Traitement par la justice pénale des homicides commis par un partenaire intime par opposition aux autres types d'homicides

3. L'étude (suite)

3.5 Principales variables indépendantes : relation entre la victime et l'accusé, période en cause et sexe

Relation entre la victime et l'accusée

Comme nous l'avons déjà mentionné, parmi tous les types de rapports sociaux, aucun n'est aussi intense que la relation qui existe entre des partenaires intimes en raison de l'intimité sexuelle et physique qui caractérise cette dernière (Silverman et Kennedy, 1993). Pour évaluer l'incidence qu'une relation intime entre la victime et l'accusé peut avoir, nous avons eu recours à cette première variable indépendante qui correspond à une mesure dichotomique et permet de faire la distinction entre les homicides commis par un partenaire intime et les autres types d'homicides[17]. Les partenaires intimes englobent les conjoints et ex-conjoints en droit ou de fait ainsi que toute personne que la victime fréquentait ou avait fréquentée (petit ami ou petite amie)[18]. Dans la catégorie des auteurs d'homicide qui ne sont pas des partenaires intimes, on trouve les membres de la famille (à l'exclusion des conjoints), les amis, les connaissances et les étrangers. Dans notre échantillon, 20 % des homicides avaient été perpétrés par un partenaire intime (voir le tableau 3.3 pour les données descriptives et le codage visant toutes les variables indépendantes et de contrôle).

Tableau 3.3 :Description des variables indépendantes et de contrôle pour les affaires d'homicides, échantillon total, Toronto, 1974-2002

Principales variable indépendantes
Variable Description/Codage Moyenne (écart type)
Relation entre la victime et l'accusé Relation intime = 0; Autre = 1 0,20 (0,40)
Année de prise en charge par le système judiciaire Période : 1974-1983 = 1; Autre = 0 0,38 (0,47)
Période : 1984-1996 = 1; Autre = 0 0,51 (0,49)
Période : 1997-2002 = 1; Autre = 0 0,11 (0,44)
Sexe de l'accusé Féminin = 0; Masculin = 1 0,89 (0,31)
Sexe de la victime Féminin = 0; Masculin = 1 0,71 (0,45)

Variables de contrôle - Variables judiciaires
Variable Description/Codage Moyenne (écart type)
Antécédents criminels (accusé) Antécédents non entachés de violence (0, 1) 0,43 (0,49)
Antécédents entachés de violence (0, 1) 0,13 (0,34)
Rôle de l'accusé dans l'homicide Secondaire = 0; Central = 1 0,85 (0,36)
Nombre d'accusés Un accusé = 0; Plusieurs accusés = 1 0,16 (0,37)
Nombre de victimes Une victime = 0; Plusieurs victimes = 1 0,04 (0,20)
Affaire tranchée dans le cadre d'un procès Plaidoyer de culpabilité = 0; Procès = 0 0,58 (0,49)
Gravité de l'accusation Intervalle (de moins grave à plus grave, 1 à 3) 2,28 (0,62)
Sévérité du verdict Intervalle (de moins sévère à plus sévère, 1 à 3) 2,07 (0,89)

Variables de contrôle - Caractéristiques de l'accusé
Variable Description/Codage Moyenne (écart type)
Race/groupe ethnique Blanc = 1; Autre = 0; 0,56 (0,50)
Âge 18-24 ans (0, 1) 0,35 (0,48)
25-34 ans (0, 1) 0,36 (0,48)
35-44 ans (0, 1) 0,17 (0,38)
45-54 ans (0, 1) 0,08 (0,27)
55 ou plus (0, 1) 0,03 (0,18)
Âge moyen des accusés 0,31 (10,93)
Situation d'emploi Sans emploi = 0; En emploi = 1 0,30 (0,46)
État matrimonial Célibataire = 0; Marié = 1 0,41 (0,49)
Antécédents psychiatriques Non = 0; Oui = 1 0,10 (0,30)

Variables de contrôle - Caractéristiques de la victime
Variable Description/Codage Moyenne (écart type)
Race/groupe ethnique Race blanche = 1; Autre = 0; 0,58 (0,49)
Âge 0-17 (0, 1) 0,09 (0,29)
18-24 (0, 1) 0,19 (0,39)
25-34 (0, 1) 0,25 (0,43)
35-44 (0, 1) 0,22 (0,41)
45-54 (0, 1) 0,12 (0,33)
55 ou plus (0, 1) 0,13 (0,33)
Âge moyen des victimes 0,35 (16,12)
Situation d'emploi Sans emploi = 0; En emploi = 1 0,40 (0,49)
État matrimonial Célibataire = 0; Mariée = 1 0,45 (0,50)
Antécédents psychiatriques Non = 0; Oui = 1 0,06 (0,23)
Antécédents criminels Non = 0; Oui (entachés ou non de violence) = 1 0,30 (0,46)

Variables de contrôle - Caractéristiques de l'infraction
Variable Description/Codage Moyenne (écart type)
Utilisation d'une arme Pas d'arme à feu utilisée = 0; Utilisation d'une arme à feu = 1 0,24 (0,43)
Lieu Privé = 0; Public = 1 0,36 (0,48)
Consommation de drogues/d'alcool chez l'accusé Non = 0; Oui = 1 0,55 (0,50)
Consommation de drogues/d'alcool chez la victime Non = 0; Oui = 1 0,45 (0,50)

Période en cause

Depuis le début des années 1970, on a observé une augmentation considérable de l'attention accordée, par les membres du public et par les professionnels concernés, à la violence familiale, plus particulièrement au problème de la violence faite aux femmes dans le cadre de relations intimes. Les travaux réalisés par les organisations féministes et les groupes populaires ont attiré l'attention du public et des professionnels du domaine juridique sur ce qui était traditionnellement considéré comme un problème familial d'ordre privé dans lequel les responsables de l'application de la loi n'avaient pas à intervenir (Dobash et Dobash, 1979; Schneider, 1994). Dans la foulée de ces phénomènes, on a commencé à axer les réformes sociales et juridiques sur la violence entre partenaires intimes, transformant le problème en une question d'intérêt public. Cependant, comme nous l'avons déjà mentionné, l'évolution du lien entre l'existence d'une relation intime et l'attitude de la justice pénale n'a pas été examinée de façon systématique. C'est là une lacune de la documentation, car la modification ou la mise en œuvre de diverses lois et politiques au cours des dernières années pourrait avoir provoqué des changements dans l'attitude des représentants du système de justice pénale et du grand public à l'égard de la violence entre partenaires intimes. En d'autres termes, il serait raisonnable de croire que la sensibilisation accrue à ce type de violence a influé sur la manière dont la justice pénale réagit à certains crimes de violence (Mitchell, 1991; Roberts, 1992). Notre analyse ne permet pas de vérifier s'il s'est créé un lien direct entre les changements législatifs opérés et la modification de l'attitude de la justice pénale face à la violence entre partenaires intimes, mais il est possible de déterminer si ces changements se sont produits de manière parallèle afin de documenter cette éventuelle corrélation en vue des recherches futures. À l'aide de la deuxième des principales variables indépendantes, nous avons pris en compte l'année au cours de laquelle chaque affaire d'homicide a été prise en charge par le système judiciaire, ce qui a permis de faire la distinction entre trois périodes distinctes, que nous décrivons ci-dessous.

Les premiers changements importants sur le plan législatif ou dans les politiques sont survenus au début des années 1980, à une époque où des réformes majeures étaient mises en œuvre à l'échelle du continent, modifiant peu à peu la réaction de la justice pénale à la violence entre partenaires intimes. Entre 1983 et 1986, le procureur général et le solliciteur général ont mis en place des politiques en vertu desquelles les policiers et les procureurs de la Couronne devaient porter des accusations et intenter des poursuites dans tous les cas de violence conjugale dans lesquels on avait des motifs raisonnables de croire qu'une infraction avait été commise. Ces mesures sont souvent qualifiées de politiques favorables aux inculpations et aux poursuites. Elles correspondent cependant aux normes applicables à tout comportement criminel. Leur application aux cas de violence conjugale a toutefois contribué grandement à mettre en évidence la différence marquée entre le traitement accordé auparavant à la violence conjugale par la justice pénale et celui qu'on lui réservait désormais, le premier faisant de cette violence une question d'ordre privé, et le second, un problème relevant du droit pénal. Par exemple, à la suite de la mise en œuvre des politiques favorables à l'inculpation, les agents de police étaient tenus de procéder à l'arrestation du suspect lorsqu'ils avaient des motifs raisonnables de croire qu'une infraction avait été commise. Avant, les directives étaient plus strictes et prévoyaient qu'ils devaient avoir été témoins de l'infraction ou avoir constaté des lésions consécutives à cette dernière pour que des accusations puissent être portées. Ce changement a eu un effet important sur le nombre d'accusations de voies de fait simples portées dans les affaires de violence conjugale au Canada. Il a également été l'élément moteur d'une modification de l'attitude du public et des professionnels concernés face à la violence entre partenaires intimes. D'autres changements ont été apportés aux lois et aux politiques visant cette violence dans les années 1990. Les plus importants aux fins de notre étude et en ce qui touche l'évolution du traitement accordé par les tribunaux à la violence entre partenaires intimes sont ceux mis en place par le projet de loi C-41, adopté en 1996. Comme nous l'avons mentionné ci-dessus, ce projet de loi ainsi que les modifications qu'il apportait au Code criminel (article 718) faisaient en sorte que le mauvais traitement d'un époux ou d'un conjoint de fait et l'abus de la confiance de la victime devaient dorénavant être considérés comme des circonstances aggravantes aux fins de la détermination de la peine.

À la lumière de ces faits, nous avons utilisé une variable fondée sur trois périodes correspondant à des environnements sociaux et juridiques différents issus des changements mentionnés précédemment. La première s'étend de 1974 à 1983, inclusivement – elle commence avant l'adoption de politiques favorables à l'inculpation et aux poursuites au Canada et englobe le moment de cette adoption. La deuxième période couvre 13 ans et va de 1984 à 1996 – elle vient après la mise en œuvre des politiques en question et se termine l'année de l'adoption du projet de loi C-41, c'est-à-dire 1996. Enfin, la dernière période compte six ans (1997 à 2002) – elle comprend les années qui ont suivi l'adoption du projet de loi C-41 et l'entrée en vigueur des modifications qu'il apportait au Code criminel. Comme l'indique le tableau 3.3, 38 % des affaires comprises dans notre échantillon ont été traitées pendant la première de ces périodes, 51 %, pendant la deuxième, et 11 % pendant la troisième, c'est-à-dire la plus récente[19].

Sexe

Si l'importance accordée à la relation intime par la justice pénale constitue l'objet de notre étude, il existe un lien étroit entre celle-ci et le sexe des protagonistes dans les crimes qui sont des cas de violence interpersonnelle; nous avons donc examiné les effets distincts et combinés du sexe de la victime et de l'accusé. L'une des constatations qui se dégagent de façon assez constante des études portant sur la détermination de la peine est que, chez les adultes, les délinquantes sont traitées avec plus de clémence que les délinquants (voir les articles suivants : Bickle et Peterson, 1991; Daly et Bordt, 1995; Odubekun, 1992; Steffensmeier et coll., 1993). En revanche, on a observé moins de différences en fonction du sexe dans les études portant sur les cas de non-lieu et de condamnations (Nagel et Hagan, 1982). Toutefois, des études antérieures sur la prise de décisions au sein du système de justice pénale ont examiné la question du sexe de l'accusé, mais il faut prendre en compte à la fois le sexe de l'accusé et celui de la victime pour évaluer isolément les différents effets de l'existence d'une relation intime (Felson et coll., 1999). Par exemple, les victimes et les agresseurs des femmes sont surtout des membres de la famille, particulièrement des partenaires intimes de sexe masculin, alors que, en ce qui concerne les hommes, victimes comme agresseurs sont principalement d'autres hommes, qu'il s'agisse ou non d'étrangers (Browne et Williams, 1989; Reiss et Roth, 1993). En outre, il a été démontré que le sexe de la victime a une incidence sur les résultats du processus pénal dans les cas d'homicides (Gross et Mauro, 1989; Rapaport, 1991) ainsi que sur la sévérité du verdict (Farrell et Swigert, 1986; Williams, 1976). Afin de d'évaluer les effets possibles du sexe sur la peine imposée, nous avons fait appel à une variable assignée pour prendre en considération le fait que l'accusé est un homme ou une femme. Conformément aux résultats des études antérieures portant sur les différences entre les sexes dans les cas de crime de violence, il ressort que les hommes forment la majorité (89 %) des accusés de notre échantillon. Nous avons également utilisé une variable pour tenir compte du fait que la victime était un homme ou une femme. Dans notre échantillon, les hommes représentaient un peu plus de 70 % des victimes.