Traitement par la justice pénale des homicides commis par un partenaire intime par opposition aux autres types d'homicides

3. L'étude (suite)

3.6 Variables de contrôle : d'autres facteurs ont-ils une influence?

Les recherches montrent que les homicides commis par un partenaire intime se distinguent à certains égards des autres types d'homicides (Silverman et Kennedy, 1993). Par conséquent, si les accusés sont traités différemment selon le type de relation qu'ils avaient avec leur victime, c'est peut-être parce que cette différence de traitement est justifiée. En d'autres termes, il semble évident que des peines moins sévères sont imposées dans les cas d'homicides commis par un partenaire intime, mais ce n'est peut-être la nature de la relation entre l'accusé et la victime, mais plutôt les caractéristiques de l'homicide ou des protagonistes qui déterminent les décisions judiciaires. Afin de tenir compte de cette possibilité, nous avons établi un certain nombre de facteurs judiciaires et non judiciaires qui, selon les recherches sur le sujet, sont associés à certains résultats du processus pénal dans les cas d'homicides et d'autres crimes de violence, résultats qui pourraient à leur tour avoir un lien avec la relation entre la victime et l'accusé. Les variables utilisées sont classées en deux catégories, soit : 1) les variables judiciaires; 2) les variables non judiciaires, notamment les caractéristiques de l'accusé, celles de la victime et celles de l'infraction. Nous décrivons ci-dessous ces variables de façon plus détaillée (voir le tableau 3.3 pour le codage et les données descriptives).

Variables judiciaires

Notre analyse prend en considération certaines variables judiciaires[20], à savoir les antécédents criminels de l'accusé, son rôle dans l'homicide, le nombre d'accusés, le nombre d'accusations d'homicide portées contre l'accusé (c'est-à-dire le nombre de victimes), l'accusation initiale, le mode d'entrée en voie de condamnation et la sévérité du verdict[21].

Antécédents criminels de l'accusé

Les antécédents criminels de l'accusé ont été pris en compte à l'aide d'une variable fondée sur trois catégories qui permet d'établir la distinction entre les accusés sans antécédents, les accusés ayant des antécédents non entachés de violence et les accusés affichant des antécédents entachés de violence. Si l'on se fie aux résultats des recherches antérieures, on peut s'attendre à ce que l'existence d'antécédents criminels ait un effet significatif sur la sévérité du verdict (voir Blumstein et coll., 1983; Hagan et Bumiller, 1983; Klepper et coll., 1983; Kruttschnitt, 1982). En outre, elle pourrait avoir une incidence sur les décisions prises aux premières étapes du processus, par exemple celles qui sont liées à l'accusation initiale ou au mode d'entrée en voie de condamnation. Dans notre échantillon, 43 % des accusés avaient des antécédents criminels liés à des infractions sans violence, et 13 %, des antécédents criminels découlant d'infractions avec violence.

Nombre de personnes en cause et rôle de l'accusé

Le rôle joué par l'accusé ainsi que le nombre d'accusés et de victimes en cause dans chaque affaire d'homicide constituent également des variables que nous avons utilisées. Tout d'abord, mentionnons que, selon les recherches, le rôle de l'accusé peut faire en sorte que ce dernier est considéré comme moins à blâmer par les intervenants du système judiciaire s'il est déterminé qu'il n'a fait que « suivre » plutôt que d'avoir dirigé ou organisé la perpétration du crime (Steffensmeier et coll., 1998). De plus, même si la loi ne fait pas de distinction entre l'accusé principal dans une affaire d'homicide et un autre accusé qui n'aurait fait qu'aider ce dernier à commettre l'infraction, il n'en reste pas moins que le degré de participation au crime peut avoir une importance dans la détermination de la peine (Grant et coll., 1998). Par exemple, le juge peut imposer une période d'incarcération plus courte avant l'admissibilité à la libération conditionnelle si l'accusé n'a pas joué un rôle de leader. Le rôle de l'accusé peut également avoir une incidence à des étapes antérieures du processus pénal parce que les procureurs, lorsqu'ils portent les accusations ou négocient un plaidoyer de culpabilité, de même que les juges et les jurés peuvent avoir l'impression qu'un accusé qui a joué un rôle mineur, ou à tout le moins secondaire, dans une affaire est de ce fait « moins coupable ». Pour tenir compte de cet aspect, nous avons utilisé une mesure dichotomique qui permet de faire la distinction entre les accusés principaux et ceux qui ont joué un rôle secondaire. La majorité (85 %) des accusés de notre échantillon étaient des accusés principaux, car, comme nous en discutons plus bas, il n'y avait qu'un seul accusé et une seule victime dans la plupart des affaires d'homicides examinées.

Deux autres variables établies sont le nombre d'accusés et le nombre de victimes dans chaque affaire. Les recherches révèlent que lorsqu'il y a plus d'un accusé ou plus d'une victime, la justice a tendance à se montrer plus sévère (Black, 1976; Huang et coll., 1996; Myers, 1980). Par exemple, certaines études montrent que la gravité des accusations et la probabilité de procès augmentent quand il y a plusieurs victimes (Myers, 1980). Ainsi, dans les cas de victimes multiples, si la durée de l'emprisonnement avant l'admissibilité à la libération conditionnelle dans les cas de meurtre au premier degré ne peut excéder 25 ans, il arrive que le juge, lorsqu'il peut exercer un pouvoir discrétionnaire au moment de déterminer la peine (dans les cas de meurtre au deuxième degré, par exemple), allonge la période d'inadmissibilité à la libération conditionnelle. Nous avons utilisé une variable dichotomique permettant d'indiquer s'il y avait plusieurs accusés et plusieurs victimes. Dans notre échantillon, 16 % des affaires mettaient en cause plus d'un accusé, et 4 % des affaires comportaient plus d'une victime.

Accusation initiale

Les trois dernières variables sont des variables dépendantes qui deviennent des variables de contrôle lorsque nous nous penchons sur les étapes suivantes du processus judiciaire, car les recherches montrent que l'incidence des premières décisions sur les décisions subséquentes doit être examinée si l'on veut bien comprendre le processus pénal. Par exemple, bien que les résultats des études sur la question soient contradictoires (Brereton et Casper, 1981-1982; LaFree, 1985; Nardulli et coll., 1988), on croit généralement que les plaidoyers de culpabilité ou les transactions en matière pénale entraînent fréquemment une réduction de l'accusation ou de la peine, ou encore des deux (Mather, 1979; Nardulli, 1979; Neubauer, 1974; Newman, 1966; Uhlman et Walker, 1979; Vetri, 1964). L'une des raisons qui expliquent cette croyance est que les plaidoyers de culpabilité ont souvent pour seul but l'obtention d'une réduction de l'accusation. En outre, il existe une conviction répandue selon laquelle l'accusé qui accepte de transiger avec la justice en plaidant coupable, permettant ainsi d'éviter un procès et les dépenses qui s'y rattachent, est souvent récompensé par une peine plus douce (Dawson, 1969; Rosett et Cressey, 1976; Ruby, 1999). Cependant, on a également soutenu que le fait de se faire accorder une récompense (par exemple une réduction de l'accusation) en échange d'un plaidoyer de culpabilité à une étape initiale du processus peut éliminer toute possibilité de récompense additionnelle à d'autres étapes, notamment celle de la détermination de la peine (Eisenstein et Jacob, 1977; Smith, 1986). De la même façon, une accusation grave ou un verdict sévère peut avoir une incidence sur les décisions prises aux étapes ultérieures. Par exemple, la gravité de l'accusation initiale peut accroître les probabilités qu'il y ait procès, que l'accusé soit trouvé coupable et qu'il soit condamné pour meurtre. Nous avons donc utilisé, lorsqu'il y avait lieu, des variables de contrôle pour rendre compte des décisions prises aux étapes initiales qui influent sur celles rendues à des étapes ultérieures. Le mode d'entrée en voie de condamnation est pris en compte en tant que mesure dichotomique afin d'établir une distinction entre les affaires ayant donné lieu à un procès et celles dont ce n'était pas le cas, alors que la gravité de l'accusation initiale et la sévérité de la peine ont tenu lieu de variables de niveau intervalle.

Caractéristiques de l'accusé

Les recherches portant sur la disparité des peines ont également documenté l'incidence d'un certain nombre de facteurs non judiciaires sur les résultats pénaux. Outre le sexe de l'accusé, dont nous avons traité ci-dessus, la race et l'âge de celui-ci revêtent également de l'importance en tant que caractéristiques en fonction desquelles s'établissent la hiérarchie et les distinctions sociales au sein de la société occidentale (Steffensmeier et coll., 1998). De nombreuses études ont examiné les effets indépendants de ces deux variables sur les décisions judiciaires. Jusqu'à maintenant, les résultats des recherches portant sur les effets de la race sur la peine imposée ont fluctué (voir les articles de Kleck, 1985; Kramer et Steffensmeier, 1993). En effet, d'après certaines études, les Noirs reçoivent des peines plus sévères que les Blancs (Lizotte, 1978; Petersilia, 1983; Spohn, 1990; Spohn et coll., 1981-82), alors que, selon d'autres, ils se voient imposer des peines plus douces (Bernstein et coll., 1977). Enfin, d'autres encore indiquent qu'il a peu de différences en fonction de la race dans les peines imposées (Klein et al, 1988; Wilbanks, 1987) ou aboutissent à des résultats variables (Dixon, 1995; Kramer et Steffensmeier, 1993). Par ailleurs, les recherches montrent également que les effets de la race, ainsi que leur importance, varient selon le tribunal en fonction du contexte (Myers et Talarico, 1987; Tonry, 1995). Nous avons eu recours à une variable assignée pour prendre en considération le fait que l'accusé soit un Blanc ou non. Bien que l'utilisation d'une variable dichotomique soit courante dans les études sur la race et la justice pénale, l'emploi d'une telle variable pour déterminer la race de l'accusé ou le groupe ethnique auquel il appartient entraîne une grande perte d'information en raison de la variété des éléments compris dans ces deux grandes catégories. Toutefois, il n'a pas été possible de faire appel à des catégories plus restreintes, compte tenu des limites relatives aux données. Mentionnons que notre échantillon comptait une majorité (56 %) d'accusés blancs.

Peu de recherches ont été menées au sujet de la relation entre l'âge et la peine imposée, et les études récentes montrent que cette relation est plus complexe qu'on ne l'avait cru. D'une part, la majorité des analyses visant la peine examinent l'âge en tant que variable continue, ce qui suppose un effet linéaire. Elles indiquent généralement que l'effet de l'âge est faible, voire négligeable (voir par exemple Klein et coll., 1988; Myers et Talarico, 1987; Peterson et Hagan, 1984). D'autre part, plusieurs études révèlent – lorsqu'on répartit les données entre celles relatives aux délinquants « âgés » et celles qui ont trait aux jeunes délinquants – que les délinquants âgés (ceux qui ont 50 ans ou plus) bénéficient d'une plus grande indulgence que les jeunes délinquants (ceux qui sont dans la vingtaine) (voir Champion, 1987; Cutsall et Adams, 1983; Wilbanks et Kim, 1984). De façon plus particulière, soulignons que c'est à l'égard des accusés qui ont dans les soixante ou soixante-dix ans qu'on est le plus indulgent (voir Steffensmeier et Motivans, 2000). Dans un effort pour clarifier l'importance de l'âge dans la détermination de la peine, Steffensmeier et ses collaborateurs (1995) ont établi qu'il existait entre ces deux éléments une relation non linéaire correspondant à une courbe en forme de U inversé lorsqu'on prenait en compte toutes les catégories comprises dans l'âge adulte, c'est-à-dire celle de la fin de l'adolescence, celle du début de l'âge adulte, celle de l'âge moyen** et celle du troisième âge. Cette corrélation curviligne est en grande partie attribuable au fait que les jeunes (18-20 ans) reçoivent des peines plus douces que les jeunes adultes (21-29 ans). Les jeunes délinquants (ceux qui ont entre 18 et 20 ans) se voient imposer à peu près les mêmes peines que les délinquants qui sont dans la trentaine, alors que les délinquants qui sont dans la cinquantaine ou plus âgés reçoivent les peines les moins sévères. Ainsi, la relation entre l'âge et la peine imposée n'est linéaire qu'à partir de la trentaine environ jusqu'au troisième âge. Dans notre étude, nous avons évalué le facteur âge de deux manières. Tout d'abord, pour les analyses descriptives et bidimensionnelles, nous avons utilisé une variable fondée sur cinq groupes d'âge selon lesquels nous avons classé les accusés, à savoir le groupe des 18-24 ans, celui des 25-34 ans, celui des 35-44 ans, celui des 45-54 ans et celui des 55 ans ou plus. Cette classification est conforme à celles sur lesquelles se fondent les statistiques officielles faisant état des tendances globales liées aux décisions prises par les tribunaux pénaux pour adultes (CCSJ, 2003a). Pour les analyses multidimensionnelles, nous avons eu recours à une variable continue qui rend compte de l'âge déclaré de l'accusé. Le tableau 3 montre la distribution en fonction de ces groupes d'âge au sein de notre échantillon de même que l'âge moyen des accusés (31 ans).

La situation sur le plan de l'emploi et l'état matrimonial peuvent également être considérés comme des variables à caractère social, car, comme la relation qui existe entre la victime et l'accusé, ils peuvent être des indicateurs de la « participation sociale », c'est-à-dire le degré de participation de la personne à la vie sociale (Black, 1976). Par exemple, la situation d'emploi peut avoir un lien avec les décisions judiciaires parce que le fait d'avoir un emploi entraîne non seulement un pouvoir économique (Turk, 1969), mais aussi une intégration sociale (Black, 1976; Landes, 1974). Ainsi, les accusés qui travaillent sont parfois, à certaines étapes du processus pénal, traités de façon plus clémente que ceux qui ne travaillent pas (Boris, 1979; Reskin et Visher, 1986). À l'aide d'une variable assignée, nous avons déterminé si l'accusé avait ou non un emploi et établi que, au sein de notre échantillon, 30 % des accusés travaillaient[22]. L'état matrimonial correspond également à un certain degré d'intégration sociale (Black, 1976; Myers, 1980). Pour évaluer cet aspect, nous avons fait appel à une variable qui permet de faire la distinction entre les accusés qui étaient mariés au moment de la commission de l'homicide et ceux qui ne l'étaient pas[23]. À peine plus de 40 % des accusés de notre échantillon étaient mariés.

Enfin, le fait que l'accusé ait ou non été traité en psychiatrie peut avoir une incidence sur le traitement qu'il reçoit au sein du système de justice pénale. Nous avons donc utilisé une variable pour indiquer si l'accusé avait déjà reçu des soins psychiatriques, que ce soit comme patient hospitalisé ou dans le cadre de consultations externes. Au sein de notre échantillon, dans la mesure où des données à ce sujet étaient disponibles, nous avons déterminé que 10 % des accusés avaient des antécédents psychiatriques.