Les jeunes provenant des communautés noires et le système de justice pénale : rapport sommaire sur un processus de mobilisation au Canada

Résumé

La population noire au Canada est diversifiée. Elle comprend des communautés qui existent depuis des générations partout au pays, ainsi que des groupes d’immigrants établis plus récemment, qui sont diversifiés du point de vue de l’ethnicité, de la langue, de la religion, de l’identité de genre, de l’orientation sexuelle et du pays d’origine. Malgré ces différences, le racisme à l’endroit des Noirs est l’une des caractéristiques communes de l’expérience des Noirs au Canada. Le racisme transcende les époques, les régions, les institutions et différents domaines de la vie sociale. Le racisme à l’endroit des Noirs est bien ancré dans l’histoire du Canada, notamment en raison du colonialisme, de l’esclavage, de la ségrégation et de pratiques d’immigration restrictives. Cette histoire a ouvert la voie aux expériences des générations subséquentes de Canadiens noirs, et plus récemment, des nouveaux arrivants noirs, car elle a jeté les bases du racisme à l’endroit des Noirs qui persiste aujourd’hui (Owusu-Bempah et Gabbidon, 2020). Le racisme à l’endroit des Noirs ressort de systèmes qui génèrent et perpétuent des résultats différents pour les personnes noires comparativement à la plupart des autres Canadiens : possibilités de réussite éducative moindres, occasions d’emploi et d’avancement professionnel moindres, taux de pauvreté et de chômage supérieurs, démêlés plus fréquents avec le système de justice pénale (SJP) (DasGupta et coll., 2020; Owusu-Bempah et coll., 2021). Les décideurs politiques et les universitaires reconnaissent de plus en plus que les expériences et la surreprésentation des personnes noires dans le SJP du Canada constituent un enjeu social important découlant du passé colonial du Canada (Owusu-Bempah et Gabbidon, 2020). Cependant, bien que des travaux soient réalisés à ce sujet depuis des décennies, il n’y a toujours pas de portrait global des points de vue et des expériences à l’égard du SJP pour les adolescents à l’échelle du Canada.

Entre août 2020 et avril 2021, le ministère de la Justice Canada, en collaboration avec le Secrétariat fédéral de lutte contre le racisme au sein du ministère du Patrimoine canadien, a lancé un processus de mobilisation dans l’objectif de mieux comprendre les obstacles que doivent surmonter les jeunes noirs qui ont eu des démêlés avec le SJP pour les adolescents au Canada. Ce processus contribue aux vastes efforts que déploie le gouvernement fédéral dans le cadre de la stratégie canadienne de lutte contre le racisme en vue de régler les problèmes d’accès à la justice. Il fait également partie de l’engagement du gouvernement du Canada dans le cadre de la Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine, qui a fait de la justice l’un de ses trois piliers prioritaires. Cette initiative contribue aussi au respect d’un engagement énoncé dans la lettre de mandat du ministre de la Justice de 2021, qui consiste à lutter contre la discrimination systémique et la surreprésentation des Noirs dans le SJP.

Une approche communautaire a été adoptée pour ce processus de mobilisation. Les travaux ont été dirigés par sept agents de liaison communautaire qui ont organisé et dirigé les réunions et les séances de mobilisation virtuelles dans six villes canadiennes, à savoir Calgary, Winnipeg, Toronto, Ottawa, Montréal et Halifax. En tout, 224 personnes ayant des expériences et des origines intersectionnelles diversifiées ont participé à ces discussions. Parmi les participants figuraient des jeunes noirs âgés de 18 à 29 ans qui ont eu des démêlés avec le SJP, aux termes de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, lorsqu’ils avaient entre 12 et 17 ans, des membres de leur famille et d’autres intervenants qui pouvaient aussi parler des expériences des jeunes noirs qui ont eu des démêlés avec le SJP. Chacun des agents de liaison communautaire a fait un résumé des principales conclusions et des domaines d’intervention prioritaires suggérés en fonction des séances tenues dans la ville dont il était responsable. Le présent rapport résume le contenu des sept résumés propres aux villes.

Les participants consultés au cours de ce processus de mobilisation ont relevé une variété de facteurs systémiques, sociaux, économiques et géographiques augmentant la probabilité que les jeunes noirs aient des démêlés avec le SJP. Parmi ces facteurs, mentionnons entre autres les interventions policières excessives, la pauvreté, l’exclusion du système d’éducation, les obstacles dans la recherche d’emploi et les obstacles auxquels sont confrontés les nouveaux arrivants qui tentent de s’intégrer à la société canadienne. Des jeunes ont indiqué que l’attrait de modes de vie autrement inaccessibles, la recherche d’une famille et d’une communauté, et les obstacles systémiques les empêchant de participer à la société en général les avaient poussés à commettre des actes criminels. La majorité des participants, voire la totalité, ont mentionné le racisme à l’endroit des Noirs lorsqu’ils ont décrit ce qui avait mené les jeunes noirs à avoir des démêlés avec le SJP.

Les participants considéraient également que le racisme à l’endroit des Noirs a une incidence sur l’expérience des jeunes noirs avec les institutions du SJP et leurs représentants. De nombreux adolescents étaient très jeunes lorsqu’ils ont eu leurs premiers démêlés avec la justice, sous la forme d’interventions policières, lesquelles avaient souvent eu lieu à l’école et dans leur quartier. Parfois, ces jeunes n’avaient commis aucun acte criminel lorsqu’ils sont entrés en contact pour la première fois avec le système. Les jeunes, leur famille et des intervenants ont parlé de traitements déshumanisants et dégradants subis aux mains des services de police et des intervenants du système judiciaire. Ils ont également parlé des traitements abusifs, violents et potentiellement criminels qui sont infligés par des intervenants des établissements de détention. La pauvreté, les obstacles linguistiques et les problèmes de santé mentale ont aggravé le traitement subi, et par conséquent, les expériences vécues.

Les participants étaient presque unanimes à penser que ces organismes de justice pénale n’étaient pas bien outillés pour répondre aux besoins particuliers des populations noires diversifiées sur le plan ethnique et culturel au Canada. Aussi, ils s’entendaient généralement pour dire que le racisme à l’endroit des Noirs était enraciné dans les organismes de justice pénale et qu’il s’agissait d’un facteur influant sur le traitement réservé aux populations noires dans l’ensemble du SJP. Les personnes qui ont participé à ce processus ont relevé les domaines d’intervention prioritaires suivants :

Les histoires racontées par les participants illustrent clairement que pour réduire l’ampleur des démêlés des jeunes noirs avec le SJP et pour améliorer leur expérience au sein des institutions du système de justice, il faut non seulement réformer la justice pénale, mais aussi déployer des efforts dans les différents systèmes sociaux façonnant la vie des jeunes noirs, de leur famille et de leur communauté. Le présent rapport s’ajoute à d’innombrables rapports, livres, articles de revue, documentaires et reportages faisant état des injustices raciales à l’endroit des personnes noires au Canada et lançant des appels à l’action visant à apporter des changements positifs durables.

Bien qu’il reflète les expériences vécues par de jeunes noirs au Canada, le présent rapport n’est pas exhaustif en raison de nombreuses limites. Les expériences vécues par les jeunes noirs âgés actuellement de 12 à 17 ans n’ont pas été incluses, car il aurait fallu obtenir une ordonnance du tribunal pour entrer en contact avec ces jeunes. Comme les séances se sont déroulées dans six villes situées dans cinq provinces, le rapport ne tient pas compte des expériences particulières vécues par les jeunes noirs dans les autres provinces et territoires, ainsi que dans les régions rurales du Canada. Il était impossible d’analyser les différences fondées sur le genre en ce qui concerne les facteurs contribuant aux démêlés avec le SJP, car la plupart des jeunes qui ont participé aux séances étaient de sexe masculin. Comme les jeunes noirs qui ont participé aux séances ont peut-être également vécu des expériences avec le SJP pour adultes, il se peut que leurs histoires n’établissent pas la distinction entre leurs expériences relatives au système pour adolescents et au système pour adultes. Enfin, la pandémie a créé une limite importante, car elle a eu une incidence sur le niveau de participation aux séances de mobilisation.