeunes n’ont pas l’aide et le soutien dont ils ont besoin pour réussir leur réinsertion sociale, par exemple pour obtenir des cartes d’identité, des consultations en santé mentale et en toxicomanie, ou de l’aide pour sortir d’un gang.
De nombreux fournisseurs de services dans les différentes villes où les séances de mobilisation ont eu lieu ont soulevé le problème du financement gouvernemental. Ils étaient frustrés du fait que le financement est souvent attribué aux mêmes organismes d’envergure, comme la Société John Howard. Bien que ces organismes offrent des services de qualité, des participants ont fait valoir qu’ils n’adaptent pas leurs services aux besoins des jeunes noirs en particulier.Des fournisseurs de services estimaient que le financement devrait être accordé à des programmes adaptés sur le plan culturel dirigés par des travailleurs de première ligne auxquels les jeunes noirs peuvent s’identifier, que ce soit parce qu’ils sont noirs ou ont vécu des expériences semblables, ainsi qu’à des organismes communautaires au sein desquels travaillent des personnes qui connaissent les jeunes et le quartier où ils habitent.
En résumé, le SJP est en quelque sorte une porte tournante, avec un va-et-vient incessant de jeunes noirs. À la suite de leur remise en liberté, les jeunes noirs sont souvent dans pire situation qu’ils ne l’étaient au moment de leur première arrivée en détention, et ils doivent composer avec la stigmatisation négative associée au casier judiciaire. Il s’agit d’une conséquence du racisme à l’endroit des Noirs, qui génère un manque de ressources et une réticence à corriger les failles du système et à fournir du soutien structurel pour changer les conditions qui amènent les jeunes à commettre des infractions en premier lieu.
Répercussions de la pandémie de COVID-19
La pandémie de COVID-19 a eu des répercussions sur les jeunes, et celles-ci varient en fonction de l’expérience en détention et selon que les jeunes étaient en détention ou non au moment où les séances de mobilisation ont eu lieu. Les jeunes qui n’ont jamais été détenus ont déclaré que la pandémie les faisait sentir comme s’ils étaient en prison, car la surveillance policière semblait avoir augmenté dans leur communauté. En plus d’avoir à composer avec le racisme à l’endroit des Noirs décrit dans le présent rapport, ces jeunes ont déclaré avoir subi du stress en raison de la peur contracter la COVID-19 dans leur emploi à titre de travailleurs essentiels, et également en raison des pertes d’emploi et de la fermeture de services communautaires et de programmes sur lesquels ils comptaient. Ces changements ont aussi suscité des sentiments d’isolement et de solitude chez les jeunes, ce qui a entraîné une dégradation de leur santé mentale. Certains jeunes ont affirmé que leur santé mentale s’était détériorée en raison de l’augmentation de la violence familiale, des agressions sexuelles et des problèmes de dépendance à la maison. En outre, la densité de population accrue dans les quartiers où les jeunes noirs habitent généralement augmente le risque de contracter le virus. Ces craintes étaient amplifiées par le fait que des policiers de quartier refusaient de respecter les protocoles de santé publique (p. ex. distanciation physique, port du masque, mesures de désinfection), mais pénalisaient les jeunes de la communauté qui ne respectaient pas ces mêmes protocoles.
Comme les jeunes vivant dans la communauté, les jeunes noirs en détention, sous garde et dans les établissements correctionnels pour adultes ont dit craindre de contracter la COVID-19 en raison du trop grand nombre de personnes réunies dans un lieu fermé. Ils ont vécu des situations contradictoires dans lesquelles ils ont été punis pour n’avoir pas respecté des protocoles de santé publique que les agents correctionnels ne respectaient pas eux-mêmes. Les jeunes noirs actuellement en détention dans des établissements pour adultes ont souligné que les agents correctionnels ne se présentent pas toujours au travail, ce qui augmente les périodes de confinement et réduit les occasions de discuter avec les membres de la famille ou les amis, que ce soit par téléphone ou en personne, lors des visites. Cette situation a mené à une détérioration de l’accès des jeunes à leur système de soutien, à une augmentation du nombre d’altercations physiques et de batailles lorsqu’il est question d’avoir accès à un téléphone, ainsi qu’à une dégradation de la santé mentale sous l’effet des mesures de confinement visant à limiter la propagation du virus. Des intervenants ont signalé une augmentation de problèmes d’anxiété, de dépression et d’isolement chez les jeunes noirs en détention, et ont précisé que les jeunes n’avaient plus autant accès aux installations et aux services offerts dans les établissements, comme des services d’éducation, des services de santé mentale et physique, le gymnase et les douches. De nombreux jeunes noirs qui ont obtenu un résultat négatif au test de dépistage du virus cohabitaient avec des personnes qui avaient obtenu un résultat positif. Des personnes qui ont obtenu un résultat positif au test de dépistage ont confirmé cette réalité et souligné qu’ils éprouvaient une culpabilité anxiogène à l’idée de transmettre le virus à autrui.
Des intervenants ont affirmé que peu importe la race ou les origines culturelles, les jeunes ont dû composer avec des retards plus longs qu’à l’habitude pour les audiences sur la mise en liberté sous caution, les procès et les transfèrements, ce qui a aussi augmenté les problèmes de santé mentale. Cependant, des intervenants ont précisé que les retards pour les jeunes noirs étaient considérablement plus longs que ceux observés pour les jeunes blancs. La fermeture temporaire de lieux où les jeunes pouvaient faire du bénévolat pour remplir les conditions de leur probation a eu pour résultat que certains jeunes purgent de plus longues peines en détention. Des intervenants et des jeunes ont indiqué que des jeunes noirs qui étaient en détention et qui ont été remis en liberté pendant la pandémie ont éprouvé des difficultés en raison des occasions d’emploi limitées et des obstacles à surmonter pour suivre des formations en ligne, ainsi que pour participer de façon virtuelle aux audiences, aux services et aux programmes exigés par les tribunaux. Certains jeunes ont dit avoir réussi à éviter les ennuis, car ils avaient eu plus de temps pour se concentrer sur leurs progrès et moins d’occasions de récidiver.
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