Le long parcours

Partie 3 - PRINCIPALES CONSTATATIONS (suite)

Partie 3 - PRINCIPALES CONSTATATIONS (suite)

3.12 Le presque retour

Quand une personne quitte la rue, il y a toujours possibilité qu'elle y retourne, ne serait-ce qu'en tant que solution à court terme. Bien des personnes croyaient que si elles retournaient à la rue pour quelques jours, elles pourraient faire de l'argent rapidement. La culture de la rue, cependant, est très intense et en peu de temps, une personne à la recherche d'une solution rapide s'y intègre. La croyance en cette solution à court terme explique le nombre de fois où une personne a quitté la rue.

« Je n'avais pas d'argent, j'imagine. Euh. plutôt, si j'avais eu plus de respect envers moi-même, vous savez, et je n'en avais vraiment pas beaucoup, eh bien, je ne sais pas, parce que je veux dire que je n'étais pas très conscient de la façon dont cela allait me faire du tort à long terme, et ça m'en a fait, vous savez. Mais je mentirais si je disais que, maintenant, d'après ce que j'ai dit quand j'avais 18 ans, vous savez, parce que manifestement je savais déjà que ça allait me causer des préjudices. » - Matthew

La plupart d'entre nous avons les ressources nécessaires pour gagner de l'argent rapidement, que ce soit en conduisant un taxi, en faisant des heures supplémentaires, en faisant du travail à contrat ou en obtenant une aide financière de notre famille ou de nos amis. La présente population de recherche avait l'habitude de l'argent instantané et l'attente d'un chèque de paie ou de l'approbation d'un prêt, en plus de leur être étrangère, leur semblait aussi fastidieuse. Ces personnes n'étaient souvent plus en mesure de se tourner de nouveau vers leur famille ou vers leurs amis pour en obtenir de l'argent, ou elles hésitaient à le faire. Leur expérience de la rue leur avait enseigné une certaine forme d'autonomie et elles étaient gênées de demander l'aide de leur famille ou de leurs amis.

« Quand vous. quand vous n'avez plus d'argent et que vous êtes dans la rue, c'est beaucoup plus facile d'y revenir. Vous savez que ce que vous faisiez, c'était une manière de trouver facilement de l'argent. » - Jessica

L'argent constituait pour les femmes et les filles une motivation plus importante au retour à la rue que pour les hommes et les garçons. Comme bien plus des trois quarts des jeunes femmes de l'échantillon avaient eu des enfants, le besoin financier de faire vivre les enfants était critique. Les emplois au salaire minimum, combinés aux frais de garderie, les situaient à un niveau de revenu inférieur à celui des petits salariés. L'aide sociale leur donnait un certain soutien financier mais restreignait leur capacité de gagner plus d'argent. S'il y avait des gains supplémentaires, il fallait les déclarer et l'allocation était réduite d'autant. Le retour à la rue offrait une solution instantanée sans sanction financière gouvernementale. Cet argent comptant acquis rapidement, sans impôts et impossible à retracer devenait vite une solution.

« J'ai trois enfants. Je veux juste que mes enfants aient, peut-être pas tout mais, vous savez, je ne veux pas qu'ils soient connus comme des enfants de l'aide sociale. C'est un drame maintenant, vous savez, il est dans les louveteaux, vous savez, tout comme. Le bien-être social ne défraie certainement pas ce genre de choses. » - Karen

Sachant le jeune âge de l'entrée dans le commerce de l'exploitation sexuelle, il est clair que ces jeunes femmes n'avaient pas de compétences de travail. L'application, le maintien et l'obtention d'un salaire raisonnable étaient hors de leur portée à ce moment. Les femmes avaient le stress supplémentaire de devoir faire vivre leurs enfants.

Les jeunes hommes et les garçons avaient plus de chances de gagner de l'argent et jouissaient de la souplesse nécessaire pour trouver du travail dans différents milieux. Le travail physique occasionnel, qui n'appelait pas de compétences particulières, était facile à trouver pour les jeunes hommes tandis que les emplois occasionnels féminins, comme le service aux tables, exigeaient souvent de l'expérience et de la formation.

L'esseulement était plus répandu chez les hommes et les garçons. Il était possible que le rôle et la signification d'une naissance, chez les jeunes femmes, ait répondu au besoin féminin d'autoréalisation et de reconnaissance. Les hommes et les garçons n'avaient pas la chance de voir leur propre rôle personnel se redéfinir par la naissance d'un enfant. Bien qu'ils aient la possibilité de devenir pères, leur rôle était plutôt limité et éloigné s'ils étaient travailleurs de rue.

« Comme ce qui m'a ramené dans le métier? C'était, je pense que c'était que si j'essayais de me mêler aux gens ordinaire, mais que ça ne se faisait tout simplement pas, vous voyez ce que je veux dire? Jouer au hockey dans le sous-sol de quelqu'un, ou jouer pour vrai aux bons et aux méchants me semblait nettement plus excitant. » - Harry

3.13 Étapes du départ

Plusieurs des personnes ayant quitté la rue se sont dites surprises de la difficulté et de la durée de la démarche de départ. Dans le métier, ces personnes étaient autosuffisantes. Même si dans bien des cas, les femmes et les filles devaient remettre leurs gains à leur « homme » (proxénète), leurs besoins immédiats de couvert, de toit et de vêtement étaient réglés.

Comme les hommes et les garçons n'ont pas de proxénète, ils partagent fréquemment leurs gains ou leur argent avec leurs amis ou fournissent des fonds pour les partys. Les hommes et les garçons ne travaillent pas si longtemps ni si souvent que les femmes et les filles. Ils tendent à travailler pour financer un party ou pour payer d'autres besoins. Une fois cet argent gagné, ils ne travaillent plus ce jour-là.

« J'aimais autant consommer du pot ou des champignons, aussi l'argent que je gagnais servait à payer de l'alcool, ou le loyer, ou à manger ou n'importe quoi. Je traïnais. Alors, à ce moment, c'était juste, tout simplement, un mode de vie. » - Harry

Par contre, une fois qu'une personne s'était retirée du métier, elle devenait entièrement dépendante de sa famille, de ses amis ou de la société pour ce qui était de ses besoins fondamentaux. Cette dépendance constituait une expérience d'humilité.

« J'ai été surprise de me voir m'abaisser à prendre l'autobus. Ça m'a donné un grand choc. Le plus grand choc, vraiment. Sérieusement. Et le travail m'a réellement surprise, que j'ai un travail de bureau ordinaire. Ça m'a renversée. J'étais capable non seulement de le faire, mais encore de bien le faire. » - Samantha

Comme je le disais plus haut, le fait de déménager et de s'éloigner des « appuis de la rue » était important. Tant les hommes et les garçons que les femmes et les filles voyaient dans la distance un élément important de la séparation.

« Les gens que je fréquentais. Mon petit ami à ce moment-là, son meilleur ami sortait avec une danseuse, alors en quelque sorte, ça me ramenait dans le milieu, de voir ces gens. Évidemment, j'ai recommencé à fréquenter les bars et à m'attacher à ses amis. » - Sandra

Le renouvellement des liens familiaux était important. Les femmes et les filles étaient plus enclines à conserver des liens avec leur famille. La réaction d'homophobie envers les hommes et les garçons actifs dans le commerce de l'exploitation sexuelle créait souvent une distance avec la famille d'origine et les appuis. Les hommes et les garçons tendaient à changer de lieu de travail. Tous les hommes et garçons de l'échantillon avaient participé au commerce de l'exploitation sexuelle dans au moins trois centre-villes. La crainte d'être reconnu hantait les répondants des deux sexes, aussi le changement de lieu constituait-il un mécanisme de protection contre ce risque.

La redécouverte de soi et la détermination ont constitué des facteurs importants de départ pour le tiers de la population féminine de la recherche. Cette redécouverte a souvent été l'élan de l'auto-découverte. L'entrée dans le commerce de l'exploitation sexuelle à 15 ans se soldait par une somme limitée d'auto-découverte et de conscience. La découverte et l'apprentissage de la vie ont constitué des défis pour chaque personne au moment de son départ.

« Il fallait que je me lève le matin et que je voie en moi une personne, pas un objet. Il fallait que je trouve du counseling pour me sortir de la consommation de drogue et du counseling au sujet des agressions sexuelles. Il fallait que je communique avec moi-même. J'avais à faire des choses que je n'aurais jamais cru pouvoir faire, comme, euh. admettre que j'étais toxicomane, admettre que j'étais l'esclave de l'argent, et des drogues, et de tout le reste. Je devais me rendre. » - Shelly

« Comment me tenir à l'écart des gens, probablement. comment faire un budget. et après ça comment résister à l'ennui. » - Rita

Pour survivre dans le milieu du commerce de l'exploitation sexuelle, une personne devait se constituer un « personnage de la rue », une personnalité capable de persister dans la rue. Le départ de la rue ne signifiait pas toujours que ce personnage restait derrière. Le personnage de la rue était dur et combatif car c'étaient là des traits nécessaires à la survie. Au moment du départ, le personnage de la rue a souvent constitué un obstacle à l'accès des intéressés aux études, à l'emploi et à la reconstitution des liens personnels et familiaux.

« Et quitter la rue et essayer de m'inscrire à une école secondaire ordinaire où je ne m'adonnais plus à ces activités et je m'étais débarrassée de l'habitude de frapper les gens ou, vous savez, de sauter sur eux, pas d'une manière sexuelle, mais de sauter sur les gens et de dire ces choses vraiment inappropriées. » - Helen

Après le départ, la nature combative de la survie dans la rue se présentait souvent dans les relations. L'expérience antérieure des relations reposait sur des négociations avec les proxénètes, les clients, la police, les organismes de services sociaux et les autres travailleurs de la rue. Une fois que les personnes avaient quitté le métier et établi des relations personnelles, elles se trouvaient en terre inconnue. Leur expérience du monde conventionnel, extérieur à la prostitution, était limitée.

« Que je ne sois pas, euh. eh bien, d'une chose, que je ne sois pas meilleure que n'importe qui d'autre. Parce que, et je sais que ça peut sembler bizarre et que vous ne croiriez pas que ça vient d'une prostituée, mais on se fait croire qu'on est différent, qu'on est presque surhumain. Alors, il fallait que je voie les choses autrement, euh. et c'était une grande difficulté pour moi, et non comme, je le disais, ne pas me différencier des gens ordinaires et vivre. » - Allison

Ici encore, en raison du jeune âge de l'entrée dans le métier, l'expérience des relations était très réduite. Du fait de leur passé de violence sexuelle, les membres de l'échantillon sont entrés dans le métier par le biais d'une relation avec une personne qui cherchait à les exploiter pour en tirer profit. Des relations saines et équilibrées leur étaient étrangères.

« Ouais, je peux rire, je peux m'amuser, je peux m'asseoir et regarder un film, maintenant. Et c'est comme si c'était un monde totalement différent pour moi d'être capable de m'asseoir et, vraiment, de préparer un repas pour mon mari et moi et qu'on s'assoie à table et qu'on mange. Au lieu de sortir manger dans des restaurants de cuisine rapide ou d'attraper quelque chose à la course ou n'importe quoi. Comme si c'était un monde entièrement différent maintenant. Je ne savais pas comment me comporter normalement et il a fallu que je l'apprenne. C'est comme quelqu'un qui aurait perdu la sensibilité de ses jambes, la retrouvait et réapprenait à marcher. » - Jessica

Des problèmes comme l'établissement d'un budget, l'intimité sexuelle et le contrôle de la consommation de drogue ont représenté des difficultés permanents auxquelles faire face lors du départ. L'approche un jour à la fois était commune.

3.14 Réflexions après coup

Le métier de la rue procurait les solutions à court terme suivantes : l'autonomie, l'indépendance financière, le contrôle, le sentiment de valeur personnelle, la survie, le contrôle de la violence, l'entrée dans l'âge adulte, l'expérience de la drogue et de l'alcool et un degré élevé d'énergie et d'excitation.

Plusieurs des sujets interrogés ont été déçus de leurs choix personnels. Ils remettaient en question leur valeur personnelle au vu de leur décision de s'engager dans le métier. Même quand ils n'y étaient restés que peu de temps, ils en sont sortis meurtris.

« Eh bien, ils allaient s'en rappeler le restant de leurs jours, ils allaient s'en souvenir chaque jour du reste de leur vie. Ils allaient se rappeler l'odeur, le goût, l'apparence, on n'oublie pas. » - Nicky

« Et ça faisait de moi une personne différente, ça m'enseignait une autre façon de vivre que je n'aurais pas dû apprendre si tôt dans la vie. Je pense que c'était dangereux. » - Shelly

Il importe de noter qu'en 1991-1992, la majorité des répondants, sinon tous ceux qui ont été interrogés, voyaient l'insertion dans le métier comme un mauvais choix. Dix ans plus tard, même en comptant la vue rétrospective, cette insertion demeurait perçue comme un geste qui, bien qu'il ait pu être nécessaire à la survie, ne constituait pas en bout de ligne une sage décision.

3.15 Réflexions sur la rue

La majorité des répondants croyait que la rue ne constituait pas un environnement positif. De fait, cette population était d'avis que l'expérience allait modifier le reste de sa vie.

« Et il vient un moment où il apparaït très clairement que ça disparaït, qu'une partie de soi-même vous est enlevée chaque fois qu'on fait une passe. C'est votre dignité, fondamentalement, alors il m'a semblé clair après un an, ce que c'était, qu'il ne m'en restait pas beaucoup et que c'était bien comme ça. Si j'allais faire quoi que ce soit de ma vie pour reprendre ma dignité ou si je n'allais jamais être capable de quitter ce milieu. Et c'est devenu très clair. Que j'avais un sentiment clair de mon identité avant de commencer dans la rue, alors on s'en rend compte tout de suite quand ça commence à disparaïtre. » - Patricia

Bien que deux des femmes aient vu la rue comme un endroit qui leur a permis de s'amuser quelquefois, aucun des hommes ne la voyait ainsi.

« La violence à laquelle j'ai été confronté, comme enfant et comme jeune personne, n'a pas à être répétée par d'autres garçons et jeunes gens. Il doit se faire du travail dans ce domaine pour aider à étudier les problèmes auxquels fait face cette population et l'appui qu'il lui faut pour se sortir du commerce. » - Harry

Quatre-vingt-quatre pour cent des personnes interrogées avaient fait l'expérience de la violence sexuelle avant la rue et, souvent, elles percevaient cette violence comme un facteur de leur entrée dans le métier. Après leur départ, les sujets ont souvent été submergés des souvenirs de la violence subie dans l'enfance et dans la rue. Ces personnes ont reconnu que la vie dans la rue est faite de violence et d'autodépréciation.

« Le plus difficile. je pense. a été de briser mon habitude de me faire violence à moi-même ou d'accepter de subir la violence et d'en créer davantage, comme d'endurer de la violence ou de me permettre d'endurer de la violence. Je ne me suis pas permis de guérir assez pour être confortable. ça a été l'une des choses les plus dures. » - Katlyn

Toutefois, au moment de reconnaïtre la violence qui règne dans les rues, la violence sexuelle initiale non résolue refaisait souvent surface. Étrangement, la rue protégeait les répondants de l'obligation de résoudre la violence sexuelle connue plus tôt dans leur vie.

« J'aimais le sexe, avant, mais maintenant je ne le supporte plus. Je n'aime pas ça quand les gens me touchent, vous savez, quand il me touche je n'aime même pas ça, mais je devrais, et ce n'est pas que je ne l'aime pas, c'est juste que je suis mal à l'aise. Vous savez, c'est comme. je rêvais en noir et blanc et maintenant je rêve en couleur. Et maintenant c'est comme si c'était plus vrai, j'imagine. Je commence à me souvenir de bien des choses que j'avais oubliées et pour moi, c'est plus terrifiant. » - Shelly

3.16 Réflexions sur le départ

On croit facilement qu'une fois qu'une personne a pris la décision de quitter la rue, elle n'y retourne jamais.

« Le long parcours » a permis de constater que presque les deux tiers des personnes interrogées décrivaient leur vie après la rue comme une bataille.

« Je leur dirais qu'ils ont probablement devant eux une route difficile. Que ce ne sera pas. que ce sera probablement plus difficile ou plus dur que de vivre dans la rue. Bien des déceptions. » - Sandra

D'aucuns étaient optimistes car ils distinguaient la lumière au bout du tunnel. Par contre, parfois, cette lumière était très faible. Des services sont fournis aux gens qui vivent dans la rue, mais il n'y a guère d'aide à long terme pour la démarche de départ.

« Une des choses que je leur dis c'est que s'ils attendent que quelqu'un vienne les sauver, ils peuvent en mourir. Si vous attendez que quelqu'un vienne vous réparer, vous restez brisé. » - Cherry

3.17 D'étonnantes constatations

Les répondants se sont étonnés de faire les constatations qui suivent.

  1. Un quart des femmes et des filles de l'échantillon a décrit le départ comme un long voyage.

    « S'attendre constamment à vouloir retourner à la rue, en avoir toujours l'envie. et c'est que la vie est bien plus dure à vivre normalement qu'elle ne l'est dans la rue. » - Andrea

  2. Près du quart des hommes, des garçons, des femmes et des filles ont été surpris d'avoir eu la capacité de quitter le métier et de se bâtir une vie loin de la rue. Plusieurs se sont dits choqués d'avoir réussi la transition.

    « Je suppose que la plus grande surprise a été de constater ma force réelle. De constater quelle bonne personne je suis et tout le potentiel que j'ai, que je n'avais jamais, jamais vraiment vu ou que je n'avais jamais été encouragée à me rendre compte que, hum. je peux conquérir ceci, je peux faire cela, j'en ai fait des choses. C'est juste, parfois, quelque chose qui me surprend sans bon sens. » - Sandra

  3. Près du quart des répondants des deux sexes ont fait de mauvaises rencontres une fois partis de la rue. Bien qu'ils aient eu conscience des interactions négatives et malhonnêtes dans la rue et s'y soient attendus, ils ne croyaient pas y être assujettis dans le « monde ordinaire ». Bien que leur vie quotidienne ait changé relativement à la rue, ils ne s'attendaient pas à voir ce comportement de non-confiance se produire hors du métier.

    « Vous vous rendez compte que vous percevez beaucoup plus de choses chez les gens, vous devenez plus observateur, plus conscient. Vous portez beaucoup plus d'attention aux choses et vous en parlez et, vous savez, vous découvrez des mensonges. Il y a des tas de mensonges dans le vrai monde. » - Luke

3.18 Rituels

L'un des signes résiduels de la vie dans la rue consiste en la conservation de rituels. Bien des personnes de la rue adoptent des comportements associés au métier et des modèles, ou rituels, demeurent après le départ.

Vingt pour cent de la population interrogée avait des rituels relatifs à l'argent, dont l'habitude de garder de l'argent dans ses sous-vêtements, dans ses chaussures et d'en cacher à divers endroits de leur domicile.

« Par exemple, on n'épargne jamais, on dépense tout. On vit pour l'instant. Et c'est encore ce que je fais de mon argent. Si j'ai un paquet d'argent, vous savez si on m'en donne à mon anniversaire, ou quoi que ce soit, me voilà dehors à le dépenser. Et je le dépense jusqu'au dernier sou. » - Kathleen

Bien des répondants vivaient dans la peur que quelqu'un ait accès à leur argent. Les comptes de banque nombreux sont monnaie courante. En raison du contrôle exercé sur les affaires par les proxénètes et des habitudes de dépenses excessives des personnes touchant l'argent, nombre de stratégies sont élaborées pour dissimuler et contrôler l'argent gagné dans le métier.

« Cacher mon argent. Je le cachais toujours, que j'aie fait n'importe quoi, je le cachais quelque part. Je ne me contentais pas de l'avoir dans mon portefeuille. » - Samantha

« J'ai des comptes secrets dans plusieurs banques. J'en ai cinq ou six. » - Sandra

La prudence et les soupçons étaient toujours de mise. La nervosité relative au dévoilement possible de leur vie passée était également apparente.

Des rituels de lavage intensif, comme le changement quotidiens des draps des membres de la famille, ont également été mentionnés. Le long nettoyage de sa personne au moyen de douches très chaudes et le recours à des débarbouillettes humides pour bébé n'était pas rare.

« Il fallait que je me serve de débarbouillettes pour bébé quand j'allais aux toilettes. Et de savon antibactérien, je nettoyais toujours avec ça, c'est comme un gel, pas comme un savon. Hum. vous savez, quand je touche mon chèque de paie, je l'encaisse et je porte sur moi tout mon argent. » - Sheila

« Et ça ne fait rien, je peux aller, je veux dire si je vais faire une course au magasin, il faut que je prenne un bain. Si je vais faire l'épicerie, quand je rentre, je range mes achats et hop dans le bain. on revenait de la laverie automatique et il fallait que je prenne un bain. Il me dit 'tu sens pas si mauvais, pourquoi est-ce que tu prends trois bains par jour?' et je lui réponds que c'est juste une habitude, que je ne sais pas. » - Liz

Une séquelle troublante tant chez les hommes que chez les femmes est celle de la dissociation pendant les relations sexuelles.

« Il m'a certainement fallu du temps pour aimer le sexe. Je n'aimais déjà pas ça avant de m'y mettre pour gagner ma vie, alors. et ma foi, danser n'a certainement pas aidé; tous ces goujats, c'était loin d'être des soirées romantiques. » - Sandra

« Et j'ai un problème de sexe, et pas à peu près. Je n'aime pas beaucoup ça, ce n'est pas très plaisant. Ça s'améliore mais il faut vraiment beaucoup de temps pour surmonter ses souvenirs et des choses vraiment très négatives. Ouais, j'ai probablement des tas de très mauvaises choses qui refont surface; de temps à autre j'ai des retours en arrière. » - Beth

Souvent, ces personnes « se mettent au service » de leur partenaire. Ce modèle sert et se développe rapidement au début des actes de violence et de l'exploitation sexuelle de la rue. Tant que la violence et l'exploitation demeurent non résolues, la réaction de dissociation se maintient.

« La technique, ou stratégie, de dissociation de l'expérience en cours est bien connue de nombreux travailleurs du sexe. Les personnes ayant vécu de la violence y recourent souvent pour s'isoler des expériences de violence en cours. » - McIntyre, 1994:178 [traduction]

Les hommes et les garçons voient clairement que ce travail qu'ils ont fait pour survivre a sur eux un effet négatif.

« . pour une travailleuse du sexe, c'est possible de simplement gémir, ou de faire semblant, mais les travailleurs du sexe, eux, il faut qu'ils aient l'air excité, il faut qu'ils montrent quelques signes d'érection. » [Ce jeune homme a signalé que même quand il faisait une fellation à un client, celui-ci se préoccupait toujours de savoir s'il était excité ou non]. » - McIntyre 1994:181 [traduction]

3.19 Loin de la rue

Le départ permanent du commerce de l'exploitation sexuelle a constitué une expérience difficile.

Personne, parmi les sujets de l'étude, n'exerçait encore le métier à temps plein. L'une de ces personnes, toutefois, n'avait jamais quitté le métier de la rue et s'y prêtait encore deux jours par semaine.

Près des trois quarts des personnes interrogées s'étaient totalement distancées et éloignées du métier.

Vingt pour cent des répondants se tournaient encore vers une forme ou l'autre du métier quand ils avaient besoin d'argent, comme en y retournant un soir tous les quelques mois. Cela se faisait par le truchement d'annonces téléphoniques, de contacts avec des clients réguliers, de services d'escorte, de danse ou de travail dans la rue. Ce groupe voyait dans ces brefs retours une solution financière à des besoins spéciaux comme des anniversaires, Noël ou des besoins domestiques.

Une petite proportion de répondants continue de travailler quelques jours par semaine. Ils ont déclaré avoir le désir de quitter le métier à jamais mais disent que cela ne s'est pas produit. Pour ce groupe, le commerce de l'exploitation sexuelle constitue un gagne-pain [4].


[4] Dans chacun des tableaux, les pourcentages peuvent comporter des erreurs attribuables à l'arrondissement.