Le long parcours
Sommaire
L'étude initiale de 1991-1992, intitulée « The Youngest Profession, The Oldest Oppression » (la profession des plus jeunes, l'oppression la plus ancienne), a été menée auprès de 50 jeunes ayant commencé à se prostituer pendant l'adolescence. Cette étude visait à établir que la plupart des jeunes prostitués entreprennent leur carrière quand ils ont moins de 18 ans et que les jeunes ayant été victimes de violence sexuelle avant ce moment y forment la majorité.
L'étude rétrospective intitulée « Le long parcours » a eu lieu en 2000-2001. Des entrevues avec 38 participants (dont 28 avaient pris part à l'étude de 1991-1992) ont été menées dans le but de recueillir leurs réflexions sur l'entrée dans le métier, la durée d'exercice et les départs définitifs. Ces entrevues nous ont permis de juger du degré d'efficacité de notre modèle de prestation des services au chapitre de la prévention, de l'intervention et de la réinsertion.
Caractéristiques des répondants
Voici les grandes caractéristiques des répondants de « Le long parcours » :
- les jeunes hommes ont entrepris leur carrière plus tôt, ordinairement vers l'âge de 12 ans;
- les jeunes femmes se sont insérées dans le métier vers, en moyenne, 15 ans;
- les hommes ont passé en moyenne 12 ans dans le métier;
- les femmes ont passé en moyenne 6 ans dans le métier;
- les 38 entrevues effectuées représentent quelque 260 années de travail dans la rue;
- 82 % des femmes avaient, avant leur arrivée dans le métier, un passé de violence sexuelle;
- 100 % des hommes avaient un tel passé;
- 26 % des interviewés étaient autochtones.
Sommaire des points saillants
Les paragraphes qui suivent citent les points saillants des 17 champs d'enquête présentés aux répondants de l'étude « Le long parcours ». Ils reflètent l'ordre dans lequel les questions ont été posées et enregistrées.
Abandon du métier
- Tous les répondants ont quitté le métier plus d'une fois. Quand une personne y revenait, sa famille, ses amis et les professionnels de soutien intéressés à son cas manifestaient de la déception.
- L'abandon a été une expérience d'apprentissage cumulatif. Chaque tentative de départ a produit un nouvelle somme de conscience, de savoir et d'expérience qui s'est appliquée à la tentative suivante.
- Il était souvent plus risqué d'abandonner le métier que d'y rester. Des questions comme la survie, les éventuelles représailles des proxénètes et des autres travailleurs de la rue l'ont parfois emporté sur le désir de partir.
- Presque la moitié des hommes interrogés ont quitté la rue de 10 à 15 fois. Entrés dans le métier plus jeunes, ils en sont partis plus souvent et y sont restés plus longtemps.
- Bien que les risques et la dynamique du métier aient été très différents pour les jeunes hommes et les jeunes femmes, la motivation à survivre tant aux violences du passé qu'à de celles du présent étaient les mêmes pour les deux sexes.
Se prendre en mains
- Un nombre nettement supérieur de jeunes interrogés a été amené à quitter le métier par la violence subie dans la rue.
- Les femmes se sont souvent retirées par suite d'une grossesse ou du désir d'être mère. Près des trois quarts des femmes interrogées sont devenues mères.
Retour au métier
- L'argent est le grand motivateur du retour à la rue car, en l'absence d'études ou de compétences, il s'agit souvent du seul moyen de produire des revenus.
- Les hommes reprennent le métier car ce milieu accepte leur triste situation et la violence présente dans leur vie. Quand ils quittent le métier, ils se trouvent devant moins d'options. Donner la vie ne fait pas partie de leur vision et ils se trouvent devant le stigmate des hommes ayant eu des relations sexuelles avec d'autres hommes, même quand il ne s'agit pas de leur préférence sexuelle.
L'empêchement du retour
- Quitter la rue n'a pas été facile, les intéressés se trouvant aussitôt aux prises avec les problèmes que sont l'absence de soutien, l'absence d'estime de soi, le sentiment que l'abandon est trop risqué et, finalement, l'ennui.
Dernière passe
- Plusieurs personnes ont dit n'être pas certaines que leur dernière passe soit vraiment la dernière.
- Le départ de la rue est plutôt une démarche qu'un événement précis.
Dernière passe décisive
- L'argument « c'en est assez » a été un motif clé d'abandon et le catalyseur a été la suite sans fin, jour après jour, d'une expérience répétitive.
- La rue était vue comme un gain à court terme obtenu au prix d'une souffrance à long terme. Personne n'a débuté dans le métier dans l'intention d'y rester. Cette solution à court terme est devenue un obstacle au retour à la vie normale.
Aide au départ
- La famille ou le réseau d'appui a été identifié comme un élément important de l'abandon du métier par les répondants. Il a donné à ceux qui avaient décidé de changer de vie une autre identité, un autre lien.
- La capacité de rencontrer des gens sans lien avec la prostitution avait de l'importance. Ces relations ont servi à contrer le désir de retourner aux amis de la rue.
- Il devait y avoir un but au processus de départ de la rue, comme la poursuite d'un objectif, un enfant à naïtre, une personne en qui avoir confiance, l'obtention d'un emploi ou la recherche d'une vie stable.
Aide au non-retour
- Le processus d'abandon du métier diffère du processus de ne pas y retourner. Ce qui aide les gens à décider de quitter la rue peut être différent de ce qui les aide à ne pas y retourner.
- Un départ réussi se définit par l'absence de contacts ou d'association avec des personnes actives dans le métier.
- Le fait qu'une personne dépende de soi a prévenu certains retours.
- À mesure qu'ils vieillissent, les hommes reconnaissent le besoin d'échapper à la rue, de passer à autre chose et de se bâtir une vie loin de l'exploitation sexuelle.
- Les hommes ont besoin de trouver un milieu de vie sûr et souple afin de ne pas reprendre le chemin de la rue.
La première passe
- Toute la population étudiée voyait la prostitution comme un métier que certains ne peuvent se permettre d'exercer.
- Les personnes interrogées voyaient dans leur expérience de la prostitution une forme de répétition des violences passées.
S'ennuyer de la rue
- Plus de la moitié des personnes interrogées ont cité l'argent comme étant le grand élément qui leur manquait, car leurs gains leur conféraient de l'autonomie.
- L'un des attraits de l'exploitation sexuelle se constitue de l'impression d'avoir le choix des partenaires, des lieux, du moment et de la nature de l'activité.
- Plus de la moitié de cette population avait fait dans les jeunes années l'objet de l'attention des services de protection de l'enfance.
- Les jeunes participant au commerce du sexe avaient très peu de scolarité ou d'options d'emploi.
- La camaraderie vécue dans la rue formait un réseau d'appui pour tous les participants au commerce.
Le presque retour
- Le risque d'un retour à la rue demeure toujours présent même s'il ne s'agit parfois que d'une solution à court terme pour gagner rapidement de l'argent.
- L'argent compte plus aux yeux des femmes que des hommes en tant que motivation au retour à la rue. Plus des trois quarts des femmes de cet échantillon ayant eu des enfants et pour elles, le besoin financier de nourrir leur famille était critique.
- En de telles circonstances, l'obtention d'argent comptant vite gagné, non imposable et impossible à retracer constituait une solution.
- Les hommes vivent un sentiment de solitude après avoir quitté la rue. Il est possible que le rôle et la signification d'une naissance aient permis aux jeunes femmes de combler leur besoin d'autoréalisation et de reconnaissance. Les hommes n'ont pas cette possibilité de voir leur rôle personnel redéfini par une naissance.
Étapes du départ
- Les jeunes, quand ils exercent le métier, sont autosuffisants. Même si, dans bien des cas, ils doivent remettre leurs gains à leur proxénète; leurs besoins immédiats au chapitre de la table, du toit et du vêtement sont couverts.
- Il a été important pour eux de déménager et de s'éloigner des éléments d'appui de la rue.
- Chacun des intéressés, au moment de l'abandon, a été confronté à la découverte et à l'apprentissage de la vie loin de la rue.
- Le personnage de rue créé afin de survivre dans le milieu est souvent devenu un obstacle à l'accès aux études, à l'emploi et au rétablissement des relations personnelles et familiales.
- Les relations personnelles constituent pour les personnes qui quittent le métier un parcours inexploré.
- Cette population n'a aucune connaissance des relations équilibrées et saines.
- L'approche « un jour à la fois » est répandue.
Réflexions après coup
- Les répondants s'en sont tirés avec des cicatrices physiques et émotives. Plusieurs des personnes interrogées n'avaient plus d'illusions sur leurs choix personnels, doutant de leur valeur personnelle par suite de leur décision de s'insérer dans le métier.
Réflexions sur le milieu
- Pratiquement toutes les personnes interrogées sont d'avis que la rue ne constitue pas un milieu positif.
- Quatre-vingt-quatre pour cent des personnes interrogées ont connu la violence sexuelle avant d'entreprendre leur carrière et, souvent, cette violence antérieure a contribué au choix de la rue.
- Souvent, les intéressés ont été submergés, après avoir quitté la rue, par le souvenir des violences subies dans l'enfance. Ils considèrent le milieu comme abusif et dévalorisant.
- Curieusement, la rue protégeait les victimes de violence sexuelle antérieure de l'obligation de faire face à leurs difficultés précédentes ou de les résoudre. Au moment de faire le point sur les violences subies dans la rue, il a été fréquent que les expériences antérieures non résolues de violence sexuelle refassent surface.
Réflexions sur le départ
- Bien que les personnes de la rue reçoivent des services, on ne trouve que peu d'appui à long terme à l'abandon du métier.
Constatations étonnantes faites au moment de quitter la rue
- Un quart des femmes de l'échantillon a décrit le départ comme un long voyage.
- Près du quart des hommes et des femmes interrogés ont été surpris de se trouver en mesure de quitter le métier et de se bâtir une vie loin de la rue.
- Près du quart des hommes et des femmes interrogés ont vécu des rencontres négatives après avoir quitté la rue. Ils ne s'attendaient pas à trouver des comportements de non-confiance à l'écart de la rue.
Rituels
- Économiser ou cacher son argent, se laver intensément ou se dissocier de son corps pendant l'activité sexuelle ont été identifiés comme des rituels.
Loin de la rue
- Aucun des répondants étudiés ne travaillait encore à temps plein dans le milieu de l'exploitation sexuelle.
L'offre et la demande
L'une des grandes observations découlant de l'étude « Le long parcours » a été que si l'on vise à éliminer cette exploitation sexuelle de la jeunesse qu'est la prostitution, il faut que la société travaille à réduire la demande d'une telle exploitation.
Les jeunes, au cours des entrevues, ont parlé du débit continu de clients désireux de s'attacher leurs services. Ce débit a souvent prévenu l'abandon réussi du métier, ou lui a nui. Il faut modifier la demande de tels services.
Il y a eu des succès dans la création de programmes de prévention fondés sur la prise de conscience et sur l'information au chapitre de la violence familiale, de la violence et de l'agression sexuelles, du tabagisme et de la conduite en état d'ébriété.
L'unique solution à long terme consiste à créer du matériel de prévention apte à informer et à créer chez les jeunes hommes de tout âge la compréhension du fait que le commerce du sexe est une forme de violence sexuelle. Grâce à l'information, il devient possible de voir les hommes modifier leur attitude et leurs convictions quant à ce genre d'activité. Le cadre doit être modifié, passer du « plus vieux métier du monde » à « la profession des plus jeunes, l'oppression la plus ancienne ».
Nous devrions avoir pour objectif de réduire la demande, ce qui mènerait à une baisse du prix des services et, par conséquent, à une baisse de leur disponibilité.
Cette prémisse permet une solution d'élimination de la demande de services de jeunes victimes d'exploitation sexuelle.
Résumé des recommandations
La dernière partie de la présente étude présente des observations finales assorties de recommandations influencées et guidées par les faits saillants, déjà cités, des entrevues.
Étude nationale sur les garçons et les hommes
- Que soit entreprise une recherche nationale sur les garçons et les jeunes hommes prenant part au commerce de l'exploitation sexuelle.
Équation de l'offre et de la demande
- Que des efforts soient consacrés à faire diminuer la demande dans le commerce de l'exploitation sexuelle.
Éducation
Éducation des pairs
- Que de l'information à caractère préventif soit transmise aux jeunes hommes et aux jeunes femmes par des jeunes.
Information du public
- Que soit conçue une campagne publicitaire nationale comportant un message clair selon lequel la prostitution est une forme de violence sexuelle et les clients en puissance sont, de fait, des agresseurs sexuels.
Éducation des parents
- Que du matériel éducatif soit préparé à l'intention des parents afin qu'ils puissent commencer à apprendre à leurs enfants, dès le jeune âge, que l'exploitation sexuelle est une forme de violence sexuelle.
Éducation des jeunes et des dispensateurs de soins
- Que du matériel de prévention axé sur la réalité soit élaboré à l'intention des jeunes et des parents ou des dispensateurs de soins.
- Que du matériel éducatif soit conçu sur la démarche et les défis du retrait du métier à l'intention des jeunes et des parents ou des dispensateurs de soins.
Services d'appui
Famille
- Que soient établis des groupes d'appui pour les parents et les dispensateurs de soins afin de leur venir en aide quand leurs enfants viennent d'entrer dans le métier.
Jeunes en transit
- Qu'une équipe de soutien soit établie pour aider les jeunes qui quittent le métier.
- Que des ensembles inclusifs de services à guichet unique soient conçus à l'intention des jeunes qui quittent le métier.
- Que du matériel de réintégration axé sur la réalité soit élaboré à l'intention des personnes qui s'efforcent de réintégrer la société.
- Qu'une ligne de services téléphoniques gérée par des bénévoles soit établie à l'intention des personnes qui quittent la rue.
Une compréhension nouvelle
- Que les professionnels et les parents ou les dispensateurs de soins comprennent que les difficultés commencent quand la personne quitte la rue.
Appui au moyen du counseling
- Qu'un appui continu prenant la forme de counseling soit accessible à cette population pour l'aider à faire face aux violences subies dans la rue et aux violences qui ont marqué leurs années antérieures.
Services sociaux
- Que divers programmes d'action directe de tout le pays soient considérés comme des programmes sûrs, exempts et neutres d'appui aux jeunes.
Réduction des risques
- Que soient évaluées les approches de réduction des risques appliquées aux jeunes victimes d'exploitation sexuelle.
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