Étude sur le déménagement des parents après le divorce ou la séparatione
5.0 Discussion et conclusions
5.1 Résumé de la documentation et des données canadiennes en matière de déménagement des parents
Le déménagement des parents soulève l'une des questions les plus âprement contestées du droit de la famille. Une étude menée en Australie (Parkinson et Cashmore, 2009) a conclu que, bien qu'environ 6 % des cas de droit de la famille requièrent une décision judiciaire, 59 % des cas de déménagement sont tranchés par un tribunal. De même, 51 % des cas de déménagement en Nouvelle-Zélande ont fait l'objet d'un litige (Taylor et coll., 2010). Lors d'un sondage de l'ICRDF effectué auprès des avocats en droit de la famille, les répondants ont indiqué que les cas de déménagements des parents présentaient des problèmes dans 13 % des cas qu'ils avaient traités en 2006. Toutefois, l'écart entre les réponses était grand (de 0 à 75 %). L'analyse de la jurisprudence canadienne révèle que le nombre de cas rapportés concernant des déménagements a légèrement augmenté au cours de la dernière décennie. Cependant, le « taux de succès » des déménagements est demeuré essentiellement constant, étant légèrement supérieur à 50 %.
Bien que le nombre d'ouvrages en sciences sociales portant sur le déménagement augmente, la qualité de la recherche varie considérablement, et les conclusions ne sont pas totalement cohérentes. En conséquence, il demeure difficile d'appliquer la recherche aux cas particuliers ou de l'utiliser pour élaborer des politiques. Dans les années 1990, quelques professionnels de la santé mentale ont mis l'accent sur l'importance de la relation existant entre l'enfant et le gardien principal et ont plaidé en faveur de la présomption du droit des gardiens principaux de déménager avec leurs enfants (Wallerstein et Tanke, 1996). Toutefois, beaucoup de chercheurs reconnaissent désormais que le déménagement après la séparation constitue un « facteur de risque » pour les enfants et que, dans certains cas, les enfants qui déménagent après la séparation éprouvent généralement plus de difficultés que les enfants qui ne déménagent pas (Austin, 2008; Kelly et Lamb, 2003; Kelly, 2007; Stahl, 2006; Waldron, 2005). Par ailleurs, aucune recherche ne démontre que le déménagement entraîne des conséquences négatives ou que les enfants ayant effectivement déménagé auraient connu de meilleurs résultats s'ils n'avaient pas déménagé.
Le déménagement après la séparation comprend de nombreux facteurs. Il existe souvent des facteurs économiques et sociaux qui distinguent les personnes qui déménagent de celles qui ne déménagent pas. Les études portant sur les enfants et les jeunes adultes qui ont déménagé n'ont pas évalué si la possibilité de ne pas déménager existait et ont encore moins tenté de déterminer quelles auraient été les répercussions si le déménagement n'avait pas eu lieu. De plus, les données actuelles suggèrent que la plupart des enfants qui déménagent après la séparation s'adaptent assez bien et ne semblent pas subir de répercussions importantes à long terme (Taylor et coll., 2010).
Un élément principal relatif au sexe caractérise fortement les cas de déménagement : c'est presque toujours la mère qui cherche à déménager. Le nombre de décisions canadiennes dans lesquelles le père est celui qui tente de déménager avec l'enfant est relativement faible. Cependant, le taux de succès des pères n'est pas différent de celui des mères. Cette conclusion est semblable à celle qui a été tirée dans le cadre d'une recherche récente menée en Australie et qui indique que la grande majorité des parents souhaitant déménager avec les enfants après la séparation étaient des mères (Behrens, Smyth et Kaspiew, 2009; Parkinson et coll., 2010).
Selon les études australiennes, les raisons principales invoquées pour déménager sont liées au désir de la mère de se rapprocher de sa famille, de vivre avec un nouveau conjoint, d'améliorer ses conditions économiques et d'échapper à la violence. L'enquête menée auprès des praticiens du droit de la famille du Canada a conclu également que les raisons les plus souvent invoquées pour demander l'autorisation de déménager étaient : vivre avec un nouveau joint, saisir une occasion d'emploi et se rapprocher de la famille ou des amis (Paetsch et coll., 2006). L'analyse de la jurisprudence canadienne effectuée dans le présent rapport a démontré que les principales raisons pour justifier le déménagement étaient d'abord l'amélioration de la situation économique ou des occasions d'emploi, ensuite, le souhait de la mère de déménager pour vivre une nouvelle relation intime et, enfin, la recherche, par la mère ayant la garde, de soutien émotionnel et social auprès de sa famille.
Les chercheurs reconnaissent que les facteurs de développement influent sur toute décision concernant un enfant et recommandent que, si le déménagement a lieu, les plans visant à établir un contact continu avec le « parent qui reste derrière » tiennent compte de l'âge de l'enfant et de ses besoins en matière de développement. Il est possible que le déménagement perturbe l'attachement psychologique des jeunes enfants envers le parent qu'ils ne voient pas régulièrement. Toutefois, la transition dans une nouvelle maison se fera plus facilement, car les enfants de cet âge ne possèdent pas encore de liens forts avec leurs pairs, leur école et leur collectivité. Le déménagement risque de perturber les enfants plus vieux dans les relations avec leurs pairs, dans la collectivité et à l'école, et il est important que ces facteurs soient pris en considération. Toutefois, l'analyse de la jurisprudence canadienne n'a pas démontré que l'âge de l'enfant influait de manière importante sur le taux de succès des demandes de déménagement des parents.
Le déménagement aura des répercussions sur les rapports avec le « parent qui reste derrière ». Cependant, la nature et l'ampleur des répercussions dépendront de nombreux facteurs, notamment la distance à parcourir, les moyens dont disposent les parents pour effectuer les déplacements et, bien sûr, la nature de la relation préexistante entre le parent non gardien et l'enfant. Le Recensement du Canada de 2006 indiquait que les couples séparés ou divorcés qui déménageaient étaient plus susceptibles de rester dans la même municipalité que les personnes mariées. Les personnes séparées, divorcées et veuves qui déménageaient étaient beaucoup plus susceptibles de demeurer dans leur propre municipalité que de la quitter. En comparaison, les personnes légalement mariées qui déménageaient étaient aussi susceptibles de demeurer dans leur propre municipalité que de la quitter. De même, les données de l'Enquête sociale générale de 2001 ont révélé que près des trois quarts des parents non gardiens habitaient à moins de 100 km de leur enfant, ce qui est une distance raisonnable pour permettre des visites fréquentes. Les données de l'Enquête sociale générale de 2006 ont démontré que plus de la moitié des parents non gardiens vivaient à moins de 10 km de leur enfant. Un autre quart ont dit vivre à moins de 50 km de leur enfant. Seulement 8 % des parents non gardiens ont indiqué que leurs enfants habitaient à une distance de 1 000 km, ou que leurs enfants vivaient à l'extérieur du Canada ou des États-Unis. Bien que les déménagements à l'étranger soient plus perturbateurs pour un enfant que les déménagements à l'intérieur d'une province ou des frontières canadiennes, l'analyse de la jurisprudence canadienne a révélé que le taux de succès des demandes des déménagements à l'étranger était en fait plus élevé que celui des déménagements à l'intérieur du Canada. Cela pourrait s'expliquer par des différences dans la nature des cas internationaux et est conforme aux constatations faites dans d'autres pays.
La documentation suggère que la communication fréquente avec le parent qui ne déménage pas risque d'être perturbée s'il y a déménagement et si la séparation parentale est très conflictuelle ou s'il y a présence de violence familiale, de problèmes de santé mentale ou de toxicomanie (Behrens et Smyth, 2010; Taylor et coll., 2010). La relation de l'enfant avec le parent qui ne déménage pas (avant que le déménagement ait lieu) ainsi que le degré de soutien du parent qui déménage sont également d'importants facteurs dans le maintien d'une relation solide avec l'enfant. De plus, les ressources financières des parents, les changements possibles dans leurs relations intimes et les circonstances exigent la mise en place d'un plan « éprouvé par la réalité » afin que soit maintenue la communication entre les enfants et le parent qui ne déménage pas.
L'analyse de la jurisprudence canadienne a démontré que les mères ayant la garde ont plus de chance d'obtenir l'autorisation de déménager si leurs allégations de violence familiale sont corroborées. Les mères ayant la garde ont de plus grandes chances d'obtenir d'un tribunal la permission de déménager si elles ont la garde physique dite traditionnelle. Inversement, dans les cas de garde physique conjointe (où chaque parent vit avec l'enfant au moins 40 % du temps), le tribunal s'est montré nettement plus enclin à refuser la permission de déménager. Le choix de l'enfant n'a été mentionné que dans environ le quart des décisions. Dans environ un tiers de ces décisions, les enfants demeuraient ambivalents ou n'avaient pas exprimé clairement leur opinion. Lorsque les enfants exprimaient clairement une opinion, les tribunaux avaient tendance à accorder beaucoup d'importance à leur choix relatif au déménagement. Cependant, ils ne le respectaient pas dans tous les cas.
Un autre facteur intéressant ressort de l'analyse de la jurisprudence canadienne : le geste unilatéral des parents qui déménagent avec l'enfant, sans le consentement de l'autre parent ni l'autorisation du tribunal, leur est souvent reproché par ce dernier. Toutefois, les parents gardiens (généralement la mère) ont eu gain de cause dans près de la moitié des cas où ils « ont déménagé d'abord et demandé la permission ensuite », puisque les juges tenaient compte de toutes les circonstances du cas. Les tribunaux s'interrogeaient notamment sur l'intérêt de l'enfant de faire face à l'instabilité d'un autre déménagement, c'est-à-dire un retour à son lieu précédent de résidence.
Les plus récentes publications de chercheurs en santé mentale reconnaissent que le déménagement présente pour les enfants des risques possibles mais aussi des avantages possibles. Par conséquent, elles proposent que les risques et les avantages soient évalués en fonction de chaque cas (Austin, 2008; Kelly et Lamb, 2003; Kelly, 2007; Stahl, 2006; Waldron, 2005). Ces auteurs reconnaissent également l'importance de demander les opinions des enfants plus vieux au moment de prendre des décisions relatives au déménagement.
5.2 Les défis de la réforme du droit en matière de déménagement
Les cas de déménagement représentent une partie importante de l'ensemble des cas litigieux en matière de droit de la famille. Comme nous l'avons exposé dans le présent rapport, ils semblent être de plus en plus nombreux et de plus en plus difficiles à régler sans procès, contrairement à la plupart des autres cas. Une partie du défi relatif au règlement réside dans la difficulté inhérente d'y trouver un « terrain d'entente ». Le degré élevé de discrétion accordée aux juges de première instance et le manque de directives liées au critère de l'intérêt supérieur de l'enfant appliqué dans l'arrêt Gordon c. Goertz pourraient également rendre les résultats moins prévisibles et les ententes plus difficiles.
Des voix continuent donc à s'élever pour réclamer une réforme des lois régissant le déménagement des enfants si l'un des parents veut déménager avec eux. L'une des motivations importantes de ceux qui réclament cette réforme est de fournir aux juges, aux avocats et aux parents des directives plus claires afin de faciliter les ententes et la médiation. Toutefois, d'autres parties prônant la réforme veulent que des changements de fond soient apportés au droit. Dans l'ensemble, ces personnes désirent que davantage de droits relatifs au déménagement (Boyd, 2011) soient accordés au parent ayant la garde principale (la mère), ou que davantage de droits soient accordés au parent n'ayant pas la garde principale (le père) afin que celui-ci puisse prévenir le déménagement de sorte qu'il maintienne sa relation avec les enfants (Warshak, 2003).
Un ensemble de propositions pour la réforme a été mis de l'avant à l'été 2010 dans le Livre blancdu gouvernement de la Colombie-Britannique. Ce document contient des dispositions qui traitent du fardeau de la preuve dans les cas de déménagement.Lorsque la garde quotidienne de l'enfant est partagée de manière sensiblement égale entre les deux parents, le fardeau de démontrer que le déménagement proposé se veut de bonne foi et qu'il est dans l'intérêt de l'enfant reposerait sur le parent qui veut déménager avec l'enfant. Si la garde de l'enfant n'est pas partagée de manière sensiblement égale, le fardeau de démontrer que le déménagement avec le parent ayant la garde principale serait contraire à l'intérêt de l'enfant et reposerait sur le parent s'y opposant. De plus, on interdirait aux juges de tenir compte de l'éventualité du déménagement, sans l'enfant, du parent proposant le déménagement quel que soit le résultat de sa demande. Un parent qui veut déménager avec ses enfants serait toutefois tenu de présenter un plan visant à démontrer que des « efforts raisonnables » seraient déployés afin de trouver des moyens pour maintenir la relation entre l'enfant et l'autre parent. Bien que ces propositions s'articulent autour d'une rhétorique axée sur l'enfant, faire porter le fardeau de démontrer que déménager serait contraire à l'intérêt de l'enfant sur le parent qui n'a pas la garde quotidienne de l'enfant demeure controversé, surtout auprès des groupes de pèresNote de bas de la page 71. À l'heure actuelle, la Colombie-Britannique n'a pas encore décidé si elle adoptera ces propositions. Aucune autre province ni aucun autre territoire canadien n'a, à l'heure actuelle, proposé de réforme législative parrainée par le gouvernement.
Comme nous en avons discuté au deuxième chapitre, la plupart des pays ont mis en place des lois en matière de déménagement semblables à l'approche de « l'intérêt supérieur » préconisée par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Gordon c. Goertz. Il existe sur la scène internationale un intérêt croissant envers la réforme des lois régissant le déménagement des parents et, éventuellement, l'établissement d'un degré de constance dans les approches de différents pays, bien qu'il n'y ait toujours pas de consensus sur la façon de procéder (Elrod, 2010). Aux États-Unis, un projet de loi type régissant le déménagement préparé par la Uniform Law Conference de l'American Law Institute a été abandonné en 2009, car le comité de rédaction a conclu que la pression exercée par différents groupes de défense des droits rendait impossible l'obtention du soutien législatif important, nécessaire pour toute réforme. Néanmoins, en 2010, la Family Law Section de l'American Bar Association a mis en place un comité de travail sur l'élaboration d'une loi type sur le déménagement, la Model Act on Relocation (Elrod, 2010).
En 2010, des conférences internationales portant sur le déménagement des familles ont eu lieu à Washington et à Londres. Elles ont abordé, plus particulièrement, le contexte des cas de déménagement hors frontières des familles. En mars 2010, plus de 50 juges et experts du droit de la famille qui participaient à la Conférence internationale judiciaire sur la relocalisation transfrontière des famillesont adopté la Déclaration de Washington sur la relocalisation internationale des famillesNote de bas de la page 72. La Déclaration de Washington présente certaines propositions importantes sur la reconnaissance et l'exécution internationales de décisions en matière de déménagement ainsi que des propositions procédurales en matière de législation nationale. La Déclaration a endossé l'application du critère de « l'intérêt supérieur » sans présomption en faveur ou contre le déménagement. La Déclaration débute en énonçant deux facteurs axés sur l'enfant devant être étudiés au moment d'appliquer le critère de l'intérêt supérieur dans les décisions relatives au déménagement :
- le droit de l'enfant séparé de l'un de ses parents d'entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents, de manière compatible avec le développement de l'enfant, sauf si ces contacts sont contraires à l'intérêt supérieur de l'enfant;
- l'opinion de l'enfant, selon l'âge et la maturité de ce dernier.
La Déclaration de Washington fournit une liste d'autres facteurs à étudier au moment d'appliquer le critère de l'intérêt supérieur dans le cadre de décisions relatives au déménagement. Bien qu'un peu plus détaillés que ceux de l'arrêt Gordon c. Goertz, ces autres facteurs ressemblent aux facteurs énoncés par la Cour suprême du Canada, à l'exception d'un renvoi spécifique à la violence familiale. De plus, une clause de la Déclaration prévoit que « s'ils ont une incidence sur la décision, les motifs de la demande de relocalisation ou, au contraire, de sa contestation » doivent être étudiés (p. 2). La Déclaration de Washington affirme également que :
La Conférence de La Haye de droit international privé […] est invitée à poursuivre le développement des principes exposés dans la présente Déclaration et à étudier la faisabilité de les intégrer en tout ou en partie dans un instrument international. À cette fin, ces deux organisations sont encouragées à promouvoir la dissémination de ces principes dans le monde, par exemple par le biais de formations destinées aux juges et d'autres programmes de renforcement des capacités (p. 5).
En février 2011, le Réseau canadien de juges-ressources a officiellement approuvé la Déclaration de Washington.
En juillet 2010, un groupe de 150 avocats, juges et juristes provenant de 18 pays développés ont assisté, à Londres, à la Conférence sur l'enlèvement international d'enfants, le mariage forcé et la relocalisation. Certains participants de la Conférence de Londres avaient également assisté à la Conférence de Washington. Des résolutions en matière de déménagement semblables à celles de la Déclaration de Washington ont été adoptées à Londres. L'une desrésolutions qui y ont été adoptées recommande également que la Commission spéciale de la Conférence de La Haye de droit international privé devrait préconiser « l'introduction, via un instrument international ou tout autre moyen, d'un cadre commun pour la résolution des litiges relatifs à la relocalisation internationale des enfants » (p. 3)Note de bas de la page 73. La deuxième partie de la sixième Commission spéciale sur les conventions de 1990 et de 1996 se tiendra à La Haye à partir du 24 janvier 2012. Un des points importants à l'ordre du jour à ce moment sera la question du déménagement. Ces développements internationaux suggèrent que l'élaboration de normes visant à rendre le traitement des décisions en matière de déménagement plus uniforme, du moins plus prévisible, suscite un réel intérêt.
Au Canada, Phil Epstein, un éminent praticien du droit de la famille de Toronto, a proposé qu'un processus similaire à celui utilisé pour élaborer les Lignes directrices facultatives en matière de pensions alimentaires pour époux puisse être utilisé en vue de constituer ce qu'on pourrait appelerles Lignes directrices facultatives en matière de déménagementNote de bas de la page 74. Il propose qu'un comité, composé d'avocats, de juges, de décideurs gouvernementaux et d'universitaires, ébauche des documents de travail et les soumette à la consultation du Barreau, des tribunaux et des membres du public qui manifestent de l'intérêt pour ce sujet. Au fil du temps, ces travaux pourraient mener à l'élaboration d'un ensemble de Lignes directrices facultatives en matière de déménagement correspondrait à la jurisprudence actuelle et qui faciliterait la résolution des conflits. Tout comme les Lignes directrices facultatives en matière de pensions alimentaires pour époux, ce projet proposerait une codification facultative des lois en vigueur plutôt qu'un effort visant à changer la loi.
La nature discrétionnaire et individualisée du « critère de l'intérêt supérieur » peut faire paraître le déménagement comme un domaine « où règne l'anarchie ». Toutefois, l'analyse de la jurisprudence canadienne effectuée dans le troisième chapitre du présent rapport suggère qu'en fait, ce domaine n'est pas totalement imprévisible. Bien que les règles prévues par les tribunaux ne soient pas claires et que, pour cette raison, il peut être difficile de dégager des tendances dans la jurisprudence, certaines d'entre elles sont généralement apparentes. Les praticiens du droit, notamment les juges, les avocats, les médiateurs et les assesseurs, doivent comprendre et connaître les ouvrages en sciences sociales ainsi que les précédents et les tendances de la jurisprudence afin de résoudre plus efficacement les cas de déménagement. De telles connaissances sont également importantes pour les décideurs et les législateurs, car ces derniers pourraient avoir à traiter de ces questions.
Malgré le défi rattaché au règlement de litiges causés par le déménagement, il est souvent préférable pour les parents et les enfants concernés par ces litiges d'opter pour un règlement négocié du conflit. Un litige entraîne de l'amertume, s'avère coûteux et exacerbe souvent les relations entre les parents, ce qui, par conséquent, fait souffrir les enfants concernés. L'existence d'une relation de soutien entre les parents est primordiale pour que les enfants maintiennent une relation positive avec les deux parents lorsque la distance entre les résidences de ceux-ci est considérable. Inévitablement, les litiges nuisent à la relation entre les parents, ce qui perturbera le lien positif entretenu par les enfants et les deux parents. En outre, de tels litiges risquent particulièrement de coincer l'enfant « entre les deux ». Cette situation est stressante pour les enfants et ce, peu importe le résultat. Même si la discussion portant sur les nombreuses questions pratiques visées par le règlement des cas de déménagement (par exemple, Mamo, 2007) dépasse la portée du présent document, les praticiens du droit, notamment les juges, les avocats, les médiateurs et les assesseurs, qui participent à ces négociations doivent comprendre et connaître les ouvrages en sciences sociales ainsi que les précédents de la jurisprudence examinée dans le présent rapport.
5.3 Suggestions de recherches futures
Comme nous en avons discuté dans le présent rapport, le nombre de recherches en sciences sociales portant sur les répercussions sur les enfants du déménagement des parents connaît une certaine croissance. Toutefois, davantage de recherches mieux adaptées en sciences sociales se révèlent nécessaires. L'étude de la documentation et des données canadiennes sur le déménagement des parents effectuée dans le cadre du présent projet a cerné des lacunes en ce qui concerne les renseignements actuellement accessibles. Ces lacunes nous permettent de formuler des suggestions pour des recherches futures. Ces dernières pourraient servir de fondements sur lesquels s'appuierait le travail des juges, des avocats, des médiateurs et des assesseurs. Elles pourraient aussi se révéler importantes pour les personnes qui participent à l'élaboration de politiques relatives au déménagement et pour les personnes responsables de la mise en place des services de justice familiale. En outre, ces recherches seraient nécessaires pour les parents confrontés à la possibilité d'un déménagement à la suite d'une séparation ou d'un divorce et, assurément, pour leurs enfants.
Bien que le Canada mène plusieurs enquêtes nationales (le Recensement, l'Enquête sociale générale et l'Enquête longitudinale nationale sur les enfants et les jeunes [ELNEJ], etc.) dans le but de recueillir des données sur les familles, aucune de ces enquêtes d'envergure ne recueille les données concernant directement le déménagement des parents. Par exemple, nous ne savons pas à quelle fréquence les gens déménagent et nous ne pouvons déterminer si les déménagements sont directement liés à l'échec de la relation. Bien que les données du Recensement fournissent des renseignements autant sur l'état matrimonial que sur la mobilité, les données sont corrélationnelles, et il est donc impossible de déterminer si le déménagement résulte d'un divorce ou d'une séparation. Certaines données du Recensement concernant les personnes qui immigrent au Canada sont accessibles, mais aucune n'existe sur celles qui quittent le pays. Afin de corriger cette lacune, des questions pourraient être ajoutées aux enquêtes nationales actuelles afin de recueillir des données liées spécifiquement à la mobilité des personnes après l'échec d'une relation.
Le manque d'information relative aux répercussions sur les enfants du déménagement des parents est aussi une lacune importante, surtout au Canada. Idéalement, la recherche dans ce domaine devrait recueillir des données des parents et des enfants et devrait être conçue de manière longitudinale. Certaines des études internationales présentées au deuxième chapitre offrent de bons exemples de recherche en sciences sociales et soulignent les facteurs qui doivent être étudiés lorsqu'on mène des recherches dans ce domaine. À titre d'exemple, l'étude de Norford et de Medway (2002) sur des élèves américains de l'école secondaire offrait de l'information sur la fréquence des déménagements ainsi que les motifs principaux des déménagements et a recueilli les données des élèves et d'un échantillon de leurs mères. Toutefois, l'étude n'a pas tenu compte de la distance du déménagement ni de la nature de la relation des élèves avec les parents qui ne déménageaient pas.
L'analyse de la jurisprudence canadienne effectuée dans le présent rapport fournit des renseignements précieux, mais elle s'est limitée aux décisions rédigées en anglais. Mener une étude semblable des décisions rédigées en français dresserait un tableau national plus complet des tendances et résultats des cas de déménagement.Note de bas de la page 75
Deux études en cours en Nouvelle-Zélande et en Australie apportent des indications importantes à ce sujet. L'étude longitudinale de Taylor et de ses collaborateurs(2010) est l'une des premières à recueillir des données provenant des deux parents et des enfants visés par des litiges causés par le déménagement. En plus d'examiner les conséquences des cas de déménagement sur les parents et les enfants, cette étude a exploré les facteurs qui influent sur les effets positifs et négatifs pour les enfants, les habitudes de communication avec le parent non gardien après le déménagement, la relation entre les parents et les rapports qu'entretenaient les enfants avec chaque parent. Fait intéressant : l'étude examinera également l'exactitude des prévisions formulées par les juges en ce qui concerne les conséquences de la décision relative au déménagement sur les parents et les enfants. Parkinson et ses collaborateurs(2010) mènent actuellement une étude qualitative et quantitative qui est longitudinale et prospective et qui porte sur le déménagement en Australie. Cette étude inclut la collecte de données des deux parents et des enfants et examine autant les cas où les tribunaux ont rendu un jugement favorable que ceux où ils ont rendu un jugement défavorable.
Bien que les cas de déménagement ne constituent pas une part importante de l'ensemble des litiges du droit de la famille, le règlement de ces cas est difficile, et c'est pourquoi ces derniers retiennent une partie disproportionnée du temps des tribunaux ainsi que des ressources privées consacrées aux avocats et aux frais de procédure. Les juges ne disposent que de très peu de recherches sérieuses en sciences sociales sur lesquelles ils peuvent appuyer leurs décisions. De plus, pratiquement aucune étude canadienne n'a été menée sur le sujet; les données sur la mobilité actuellement accessibles au Canada illustrent les tendances générales dans la population, mais elles ne sont pas adéquates en ce qui concerne l'étude en profondeur de la question. Si le Canada décidait de mener d'autres recherches dans ce domaine, il pourrait adapter à son contexte national certains bons exemples de recherches ayant été menées à l'étranger.
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