Le traitement médiatique, dans la presse écrite, de la haine en tant que circonstance aggravante en matière de détermination de la peine : Une étude de cas
4. Conclusion et analyse
n général, les conclusions rapportées ici portent à croire que les journalistes de la presse écrite ont reconnu la codification de la circonstance aggravante aux fins de la détermination de la peine comme une réforme importante. S'appuyant principalement sur les comptes-rendus de porte-parole gouvernementaux/institutionnels (p. ex., le procureur de la Couronne) et de journalistes de la presse écrite, les trois cinquièmes (61 %) des 62 articles de journaux mentionnent le sous-alinéa 718.2a)(i) soit directement, soit dans le cadre de la présentation du jugement relatif à la sentence.
La plupart des articles approuvaient l'application du sous-alinéa 718.2a)(i) pour déterminer la peine dans l'affaire Miloszewski. En plus de comporter une importante dimension éducative, les articles soulignaient le caractère historique de l'affaire eu égard à la circonstance aggravante aux fins de la détermination de la peine. Malheureusement, on trouve peu de commentaires sur les limites de la loi comme moyen de lutter contre les actes motivés par la haine. Bien que plusieurs articles aient cité le juge responsable de la détermination de la peine, qui reconnaissait que son jugement n'éliminerait pas le racisme au sein de la société, il n'y a eu aucune tentative d'analyse des limites de la loi comme moyen de lutter contre les actes motivés par la haine. Il est essentiel que les consommateurs des médias (et le public) comprennent que la loi n'est pas une panacée pour les problèmes sociaux complexes.
Quelques articles ont exprimé du mécontentement par rapport à la durée des peines infligées, mais on relève très peu de désapprobation quant à l'application de la circonstance aggravante aux fins de la détermination de la peine en l'espèce.
Bien que la presse écrite se soit montrée favorable à la circonstance aggravante aux fins de la détermination de la peine, elle a individualisé et pathologisé l'affaire, évitant d'examiner les liens entre l'incident et le problème du racisme au Canada. Ainsi, bien que la couverture médiatique de l'affaire Miloszewski ait pu contribuer à sensibiliser les lecteurs aux crimes motivés par la haine, elle a dépeint ces incidents comme des actes hautement individualistes et pathologiques ayant peu à voir avec les questions socioculturelles plus générales reliées au racisme systémique.
Le traitement réservé à l'affaire Miloszewski dans la presse écrite a deux implications pour les comptesrendus d'incidents motivés par la haine et pour la circonstance aggravante aux fins de la détermination de la peine. Premièrement, en pathologisant les cinq hommes, la presse écrite a réussi à « justifier »
le crime. Il est important de reconnaître et de dénoncer la gravité de l'affaire Miloszewski, mais il est aussi instructif de comprendre en quoi cette affaire reflète le racisme systémique et y est reliée. À cet égard, le racisme et ses manifestations doivent être examinés et compris comme diversifiés « […] en fait de type, de disposition, d'affect émotionnel, d'intention et de résultat »
(Goldberg, 1997, p. 21, cité dans Kobayashi et Peake, 2000, p. 393). [TRADUCTION] « Cette compréhension du racisme comme un processus actif intégré à toutes sortes d'actions sociales exige donc une perspective qui tienne compte des processus plus généraux qui influent sur le microenvironnement de ces manifestations »
(Kobayashi et Peake, 2000, p. 393).
Au lieu d'expliquer l'incident à l'origine de l'affaire Miloszewski dans le contexte d'une société raciste, la majorité des articles de journaux ont laissé entendre que « quelque chose avait mal tourné »
chez ces personnes. Les médias ont individualisé le crime en reliant le comportement des cinq hommes à leur affiliation à un groupe marginal (suprémaciste blanc) ainsi qu'à leurs pathologies individuelles. Pour aider à expliquer le crime, la presse écrite a dépeint les cinq homme comme « malfaisants, brutaux et à peine humains »
(cf. Cavender, 1981, p. 431). Certains articles de journaux ont attiré l'attention sur les questions se rapportant au racisme, mais ils étaient rares et il ne comportaient que des analyses sommaires de ces questions. Dans son analyse du racisme violent, Benjamin Bowling (1999, p. 230) nous rappelle que :
TRADUCTION] […] L'expérience du racisme violent ne peut se réduire à un incident isolé, ou même à un ensemble d'incidents. La victimisation et la racialisation - le processus par lequel une personne devient une victime de ce genre de crime- sont cumulatives, elles se composent de différentes formes d'exposition au racisme, dont certaines peuvent comporter de la violence physique tandis que d'autres se situent à la frontière de ce que la plupart des gens définiraient comme de la violence ou de l'agressivité. Certaines de ces expériences sont subtiles et se limitent, par exemple,au fait de constater qu'une personne est gênée ou dégoûtée par la présence de noirs, ou encore, à de brefs incidents tels qu'une blague ou un épithète raciste lancé timidement. À l'autre extrémité de l'échelle, il y a les situations, plus faciles à retenir, où le racisme est combiné à une agression ou à de la violence physique.
La pathologisation et l'individualisation d'incidents tels
que ceux qui sont à l'origine de l'affaire Miloszewskia
pour effet de perpétuer une croyance erronée selon
laquelle il n'y a que les activités d'un petit nombres
d'individus pervers qui font obstacle à l'avènement
d'une société égale, diversifiée et juste. Par conséquent,
nos conclusions nous portent à croire que les
responsable de la justice pénale (qui ressortent de la
présente analyse comme la principale source
d'information) et les journalistes doivent travailler
ensemble pour comprendre les liens entre les crimes
motivés par la haine (si extrêmes soient-ils) et le racisme
systémique. Les médias et leurs sources d'information
représentent [TRADUCTION] « […] un potentiel énorme
pour surmonter le racisme par le biais de l'amélioration
des connaissances et de la communication […] »
(cf.
Kobayashi et Peake, 2000, p. 398).
La deuxième implication du traitement réservé à l'affaire
Miloszewskiconcerne les comptes-rendus relatifs à la
circonstance aggravante aux fins de la détermination de
la peine. Les gens qui ont lu au sujet du sous-alinéa
718.2a)(i) dans la couverture journalistique de l'affaire
Miloszewskil'ont fait dans un contexte où le crime était
présenté comme une aberration pathologique. En
dépeignant cet incident comme un acte extrême, les
médias- et les sources officielles qui ont contribué à
façonner la nouvelle- ont rendu les formes plus subtiles
de racisme (c.-à-d., le racisme institutionnel)
[TRADUCTION] « plus acceptables et donc normales »
(cf. Li, 2000). Toutefois, comme l'affirme Li (1995, p. 7),
[TRADUCTION] « en réalité, le racisme trouve sa
manifestation la plus puissante sous la forme d'une
idéologie et d'une pratique enracinées dans les
institutions sociales »
. Dans le cas qui nous intéresse, les
comptes-rendus de l'affaire Miloszewskiet du sousalinéa
718.2a)(i) semblent avoir une « valeur symbolique »
minimale. Le message est que la société ne tolérera pas
les formes extrêmes de racisme, mais qu'en est-il des
réalités quotidiennes du racisme au sein de la société
canadienne?
En bout de ligne, la couverture médiatique de l'affaire Miloszewskisoulève la question de savoir si le public associera la circonstance aggravante aux fins de la détermination de la peine à des actes individuels sensationnels de violence raciale, par opposition au problème général des activités motivées par la haine. En outre, comment les médias rendent-ils ou rendront-ils compte de crimes moins sensationnels motivés par la haine, si tant est qu'ils en rendent compte? Comment les médias rendent-ils ou rendront-ils compte d'actes motivés par la haine qui touchent des questions de sexe ou d'orientation sexuelle? Dans tous les cas, les lecteurs des articles de journaux concernant l'affaire Miloszewski ont reçu leur information par le biais d'un compterendu sensationnaliste et unidimensionnel du crime. Ceci nous porte à croire qu'il y aurait lieu de mener de plus amples recherches à l'avenir sur la couverture médiatique de la circonstance aggravante aux fins de la détermination de la peine - et des activités motivées par la haine - pour examiner comment les médias présentent cette disposition législative et pour déterminer s'ils continuent à faire des comptes-rendus unidimensionnels des activités motivées par la haine.
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