LE POINT DE VUE DES ENFANTS DANS LES PROCÉDURES EN MATIÈRE DE DIVORCE, DE GARDE ET DE DROIT DE VISITE

1.0  LA NOTION DE DROITS DES ENFANTS

1.1 L'apparition de la notion de droits des enfants

Les historiens ont prétendu que l'enfance est, dans une large mesure, une notion sociale.  Selon Philippe Aries, dans son ouvrage bien connu Centuries of Childhood [24], la notion de l'enfance serait relativement récente et serait apparue au cours des 400 à 600 dernières années[25].

Au Moyen Âge, la notion d'enfance n'existait pas.  Les enfants étaient vêtus de la même manière que les adultes et s'adonnaient aux mêmes occupations.  L'enseignement leur était dispensé au moyen d'un apprentissage au cours duquel ils travaillaient avec des adultes[26].  Ce n'est qu'à l'époque de la Renaissance et de la Réforme que la notion d'enfance est apparue.  Au cours de cette période, on considérait que les enfants étaient innocents et faibles.  On estimait qu'ils avaient besoin de discipline pour faire en sorte qu'ils se développent en de véritables êtres humains[27].  Comme l'indique Michael Freeman dans The Rights and Wrongs of Children, les enfants à cette époque « étaient assujettis à un traitement spécial, une sorte de quarantaine avant qu'on leur permette de joindre le monde des adultes »[28].  Selon la pratique dominante, les enfants étaient isolés des adultes[29].  À partir des années 1500, on considérait que les enfants n'avaient pas de volonté indépendante et, par conséquent, les jeunes étaient totalement assujettis à leurs parents[30].  L'époque victorienne, en particulier, se caractérisait par une discipline sévère imposée aux enfants et des pratiques répressives dans l'éducation des enfants.

Ce n'est que vers la fin du vingtième siècle, spécifiquement vers les années 1970 et le début des années 1980, que la notion des droits des enfants est apparue[31].  On a alors pu constater que l'on s'écartait graduellement de l'idée que les enfants sont la propriété de leurs parents et qu'on acceptait l'idée que les enfants puissent avoir des droits distincts[32].  On a alors « reconnu que les enfants ont des intérêts, peut-être même des droits, qui doivent être pris en compte de façon distincte et séparée de ceux des adultes, et en particulier de ceux de leurs parents… »[33].

Deux décisions de la Cour suprême des États-Unis sont à l'origine de la nouvelle approche face aux enfants en Amérique du Nord.  Dans Re Gault [34], la cour a souligné que les enfants, tout comme les adultes, ont droit aux mesures de protection énumérées dans la Constitution américaine.  Selon le juge Fortas, « ni le Quatorzième Amendement ni la Déclaration des droits ne sont réservés uniquement aux adultes »[35].  La Cour suprême a conclu qu'il fallait accorder aux adolescents accusés d'actes criminels les droits constitutionnels suivants : l'avis des accusations criminelles, le droit à un avocat, le privilège contre l'auto-incrimination, et la possibilité de confronter et d'interroger les témoins.  Dans Tinker v. Des Moines School District [36], la Cour suprême des États-Unis a répété que « les mineurs, tout comme les adultes, sont protégés par la Constitution et possèdent des droits constitutionnels ».

Dans les années 1970, des juges, des universitaires, des juristes et d'autres professionnels ont commencé à faire valoir la notion que les enfants sont des personnes autonomes dont les droits devraient être reconnus et respectés.  Par exemple, dans le jugement rendu en 1975 en Ontario dans l'affaire Re Brown[37], le juge Stortini de la Cour de comté a déclaré ce qui suit :

Chaque enfant devrait avoir certains droits fondamentaux comme le droit d'être désiré, le droit à la santé, le droit de vivre dans un environnement sain [ …] et le droit à des soins affectueux constants.

Au cours de la même année, la Commission royale sur le droit de la famille et des enfants de la Colombie-Britannique a produit un rapport contenant une longue analyse des « droits des enfants »[38].  La Commission recommandait l'adoption, par la législature provinciale, d'une Déclaration des droits des enfants.  La Commission royale a formulé notamment les droits suivants[39] :

Dans certaines provinces, comme en Ontario, des députés ont tenté d'obtenir l'adoption de lois sur les droits des enfants[40].

1.2 Deux modèles : l'affranchissement de l'enfant et la protection de l'enfant

Deux principaux courants de pensée se sont développés relativement à la notion des droits de l'enfant.  On les désigne communément comme le modèle de l'affranchissement ou de l'autodétermination de l'enfant, et le modèle de la protection ou du soutien de l'enfant.  Dans les ouvrages Escape from Childhood [41] et Birthrights [42] qu'ils ont publiés respectivement dans les années 1970, les américains John Holt et Richard Farson sont les pionniers du modèle de la protection de l'enfant.  Selon eux, l'autodétermination est le fondement de la libération des enfants[43].  Selon ces deux théoriciens, les droits des enfants ne peuvent se réaliser que lorsque ceux-ci ont une autonomie complète pour décider eux-mêmes ce qui est bon pour eux.  Cela inclut le droit à la liberté sexuelle, le droit de choisir leur façon de s'instruire, le droit de ne pas subir de châtiments corporels et le droit de choisir où ils vont résider.  Cela englobe aussi le droit au pouvoir économique qui suppose le droit de travailler et d'assurer leur indépendance financière, le droit au pouvoir politique comme le droit de vote, et le droit à la même information que les adultes[44].

Selon une autre porte-parole de l'école de l'affranchissement de l'enfant, Hillary Rodham, les enfants sont les meilleurs juges de leurs propres intérêts.  Dans un article publié en 1973 dans la revue Harvard Education Review et intitulé Children Under the Law[45], Mme Rodham fait valoir que, parce que les enfants ont des intérêts distincts de ceux de leurs parents, ils ne peuvent être représentés par personne d'autre qu'eux-mêmes.  Elle prétend qu'il faut reconnaître aux enfants la compétence de prendre leurs propres décisions, et qu'il faut traiter les enfants comme des personnes titulaires de droits plutôt que comme des membres de la famille.  Rodham préconise le renversement de la présomption d'incapacité à l'égard des enfants, l'abolition du statut de minorité et l'attribution aux enfants des mêmes droits que les adultes[46].

Selon les défenseurs du modèle de la protection ou du soutien de l'enfant, les enfants ont besoin de protection parce que leurs capacités physiques et mentales sont différentes de celles des adultes.  Comme le fait remarquer un auteur, la « non-pertinence de l'âge » que préconisent les défenseurs de l'affranchissement « ne cadre pas avec les connaissances que nous avons de la biologie, de la psychologie ou de l'économique »[47].  Les défenseurs du modèle de la protection prétendent que les enfants sont dépendants, vulnérables et exposés aux mauvais traitements.  Ils préconisent que l'on offre aux enfants un environnement et des services qui leur seront profitables et leur permettront de devenir des adultes en bonne santé mentale et physique.

Malgré le glissement philosophique de l'idée que les enfants sont le prolongement de leurs parents vers l'idée que les enfants sont des individus titulaires de droits, les tribunaux et les législateurs nord-américains n'ont pas suivi une démarche cohérente relativement aux droits des enfants[48].  Martha Minow, professeure de droit à Harvard, déclare que « les litiges et la sociologie sont animés d'un vif débat sur la question de savoir s'il faut accorder aux enfants les droits reconnus aux adultes »[49].  Dans un article intitulé « Essay on the Status of the American Child 2000 A.D.Chattel or Constitutionally Protected Child-Citizen », Gill prétend que les enfants sont présentement dans un état transitoire entre celui de biens meubles et celui de personnes jouissant de tous les droits constitutionnels[50].  On reconnaît que les enfants devraient avoir le droit de prendre des décisions qui ont une incidence sur leur vie, mais on reconnaît aussi que les enfants ont besoin de protection.  Un auteur formule avec justesse le dilemme qui se pose : « il n'est pas facile de trouver une notion susceptible d'intégrer de façon cohérente le besoin d'autonomie des enfants et le fait qu'ils sont dépendants et vulnérables »[51].

Les conventions internationales comme la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant[52] ainsi que les projets de déclaration des droits[53] semblent incorporer, en matière de droits des enfants, à la fois les notions d'affranchissement et de protection.  Par exemple, le droit d'être à l'abri de la pauvreté, le droit à des soins de santé adéquats, le droit à une instruction convenable, le droit à un logement convenable et le droit à une nutrition acceptable ne supposent pas que les enfants doivent être autonomes dans la prise des décisions qui les concernent. Comme l'a fait remarquer Michael Wald dans Children's Rights:  A Framework for Analysis[54], c'est plutôt le contraire.  La revendication de ces droits suppose que les enfants ne sont pas en mesure de subvenir à leurs besoins et, par conséquent, qu'ils ont besoin de la protection, des soins, des conseils et de l'aide des adultes.  De même, les dispositions prévoyant que les enfants ont le droit d'être à l'abri de l'exploitation sexuelle ou des mauvais traitements physiques devraient être considérées comme des mesures de protection pour les jeunes plutôt que des droits à l'autonomie et à l'autodétermination.  L'octroi de ces « droits » aux enfants ne change en rien le statut juridique ou social des jeunes.  Il renforce plutôt la notion que les enfants ne sont pas capables de prendre soin d'eux-mêmes et ont besoin de la protection des adultes pour assurer leur croissance et leur développement[55].

Il importe de remarquer toutefois que ces documents internationaux[56] et les projets de déclaration des droits des enfants contiennent aussi des dispositions visant à donner aux jeunes l'autonomie suffisante pour prendre les décisions qui les intéressent dans différents domaines.  Il s'agit notamment du droit de prendre des décisions en matière médicale, du droit à un avocat, de la liberté de pratiquer la religion de leur choix, de la liberté d'expression et de pensée, et du droit à l'information et à la protection de la vie privée.  Selon le premier principe qui sous-tend ces droits, les enfants ont la capacité et la maturité suffisantes pour prendre des décisions qui auront un effet important sur leur vie.  Ce principe rejette les limites d'âge imposées arbitrairement par les parents, les tribunaux et les législateurs empêchant les enfants de prendre ces décisions dans divers contextes.  Selon une autre justification qui sous-tend la formulation de ces droits, si les enfants doivent être tenus responsables de leurs actes, comme en font foi les lois pénales comme la Loi sur les jeunes contrevenants[57] au Canada, « il faudrait leur donner les droits qui correspondent à leurs responsabilités »[58].

Les promoteurs des droits des enfants devraient chercher à faire place aux deux objectifs de renforcement de l'autonomie et de protection des modèles d'affranchissement et de soutien des enfants.  Comme l'affirme Freeman, « [ …] pour accorder plus d'importance aux droits des enfants, il nous faut accorder plus d'importance à la protection des enfants et à la reconnaissance de leur autonomie, tant actuelle que potentielle »[59].  Le présent document traite des droits des enfants dans le contexte du divorce, de la garde et du droit de visite.  Il vise à proposer des changements législatifs et autres pour faire en sorte que l'on accorde aux enfants le droit d'exprimer leurs points de vue dans les procédures en droit de la famille.  En même temps, ce document présente des recommandations en vue d'assurer l'existence d'un mécanisme de protection, de sorte que les enfants dont les parents sont en instance de séparation et de divorce puissent exprimer leurs points de vue dans un environnement sûr et protégé.  Selon la thèse présentée dans ce document, les enfants en cause dans des litiges en droit de la famille devraient pouvoir exercer leur autonomie dans des milieux protecteurs, de sorte qu'ils puissent influencer les décisions qui auront des conséquences importantes sur leur vie.

1.3 L'article 12 de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant : le droit des enfants d'être entendus

La Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant [60], complétée en 1989, est considérée comme « un événement marquant de l'histoire de l'enfance »[61].  Comme l'affirme le professeur Toope dans The Convention on the Rights of the Child:  Implications for Canada, « pendant des générations, un mythe puissant a formé les attitudes dans un grand nombre de sociétés; le mythe consistait à représenter la famille comme un milieu tout à fait privé qui était, et qui devrait être, à l'abri de l'examen public »[62].  La Convention de l'ONU articule les droits de l'enfant dans des milieux économique, social, culturel et politique.  Comme l'indique le préambule de la Convention, « il importe de préparer pleinement l'enfant à avoir une vie individuelle dans la société »[63].

La Convention de l'ONU relative aux droits de l'enfant a été ratifiée par plus de 200 pays[64].  Les États qui ont ratifié la Convention doivent s'assurer que les droits énoncés dans ce document international se reflètent dans leurs lois et leurs pratiques internes[65].  Le Canada est devenu signataire de la Convention en 1990.

L'article 12, qui affirme le droit des enfants de participer aux décisions qui les intéressent, est considéré comme la « cheville » du document de l'ONU[66].  Cette disposition se lit comme suit.

Ce document est la première Convention qui affirme que l'enfant a le droit d'exprimer son point de vue dans les procédures qui l'intéressent[67].  Comme l'a indiqué un auteur, l'article 12 est « important parce qu'il reconnaît que l'enfant est un être humain complet avec son intégrité et sa personnalité, et avec la capacité d'être membre à part entière de la société »[68].  Cet article reconnaît que les enfants ont, à titre d'individus, des intérêts distincts de ceux de leurs parents ou des membres de leur famille[69].

À l'article 12, la Convention exige que l'on entende un enfant « qui est capable de discernement » et que l'on prenne « dûment en considération » les opinions de l'enfant eu égard à son âge et à son niveau de maturité.  Cet article reconnaît qu'un jeune enfant peut avoir un niveau de maturité élevé pour son âge et que les juges devraient tenir compte comme il se doit de son opinion[70].  Il faut inviter l'enfant à donner son opinion de sorte qu'il puisse participer activement à la prise des décisions concernant son bien-être[71].  Comme l'affirme un auteur, la Convention perçoit l'enfant comme un être humain autonome mais non indépendant plutôt que comme un objet de soin passif[72].

Les droits de l'enfant précisés à l'article 12 s'appliquent à « toute question l'intéressant » de sorte qu'il n'y a plus de domaine traditionnel de prise de décisions réservé exclusivement aux parents ou à la famille[73].  Comme l'affirme Van Bueren, « les enfants ont des droits qui transcendent ceux de la famille dont il fait partie »[74].  Les signataires de la Convention n'ont plus le pouvoir discrétionnaire absolu de déterminer à quel moment il faut tenir compte des opinions de l'enfant, et à quel moment il faut les écarter[75].

L'article 12 de la Convention de l'ONU oblige les États membres à faire participer les enfants qui le désirent aux instances qui peuvent avoir une incidence sur leur vie.  Cependant, cet article ne vise pas à obliger les États à insister auprès des enfants pour qu'ils expriment leurs opinions.  Comme l'indique Van Bueren, il ne faut pas confondre l'article 12 avec l'autodétermination, un terme qui suppose non seulement le droit de participer aux décisions, mais aussi le droit à ce que ces décisions soient respectées[76].  Il oblige plutôt les signataires à s'assurer que les enfants ont le droit, s'ils le désirent, d'exprimer leurs opinions.  La Convention oblige aussi les États à adopter des processus de prise de décisions accessibles aux enfants[77].

Certains ont prétendu qu'il faut considérer ensemble l'article 12 et l'article 13 de la Convention[78] :

L'enfant a droit à la liberté d'expression.  Ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de transmettre de l'information et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen, au choix de l'enfant.

Selon ces dispositions, les enfants sont tout aussi capables que les adultes d'articuler des opinions rationnelles[79].  On a affirmé que le droit de l'enfant, à l'article 12, de participer aux questions qui l'intéressent est une condition de l'application de plusieurs autres droits prévus dans la Convention[80].

Le renforcement de l'autonomie des enfants stipulé à l'article 12 suppose la mise en place d'un mécanisme pour assurer la participation des jeunes.  Selon Barn et Franklin, pour réaliser les objectifs de l'article 12, les pays doivent :

Les enfants doivent avoir accès à des outils adaptés à leur âge et à leur culture qui leur permettront de communiquer leurs opinions[81].  Il faut noter que selon le paragraphe 12(2), les enfants ont le droit être entendus directement ou par l'intermédiaire d'un représentant, notamment un conseiller juridique[82].

Dans Pour l'amour des enfants, le Comité mixte spécial sur la garde et le droit de visite des enfants a mentionné l'article 12 de la Convention relative aux droits de l'enfant[83].  Le Comité a déclaré que le Canada doit s'assurer que les enfants participent d'une façon significative aux décisions qui les touchent.