Traitement par la justice pénale des homicides commis par un partenaire intime par opposition aux autres types d'homicides
3. L'étude (suite)
3.4 Variables dépendantes : étapes décisionnelles du processus pénal
Plusieurs considèrent la détermination de la peine comme l'étape la plus importante du processus pénal. Toutefois, les chercheurs ont commencé à remettre en question la validité des études axées exclusivement sur la détermination de la peine, au détriment des étapes présentencielles (Bernstein et coll., 1977a, 1977b, 1979; Hagan, 1974; Miethe et Moore, 1986; Petersilia, 1983; Schur, 1971; Swigert et Farrell, 1977). L'une de leurs principales préoccupations concerne l'impossibilité d'évaluer les répercussions des décisions prises aux étapes initiales sur les décisions suivantes (Greenberg, 1977). Par exemple, l'accusé qui plaide coupable en échange d'une réduction de l'accusation est susceptible de recevoir une peine moins sévère que celui qui plaide non coupable et est subséquemment déclaré coupable à l'issue d'un procès. Les études qui ne prennent pas en considération le fait qu'une affaire se soit terminée par un plaidoyer de culpabilité ou ait été tranchée par un tribunal ne peuvent rendre compte de l'effet de ce résultat sur la durée de la peine imposée en bout de ligne. Il convient d'examiner les décisions prises aux premiers stades du processus pénal, car il s'agit d'étapes décisionnelles importantes, compte tenu de la nature séquentielle de ce processus, dans lequel divers intervenants prennent diverses décisions à des étapes distinctes. Par exemple, les procureurs doivent initialement décider si l'affaire sera portée devant le tribunal ou s'il y aura négociation de plaidoyer. Leurs préoccupations à cette étape peuvent être très différentes de celles du juge au moment de déterminer la peine. Par conséquent, les types d'affaires qui débouchent sur une condamnation, les types d'accusés déclarés coupables dans le cadre d'un procès et les types d'affaires qui donnent lieu à un plaidoyer de culpabilité forment des questions dignes d'intérêt sur lesquelles il y a lieu de se pencher.
Afin d'examiner ces questions, nous nous penchons sur cinq étapes clés du processus pénal qui donnent lieu à huit décisions ou résultats, à savoir : 1) l'accusation initiale; 2) le mode d'entrée en voie de condamnation; 3) le verdict rendu par le tribunal; 4) le type d'acquittement; 5) la probabilité globale de condamnation; 6) la sévérité du verdict; 7) le type de peine; 8) la durée de la peine[12]. Le tableau 3.2 indique le codage et les distributions statistiques pour ces huit résultats, que nous abordons séparément dans la partie qui suit.
Variable | Codage | Fréquence | Pourcentage |
---|---|---|---|
Y1 Accusation initiale (N=1,137) |
0 Autres types d'accusations | 718 | 63 |
1 Accusation de meurtre au premier degré | 419 | 37 | |
Y2 Mode d'entrée en voie de condamnation (N=1,130) |
0 Plaidoyer de culpabilité | 476 | 42 |
1 Affaire portée devant un tribunal | 654 | 58 | |
Y3Verdict rendu par le tribunal( N=654) |
0 Acquittement | 259 | 40 |
1 Condamnation | 395 | 60 | |
Y4 Type d'acquittement (N=259) |
0 Verdict de non culpabilité | 163 | 63 |
1 Verdict de non responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux | 96 | 37 | |
Y5 Probabilité globale de condamnation (N=1,137) |
0 Acquittement | 271 | 24 |
1 Condamnation | 866 | 76 | |
Y6 Sévérité du verdict (N=866) |
0 Autre verdict de culpabilité | 525 | 61 |
1 Condamnation pour meurtre | 341 | 39 | |
Y7 Type de peine (N=866) |
0 De ressort provincial (2 ans moins un jour) | 151 | 17 |
1 De ressort fédéral (2 ans ou plus) | 715 | 83 | |
Y8 Durée de la peine | Niveau intervalle | 9,20 ans |
a Comme le montrent les valeurs indiquées entre parenthèses pour chaque résultat, on observe des variations dans la taille de l'échantillon à diverses étapes du processus parce que ce dernier peut avoir été arrêté dans le cas de certains accusés en raison du résultat de l'étape antérieure.
Accusation initiale
Cette première variable dépendante rend compte de la gravité de l'accusation portée. Elle est liée à une étape décisionnelle importante pour l'accusé, car la gravité de l'acte initialement reproché à ce dernier a, la plupart du temps, une incidence déterminante sur la peine qu'il recevra en bout de ligne (voir Brereton et Casper, 1981-82). En effet, les peines que le juge peut imposer dépendent du ou des chefs d'accusation pour lesquels l'accusé est déclaré coupable, et la gravité de ceux-ci est indirectement liée à la gravité de l'accusation initiale (Brereton et Casper, 1981-1982). Par exemple, dans le cas d'une accusation initiale de meurtre au premier degré, ce dernier peut être réduit au meurtre au deuxième degré au moment de la déclaration de culpabilité, mais une accusation de meurtre au premier degré ne peut être changée pour une accusation de meurtre au deuxième degré dans le cadre de l'instruction. Par ailleurs, l'ampleur du tort causé revêt également de l'importance dans la détermination de la peine, et on le constate, dans une certaine mesure, en examinant l'accusation initiale (Brereton et Casper, 1981-82). Toutefois, certaines études portant sur les décisions prises par la police et par les procureurs laissent croire que les pratiques en matière d'accusation dans les cas d'homicides pourraient être influencées par un certain nombre de considérations subjectives d'ordre politique (Higgingbottom et Zamble, 1988; Mather, 1979; Williams et Rodeheaver, 1991). En effet, les policiers et les procureurs optent peut-être pour des accusations plus graves pour montrer qu'ils ne sont pas trop cléments, pour qu'il puisse y avoir négociation de plaidoyer ou pour tenir compte du fait que des éléments de preuve indiquant une infraction plus grave (preuves d'intention ou de préméditation, par exemple) peuvent être découverts pendant l'enquête.
Les données utilisées pour notre analyse montrent que des accusations de meurtre au premier ou au deuxième degré ont initialement été déposées dans 91 % des cas. Par conséquent, comme le meurtre forme la majorité des accusations, le recours à une mesure dichotomique permet de tenir compte de la gravité de l'accusation portée par la poursuite et de faire la distinction entre les accusations de meurtre au premier degré – l'infraction la plus grave dont on peut être accusé dans les cas d'homicides – et les accusations formées par des infractions moins graves, en particulier celles de meurtre au deuxième degré. Comme nous l'avons mentionné ci-dessus, les principaux éléments qui justifient une accusation de meurtre au premier degré sont la préméditation et le propos délibéré (Grant et coll., 1998). Comme l'indique le tableau 3.2, une telle accusation a été portée dans 37 % des affaires visées par notre étude. Par ailleurs, on a relevé une accusation de meurtre au deuxième degré dans 54 % des cas, et une accusation d'homicide involontaire coupable dans environ 8 % des cas.
Mode d'entrée en voie de condamnation
Le droit de tout accusé à un procès devant juge ou devant juge et jury est garanti par la Constitution. Cependant, au Canada, la plupart des accusations criminelles donnent lieu à un plaidoyer de culpabilité plutôt qu'à un procès (Ruby, 1999). Si ce type de plaidoyer n'est pas aussi fréquent dans les cas d'homicides que lorsqu'il s'agit d'autres types de crime avec violence ou de crimes sans violence, ils ont tout de même lieu dans une proportion importante des affaires qui aboutissent à une condamnation. Le plaidoyer de culpabilité consiste en l'admission, par l'accusé, du fait qu'il a commis l'infraction dont on l'accuse et en son consentement à l'entrée en voie de condamnation sans qu'il n'y ait procès. Il peut se faire de deux façons. Dans le premier cas, la poursuite accuse une personne d'une infraction, à la suite de quoi l'accusé plaide coupable à cette accusation, souvent dans l'espoir de recevoir une peine moins sévère. Dans le second, il y a une négociation de plaidoyer à l'issue de laquelle l'accusé plaide non coupable à l'accusation initialement portée contre lui, mais coupable à une accusation réduite. Par exemple, une personne initialement accusée de meurtre au premier degré peut plaider non coupable à cette dernière accusation, pour ensuite plaider coupable à une accusation de meurtre au deuxième degré. Dans ces cas également, l'accusé espère fréquemment obtenir une peine plus douce. Afin de rendre compte du mode d'entrée en voie de condamnation, nous avons utilisé une mesure dichotomique qui permet d'établir une distinction entre les affaires réglées dans le cadre d'un procès et celles dans lesquelles il y a eu plaidoyer de culpabilité. Comme l'indique le tableau 3.2, 58 % des affaires comprises dans notre échantillon ont été tranchées dans le cadre d'un procès[13]. Les autres (42 %) ont débouché sur un plaidoyer de culpabilité.
Verdict rendu par le tribunal
Certaines études montrent que, dans les affaires de crime de violence faisant l'objet d'un procès, les juges sont moins enclins à déclarer l'accusé coupable lorsque celui-ci ne connaissait pas, semble-t-il, la victime, alors que les jurés ont davantage tendance à rendre un verdict de culpabilité dans un tel cas (Myers, 1981). Mis à part ces études, peu de recherches portent sur l'influence de la relation entre la victime et l'accusé sur le verdict rendu par le tribunal. Afin de prendre en considération cet aspect, nous avons eu recours à une variable rendant compte de l'issue du procès, à savoir si l'accusé a été déclaré coupable ou acquitté[14]. Au sein de notre échantillon, 60 % des accusés ayant subi un procès ont été reconnu coupables.
Type d'acquittement
L'accusé peut être acquitté de deux façons : en obtenant un verdict de non-culpabilité ou un verdict de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux. Dans le premier cas, l'accusé est libéré des accusations qui pesaient contre lui. Dans le second, la majeure partie du temps, l'accusé admet son crime, mais est incapable de juger de la nature et de la qualité de son acte; il est donc déclaré non criminellement responsable pour cause de troubles mentaux (avant 1992, l'expression consacrée était « non coupable pour cause d'aliénation »
)[15]. Afin de déterminer si les personnes accusées d'avoir tué un partenaire intime sont plus susceptibles d'être acquittées pour cause de troubles mentaux, nous avons fait appel à une variable dépendante permettant de faire la distinction entre les personnes trouvées non coupables et celles qui ont été déclarées non criminellement responsables. Dans notre échantillon, 37 % des personnes acquittées avaient obtenu un verdict de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux.
Probabilité globale de condamnation
Peu importe que les affaires donnent lieu à un procès ou à un plaidoyer de culpabilité, il peut y avoir des variations dans la probabilité globale de condamnation. La cinquième variable indépendante que nous avons utilisée correspond à une mesure globale grâce à laquelle on peut établir une distinction entre les accusés condamnés (que ce soit à la suite d'un procès ou d'un plaidoyer de culpabilité) et ceux qui ont été acquittés (y compris ceux qui ont obtenu un verdict de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux). Les données relatives à notre échantillon montrent que les trois quarts (76 %) des accusés ont été condamnés.
Sévérité du verdict
Le verdict rendu devrait être proportionnel au tort causé par le crime commis ainsi qu'au degré de culpabilité. Au Canada, la distinction entre le meurtre et l'homicide involontaire coupable est très importante, car le premier entraîne l'emprisonnement à vie comme une peine obligatoire, alors qu'il n'y a pas de peine minimale pour le second (Grant et coll., 1998). Comme nous l'avons expliqué précédemment, le meurtre se distingue généralement de l'homicide involontaire par l'intention de causer la mort ou des lésions corporelles de nature à causer la mort (article 229 du Code criminel). Certains facteurs extérieurs ou atténuants comme la provocation (voir particulièrement le paragraphe 232(2) du Code criminel), l'intoxication ou une responsabilité diminuée peuvent faire en sorte que le meurtre soit réduit à un homicide involontaire coupable. Pour déterminer si l'existence d'une relation intime a une incidence sur le verdict, nous avons utilisé une variable pour déterminer si l'accusé avait été condamné pour meurtre (au premier ou au deuxième degré) ou pour une infraction moins grave (l'homicide involontaire coupable, surtout). Comme le montre le tableau 3.2, 39 % des affaires ont donné lieu à une condamnation pour meurtre, soit au premier, soit au deuxième degré.[16]
Type de peine
La documentation qui existe sur le sujet laisse croire que la détermination de la peine comporte deux étapes décisionnelles : d'abord il faut décider si le délinquant doit être incarcéré, puis, dans l'affirmative, pendant combien de temps, compte tenu du crime commis. Étant donné que l'homicide est considéré comme une infraction grave, rares sont les cas de condamnation pour un tel crime qui n'aboutissent pas à une peine d'emprisonnement. Au Canada, on peut être condamné à une peine d'emprisonnement dans un établissement provincial (deux ans moins un jour) ou dans un établissement fédéral (deux ans ou plus). Afin de vérifier s'il existe un lien entre le type de relation entre la victime et l'accusé, d'une part, et, d'autre part, le type de peine imposée, nous avons eu recours à cette variable dépendante pour déterminer si le délinquant avait reçu une peine de ressort provincial ou fédéral. Dans notre échantillon, 83 % des accusés avaient été condamnés à l'emprisonnement dans un établissement fédéral, résultat prévisible étant donné la gravité du type d'infraction examiné.
Durée de la peine
La durée de la peine que le délinquant doit purger avant d'être admissible à la libération conditionnelle dépend en partie des documents présentés au tribunal après la déclaration de culpabilité (le rapport présentenciel, par exemple, qui rend compte des antécédents criminels). Toutefois, elle varie également en fonction de l'infraction pour laquelle le délinquant a été condamné ainsi que des peines possibles pour chaque catégorie d'infractions. Par exemple, au Canada, les délinquants reconnus coupables de meurtre au premier degré reçoivent automatiquement une peine d'emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle avant 25 ans – la plus longue peine d'emprisonnement pouvant être imposée dans notre pays pour un homicide. En revanche, si le meurtre au deuxième degré est également passible d'une peine obligatoire d'emprisonnement à perpétuité, la période d'incarcération minimale avant l'admissibilité à la libération conditionnelle est de 10 ans. Enfin, il n'y a pas de peine minimale dans les cas de condamnation pour homicide involontaire coupable. La variable dépendante continue représentée par la durée de la peine permet donc de déterminer le nombre d'années d'emprisonnement que le condamné doit purger avant d'être admissible à la libération conditionnelle, les valeurs pouvant aller de 0 à 25 ans. Pendant la période visée par notre étude, la période moyenne d'inadmissibilité à la libération conditionnelle imposée par les tribunaux de Toronto était d'environ 9 ans. La durée moyenne d'incarcération pour les peines reçues par les délinquants condamnés pour homicide involontaire coupable se situait à 5,5 ans, alors qu'elle était de 12,5 ans chez les délinquants reconnus coupables de meurtre au deuxième degré, infraction pour laquelle, nous le rappelons, la peine minimale est l'emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle avant 10 ans. Tous les délinquants déclarés coupables de meurtre au premier degré ont été condamnés à la prison à vie sans possibilité de libération conditionnelle avant 25 ans.
- [12] Bien qu'il puisse y avoir des recoupements entre certains de ces résultats, chacun d'eux découle d'une décision distincte qu'il vaut la peine d'examiner. Il y a cependant une étape décisionnelle que nous n'avons pas pris en compte en raison du caractère limité des données dont nous disposions à son sujet. Il s'agit du stade où l'on décide si l'accusé sera détenu provisoirement ou mis en liberté sous caution. Étant donné la gravité du type d'accusation sur lequel nous nous penchons, il est raisonnable de penser que la plupart des accusés sont mis en détention préventive, ce que les renseignements disponibles confirment. Toutefois, les données issues du projet de recherche antérieur ne fournissaient pas toujours de l'information à ce sujet. Nous n'avons donc pas pu prendre en considéraiton cet aspect dans nos analyses. Les recherches montrent cependant que la décision relative au cautionnement pourrait avoir une incidence sur celles rendues subséquemment. Par conséquent, toute étude future sur la question devrait prendre cette étape en considération.
- [13] Il arrive qu'un accusé qui a présenté un plaidoyer de non culpabilité plaide coupable pendant le procès. Ces cas ont été codés comme si l'affaire avait été réglée par un plaidoyer de culpabilité, car le procès n'a donné lieu à aucun verdict. Sept cas dans lesquels un non?lieu a été prononcé avant que l'accusé ne présente son plaidoyer ont été exclus à cette étape de notre analyse.
- [14] Les cas d'acquittement comprennent les cas où les accusations ont été rejetées ou suspendues de même que les cas où l'accusé a été déclaré non criminellement responsable pour cause de troubles mentaux, ce qui, d'un point de vue juridique, équivaut à un acquittement. Par ailleurs, il n'y avait pas toujours de l'information concernant le type de procès, de sorte que nous n'avons pas pu établir une distinction entre les procès devant juge et ceux devant juge et jury.
- [15] Nous tenons à souligner à nouveau qu'un verdict de non?responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux n'est pas un verdict de culpabilité. Il signifie plutôt que le tribunal a jugé que l'accusé n'était pas criminellement responsable du ou des actes posés au moment de la commission de l'infraction. Dans un tel cas, le tribunal peut soit rendre une décision ou renvoyer l'affaire à une commission de révision. Toutefois, si la poursuite ou la défense demande une décision et que le tribunal est en mesure d'en rendre une, il doit le faire. Trois possiblité s'offre alors à lui : la détention dans un l'hôpital, l'absolution sous condition ou l'absolution inconditionnelle (CCSJ, 2003b).
- [16] Précisons que l'accusé a été déclaré coupable de meurtre au premier degré dans 9 % des cas, et de meurtre au deuxième degré dans 30 % des cas. Parmi les 61 % d'affaires qui restent, 54 % se sont terminées par une condamnation pour homicide involontaire coupable. La comparaison se fait donc d'abord et avant tout entre les personnes trouvées coupables de meurtre (les deux catégories) et celles condamnées pour homicide involontaire coupable.
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