Étude sur le déménagement des parents après le divorce ou la séparation
Résumé
L'objectif du projet
Les affaires qui soulèvent la question de savoir si les parents peuvent déménager avec leur enfant à la suite de la séparation ou du divorce comptent parmi les plus litigieuses et les plus difficiles auxquelles est confronté le système de justice familiale. Les cas de déménagement entraînent de profondes répercussions sur la vie des parents et des enfants. Ils s'avèrent également ardus pour les juges, les avocats et le système de justice, car dans de nombreuses situations, les arrêts-clés et la législation ne fournissent que très peu de directives. Les ouvrages en sciences sociales demeurent limités et fournissent peu d'indications utiles sur les nombreuses problématiques auxquelles sont confrontés les décideurs et les responsables des politiques. En outre, très peu de données statistiques sont accessibles.
En décembre 2010, le ministère de la Justice du Canada a publié un appel d'offres relativement à un petit projet de recherche portant sur le déménagement des parents à la suite de la séparation ou du divorce. En mars 2011, le ministère de la Justice a attribué un marché à l'Institut canadien de recherche sur le droit et la famille (ICRDF) afin que ce dernier entreprenne une étude et établisse un rapport ayant trait à la recherche et aux ouvrages canadiens et étrangers portant sur le déménagement. L'ICRDF était également chargé de mener une recherche pour trouver tout élément pertinent dans les banques de données du gouvernement fédéral et pour effectuer une analyse des tendances qui se dégagent de la jurisprudence canadienne.
La méthodologie
Diverses activités interdépendantes de recherche ont été réalisées aux fins de la présente étude. Ces activités étaient axées, notamment, sur la recherche et l'étude des ouvrages en sciences sociales traitant du déménagement des parents, la recherche et l'analyse des décisions des tribunaux canadiens en matière de déménagement des parents et l'établissement de rapports relatifs à toute information pertinente provenant des banques de données actuelles du gouvernement fédéral. Ces documents ont été analysés, synthétisés et structurés dans le présent rapport. Dans la conclusion, nous cernerons les lacunes observées dans la documentation et proposerons des recherches qui pourraient être menées pour les combler.
Résumé des conclusions
Au cours de la dernière décennie, on a constaté une légère augmentation du nombre de jugements rendus par les tribunaux canadiens en matière de déménagement. Toutefois, le « taux de succès » des déménagements est resté essentiellement constant, se situant juste au-dessus de 50 %.
La plupart des chercheurs admettent désormais que le déménagement à la suite de la séparation présente un « facteur de risque » pour les enfants. Ils reconnaissent que, dans certaines mesures, les enfants qui déménagent après la séparation éprouvent généralement plus de difficultés que ceux qui ne déménagent pas. Toutefois, aucune recherche ne démontre que des effets négatifs se font ressentir en raison du déménagement, ou que les enfants qui ont en fait déménagé se seraient mieux portés s'ils n'avaient pas déménagé. Les études portant sur les enfants et les jeunes adultes ayant déménagé n'ont pas examiné s'il y avait une possibilité de ne pas déménager, et elles ont encore moins essayé d'évaluer les répercussions qui auraient été causées par le fait de ne pas déménager. De plus, les données actuelles suggèrent que la plupart des enfants qui déménagent après la séparation s'adaptent assez bien et ne semblent pas subir de répercussions importantes à long terme.
Un élément principal relatif au sexe caractérise fortement les cas de déménagement : c'est presque toujours la mère qui cherche à déménager. Le nombre de décisions canadiennes dans lesquelles le père est celui qui tente de déménager avec l'enfant est relativement faible. Cependant, le taux de succès des pères n'est pas différent de celui des mères.
Les principaux motifs invoqués dans la documentation visant à appuyer le déménagement sont liés au désir de se rapprocher de la famille, de vivre avec un nouveau partenaire, d'avoir de meilleures conditions économiques et d'échapper à la violence. L'enquête de l'ICRDF menée auprès des praticiens du droit de la famille du Canada a permis de conclure que les raisons les plus fréquentes pour demander l'autorisation de déménager sont : vivre avec un nouveau partenaire, saisir une occasion d'emploi et se rapprocher de la famille ou des amis. Selon l'examen des décisions canadiennes, le raison la plus fréquente pour justifier le déménagement est l'amélioration de la situation économique ou des occasions d'emploi; suivent le souhait de la mère de déménager pour vivre une nouvelle relation intime et la recherche, par la mère ayant la garde, de soutien émotionnel et social auprès de sa famille.
Le déménagement aura des répercussions sur les rapports avec le parent « qui reste derrière ». Cependant, la nature et l'ampleur de ces répercussions dépendront de nombreux facteurs, y compris la distance à parcourir et les moyens dont disposent les parents pour effectuer les déplacements ainsi que, de toute évidence, la nature de la relation entre le parent et l'enfant avant le déménagement.
Pour de nombreux parents séparés ou divorcés, les enfants servent de « points d'ancrage » qui les amènent à vivre dans une proximité relativement immédiate. Comme l'indiquait le Recensement du Canada de 2006, les couples séparés ou divorcés qui déménageaient risquaient davantage de rester dans la même municipalité que les personnes mariées. De même, les données de l'Enquête sociale générale de 2001 révélaient que près des trois quarts des parents non gardiens ou qui n'hébergent pas les enfants vivaient à moins de 100 km de distance de ces derniers. Les données de l'Enquête sociale générale de 2006 ont démontré que plus de la moitié des parents non gardiens vivaient à moins de 10 km de leurs enfants. Un autre quart disait vivre à moins de 50 km de leurs enfants. Seulement 8 % des parents non gardiens ont indiqué vivre à 1 000 km ou plus de leur enfant.
L'analyse des décisions canadiennes a mis en évidence le fait que le taux de succès des demandes de déménagement à l'étranger est plus élevé que celui des demandes de déménagement à l'intérieur des frontières canadiennes. Cela s'explique par les différences dans la nature des affaires internationales et est conforme aux conclusions provenant d'études menées dans d'autres pays.
Les études sur la question suggèrent qu'une communication fréquente avec le parent qui ne déménage pas risque d'être perturbée s'il y a déménagement, si la séparation est très conflictuelle ou s'il y a présence de violence familiale, de problèmes de santé mentale ou de toxicomanie. Une analyse des décisions canadiennes a démontré que les mères ayant la garde ont plus de chance d'obtenir l'autorisation de déménager si leurs allégations de violence familiale sont corroborées.
Les mères ayant la garde ont plus de chances d'obtenir d'un tribunal la permission de déménager si elles ont la garde physique exclusive. Inversement, dans les cas de garde physique partagée (dans lesquels chaque parent vit avec l'enfant au moins 40 % du temps), le tribunal s'est montré nettement plus enclin à refuser la permission de déménager.
Le choix de l'enfant n'a été mentionné que dans environ le quart des décisions judiciaires. Dans environ un tiers de ces décisions, les enfants demeuraient ambivalents ou n'avaient pas exprimé clairement leur opinion. Lorsque les enfants exprimaient clairement une opinion, les tribunaux avaient tendance à accorder beaucoup d'importance à leur choix relatif au déménagement. Cependant, ils ne respectaient pas ce choix dans tous les cas.
Les tribunaux réprouvent fréquemment le geste unilatéral des parents qui déménagent avec l'enfant sans le consentement de l'autre parent ou l'autorisation du tribunal. Toutefois, les parents gardiens (généralement la mère) ont eu gain de cause dans près de la moitié des cas où ils [traduction] « ont déménagé d'abord et demandé la permission ensuite », puisque les juges tenaient compte de toutes les circonstances relatives au cas. Les tribunaux, notamment, étudiaient la question visant à savoir s'il était dans l'intérêt supérieur de l'enfant de faire face à l'instabilité d'un autre déménagement, c'est-à-dire un retour à son lieu précédent de résidence.
Les défis de la réforme du droit en matière de déménagement
Les cas de déménagement représentent une partie importante de l'ensemble des cas litigieux en matière de droit de la famille. Comme nous en discuterons dans le présent rapport, ils semblent être de plus en plus nombreux et de plus en plus difficiles à régler sans procès, contrairement aux autres cas. Une partie du défi relatif au règlement réside dans la difficulté inhérente d'y trouver un « terrain d'entente ». Le degré élevé de discrétion accordée aux juges de première instance et le manque de directives liées au critère de l'intérêt supérieur de l'enfant appliqué dans l'arrêt Gordon c. Goertz pourraient également rendre les résultats moins prévisibles et les ententes plus difficiles.
Des voix continuent donc à s'élever pour réclamer une réforme des lois régissant le déménagement des enfants si l'un des parents veut déménager avec eux. L'une des motivations importantes de ceux qui réclament cette réforme est de fournir aux juges, aux avocats et aux parents des directives plus claires visant à faciliter les ententes et la médiation.
Toutefois, d'autres parties prônant la réforme veulent que des changements de fond soient apportés au droit. Dans l'ensemble, elles désirent que davantage de droits relatifs au déménagement soient accordés au parent ayant la garde principale (la mère), ou elles désirent que davantage de droits soient accordés au parent n'ayant pas la garde principale (le père) pour que celui-ci puisse prévenir le déménagement, de manière à pouvoir maintenir sa relation avec les enfants.
Phil Epstein, un éminent praticien du droit de la famille de Toronto, a proposé qu'un processus similaire à celui mis en place pour approfondir les Lignes directrices facultatives en matière de pensions alimentaires pour époux soit instauré afin de constituer ce qu'on pourrait appelerles Lignes directrices facultatives en matière de déménagement. Il propose qu'un comité composé d'avocats, de juges, de décideurs gouvernementaux et d'universitaires rédige des documents de travail et qu'il les soumette à la consultation du Barreau, des tribunaux et des membres du public qui manifestent de l'intérêt pour ce sujet. Au fil du temps, ces travaux pourraient mener à l'élaboration d'un ensemble de Lignes directrices facultatives en matière de déménagement qui correspondrait à la jurisprudence actuelle et qui faciliterait la résolution des conflits. Tout comme les Lignes directrices facultatives en matière de pensions alimentaires pour époux, ce projet proposerait une codification consultative des lois en vigueur plutôt qu'un effort visant à changer la loi.
La nature discrétionnaire et individualisée du « critère de l'intérêt supérieur » peut faire paraître le déménagement comme un domaine « où règne l'anarchie ». Toutefois, l'analyse de la jurisprudence canadienne faite dans le troisième chapitre du présent rapport suggère que ce domaine n'est pas en fait totalement imprévisible. Bien que les règles prévues par les tribunaux ne soient pas claires et que, pour cette raison, il peut être difficile de dégager des tendances dans la jurisprudence, certaines de ces dernières sont généralement apparentes. Les praticiens du droit, notamment les juges, les avocats, les médiateurs et les assesseurs, doivent comprendre et connaître les ouvrages en sciences sociales ainsi que les précédents et les tendances de la jurisprudence afin de résoudre plus efficacement et plus effectivement les cas de déménagement. De telles connaissances sont également importantes pour les décideurs et les législateurs qui pourraient, à l'avenir, avoir à traiter de ces questions.
Suggestions de recherches futures
Le nombre de recherches en sciences sociales portant sur les effets sur les enfants du déménagement des parents connaît une certaine croissance. Toutefois, davantage de recherches mieux adaptées en sciences sociales sont nécessaires. L'étude de la documentation et des données canadiennes sur le déménagement des parents effectuée dans le cadre du présent projet a révélé des lacunes en ce qui concerne les renseignements actuellement accessibles. Ces lacunes nous permettent de formuler des suggestions quant aux recherches futures. De telles recherches pourraient servir de fondements sur lesquels s'appuierait le travail des juges, des avocats, des médiateurs et des assesseurs. Elles pourraient aussi se révéler importantes pour les personnes qui participent à l'élaboration de politiques relatives au déménagement et pour les personnes responsables de la mise en place des services de justice familiale. En outre, ces recherches seraient nécessaires pour les parents confrontés à la possibilité d'un déménagement à la suite d'une séparation ou d'un divorce et, assurément, pour leurs enfants.
L'analyse des décisions canadiennes citées dans le présent rapport fournit des renseignements précieux, mais elle se limite aux décisions rédigées en anglais. Entreprendre une étude semblable des décisions rédigées en français permettrait de dresser un tableau national complet de la jurisprudence en matière de déménagement.
Bien que le Canada mène plusieurs enquêtes nationales (le Recensement, l'Enquête sociale générale et l'Enquête longitudinale nationale sur les enfants et les jeunes [ELNEJ], etc.) afin de recueillir des données sur les familles, aucune de ces enquêtes d'envergure ne recueille de données traitant directement de la question du déménagement des parents. Par exemple, nous ignorons la fréquence à laquelle les gens déménagent et nous ne pouvons déterminer si les déménagements sont directement liés à l'échec de la relation. Bien que les données du Recensement fournissent des renseignements autant sur l'état matrimonial que sur la mobilité, les données sont corrélationnelles, et il est donc impossible de déterminer si le déménagement résulte d'un divorce ou d'une séparation. Certaines données du Recensement concernant les personnes qui immigrent au Canada sont accessibles. Toutefois, elles ne tiennent pas compte des personnes qui déménagent à l'étranger. Afin de combler cette lacune, des questions pourraient être ajoutées aux enquêtes nationales actuelles afin de recueillir des données liées spécifiquement à la mobilité des personnes après l'échec d'une relation.
Le manque d'information relative aux effets de la mobilité sur les enfants est aussi une lacune importante de la documentation portant sur le déménagement des parents, surtout au Canada. Idéalement, la recherche dans ce domaine devrait recueillir des données pertinentes sur les parents et les enfants et devrait être conçue de manière longitudinale.
Bien que les cas de déménagement ne constituent pas une part importante de l'ensemble des litiges du droit de la famille, le règlement de ces cas est difficile et c'est pourquoi ces derniers retiennent une partie disproportionnée du temps des tribunaux ainsi que des ressources privées consacrées aux avocats et aux frais de procédure. Les juges ne disposent que de très peu de recherches sérieuses en sciences sociales sur lesquelles ils peuvent appuyer leur décision. De plus, pratiquement aucune étude canadienne n'a été menée sur le sujet. Les données sur la mobilité actuellement accessibles au Canada illustrent les tendances générales dans la population, mais elles ne sont pas adéquates pour étudier en profondeur la question. Si le Canada décidait de mener d'autres recherches dans ce domaine, il pourrait adapter à son contexte national certains bons exemples de recherches ayant été menées à l'étranger.
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